70 Musique - mai 2014 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 28 mai 2014

Hommage-surprise à Olivier Bernard


Dans la vie d'un artiste rares sont les rencontres intelligentes et sensibles avec les institutions ou les programmateurs. Elles se bornent le plus souvent à un système d'évaluation basé sur l'exercice du formulaire ou à des relations sociales hypocrites qui mènent au cynisme. Il arrive pourtant de croiser un interlocuteur attentif et bien intentionné qui ne se retranche pas derrière son pouvoir, mais facilite le rapport douloureux que l'artiste entretient avec le réel.
Le 30 novembre dernier, Olivier Bernard a quitté son poste de responsable de l'action culturelle de la Sacem. Or depuis une quarantaine d'années il incarnait pour moi le rééquilibrage des injustices dont cette société est le fait. Il défendait tous les créateurs sans souci de ce qu'ils rapportent de droits d'auteur. C'est dire ce que lui doivent les compositeurs contemporains, les jazzmen, les improvisateurs et tant d'autres ainsi que les festivals qui les programment ou les centres pédagogiques.
J'ai l'habitude de défendre la Sacem à l'extérieur (j'ai acheté ma maison grâce à mes droits d'auteur), mais de l'attaquer de l'intérieur (car ce fut toujours un combat pour les toucher). Je me souviens d'Alain Izard m'expliquant qu'une des directives de la maison est de ne pas dépenser des francs pour percevoir des sous. Les petits y sont négligés et les gros, comme ailleurs, y sont largement favorisés. Je pense, entre autres, aux irrépartissables distribués au pro-rata de ce que touchent les auteurs. L'action culturelle rééquilibrait ces absurdités immorales en soutenant les projets créatifs, ce qui nous rappelait que cette société privée monopoliste à qui nous avions cédé la gestion de nos droits nous appartient aussi. Avec le départ d'Olivier Bernard de la Sacem il semblerait que le remarquable travail qu'il a développé sans relâche soit saccagé, la sinistre logique du profit l'emportant ici aussi sur l'intelligence et la défense indispensable de la culture, dernier rempart contre la barbarie.
Pour accompagner son départ "en retraite" et saluer celui qui était pour tous devenu un ami, nombreux musiciens ont participé hier soir à une merveilleuse soirée à la Dynamo de Pantin, organisée par sa compagne Marie-Anne Bernard-Roudeix et Henry Fourès à l'insu de l'intéressé ! Malgré l'ampleur de l'entreprise Olivier ne se doutait pas que la convocation qui lui avait été faite n'était qu'un traquenard pour fêter son courage, son intégrité et sa finesse. L'éclectisme sied à ce curieux de toutes les musiques et chacun intervint quelques minutes pour lui rendre hommage.
Se succédèrent ainsi Omar Yagoubi au piano, Claude Samuel commentant en images le Centre Acanthes, François Bayle diffusant un "tango" électro, le contrebassiste Patrice Caratini accompagné de la chanteuse Hildegarde Wanzlawe et du clarinettiste Clément Caratini, ma pomme au Tenori-on, Yanael Quenel interprétant au piano une pièce de Reinhard Flender, rejoint par Françoise Kübler pour une chanson grivoise d'Henry Fourès, Julien Desprez à la fougueuse guitare électrique, David Jisse pour deux tendres chansons, L'Accroche-note en trio avec Kübler et les clarinettistes Armand Angster et Sylvain Kassap, un traditionnel arménien par le violoncelliste Félix Simonian accompagné au piano par sa fille Luciné Simonian, un solo de batterie de Jean-Louis Méchali qui diffusa une vidéo d'un spectacle sud-africain, la flûtiste Keiko Murakami pour une pièce très zen de Joji Yuasa, un petit film sur une pièce pour douze saxophones de Denis Levaillant qui clôturera plus tard la soirée au piano, Krystof Maratka à la flûte harmonique, Alain Louvier au piano avec sa musclée Étude n°7 (pour 6 agresseurs), le tout entrecoupé de quantité de messages enregistrés par les amis absents.
Dans la salle étaient réunis une foule d'amis, compositeurs, musiciens, directeurs de festival, anciens collaborateurs, qui fleurirent cette soirée en un somptueux bouquet à l'image de celui qui continuera de garder une écoute bienveillante dans ses nouvelles activités. Juste avant le concert, Keiko Murakami m'expliqua le sens du nom de mon instrument, le Tenori-on. On signifie le son, mais Tenori est le nom d'un petit oiseau qui vient se poser sur la main. J'invitai donc tous les présents à continuer de tendre la main aux jeunes créateurs qui devront se battre plus que jamais contre la normalisation et le formatage en développant des mondes dont le caractère imaginaire incarne l'espoir d'un réel plus juste, où la beauté dépasse les critères esthétiques pour redonner du sens à nos vies.

