70 Musique - février 2014 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 26 février 2014

Bernard Vitet à la télé


L'INA est une mine d'or pour qui veut fouiner dans les archives de la télévision. Jacques me signale une émission en direct de Jean Christophe Averty présentée par Sim Copans avec Georges Arvanitas au piano, Bob Garcia au sax ténor, Bernard Vitet à la trompette, Luigi Trussardi à la basse, réunis par le batteur Mac Kac dans la cave du Club Saint Germain sur un thème de Jay Jay Johnson. Un couple danse sur la piste. Jazz Memories du 7 novembre 1959 !


Les enregistrements avec mon camarade Bernard Vitet sont plutôt rares. Les deux Châteauvallon de 1972 et 1973 avec Le Unit, soit Michel Portal, Beb Guérin, Léon Francioli et Pierre Favre, sont évidemment mes préférés. Mais je suis ravi de découvrir une séance d'enregistrement de février 1961 dans un studio des Champs Élysées avec le quintet d'Arvanitas (cliquer ici), Bernard cette fois au bugle, François Jeanneau au ténor, Pierre Michelot à la basse et Daniel Humair à la batterie.


Bernard est passé du be-bop au free jazz avant de quitter tout cela pour fonder avec nous Un Drame Musical Instantané en 1976. D'un commun accord et à sa demande Francis et moi avons cessé de l'appeler Babar, son surnom d'une époque révolue. Seuls ses vieux camarades continuaient à l'affubler de ce sobriquet qu'il détestait. Il n'avait de cesse de perdre l'embonpoint qui le lui avait valu à s'en rendre malade. Il se serrait la ceinture comme un fou et finit par ne plus rien manger. Il n'empêche qu'il ne perdit jamais la classe, soignant son look jusqu'au bout. Voyez la bagouse !


New School du 17 août 1971. Le free jazz est sur toutes les lèvres. Le quintette du contrebassiste Beb Guérin invite le ténor Barney Wilen à jouer de l'ocarina, le pianiste François Tusques du xylophone et de la scie musicale, et le batteur Noël McGhie à frapper délicatement ses cymbales.
Bernard a encore changé d'instrument... Et de look ! Il joue là d'une trompette de poche que je ne lui connais pas, mais ce n'est pas celle de Joséphine Baker qu'il a fini par vendre à Don Cherry.

mardi 25 février 2014

L'art du partage



Ouverture encyclopédique

À six ans je lus le Petit Larousse illustré de la lettre A à la lettre Z. Plus tard, je dévorai le Grand Atlas Mondial du Reader's Digest, explorant chaque coin du monde par les cartes, le relief, les statistiques, les grandes découvertes ou les photographies sur papier glacé qui fermaient l'ouvrage. Aujourd'hui encore je n'irais pas me coucher sans avoir appris quelque chose de ma journée et à mon tour j'ai choisi de transmettre ce qui m'avait été légué par celles et ceux que j'ai eu la chance de rencontrer. Le blog que je tiens quotidiennement depuis sept ans en est l'une des manifestations.
Diplômé de l'Idhec, l'Institut des Hautes Études Cinématographiques devenu la FEMIS, je composais la musique de mes films. Les camarades me réclamant des partitions sonores pour les leurs, je devins sans m'en apercevoir compositeur de musique, abandonnant pour un temps la réalisation. Je ne concevrai plus alors mon rôle de compositeur que dans la confrontation aux autres arts. Le cinéma et la musique étant déjà des formes d'expression qui se pratiquent généralement à plusieurs, j'en parle souvent comme de sports collectifs, avec l’immense avantage de pouvoir y ignorer la compétition au profit du partage !
Méfiant vis à vis des spécialistes qui ne voient le monde que sous un angle unique et étroit, je me penserai désormais comme un généraliste, quitte à développer ici et là quelques spécialités, de préférence inédites, de manière à ne pas souffrir la comparaison avec les virtuoses qui travaillent huit heures par jour leur instrument...
Lors des conférences que je donne sur le rapport du son aux images, j’insiste toujours sur la nécessité de s’inspirer d’autres arts que le nôtre. Je crains par dessus tout la consanguinité et l’enfermement communautaire qui empêchent la rencontre, fruit de tous les possibles.

