70 Musique - décembre 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 27 décembre 2012

Typiques et atypiques


Ágio de Bernardo Devlin comme L'étang change (mais les poissons sont toujours là) de François Tusques sont aussi différents qu'une carpe et un lapin. Le premier est un disque de techno plutôt minimaliste, le second un solo de piano jazz. Mais chacun dans son genre est atypique.
La jaquette argentée d'Ágio cache un boîtier noir immaculé. L'album de Bernardo Devlin, avec sa voix grave et ses silences, fait irrémédiablement penser à ceux de Scott Walker. Les rythmes et les timbres sont travaillés de manière à ne jamais occulter le texte portugais auquel je ne comprends rien du tout. Les intentions traversent pourtant la barrière de la langue. Je l'écoute comme l'écho d'une autre, variation sur l'immobilité et l'irreproductible.
Le double CD de François Tusques enregistré sur un Steinway de rêve rature l'histoire du jazz en un carnet d'esquisses où les époques se télescopent sans heurt. On ne les sent pas tourner. Les aiguillent se figent. Les dominos noirs et blancs tombent les uns derrière les autres comme des morceaux de sucre qui fondent à leur tour dans une lutte sans merci avec notre époque. Comme souvent chez Tusques le titre fait référence à la poésie didactique du maoïsme en la détournant avec l'humour potache d'un éternel gamin. Ni grave ni léger il nous laisse flotter au gré des nénuphars...

mercredi 26 décembre 2012

Changement de programme


Dimanche, avec Antonin-Tri Hoang et Vincent Segal, nous avons enregistré la maquette d'un album intitulé Dans tous les sens du terme en vue d'une hypothétique production dont le thème est Reprise. Ayant enchaîné les treize pièces comme des marathoniens, à la fin de l'après-midi nous étions totalement lessivés. Pour Prise de risque, Antonin et Vincent échangèrent leurs instruments. Le premier frottait l'archet sur le violoncelle comme je jouais du hou-kin, le second s'époumonant dans le sax alto. Mais la véritable difficulté fut pour moi de découvrir un autre programme que celui que j'avais prévu. Ayant envoyé la proposition de Reprise à mes deux camarades ils l'avaient prise au mot tandis que je pensais enregistrer la musique d'un film de Jacques Perconte ! Sans aucune préparation je n'ai eu d'autre choix que d'improviser une heure quarante de musique, ce qui en soi n'a rien d'effrayant, sauf que je choisis et prépare toujours les instruments en fonction des circonstances et que je sélectionne les programmations des machines électroniques en amont, ce qui me prend en général quelques heures.
J'aurais pu me douter que quelque chose clochait cette veille de Noël lorsque le matin-même Vincent me parla au téléphone du malentendu de Maria João Pires qui, entendant l'orchestre attaquer sous la direction de Ricardo Chailly, découvre qu'elle s'est trompée de concerto de Mozart, confondant celui en do et celui en ré.


Le document est étonnant. Il faut voir son visage se décomposer lorsqu'elle se rend compte de son erreur. Elle échange quelques mots avec le chef d'orchestre pour lui expliquer sa confusion alors que l'orchestre joue l'ouverture, heureusement suffisamment longue pour que la pianiste virtuose se ressaisisse. On peut lire sa pensée au fur et à mesure sur son visage. Soudain, en une seconde, elle se jette sur le clavier et jouera de mémoire et sans faute le concerto au programme. J'espère vivre un tel miracle à la réécoute de notre session lorsque je me mettrai au mixage après les fêtes !