mercredi 14 mai 2014

Rebotier et Perraud, sortie de placards


NOOOOOOON ! N’ouvrez pas ce livre ! Ne le dépliez pas ! Et ne l’affichez pas ! Rentrez placards ! Sortez des murs ! Achevez d’imprimer les libraires ! Supprimez les imprimeurs ! Autodafez les éditueurs ! Avis-à-la-vie-à-la-mort : avisez pas les affiches 350 DPI ! Dévisagez-défigurez ! Visez-vous 2D ! Côt-côt- côt-côt, quat’ de couv’ ! Et sautez lé zôteurs ! Fiche ton camp, ennemi lecteur !
Vendredi Maison de la Poésie, l'écrivain-compositeur Jacques Rebotier avait invité le batteur Edward Perraud à lui donner la réplique pour une performance autour de son livre 22, placards!, prix littéraire des lycéens et apprentis de la région Île-de-France 2014. Plus à l'aise dans la composition que l'improvisation Rebotier trouve en Perraud un complice hors pair, si aiguisé dans l'écoute que le moindre de ses réflexes percussifs semblent anticiper les mots. L'exercice de l'instantané tient de la schizophrénie lorsque le performeur doit frapper, frotter, caresser, lancer tout en écoutant le texte-gigogne qui se déplie devant lui.


Là où le poète pratique le montage en direct le musicien jongle littéralement avec les mots de l'autre, les prolongeant par un timbre approchant, reproduisant la prosodie, traduisant dans l'instant l'humour ravageur en notes de musique. Il marche sur des charbons ardents comme un fildefériste dont on aurait chauffé le fil à blanc. Rebotier appela Saint-Paul et Manuel Valls à la rescousse, le premier en petits papiers pliés jonchant le sol comme des pâquerettes, le second placardé grand écran radotant ses labsus révélateurs.


Cet Out of placards se termina en séance photographique lorsque François Bayle vint saluer les deux compères après concert. Perraud dont la passion pour la photo est égale à son enthousiasme musical est toujours à l'affût de l'image, même démuni de son appareil ! Je m'y suis donc collé allègrement, avec l'idée de réinviter cet été le batteur aux Rencontres d'Arles pour une nouvelle soirée au Théâtre Antique, mais ça c'est une autre histoire...

vendredi 9 mai 2014

La Great Black Music hors des sentiers battus


Suite à ma lecture du livre de Philippe Robert sur la Great Black Music j'ai commandé plusieurs disques sur Internet en me fiant aux pistes indiquées par l'auteur. Si Full Catastrophe, l'album de Meridiem qui réunit Percy Howard (voix), Vernon Reid (guitare), Trey Gunn (Warr guitare) et Charles Hayward (batterie), sonne trop hard et pas assez funk à mon goût je suis emballé par Incident Seductions avec les mêmes musiciens auxquels se joignent entre autres Steve Sullivan (guitare), John Ettinger (violon) et Bill Laswell (basse). La voix de crooner baryton de Percy Howard dont la monotonie mélancolique peut rappeller Scott Walker ou Nico sied à ses chansons poétiques que les arrangements aériens de l'orchestre n'étouffent jamais. Les extraits de son plus récent, A Pleasant Fiction, semblent de la même veine (chansons complètes en écoute ici).