Un drame musical instantané

On cherchera vainement dans l’Histoire de la musique l’origine de la mienne et celle du groupe Un Drame Musical Instantané, fondé avec Francis Gorgé et Bernard Vitet en 1976, car toutes les influences y sont présentes. D’y négliger aucun style, aucun continent, aucune démarche, c’est n’en privilégier aucun, nous laissant libres d’emprunter toutes les formes dès lors qu’elles servent notre propos. Nous l’appellerons d’ailleurs « musique à propos », terme plus juste que celui d’instantané qui ne se référait qu’à l’improvisation que nous opposions à la composition préalable et pratiquions exclusivement aux débuts de notre rencontre. Dès 1980 nous commençâmes à écrire, structurant en amont notre langage, pour ne garder de la composition instantanée que l’interprétation ouverte, variations inattendues au gré de notre humeur ou des événements politiques qui nous occupent.
Je cherchais naïvement à me renouveler sans cesse et mes amis de commenter « c’est bien toi ! » à mon grand dam. Mes racines plongent naturellement dans ma formation de cinéaste, ma musique obéissant à des lois cinématographiques plus qu’aux règles du contrepoint et de l’harmonie. Le montage (entendre le montage cut et les ellipses qu’il génère, à savoir que ce que l’on coupe est plus important que ce que l’on garde !), les effets de perspective (gros plans, plans d’ensemble, etc.), le rôle des ambiances et des bruits dans la partition sonore, la narration (commune aux poèmes symphoniques), l’utilisation nécessaire de certaines musiques culturellement connotées, fondent ma méthode de composition.
Autodidacte en musique, j’inventai des moyens techniques d’arriver à mes fins en contournant mes incompétences. Lorsque cela ne suffit pas, je fais appel à des camarades capables de combler mes désirs, quitte à cosigner avec eux ou avec elles. Pendant les trente ans qu’a duré le Drame, nous nous suffisions à nous-mêmes, très complémentaires, progressant en toute indépendance. Mais à ne rien demander à personne, aucun musicien ne nous demandait plus rien. Nous étions maîtres depuis toujours de nos moyens de production puisque j’avais fondé les Disques GRRR en 1975 et possédais mon propre studio, nous avions monté un grand orchestre et étions producteurs de tous nos spectacles. Je commençai à me sentir étouffé par cette indépendance qui m’avait pourtant toujours permis de vivre de mon art. En travaillant sous mon nom propre, je me donne aujourd’hui l’occasion de multiplier les rencontres avec des artistes venus d’horizons les plus divers, y compris des musiciens !

Pour être de partout il faut être de quelque part

Lorsque je rencontre un individu, professionnellement ou dans la vie quotidienne, j’aime connaître ses spécialités. Vous remarquerez le pluriel. Qu’elles soient gastronomiques ou artistiques, je cherche leur personnalité, souvent fortement orientée par leurs origines géographiques, sociales, professionnelles, etc. Je désespère d’entendre des œuvres qui se ressemblent, sans référence à leurs terroirs. Le formatage induit par le marketing ou l’impérialisme culturel américain réduit dramatiquement le paysage musical.
Les prérogatives de classe sont aussi néfastes. J’en veux pour preuve la bataille stérile qui fit rage récemment à propos de la nomination à la Villa Médicis de deux compositeurs, l’une venue de la chanson française, l’autre du jazz. La recherche n’est pas l’apanage de la musique dite contemporaine. Au XXe siècle, à partir de l’École de Darmstadt, les compositeurs « savants », pour la plupart, se coupèrent des musiques populaires, s’enfermant dans un sérail consanguin qui ne pouvait générer que des enfants idiots. Les dernières révolutions, technologiques comme souvent dans l’Histoire des arts, proviennent du marché grand public et de sa lutherie : guitare électrique, synthétiseur, informatique domestique, etc.
D’un autre côté, la world music, par un impérialisme plus paternaliste que malveillant, perdit l’essence des sources empruntées. Le mélange ne peut être prolifique que s’il s’agit de véritables rencontres et non d’une absorption colonialiste sans comprendre les cultures invitées. Les démarches sont parfois louables, je pense aux espagnolades des impressionnistes ou aux oiseaux de Messiaen, mais peuvent paraître ridicules ou absurdes en regard des originaux.

