70 Musique - novembre 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 28 novembre 2011

La presse jazz enterre son avenir


Comme je discute de ma lettre ouverte à la presse papier intitulée Après le disque avec un ami journaliste à Jazz Magazine, je lui demande pourquoi les unes affichent toujours les mêmes gueules depuis des décennies. En octobre Miles Davis illustrait la couve pour la quantième fois ? J'ai l'impression que les revues spécialisées n'arrivent pas à se renouveler, s'appuyant sur un lectorat vieillissant ou dans le meilleur des cas sur de jeunes nostalgiques en manque de nouveaux courants sur lesquels naviguer.

Comme je lui pose la question si la une sur un jeune musicien pour lequel nous sommes tous les deux prêts à prendre tous les paris ferait moins vendre le magazine il confirme que personne à la rédaction n'en sait rien. Alors pourquoi continuer encore et encore avec Miles, Joachim Kühn, Aldo Romano ou même Louis Armstrong (sic) ? On croirait la rubrique jazz plan-plan de Michel Contat dans Télérama. Inversons la donne et insérons un cahier central sur les archives ! Cette année il y eut certes Tigran Hamasyan et trois chanteuses, Laïka, Terez Montcalm, Youn Sun Nah (les filles instrumentistes continuent de subir la ségrégation), mais leur swing ne va franchement pas révolutionner le jazz et ouvrir des portes sur le futur à une musique dont le public a de plus en plus de cheveux blancs ou le crâne chauve.

De l'après-free jazz les plus belles avancées ont pourtant été considérablement marquées par l'Europe. Dans les années 70, époque d'une rare inventivité dans tous les domaines artistiques, un musicien comme Michel Portal avait influencé quantité de jeunes français. Les sirènes du chiffre ont depuis banalisé l'aventure. Dans les années 80, l'improvisation libre rayonna au delà de nos frontières. Cela devint hélas un genre au lieu d'une méthode. À la fin des années 90, tout semblait possible, les trucs les plus improbables pouvaient bénéficier de plusieurs pages dans Les Inrocks. Et puis, au début du nouveau siècle, on a simplement entretenu les braises juste pour que le feu ne s'éteigne pas. Le jazz manouche remplissait les salles d'ados découvrant qu'il y avait autre chose que le rock ; voilà qui aurait plu à mon père ! Il avait fait partie du Hot Club de France, mais moi, qu'avais-je à découvrir de virtuoses qui grattaient pourtant des dix doigts ? Les conservatoires de la musique les formaient de mieux en mieux sans leur donner les armes pour imaginer de nouveaux mondes. Aujourd'hui les expériences les plus diverses renaissent dans des bars où l'on passe le chapeau, mais toutes les bonnes places sont jalousement gardées par des vieux qui se tiennent les coudes, directeurs de festival cyniques ayant perdu la flamme et musiciens usés qui ne lâcheront pas facilement leur os.

Sous d'autres cieux les adeptes de l'ordinateur et des musiciens attachés au geste instrumental réconcilient la musique électro-acoustique de Pierre Schaeffer avec les recherches timbrales minimalistes. D'autres revivals en perspective. Mais en France tout est cloisonné. Les écoles ne se mélangent pas facilement. Être inventif vous renvoie-t-il forcément à un genre ? Pas de place dans le rock tombé aux mains des marchands. Pas plus dans le jazz, secteur protégé des anciens. Reste à constituer sa petite association en se regroupant entre potes. Pour reproduire les vieux schémas protectionnistes imperméables.

Mon ami journaliste m'assure que Jazz Magazine parle de tout le monde ou presque. C'est vrai, l'offre est large, mais tout se fond et se confond en l'absence de parti pris. La hiérarchie éditoriale guide les programmateurs frileux. Ce devrait pourtant être le rôle de la presse, des organisateurs, des agents, des institutions que sais-je (puisqu'on en a créé quantité), de défendre de nouvelles utopies au lieu de ressasser éternellement les mêmes couplets. C'est comme en politique : de nouvelles forces existent, mais elles sont atomisées, isolées, étouffées par une industrie lobbyiste et des appareils dépassés par la crise, conventionnels pour ne pas dire réactionnaires, avec la peur de perdre ses avantages acquis alors qu'ils font semblant de s'inquiéter pour leurs enfants.

