Les archives se suivent, mais ne se ressemblent pas. 1989, c'était le Bicentenaire de la Révolution française. Trois ans avant de monter Le K avec Richard Bohringer qui nous valut une nomination aux Victoires de la Musique, nous avions choisi l'acteur pour incarner Émile Zola dans son célèbre pamphlet J'accuse, modèle du genre et article historique de 1898 sur le racisme et l'antisémitisme publié à l'occasion de l'affaire Dreyfus. L'article était paru sous la forme d'une lettre ouverte au président de la République française, Félix Faure, dans le journal L'Aurore. Un film de notre spectacle avait été tourné, mais personne ne le vit jamais, du moins à ma connaissance.


Ce 18 novembre 1989, Christian Gomila tourna le spectacle à cinq caméras, mais la coupure des instrumentaux au montage me contraria tant que j'oubliai le film dans sa boîte jusqu'à aujourd'hui. Dommage, car la captation donne une bonne image du genre de spectacle que nous montions à cette époque, même si l'orchestre frigorifié jouait complètement faux !
Avec Bernard Vitet et Francis Gorgé nous avions choisi d'accompagner un texte pour changer de nos ciné-concerts qui commençaient à devenir à la mode. Notre trio d'Un Drame Musical Instantané en composa donc la musique. Arnaud de Laubier nous présenta le metteur en scène Ahmed Madani qui apportait dans sa musette le scénographe Raymond Sarti, le créateur lumière Thierry Cabrera et la costumière Malikha Aït Gherbi. De notre côté nous amenions Bohringer alors au plus haut de sa cotte de popularité, la chanteuse Dominique Fonfrède et les 70 musiciens de l'Orchestre Départemental d'Harmonie des Yvelines dirigé par Jean-Luc Fillon !


Raymond Sarti avait collé un chapiteau gonflable de cinq étages de haut le long de l'une des tours de Mantes-la-Jolie destinée à être détruite. La façade de l'immeuble comme l'ancien parking ainsi recouverts étaient entièrement bleus avec de grosses croix blanches ici et là. Il avait fait creuser une tranchée pour notre trio, monter une colline pour l'orchestre et empiler des sacs de jute au milieu de la scène. Des croisillons plantés dans la terre donnaient au décor des allures de Verdun. Tout avait été repeint, un étrange mélange de Yves Klein, Christo et Kubrick ! Richard arpentait les étages jusqu'aux balcons. Son rôle lui permettait les envolées lyriques qu'il affectionnait. La même année, nous avions repris la partie de l'orchestre sous le titre de Contrefaçons à la Maison de la Radio. Comme d'habitude, Bernard Vitet jouait des trompettes, Francis Gorgé des guitares, et j'étrennai mon synthétiseur Ensoniq VFX-SD.
De même que nous avions choisi une image du Ku Klux Klan pour annoncer le spectacle, nous avions demandé à Dominique de reprendre Der Hass ist der Armen Lohn que je chantais dans l'album Kind Lieder, histoire d'universaliser notre propos. Comme nous jouions au milieu des tours de Mantes, Ahmed Madani avait engagé comme service d'ordre les gars plus méchants de la cité, ce qui n'empêcha pas la femme du vice-président de Louis Vuitton, dont la Fondation pour l'Opéra et la Musique nous aidait, de recevoir un caillou sur la tête ! Cela marqua la fin de notre collaboration ! Trois ans plus tard, Dominique Cabrera tourna Chronique d'une banlieue ordinaire sur les anciens habitants de la tour qui allait être détruite et j'en composai la musique...