Solidarité et persévérance

La musique était déjà un mode d’expression universel ne nécessitant aucune traduction. Elle s’importe, s’exporte, ouverte à toutes les rencontres. Jamais, dans l’Histoire des hommes, cela n’aura été aussi facile. Internet rend instantanée la communication. Les moyens de locomotion permettent de filer à l’autre bout de la planète en quelques heures. L’anglais est devenu la langue universelle (même si cela ne va pas dans le sens de ma démonstration !). Et pourtant jamais la création n’aura été aussi handicapée. La mainmise des multinationales sur l’industrie du disque, la politique réactionnaire des sociétés d’auteurs face à la circulation des œuvres, les replis communautaires, les querelles de chapelles, la frilosité des programmateurs - hormis quelques uns comme Les 38e qui proposent toujours des spectacles qui sortent de l’ordinaire ;-) - empêchent les voix originales et indépendantes de se faire entendre.
Le pire des risques est de n’en prendre aucun. Sans rencontre, le goût n’y est pas. Il faut savoir épicer son travail avec ceux des autres, donner, recevoir, partager. Qu’y a-t-il d’autre qui vaille de vivre ?

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Ce texte fait partie du livre Composer le monde qui vient de paraître autour des 22 éditions du Festival des 38e Rugissants (article d'hier). Écrit il y a trois ans, il répondait à la demande de "réfléchir aux croisements des cultures, des disciplines, des lieux..." Depuis, le festival a fusionné avec le Grenoble Jazz Festival pour devenir Les Détours de Babel. Trois créations ont marqué mon passage aux 38e : Zappeurs-Pompiers 2 en 1989, Sarajevo Suite en 1994, Sarajevo, suite et fin en 2003. L'illustration est issue de la couverture interactive de USA 1968 deux enfants, roman augmenté publié pour iPad par Les inéditeurs.

