Nos pas de petits cosmonautes luttaient depuis des heures contre les ondulations de chaleur qui nous ramenaient sans cesse vers la terre. Au détour du jardin un énorme tuyau crénelé gonflait le vaisseau où se reposaient une vingtaine de pionniers arrivés d'une planète située par delà l'océan. Ils accueillirent les deux enfants comme si nous étions sortis du livre de Saint-Exupéry, nous racontant des histoires de moutons sauvages ensorcelés par Agnes Moorehead. C'était le prénom de ma sœur. À cette heure de la sieste le ventre de la baleine ressemblait à une arrière cuisine où les uns taillaient leurs anches tandis que les autres rêvaient de mondes où le blues avait la liberté du rêve. Une salve de cuivres sonna le réveil de l'orchestre qui s'ébroua avant qu'apparaisse le Maître. Les costumes brillaient dans la lumière artificielle. Nimrod était notre guide. Alan avait troqué sa basse pour un violon. Pat et John avaient pris les devants. Ils jouèrent pour nous seuls, Philippe Gras prenait des photos (moi aussi !), Yasmina, a black woman (the only one !), avait pris Agnès sous sous aile. Un vent de fraîcheur soufflait des étoiles. Nos routes se croisèrent chaque fois que le soleil d'Égypte faisait son apparition. Un jour enfin, mes avances protocolaires me permettant d'approcher le Maître, je lui posai les questions de ma jeunesse. Ses réponses avaient la forme de nuages interstellaires, de petits jets de vapeur joués à l'envers sans regarder le clavier. Je ne suis pas certain d'avoir compris grand chose, mais j'aurai un jour le même Farfisa. Ses ritournelles me transporteraient depuis ce 3 août 1970 à la Fondation Maeght où nous avions atterri par hasard jusqu'à mon dernier soupir.
Cette semaine j'ai croisé un nouveau vaisseau, galette noire constellée de signes à décrypter sur ma platine. Le disque file à une vitesse Supersonic, sans que l'on sente le temps passer ni le temps passé. La musique de Sun Ra est intemporelle. L'équipage rassemblé par Thomas de Pourquery l'interprète fidèlement en se l'appropriant, captation d'héritage légitime où les chœurs battent le cosmos comme si coulait dans leurs veines un fluide brillant et vital. Peut-être sommes-nous en face d'un pli du temps ? Combien sont-ils ? Arnaud Roulin contrôle les touches noires et blanches, Frederick Galiay et Edward Perraud entretiennent la pulsation, Fabrice Martinez actionne les pistons, Laurent Bardainne et Thomas de Pourquery soufflent leurs fusées à réaction, et tous, d'une seule voix, de reprendre les incantations qui nous font décoller. L'hommage est merveilleux, la liberté du jazz intacte, l'essai transformé, la balle est dans votre camp, commandez Supersonic, ça fait du bien ! (Quark, L'autre disribution)