mercredi 23 novembre 2011

Le long couloir blanc


Jamais le studio n'avait été aussi encombré. J'avais oublié qu'un marimba pouvait mesurer plus de trois mètres ! Si on ajoute le vibraphone, le portique de gongs et les tables de percussion de Linda Edsjö, la chanteuse Birgitte Lyregaard est obligée de se transformer en hiéroglyphe pour rejoindre sa place. J'enregistre toutes les répétitions, on ne sait jamais ce qui peut sortir d'un premier contact. Les essais sont tout de suite encourageants. Si l'accord avec Birgitte avait été évident dès la rencontre qui avait abouti à la création du trio El Strøm avec Sacha Gattino, j'ignorais presque tout des talents d'improvisatrice de Linda. Lorsque j'évoque l'improvisation, je fais toujours référence à cet instantané qui réduit au minimum le temps entre composition et interprétation. Elle exige une soif de l'inconnu, de la présence d'esprit, une écoute critique et simultanée de toutes les parties de l'orchestre, et une culture générale qui va bien au delà de l'histoire de la musique.
Dans la première pièce qui mêle l'invitation séduisante des bateleurs et la menace hors-champ de l'attraction à découvrir à l'intérieur de la tente, les rythmes du marimba me laissent libre de jouer de la trompette à anche, de mes nouvelles guimbardes à deux lames et surtout du Theremin que je n'avais pas pratiqué depuis belles lurettes. Comme j'utiliserai plus tard le H3000 sur une autre scène pour transformer les voix des deux filles, je l'ai branché sur un pédalier qui m'offre plus de possibilités que les sempiternelles sinusoïde et onde en triangle.
Nous jouerons donc la seconde étape à l'autre extrémité du Musée d'Art Moderne de Strasbourg, sur une estrade un peu plus grande. Linda me fait oublier le timbre monotone du vibraphone en variant ses techniques de jeu tandis que Birgitte jongle avec le danois, l'anglais, le français et le latin pour révéler la poésie planante du long couloir blanc où nous nous sommes enfoncés. Si j'avais commencé à la flûte hyperbasse, toute la seconde partie est dirigée par le tempo du Tenori-on, une sorte de séquenceur pas à pas qui oblige Linda à ruser pour faire swinguer ma machine avec ses mailloches. Des extraits de Visite de Jean Cocteau ouvrent la porte d'une chambre sans murs.
Nous irons ensuite nous promener parmi les machines étonnantes que les sciences occultes ont inspirées aux savants. Musique ambulante où Linda ressemble à une colporteuse d'onguents ou de colifichets, Birgitte à une porteuse de voix et où je me sers d'une réverbe à ressort acoustique pour déplacer la réalité vers un monde imaginaire où les spéculations font vaciller les esprits les plus cartésiens.
La dernière pièce nous ramène sur la grande scène pour un chaos de citations plus improbables les unes que les autres. Les ondes hertziennes, radiophonie du passé ou modulation de fréquence en direct, rappellent les rayonnements visibles et invisibles, X et gamma, lumière et obscurité, mais aussi les voix oubliées des fantômes qui nous ont engendrés. En transformant celles des deux Scandinaves par de surprenants effets sonores, j'espère représenter l'enfer et le paradis que La chambre de Swedenborg annonce avant le grand saut.

vendredi 18 novembre 2011

L'antichambre de Swedenborg


La teinte rouge fait-elle référence aux flammes de l'enfer ou à celles du bûcher sur lequel on brûla des dizaines de milliers de femmes rebelles à l'autorité masculine ? Zosime de Panopolis aurait-il recouvert l'escalier de la cave de son cinabre, soufre et mercure du vermillon, pour dissuader nos invités d'y descendre ? Un ange s'y fracasse la tête pour que personne ne voit ce que les yeux de Linda réfléchissent. La scène primitive est nimbée de fumée. Le serpent se mord la queue : Ἓν τὸ πᾶν καὶ δι' αὐτοῦ τὸ πᾶν καὶ εἰς αὐτὸ τὸ πᾶν καὶ εἰ μὴ ἒχοι τὸ πᾶν οὐδέν ἐστιν τὸ πᾶν. Quoi qu'on y fasse on y retourne. Poussières d'étoile. Notre projet ferait délirer n'importe qui. Il pose les questions que chacun évacue. Limites de l'analyse. Notre travail me rappelle les Questions d'importance de Claude Ponti (publie.net) découvertes avant-hier dans un vertige imputable à leur éternité quantique. Inévitable parce que sans âge. Début des répétitions avec la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard et la percussionniste suédoise Linda Edsjö en vue de la création du 26 janvier 2012 au Musée d'Art Moderne de Strasbourg dans le cadre de l'exposition L’Europe des Esprits ou la fascination de l'occulte, 1750-1950. Nous alternons la séduction du bateleur avec la gravité du rituel, tout pour la science, extrême danger. Entrez, entrez si vous voulez faire tourner les tables de la loi. Je repense à la lettre de Pasteur où il annonce qu'il va s'inoculer la rage pour tester son vaccin sur lui-même. Nous nous en sortons plutôt bien. Les Curie y laissèrent la peau. Les baguettes du marimba sont des pinceaux, les mots claquent comme les cloques des grands brûlés, le Theremin traverse l'éther en reniflant en vain les vieux cotons. Tout chavire. Nous éteignons le feu avant de ranimer l'âtre. La teinte rouge fait-elle référence au drame de m'en faire ou à la viande du boucher ? Seconde séance en perspective. Demain nous empruntons le long couloir blanc sans savoir où il nous mènera. C'est excitant. Si La chambre de Swedenborg est un contrepet, y m'reste un mystère.