lundi 24 février 2014

Composer le monde


La commémoration des 22 ans du Festival des 38e Rugissants à Grenoble valait bien que l'on en attende trois pour savourer la somme des contributions faisant de l'ouvrage un outil passionnant pour comprendre la musique du monde, plus contemporaine que nulle part ailleurs car émergeant de partout à la fois. Le remarquable texte de son directeur Benoît Thiebergien place d'emblée le sujet sur le terrain politique du colonialisme et des traditions. Il révèle les paradoxes transculturels qu'une quinzaine de compositeurs, interprètes, musicologues et acteurs culturels vont développer sur 160 pages de ce livre-DVD. Coordonné par Catherine Peillon, l'ensemble présente une réflexion originale indispensable sur la création musicale contemporaine.
Alexis Nouss secoue l'objet philosophique entre nomadité et nomadisme. Bruno Messina invite à prendre le large loin des chemins balisés. Thierry Pécou revalorise le geste. Zad Moultaka analyse sa genèse hétérophonique depuis le balcon libanais de son enfance. Pierre Sauvageot assène un alphabétique coup de pied dans la fourmilière. Au travers de l'histoire des Percussions de Strasbourg Jean-Paul Bernard avertit du danger du métissage s'il consiste à unifier au lieu d'accepter l'autre tandis que Bernard Fort préfère respecter les biolimites. Carlo Rizzo souligne l'importance de la relation humaine de personne à personne, antidote à la mondialisation formatée, et Keyvan Chemirani d'insister sur la qualité du casting pour que les rencontres soient productives. Quant à Henry Fourès, Laure-Marcel Berlioz et Cécile Gilly, ils se font essentiellement les porte-voix des institutions.
Pour l'ensemble Ars Nova Benoist Baillergeau évoque la rencontre du texte et de la musique, ce que Bernard Cavanna raconte merveilleusement dans son choix de la langue populaire, quotidienne, vulgaire, loin de "l'enculage de mouches" de tant de précieux. Et Jean-Paul Dessy d'en remettre une couche en revendiquant une musique intemporaine, comme François Rossé de revenir sur l'histoire de la musique depuis le milieu du XIXe siècle pour revaloriser un primitivisme nécessaire, pulvérisant la géographie au profit d'une intemporalité et d'un pluralisme des identités biologiques. La musique dite contemporaine en prend pour son grade et je me reconnais évidemment chez ces empêcheurs de tourner rond. Je reproduirai donc demain ma contribution intitulée L'art du partage, concept dans l'air du temps puisqu'il est le thème de la prochaine Revue du Cube à laquelle je participe également !
L'ouvrage se poursuit avec quantité de petites photos et les alléchants programmes des 22 éditions avant que le festival des 38e Rugissants se transforme en Détours de Babel. Extraits et entretiens composent le film autour de sept aventures "transculturelles" : les Percussions de Strasbourg avec Adama Dramé et Jean-Pierre Drouet, Passeurs d'eau de Thierry Pécou et Yaki Kandru, Sarangî Strings Sound System de Jean-Paul Dessy et Drhuba Gosh, Zhiyin de Xu Yi, An-Nâs de Zad Moultaka, Gazing Point de Kudsi Erguner et des improvisations de François Rossé. Simple bonus, ce témoignage vidéographique ne reflète pourtant pas la dimension critique des textes du livre, ni la démarche créative de ce festival hors normes, exemplaire sous bien des angles.

P.S.: le livre paraîtra en juin sur le label l'empreinte digitale, distribution Abeille Musique à la rubrique DVD.