jeudi 20 décembre 2012

Les couleurs du prisme, la mécanique du temps


Après le remarquable ouvrage de Daniel Caux, Le silence, les couleurs du prisme & la mécanique du temps, réunissant ses écrits, Jacqueline Caux propose un film dont il fut à l'origine et qu'elle réalise, quatre après la mort de son mari, autour de l'école minimaliste américaine. John Cage et Daniel Caux en sont les narrateurs, grâce à des archives exceptionnelles. On retrouve donc les prestations de La Monte Young, Pauline Oliveros, Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass, Meredith Monk, Gavin Bryars et Richie Hawtin alias Plastikman, avec qui elle s'entretient tout au long de ce long métrage qui paraît enfin en DVD. Si le tournage récent de séances de répétition recèle maint trésor qui étonnera les plus blasés, on se serait bien passé des sempiternels plans de rues de New York (déconnectés du sujet) pour accompagner les passages de musique seule. Comme si les images manquaient de cette période, images fixes, documents, ou n'importe quoi d'autre que les tartes à la crème paysagères. Les musiques des uns et des autres auraient pu susciter quelques allégories ou synonymes plus suggestifs,mais bon c'est un détail. Alors que je reste hermétique au néo-clacissisme de Bryars, le passage de Cage aux répétitifs, puis de ces minimalistes ou du Miles Davis électrique à la techno devient transparent.Les couleurs du prisme, la mécanique du temps est accompagné d'un passionnant témoignage de Daniel Caux qui, autour de sa discothèque, se souvient de son parcours de découvreur... DVD trouvé encore une fois au Souffle Continu.

mercredi 19 décembre 2012

Playing with the Dead de Pierre Bastien


À l'issue de chaque représentation de Pierre Bastien, les photographes amateurs envahissent la scène, le public se pressant autour du Mecanium pour admirer ou comprendre l'orchestre miniature que le musicien améliore ou transforme petit à petit depuis 1977.
Lors d'une historique nuit des solos au Théâtre Mouffetard, Pierre expérimenta sa première machine construite avec des éléments de Meccano tandis que le trio d'Un Drame Musical Instantané détournait le programme, Francis Gorgé cachant Bernard Vitet et moi-même d'un ample drapé sous lequel nous jouions à deux sur un saxophone rallongé, Bernard au bec, mes mains actionnant les clefs. L'année précédente, nous participions tous à Opération Rhino pour un concert de soutien à la clinique anti-psychiatrique de La Borde ; c'était la première fois que je rencontrais Pierre et Bernard, mais aussi Jac Berrocal et Daunik Lazro au milieu d'une dizaine d'autres allumés. Je retrouvai Pierre en 2009 au Musée des Arts Décoratifs pour Musique en Jouets, il présentait un petit ensemble de machines musicales tandis que dans l'autre salle s'ébrouaient les cent lapins de Nabaz'mob. Si nous nous vîmes à d'autres occasions, ces trois dates marquent des jalons notables de nos deux parcours parallèles. Aussi étais-je ravi d'aller assister hier soir au spectacle Playing with the Dead au Théâtre Berthelot à Montreuil, lieu qui vit la création du grand orchestre du Drame en 1981, notre premier grand succès, et plus récemment la création de Dépaysages avec Perconte, Segal et Hoang.

Pierre Bastien, accompagné du batteur Steve Arguëlles au phrasé toujours aussi élégant et du jeune bassiste néerlandais Bruno Xavier Ferro da Silva dont le swing rappelle la période électrique de Miles Davis, a enrichi son orchestre automatique miniature deux lecteurs DVD passant en boucle de courts extraits d'archives musicales. Les images de ces films se mêlent sur le grand écran aux captations en direct du Meccano tandis que leur bande son s'intègre au trio. Lors du rappel, l'incessante rythmique quasi technoïde devient lyrique sous les pistons de la trompinette de Pierre Bastien. Excellente soirée, d'autant que je n'avais pas revu Steve Arguëlles depuis belles lunettes, et que je garde un souvenir mémorable de sa prestation sur le CD Machiavel. Dans la salle, je ne fus pas surpris de croiser David Fenech, Vincent Epplay ou Ravi Shardja...