À coté, Carl Hancock Rux, écrivain, metteur en scène, performeur, fait figure d'activiste. Chroniqueur de la négritude, cet autre baryton chante une soul aux rythmes syncopées empruntant aux rock, blues, jazz, soul, gospel, funk ou hip hop. Le mélange des genres accouche d'une œuvre originale portée par des textes exemplaires. Cette fois, j'entends le timbre de Jimi Hendrix avec les intonations de Gil-Scott Heron, les chœurs d'Attica Blues et les murmures de Massive Attack. Le gosse de Harlem revendique les racines multiples de la Great Black Music et cite Serge Gainsbourg, Coldplay, King Pleasure, 50 Cent, Bill Withers, Arvo Pärt parmi ses inspirations. Sur Apothecary RX figurent le violoniste d'avant-garde Leroy Jenkins, Mark Anthony Thompson dit Chocolate Genius, le guitariste brésilien Vinicius Cantuaria, Rob Hyman des Hooters. Cela me donne envie d'écouter dare-dare les trois autres albums enregistrés par Rux, musique urbaine où le politique et le social croisent le fer avec la spiritualité et la poésie.


Mais la surprise vient du duo de hip-hop expérimental Shabbaz Palaces composé de Ishmael Butler alias Palaceer Lazaro et Tendai Baba Maraire, originaires de Seattle et du Zimbabwe. Contrairement au genre où les alexandrins formatent trop souvent les morceaux en un flow continu sans autre surprise que le récit des rappeurs, ici chaque morceau développe sa propre structure avec des samples choisis venant de tous les horizons, même dans les albums où les enchaînements se réalisent sans temps mort : sons électroniques, sub-basses, instruments traditionnels, ensemble de cors de chasse, section de jazz ou free jazz, mbira (le père de Tendai est Dumisani Maraire), percussions et chœurs africains, bribes de dialogues, bruitages... Si la voix nasale a souvent les intonations du Zappa des premières heures leurs inventions sont aussi hirsutes...


Pour terminer cette revue de disques chaudement recommandés, j'ai choisi Seize The Time de l'ex-Black Panther Elaine Brown dont j'avais entendu The Meeting, l'hymne qu'elle avait composée pour leur parti, sur le générique de fin du remarquable film de William Klein autour de Eldridge Cleaver qu'elle remplaça comme ministre de l'information du parti qu'elle dirigera ensuite de 1974 à 1977. Mais la militante dut se battre également contre le machisme de son organisation. En 1969 elle enregistrait ses chansons avec le pianiste de jazz Horace Tapscott qui a également signé les arrangements, mais je n'ai trouvé nulle part le nom des autres musiciens. Les titres de ce document historique sont éloquents : The Panther, And All Stood By, The End of Silence, Very Black Man, Take It Away, Assassination, Poppa's Come Home...