jeudi 20 février 2014

Perception instantanée


Dès qu'un orchestre de jazz français concocte un cocktail à bases de racines locales je tends l'oreille et mes pieds se mettent à bouger tous seuls. Même si l'interprétation n'a souvent pas la puissance des cousins d'Amérique j'ai une tendresse particulière pour les musiciens qui s'approprient les ingrédients exotiques pour les mettre à leur sauce. Les copies conformes ont le goût des boissons en boîte. D'ailleurs le piano-bar m'empêche de me concentrer ou de suivre les conversations. Fuyons les lieux où la musique envahit l'espace qui ne lui est pas consacré.
Ou bien qu'elle assume son potentiel révolutionnaire et casse la baraque ! En jazz deux carafes remplissent mon verre : les terroirs qui s'en inspirent sans tenter de le copier et les revendications des Afro-Américains dont la légitimité produit les plus belles envolées lyriques, du blues au rap en passant par le free-jazz. À une époque mes menus se composaient de Fats, Cab, Mingus, Kirk, Ayler, Shepp, Sun Ra, l'Art Ensemble et le chariot des desserts qui suivait le cortège en sifflant, sniffant, soufflant, frappant jusqu'à ce qu'on les pousse dehors en éteignant la lumière.
Au programme hexagonal je ne m'attends pas à ce que le swing donne son sens à la chose. La bourrée, la gavotte, la java ont leur charme, mais ça se danse un peu raide, et le pétard est trafiqué. La valse et le tango trouvent meilleurs jeux de jambes ailleurs que par ici. Quitte à consommer local, si l'on tient aux produits bio qui font voir la vie en rose sans les éléphants, on commandera du musette ou des danses de salon. Les traditions ont du bon quand on peut les mettre au goût du jour. Rien à voir avec le folklore, certes millésimé, mais fixé à jamais par les livres d'histoire. Gloire aux aventuriers qui tracent leur chemin à la fourchette, aux initiateurs qui rapportent des épices inédites, aux inventeurs qui font cramer les vieilles poêles !
Ces lignes m'ont été inspirées par l'écoute du nouvel album de l'Orphicube d'Alban Darche, un CD très sympa intitulé Perception instantanée (sortie chez Yolk le 31 mars). J'ai l'impression qu'on diffuse dans la pièce à côté La séquence du spectateur, une succession d'extraits cinématographiques du programme dominical de l'unique chaîne télé de mon enfance. Sauf que l'on n'entend ici que leur son, passé au travers du filtre des décennies. Paso doble, valse et reggae au menu ! L'étrange objet produit le même effet que la série britannique que je viens d'entamer, Life on Mars, enquête policière où le détective ne sait pas si par quelque mystère il est reparti quarante ans en arrière, s'il est fou ou s'il est dans le coma après un accident de la circulation. On danse d'un pied sur l'autre, épreuve que mon lumbago me permet seulement d'esquisser. Quoi qu'il en soit le ton est personnel et les parfums suffisamment variés pour qu'on y revienne.
J'en profite donc pour me servir un autre album récent paru chez Yolk, quartet Jass formé d'Alban Darche au ténor cette fois, du batteur John Hollenbeck (ils ont tous les deux composé pour l'ONJ d'Yvinek), du trombone Samuel Blaser et du contrebassiste Sébastien Boisseau. À la première bouchée ça sonnait trop jazz à mon goût, et puis laissant les morceaux fondre doucement, j'ai commencé à sentir les contradictions qui me sont chair, et les nouvelles traditions européennes ont mis leur grain de sel et, pas si sectaire, je me suis laissé aller jusqu'au prochain épisode.

mardi 18 février 2014

Le synthétiseur, instrument pédagogique


L’achat de mon ARP 2600 fut déterminant. La démonstration d’un vendeur zélé de la rue de Bruxelles, près de Pigalle, me fait m’endetter, alors que je n’ai aucune attirance pour la musique en boîte qui s’échappe de ce genre d’instrument. Je déteste son côté "astiquez les cuivres" que j’ai découvert avec le Switch on Bach de Walter Carlos, devenu depuis Wendy Carlos, ou le côté plastoc du tube Pop Corn ! Je serai plus convaincu par les sonorités du groupe White Noise ou les oscillateurs des Silver Apples, mais ils n'utilisent pas de synthétiseurs à proprement dit. Jusqu'à leur arrivée sur le marché, les sons électroniques demandaient un matériel considérable.
Le truc formidable pour un autodidacte, c’est qu’il n’y avait aucune tradition de l’instrument, aucune méthode, aucun modèle. Tout restait à inventer. De plus, l’instrument possède une logique très pédagogique. J’y cours, vole et nous venge. Il faut penser le son dans toutes ses composantes en partant de zéro pour le générer. Le panneau d'affichage est très clair, avec quantité de potentiomètres linéaires et de trous où insérer les cordons qui le fait ressembler à un central téléphonique. Les trois oscillateurs, contrôlables en tension haute ou basse fréquence, traversent un filtre puis un amplificateur. On choisit une courbe, sinusoïde, triangle, carré ou impulsion en fonction du timbre recherché. Suit son traitement. Il y a deux générateurs d’enveloppe, un suiveur d’enveloppe, un modulateur en anneaux, un générateur de bruit rose ou blanc, un circuit d’échantillonnage et de maintien (sample & hold), une réverbération stéréophonique à ressort, une entrée pour une source extérieure, des inverseurs et des mélangeurs, mais le plus important c’est que l’on peut connecter n’importe quoi, dans n’importe quel sens, sans risquer d’esquinter la machine. Cet instrument marie une rigueur d’analyse et une approche totalement empirique. Lors des représentations en public, il faut à la fois jouer et préparer ce qu’on va envoyer trois minutes plus tard. L’ARP ne possède en effet aucune mémoire, même pour l’accordage des oscillos, et le protocole midi n’apparaîtra que des années plus tard. J’y fais mes gammes : rapidité des réactions dans le cadre de l’improvisation, présence d’esprit sur scène, mais également dans le contexte plus banal du quotidien ! Réagir vite en période de crise est un atout majeur.
Je me suis longtemps servi de ce synthétiseur dans mes cours sur le son pour en expliquer la structure : timbre, hauteur, durée, intensité. Regret de l’avoir vendu. J’ai pris l’habitude de me débarrasser des instruments qui n’ont pas servi depuis dix ans. J'ai fait la même bêtise avec mon orgue Farfisa Profesional. L'ARP 2600 eût été un instrument idéal pour fabriquer des familles de sons lorsque je me suis mis à composer des chartes sonores pour le multimédia. Je m'en suis séparé six mois trop tôt. J'ai failli en racheter un, puisque j'avais conservé tous les patchs, dessins de mes programmes, mais comme en amour je n'aime pas revenir en arrière. Malgré le revival des synthés analogiques j'avais déjà joué ce bon tour, autant passer à autre chose et laisser aux nouveaux musiciens le plaisir de la découverte. (Le son sur l'image, extrait, 2004)