Alors qui rencontrerons-nous ce soir mercredi ? Car nous retournons au même endroit assister à la projection des premiers films de Jean-Denis Bonan dont Françoise fut l'assistante et dont je fus l'élève au montage lors de ma première année d'études à l'Idhec. Cerise sur le gâteau de cette semaine du bizarre à Berthelot, Bernard Vitet, qui ne pourra hélas pas être des nôtres pour raison de santé, composa en 1968 la musique de La femme-bourreau, l'un des deux films inédits de Jean-Denis proposés par Choses Vues à 21h. Comme hier soir l'entrée est gratuite, mais il est prudent de réserver.

lundi 17 décembre 2012

Schizophrénie quantique de l'impro solo


Chaque fois que je me risque au solo le souvenir du collectif vante les joies du partage. Nous étions pourtant deux, samedi soir lors de I.R.L. Performances, à dialoguer de concert en images et musique. J'avais pour l'occasion enfilé mon percoat. C'est ainsi que j'appelle le long manteau d'hiver dont les dessins me rappellent les compressions vidéographiques de mon camarade Jacques Perconte. Devant le grand écran où sont martyrisés jusqu'à la magnificence ses plans d'océan et de plantes oscillant dans le vent, le public n'y voit que du feu, mais je lutte contre les éléments. Tandis que je joue de la flûte dans un micro perché à un mètre cinquante du sol je dois inscrire le numéro d'un programme en risquant de me faire mal au do. La quinte de tout penche vers la surcharge lorsqu'il me faut changer d'instrument virtuel sur l'ordinateur qui trône devant mon clavier alors que l'obscurité m'empêche de lire les paramètres d'un petit instrument électronique que je pousse du coude. Hips, il y a un hic dans mon dispositif. Les instruments acoustiques permettent de glisser facilement de l'un à l'autre à la faveur d'une pause, d'un silence, d'un soupir ou d'une respiration. Les coups de tête sont impossibles avec l'électronique dont il faut saisir les paramètres avant d'en jouir. Lorsque nous improvisons à plusieurs musiciens, j'ai le temps de réfléchir, d'attendre, de préparer la suite. La gymnastique qu'implique le solo est d'une autre nature, schizophrénie quantique qui m'oblige à prévoir au moins une minute à l'avance quel sera mon prochain coup pour ne pas me retrouver échec et mat, et ce tandis que je me voue corps et âme à l'instant. S'il n'était que deux temps... Mais je me suis surpris à rajouter une couche de passé à ce présent et ce futur. Car il m'arrive parfois de regretter un mouvement et de me demander comment le rattraper. Me voilà triple à la même seconde, jeu de miroirs temporels qui m'éloigne du solo chaque fois que je le tente, la performance circassienne ou sportive m'attirant moins que l'écoute qu'implique l'orchestre. La présence d'autres musiciens me laisse le temps de voir, à défaut de regarder, l'écran que Jacques éclabousse des incroyables couleurs que ses boucles structurent sur un rythme contemplatif que ma tension instrumentale, lorsque je suis seul, cherche sans cesse à saisir pour me laisser porter par le flux. Scotch, descendant direct du chat de Schrödinger, reste perplexe.

vendredi 7 décembre 2012

Bish Bosch de Scott Walker


Les albums qui sortent de l'ordinaire sont si rares qu'il est impossible d'échapper à ceux de Scott Walker. Je n'ai ressenti un tel choc qu'avec Captain Beefheart, Robert Wyatt, Björk, des voix comme celle de Jack Bruce chez Michael Mantler, ou sur notre continent Colette Magny, Brigitte Fontaine, Camille, Claire Diterzi, pour ne pas citer les éternels, tel Jacques Brel que Walker adapta scrupuleusement en anglais. De préférence chanteurs ayant dessiné leur univers musical en faisant fi de ce qui se fait ou pas. Si ses paysages sonores évoquent d'étranges scènes de film, la voix de Scott Walker, sorte de ténor déjanté ou de crooner emphatique, en dérange plus d'un/e. Il faudra parfois du temps pour s'habituer à cette manière de clamer sa rage ou sa douleur. Bish Bosch, son tout nouvel album, ne produit peut-être pas la même surprise qu'en leur temps Tilt et surtout The Drift, mais sa singularité, sa rigueur et son invention bousculent tout autant.