Photo : Sonia Cruchon

vendredi 11 novembre 2011

11/11/11 à 11h du soir


Un vent d'archives souffle sur la famille. Mon cousin Serge m'envoie notre arbre généalogique. Dans un tiroir de ma mère ma sœur Agnès retrouve de vieilles diapositives prises par mon père. Elsa avait quelques mois. Le petit piano n'est pas un Michelsonne comme celui que j'utilisai dès 1975 (disque Défense de), mais cela tombe à pic pour l'émission de ce soir. Pascal Ayerbe, Patrice Elegoet et moi-même participons à L'atelier du son, une émission de Thomas Baumgartner consacrée au petit piano Michelsonne et diffusée sur France Culture ce 11/11/11 à 11 heures du soir. Y sera diffusé un inédit de quatre minutes avec le violoncelliste Vincent Segal que nous avions enregistré comme partition pour le film sur le tableau de Chirico, Composition métaphysique, réalisé par Pierre Oscar Lévy. En plus d'un clone de Michelsonne, j'y joue de la guimbarde, du ballon de baudruche, du violon et d'un carillon. Au Studio 118 de Radio France je fais aussi le zouave pendant que mes deux collègues pianotent pour un bœuf improvisé... Qu'il est doux de ne pas toujours se prendre au sérieux et de se laisser aller à ces gamineries qui touchent pourtant à l'essence même de notre inspiration ! Si nous jouons comme des mômes, que rêver de mieux ?
Se mettre à plat ventre pour partager des jeux d'enfant nous fait glisser vers un temps que nous avions souvent oublié. Il tient autant du passé que du futur. Cet angle sous lequel alors nous regardons le monde a quelque chose de déjà vu. L'avenir n'est qu'une projection de ces images sur une toile plus grande. Un simple changement de repères.

mercredi 9 novembre 2011

1+1=O


En 2000 Pierre Morize est venu me trouver pour composer en urgence la musique de son film 1+1 une histoire naturelle du sexe. Le généticien avait sonorisé son montage avec des extraits de John Lurie, mais deux passages sur cinq ne fonctionnaient pas du tout avec la musique du saxophoniste des Lounge Lizards et il tenait à préserver une unité, sans parler de la somme prohibitive exigée par l'éditeur pour les droits. C'est souvent grâce à ces deux obstacles qu'un film bénéficie d'une musique originale, parfaitement adaptée au contexte et moins onéreuse que des "morceaux choisis".

Comme je n'avais que trois semaines avant l'enregistrement dans les studios de l'INA je proposai de réunir un ensemble d'improvisateurs qui travailleraient d'après des schémas directeurs et des intentions dramatiques. Coup de chance, le guitariste Philippe Deschepper, le trombone Yves Robert et le batteur Éric Échampard étaient libres. Je cherchais un percussionniste, mais la façon de jouer d'Éric sur ses fûts s'apparentait aux effets recherchés, ce qui m'encouragera à faire ensuite appel à lui en concert comme en studio, toujours avec maestria et bonne humeur. Ce n'était pas aussi simple avec Yves qui avait fait un passage éclair au sein du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané en 1983, une apparition dans le projet Urgent Meeting en 1991 et enfin un magnifique solo face au piano mécanique dans le CD Machiavel en 1998. Mon admiration pour son jeu et son timbre me faisait chaque fois revenir à la charge, mais avec quelque appréhension. La musique allait être à la hauteur, mais j'eus du mal à digérer qu'il aille proposer ses services au réalisateur pour son prochain film pendant que j'avais le dos tourné. Quant à Philippe, une crème comme Éric, en 1992 je lui avais demandé de jouer des variations sur un thème que j'avais composé pour le film Chronique d'une banlieue ordinaire de Dominique Cabrera ; à partir de 1998 il participera à la dernière formation du Drame avec DJ Nem et Bernard Vitet. J'emportai un synthétiseur et les flûtes en PVC construites par Bernard.