mardi 11 février 2014

Serge Hureau : Gueules de Piaf


Comme je réécoute Le Voyage d'Hiver arrangé par René Lussier la voix de Keith Kouna me rappelle diablement celle de Serge Hureau. Le directeur du Hall de la chanson a monté plusieurs spectacles, hommages décalés à des vedettes de la chanson comme Charles Aznavour, Édith Piaf ou Mireille. Dans le CD Gueules de Piaf (Rue Bleue, 1995) Hureau chante dans une tradition canaille tandis que les polyinstrumentistes Montferrat (guitares, basse, banjo, violon...), Michel Risse (percussions, piano préparé, harmonicas...) et Pierre Sauvageot (trompettes, trombone, saxhorn, piano électrique...) l'accompagnent avec des instruments parfois inhabituels tels chaîne d'acier, chaussures à clous, balai brosse ou piano-jouet... L'orchestration est résolument inventive et les arrangements toujours à propos. C'est à mon goût ce qui manque le plus à la chanson française, du culot ! Il y a longtemps que je connais cette petite bande : Sauvageot était un élève de Bernard Vitet, Michel Risse était le batteur de Bekummernis et Serge Hureau participa à l'aventure de l'exposition-spectacle Il était une fois la fête foraine...
Hureau a choisi des chansons pour la plupart peu connues de la môme Piaf, essentiellement des faces B : La ville inconnue, Un monsieur me suit dans la rue, Browning, Paris-Méditerranée, Coup de grisou, Elle fréquentait la rue Pigalle, Quand même, Les deux ménétriers, Il riait, L'hymne à l'amour, La belle histoire d'amour, Monsieur saint Pierre, Comme un moineau, Les mômes de la cloche... Chantées par un homme, elles se démarquent plus facilement de l'extraordinaire artiste dramatique à la voix inimitable. La collaboration intelligente avec des musiciens sachant saisir la liberté du jeu, avec une palette de timbres inspirée, confère à cet album une modernité décapante. L'an passé Hureau a monté un nouveau spectacle Piaf avec Olivier Hussenet et Claude Barthélémy. Ses collaborations rappellent celles de Brigitte Fontaine ou Colette Magny avec des jazzmen ou des musiciens contemporains, parmi les plus intéressantes et les plus remarquables...