Bish Bosch signifie que le travail est terminé, il se réfère à la peinture torturée de Jérôme Bosch pleine de petites scènes cruelles et provocantes, et à l'argot de "putain". Ce mélange de sources réfléchit bien la démarche poétique de son auteur, maniant sans prérogatives le trivial et le sublime, le passé et le futur, le bien et le mal. Nous voyageons sur la même galère de la Grèce Antique à la Roumanie de Ceaușescu, de Hawaï aux Alpes, nous heurtant à des concepts de biologie moléculaire ou respirant de sulfureuses puanteurs fécales. Lorsque le mythe croise le quotidien on ne peut s'empêcher de penser à Pasolini, d'autant que Scott Walker ne se prive pas de citations bibliques et de références psychanalytiques. Ses textes nous bringuebalent sur des montagnes russes où il est pratiquement impossible de s'accrocher au garde-fou tant il se plait à changer brusquement de décors ou à convoquer d'historiques monstres au détour d'un vers.

Comme on le voyait dans le film 30th Century Man, il a beau inventer des sons inouïs avec toutes sortes d'objets ou d'instruments comme le Tubax, nouveau modèle de saxophone contrebasse, profonds ou aériens, tranchants ou veloutés, jamais la musique ne saurait produire le malaise que sa diction peut susciter. D'autant que cette fois il ne se prive pas de jouer de silences le laissant souvent a capella. Scott Walker est un minimaliste explosif. Les évènements se succèdent sans précipitation, mais avec une détermination effrayante. Le suspense est colossal. Chaque fois jusqu'à l'effondrement du majestueux et laborieux château de cartes. Si l'orchestre à cordes est utilisé pour des effets de vertige ou si les percussions martèlent l'espace comme dans le film Pola X de Leos Carax, les guitares électriques et les claviers numériques n'ont pas toujours l'efficacité dramatique de ses illustrations circonlocutoires, entendre que la poésie n'est jamais ici explicite, afin de générer des effets différents à chaque nouvelle écoute. Les envolées explicitement rock participent-elles au cut-up burroughsien des références ou sont-elles une tentative d'amadouer les oreilles rétives ?

Le graphisme de la pochette de Bish Bosch est aussi so(m)bre que les précédents. Il annonce la couleur ! De par son incontestable originalité, ses ambiances noires dont l'auteur se force pourtant à exclure tout cynisme, sa poésie hermétique truffée de connotations encyclopédiques, sa monotonie vocale aux intentions dramaturgiques, cet album ne plaira pas à tout le monde. Mais il comblera celles et ceux qui aiment les textures ciselées, les boutades incisives, les transpositions sonores inspirées par le sens des mots, la musique passionnée, et celles-ci comme ceux-là remettront encore et encore ce disque sur la platine pour s'en approcher chaque fois un peu plus, pour en varier les angles, pour en révéler les détails. Une œuvre !