J'avais réuni les musiciens rêvés dans un studio idéal pour une musique dont j'étais extrêmement fier. Aussi fus-je abasourdi par le coup de téléphone du producteur allemand, absent jusque là, qui m'insulta brutalement sans que j'en comprenne la cause : "C'est la première fois que j'engage un compositeur, ce n'est pas la dernière, mais certainement pas avec vous..." Il me reprochait de n'avoir pas tenu mes engagements alors que je m'y étais strictement conformé comme je le fais toujours, le cahier des charges tenant lieu de partition. Déstabilisé, j'appelais tous les protagonistes. Le réalisateur avait comme par hasard disparu de la circulation et ne réapparaîtrait jamais ! Mes camarades de jeu me confirmèrent que rien ne pouvait justifier cette critique, idem pour le coproducteur, Jean-Pierre Mabille, alors responsable à l'INA et à qui j'avais dû mon retour à la réalisation en 1993, qui n'avait eu vent de rien et me conseilla de laisser pisser le mérinos. Une pénurie d'antidépresseurs avait-elle déclenché la crise de l'indélicat ? Je ne le saurai jamais. Il n'y eut aucune suite à ses accusations. Il me serra la main à la première comme si de rien n'était. J'avais pourtant été totalement détruit pendant plusieurs jours, me demandant quelle erreur j'avais bien pu commettre. Les artistes sont des personnes fragiles qui doutent au moindre nuage, même lorsqu'ils pensent être sûrs d'eux. Heureusement la musique était dans la boîte.

Je réalisai aussi le design sonore de l'interface du DVD-Rom, "gravé" sur l'autre face du DVD, qui avait été produit avec Hyptique, très beau concept d'interactivité Hyperfocus de Xavier Lemarchand servant un corpus de quatre heures, complément au film passionnant que j'avais adoré servir (extraits 1 et 2). Les Prix Möbius Sciences 2002, Prix Spécial du Jury Möbius International 2002 et Grand Prix Europrix Education/e-learning 2003 saluèrent d'ailleurs l'entreprise. Continuant l'immense travail réalisé parmi près de 300 heures d'archives je mets en ligne ce 33ème album inédit, en écoute et téléchargement gratuit, rassemblant les meilleures prises avec Philippe Deschepper, Éric Échampard et Yves Robert, 23 minutes en 12 index.

jeudi 3 novembre 2011

Petites musiques mécaniques et de pluie


Les musiques interprétées sur des instruments-jouets rappellent souvent les petites musiques mécaniques composées d'échantillons de la vie quotidienne. Les unes et les autres tirent leur origine des boîtes à musique de l'enfance, plutôt tendres et désuètes, mais également graves et profondes. Le premier âge n'est pas qu'un conte de fées, il est aussi le foyer des angoisses des futurs adultes. Les contes pour enfants, qui peuvent être d'une rare cruauté, préparent à la course d'obstacles qui attend chacune et chacun d'entre nous. Sur la platine se succèdent ainsi Jour de marché d'Oli Azerti et Chuchumuchu de Patrice Elegoet alias Chapi Chapo et les petites musiques de pluie. J'aurais pu y associer Pascal Comelade, Pierre Bastien, David Fenech, Sacha Gattino et bien d'autres, chacun dessinant son propre paysage sonore selon son histoire, souvent plus sombre qu'ils ne l'expriment dans une intimité feinte.

Qu'ils soient virtuels ou réels les instruments ont le mérite d'échapper à la collection de timbres traditionnelle. Ils sont le fruit d'une production artisanale qui prend le temps du sur mesures. Si le premier album d'Oli Azerti était essentiellement constitué de sons de la maison (son titre, Maison, est aussi le nom du label qui édite ses disques ainsi que ceux de Jî Mob, Malnoïa et Vadim Vernay), le nouveau, Jour de marché, souriant et sautillant, s'en échappe, là encore virtuellement, car cette évasion passe par les tuyaux d'Internet, se référant à la mémoire des machines, aux spams, à l'anglais de cuisine et au survol des news tournées en dérision. Mais si ses rythmiques aux connotations graphiques m'enchantent, les mélodies robotiques fredonnées par Anne Sigaud et Violette Valdes m'évoquent un vocodeur acoustique qui homogénéise l'ensemble en lui ôtant sa chair. Ne dansent plus alors que de petits squelettes sardoniques.