jeudi 6 décembre 2012

L'organe vital


On parle parfois d'organe pour évoquer la voix sans que celui-ci soit scientifiquement répertorié. Comment alors évoquer le répertoire de la chanteuse Dominique Fonfrède sans aborder l'organe, étymologiquement, l'instrument, l'outil ? Le public plongeant les yeux fermés dans son gosier y vit sans aucun doute un remake de L'aventure fantastique de Richard Fleischer, voire, avec l'esprit caustique de la cantatrice, son double déjanté, Le voyage intérieur de Joe Dante. Dans ces deux films un être humain miniaturisé est injecté dans le corps d'un autre. C'est le sujet transposé psychologiquement de l'un des délires schizophréniques qu'elle interprète avec un humour dévastateur. Les spectateurs qui ne se tordent pas de rire en restent bouche bée. Le burlesque à la Jacques Tati alterne avec des logorrhées délirantes où les mots dégringolent comme des dominos jusqu'à la mort d'Irène. On frise l'absurde, mais la Fonfrède nous ferait avaler n'importe quoi, ou n'importe qui, la cannibale ! À tour de rôles, elle éructe, minaude, bégaie, transforme son personnage comme Alec Guiness dans Noblesse oblige. Yoyo, elle retombe en enfance ou s'enfonce du côté d'Alzheimer. Au carrefour européen des impossibles on n'a plus le choix, le tête nous tourne, dépoussiérée. Sa voix mise à nu par ses inspirateurs, même.
Françoise Toullec, femme-orchestre à la tête de son piano préparé, jouant sur les rythmes et les timbres, laisse Dominique Fonfrède libre comme l'air d'improviser mélodiquement car son fil est avant tout dramatique, comme toutes les grandes chanteuses. La pianiste appelle son art "brut" quand elle frappe les touches après avoir inséré dans les cordes gommes et baguettes qu'elle retire au fur et à mesure de Dramaticules, spectacle où la voix déborde la parole et le piano son meuble. Lorsque ça s'arrête il y en a partout. On part avec.

mercredi 5 décembre 2012

Musiques de Paris


Samedi dernier, l'Ensemble Art Sonic fêtait sa naissance à l'Atelier du Plateau. Deux autres beaux bébés, portés par leur maman ou leur papa et déjà initiés aux concerts en public, babillaient dans cette sympathique salle très prisée par les musiciens et autres saltimbanques. Si au début des années 80 nous étions très seuls avec Un Drame Musical Instantané à défendre l'héritage musical français, ou, plus largement, européen, les musiciens assimilés au jazz assument de plus en plus souvent, et de mieux en mieux, sa tendresse mélodique et sa richesse harmonique qui s'opposent à la puissance de feu américaine.
Le flûtiste Jocelyn Mienniel et le clarinettiste Sylvain Rifflet ont réuni un quintette à vent sans sax, mais plein de raffinement sensuel. Dans les orchestres actuels il est rare d'entendre le son moelleux du cor comme en joue admirablement Baptiste Germser ou la magie envoûtante du hautbois et du cor anglais dont nous a régalés Cédric Chatelain. Le cinquième membre est la seule fille du quintette, c'est déjà ça. Comme tous les autres bois, le basson de Sophie Bernado, qui arborait un magnifique collant aux motifs années 30, seule fantaisie vestimentaire au milieu des hommes en noir, est encore un instrument trop peu utilisé. Ses sons graves incisifs produisaient des alliages merveilleux de basse timbrée avec le cor d'harmonie, sur les compositions de Joce qui a écrit la majorité du répertoire de l'orchestre, ou dans les pièces de Sylvain, Edward Perraud, Antonin-Tri Hoang et Fred Pallem. Les improvisations se fondaient à pas feutrés dans les compositions. Les fantômes étaient de sortie.
Dès le début du concert j'ai pensé à l'opéra inachevé La chute de la Maison Usher de Claude Debussy. Le compositeur français rompit lui-même avec les cuivres wagnériens. On me rappellera qu'Adolphe Sax était belge, que Hector Berlioz fut le premier à intégrer cette famille d'instruments dans son orchestration, que Debussy écrivit une magnifique rhapsodie pour sax alto, il n'empêche que l'énergie que dégagent les saxophones sut séduire les jazzmen au point d'évacuer tous les bois, à de rares exceptions près. Idem avec les trompettes et trombones dont l'éclat fit oublier les cors qui se mélangent si bien aux cordes et aux bois. La musique de l'Ensemble Art Sonic a donc d'exquis relents debussystes mâtinés de moments répétitifs faisant un peu penser à Steve Reich. Rien de surprenant : le compositeur américain est aussi féru de musique indienne que Monsieur Croche. Après ce très beau concert, Hélène Collon me parla d'une interprétation récente de Francis Poulenc par Jean-Marc Foltz et Stephan Oliva à laquelle elle venait d'assister. Excellente nouvelle si les musiciens français et européens assument enfin leur propre culture pour la marier avec leurs amours d'outre-atlantique. L'industrie musicale ayant appauvri les ressources minières de la planète en les colonisant pour en faire une sorte de fast-food universel, il est logique que nous nous tournions vers nos terroirs pour retrouver nos racines. La musique du quintette Art Sonic fait remonter les nôtres pour leur donner une nouvelle vie au son des voyages qui forment notre jeunesse. Comme disait André Ricros : "Pour être de partout, il faut être de quelque part."