Chuchumuchu date d'il y a déjà deux ans. Pour Chapi Chapo et les petites musiques de pluie la manière de jouer d'instruments classiques n'est pas très différente des instruments-jouets utilisés dans tous les morceaux. Rien à voir pour autant avec, par exemple, les spectacles de Pascal Ayerbe destinés à un public d'enfants. Une forte mélancolie se dégage des rencontres de Pascal Elegoet avec les chanteurs Carbonic, Ray Rumours, Ootiskulf, G.W. Sok, GaBlé, Alice Dourlen, Gregaldur, John Trap (Solo) et les nombreux musiciens dont les polyinstrumentistes Klimperei et Sébastien Desloges, ainsi que Los Chidos, Bertrand Pennetier, Jean-Marc Le Droff, etc. Le rock progressif des Seventies est passé à la moulinette bretonne pour accoucher d'un minimalisme anglophone aux effluves de Robert Wyatt. Le nom du projet laisse entendre une approche lénifiante loin de sa réalité.

Pour ces compositeurs, auxquels je m'associe sur ce point, les jouets sont utilisés comme instruments à part entière et les instruments, électroniques, électriques ou acoustiques, sont joués par des adultes qui n'ont pas renoncé à la part d'enfance indispensable à tout musicien qui résiste à vendre son âme (qu'abrite le violon de L'Histoire du Soldat de Stravinski) au diable, sirène vicieuse représentée par la mode et l'appât du gain, la vanité ou la routine, l'amertume ou le succès.

N.B. : Pascal Ayerbe, Patrice Elegoet et moi-même participons à L'atelier du son, émission de Thomas Baumgartner consacrée au petit piano Michelsonne et diffusée sur France Culture le 11/11/11 à 11 heures du soir.

mardi 1 novembre 2011

Âge Tendre et Tête de Bois


Troisième Noël approchant et après les coffrets Salut les Copains et Nos Années Télé, les Éditions Montparnasse publient le triple DVD de l'émission d'Albert Raisner, Âge Tendre et Tête de Bois dont le pilote date de 1961. Ces archives (bande-annonce) valent leur pesant de cacahuètes, exhibant maintes ringardises, aussi passionnantes que désuètes. Parmi les artistes invités par le sympathique harmoniciste féru de découvertes, certaines pépites valent ce voyage dans le passé. Vince Taylor en smoking chante Mackie The Knife, Johnny Hallyday en habit militaire Johnny reviens, Colette Magny Basin Street Blues, Daniel Gérard et les Dangers Petit Gonzalès, Claude Nougaro À bout de souffle et Bidonville, Pierre Vassiliu Armand... Les Spotnicks jouent un aquarium sur la tête. Elec Bacsik fait une démonstration de rerecording en jouant de cinq instruments. Albert Raisner, parfois secondé par Claude François ou Conrad Pringle, donne des leçons de danse : snap, madison, locomotion, tamouré-twist, samba, spring-twist, java chaloupée, sirtaki, bernard, letkiss... Il y a de belles chansons de Brel, Trenet, Mitchell, Johnny, Christophe, Nino Ferrer... Ça ne chante pas toujours juste, Sylvie Vartan ou Ticky Holgado avec les Candies sont carrément pitoyables. Les chanteurs qui me faisaient déjà flipper à l'époque remettent ça. On sent que tout ce monde se cherche sans se trouver vraiment. Cette période sonne comme une préhistoire où la télévision allait recevoir une seconde chaîne et où commençait à frémir la jeunesse rebelle sur rythmes de guitares électriques. Deux ans après la dernière de cette série, les monômes se transformeraient en barricades. Les Beatles, les Stones puis les groupes psychédéliques américains ou les jazzmen free nous feront changer d'ère (j'ai hésité à l'écrire Hair ou comme un air musical). Albert Raisner, défricheur de talents, détracteur du playback, animateur infatigable, avait ouvert la voie en dressant un pont entre l'ancien et le nouveau. À partir de 1965, plus radicaux, nous écouterons le Pop Club de José Artur sur France Inter, et à la télé Bouton Rouge (1967-68) et Pop 2 (1970-73). Si vous êtes nostalgiques ou si vous voulez connaître ce qu'écoutaient vos parents, ces trois DVD constituent néanmoins une mine de tubes du début des années 60.