J'ai fini la soirée aux Petits Joueurs en embarquant Antonin-Tri Hoang et Elsa dans la bagnole. C'est pourtant à deux pas, mais ça caille sec à cette heure de la nuit. Les feuilles mortes (Prévert-Kosma) en décomposition rendent la chaussée visqueuse et propre aux vols planés. Le P'tit Bal de Poche faisait déjà danser les convives. Et ça tangue, et ça valse sur le son musette du trio composé de Lucien Alfonso au violon, Jérôme Soulas à l'accordéon et Pierre-Yves Lejeune à la contrebasse. L'ambiance chaleureuse du lieu correspond bien à cette musique festive. Et comme on guinche, Antonin rejoint l'orchestre avec son sax alto des années 30, puis Elsa qui reprend Un jour tu verras, Mon homme, La complainte de la Butte, Domino pour le bonheur des grandes tablées où l'on picole et se restaure. Je suis rentré taper en 3/4 sur mon tambour à lettres, un deux trois, un deux trois, un deux trois...

lundi 3 décembre 2012

Le Drame reconstitué pour quelques heures


Il était plus sympa d'aller voir Bernard à l'Hôpital Tenon avec Francis que si nous y étions allés chacun de notre côté. Réunir le trio original d'Un Drame Musical Instantané trente-six ans après sa création ranimait des souvenirs réjouissants plutôt que nous morfondre sur l'état de santé alarmant de notre vieux camarade. Notre visite lui réchauffa le cœur et nous permit à tous de dédramatiser la situation. Bernard étant en isolement, nous avons commencé par enfiler des combinaisons en papier et des gants en plastique qui nous faisaient ressembler à des cosmonautes enceintes tandis que son pyjama le faisait bercer du côté du nourrisson. On aurait pu penser à un remake de notre 20000 lieues sous les mers...
Lui qui a toujours prétendu ne jamais rêver a commencé à se souvenir de ses rêves. Sont-ce les médicaments ou quelque phénomène psychologique, allez savoir ! J'ai entendu cette semaine à la radio un spécialiste du sommeil affirmer que faire des cauchemars est le lot des personnes créatives. Bonjour l'angoisse !
Nous avons bien rigolé tous les trois, malgré la faiblesse de notre ami qui ne pèse plus que quarante kilos. Bernard ayant toujours soigné les apparences plus que la réalité, il vit une période très difficile depuis ces derniers mois. Une infirmière avait tressé ses longs cheveux blancs. Comme il ne répond que rarement au téléphone, il est compliqué de lui parler ou de lui rendre visite. J'ai récemment retrouvé quatre heures d'entretien inédits où Bernard évoque ses premières années de trompettiste, sorte de complément au Cours du Temps réalisé en 2001 pour les Allumés du Jazz. Ce témoignage recueilli quelques années plus tôt n'aborde toujours pas la période vécue ensemble, la plus longue, qui reste encore à écrire.


J'aurais pu choisir un de ses magnifiques chorus avec Gainsbourg, Montand ou Barbara, un de ses nombreux disques de free jazz ou l'une de nos élucubrations, écoutez-le avec Bardot dans Un jour comme un autre... Une histoire de Bernard Vitet...