jeudi 8 mai 2014

A Thousand Toughts, 40 ans de Kronos Quartet


Le Kronos Quartet n'a jamais chômé à raison d'un album par an depuis 1973 sans compter les enregistrements pour des films et les commandes pour divers compositeurs contemporains. Nombreuses des 800 pièces créées n'ont pour autant jamais été publiées comme celles de Steve Lacy, Tom Waits, Mr Bungle, Einstürzende Neubauten, Frank Zappa ou le spectacle multimédia Sun Rings de Terry Riley. S'ils abordent le répertoire contemporain sans aucune frontière, de Monk et Hendrix à Morton Feldman et Zorn leur énergie rappelle le rock 'n roll, direct et électrique. Cela ne les empêche pas de jouer de la musique médiévale aussi bien que les romantiques allemands et autrichiens avec beaucoup de sensibilité, faisant tomber les barrières entre musiques savantes et populaires. Ainsi ils collaborent avec des compositeurs du monde entier, enregistrent en superposition à des bandes magnétiques ou sur leurs propres playbacks, se jouant même du temps en allant chercher de vieilles cires. Les commandes passées ont permis de révéler quantité de compositeurs traditionnels issus de terroirs peu représentés dans les salons bourgeois occidentaux, du Mexique au Japon, de l'Afrique à l'Afghanistan. Leurs albums sont souvent thématiques, programmes pensés pour faire œuvre par les rencontres étonnantes qu'ils se permettent sans a priori géographique, historique ou stylistique.
Grosse machine étatsunienne aussi subventionnée qu'acclamée, le Kronos publie cette fois un coffret, réédition de 5 CD, Pieces of Africa, Requiem for a Dream, Nuevo, Black Angels avec une nouvelle compilation, A Thousand Thoughts, accessible indépendamment. Y figurent des œuvres enregistrées tout au long de leur longue carrière et qui n'avaient pour la plupart pas trouvé place dans les CD précédents. On notera que les violoncellistes ont la vie plus difficile que les trois autres puisque le quatuor en épuisa trois, tous de grand talent. Ici 15 pièces se succèdent sans autre connexion que de faire le tour du globe terrestre et prétendre à l'inédit. N'y avait-il rien d'autre dans leurs tiroirs qui les empêche de rééditer Blind Willie Johnson, Rahul Kuchh Saaman, Omar Souleyman, Terry Riley ou Astor Piazzolla déjà parus ? C'est un peu gruger les amateurs qui comme moi possèdent la quasi intégralité du Kronos que de prétendre ainsi à la nouveauté sans préciser les doublons. Mais comme leurs cordes sonnent toujours d'enfer, on ferme les yeux et l'on réécoute, piochant au hasard n'importe lequel de leurs disques. Cela vaut mieux que la musique pompier à laquelle le quatuor participe, composée par Clint Mansell pour Noé, dernière kitcherie du réalisateur Darren Aronofsky, qui sort simultanément, et de trois ! Décidément le Kronos semble se moquer du temps qui passe, aventurier fringuant s'appropriant toutes les ressources de la planète...

mardi 6 mai 2014

Odeia au Lavoir Moderne Parisien


La première fois qu'Elsa se lança sur son trapèze avec La Caravane Passe, c'était il y a dix ans au Lavoir Moderne Parisien. Retour aux sources. Anniversaire. Pour aujourd'hui, fêter la sortie du CD du groupe Odeia distribué par L'Autre Distribution. La dernière fois que je les ai vus, c'était en novembre à Montreuil dans l'Usine Frapal où Judith Gueyfier, illustratrice de leur album Escales, les accueillait. Clément Alfonso a récemment réalisé deux clips avec le quatuor.
Le premier, Liouba, est chanté en tsigane russe. Noir et blanc, écrans multiples, les gestes apparemment simples reflètent des situations complexes, sous les doigts des musiciens les tranches de vie deviennent des tranches de gâteau, l'image découpe le quotidien comme si le jour ne devait jamais se lever, pourquoi les Slaves doivent-ils toujours souffrir et sublimer leurs âmes meurtries dans des mélodies aussi craquantes ?


Le second film, plus classique, est une chanson de Mouloudji sur une musique de Georges Van Parys. "Un jour tu verras, on se rencontrera, quelque part, n'importe où, guidés par le hasard..." Lorsque Odeia voyage ils nous emportent dans leurs bagages. Nous partons pour Athènes, Syracuse, Gorizia ou Caracas sans quitter nos fauteuils, planant au-dessus de la houle du large, portés par les envolées lyriques du violon de Lucien Alfonso, flèches légères qui filent droit vers les nuages, par les inventions harmoniques de Karsten Hochapfel au violoncelle ou à la guitare, folle boussole dont l'attraction terrestre est plus grave qu'il n'en a l'air, par l'assurance de la contrebasse de Pierre-Yves Lejeune dont le manche est un gouvernail permettant à l'orchestre d'arriver à bon port. S'il est une fille dans chacun, Elsa Birgé les incarne toutes. Polyglotte, elle peut être la bonne étoile qui guide les marins ou le feu des naufrageurs qui les damne à jamais. Tessiture incroyable, basses profondes qui vous retournent le ventre, aigus angéliques qui vous tirent les larmes, sa voix réfléchit la lumière.


Leurs arrangements d'une rare délicatesse confèrent à Odeia une grâce légère qui tranche avec les mixtures écœurantes de la world music. Chaque note est à sa place sur le compas de ces navigateurs infatigables dont le voyage ne fait que commencer. Sorti il y a une semaine, leur disque Escales est déjà Coup de cœur BFM-TV et Élu Citizen Jazz. Ils sont ce soir à 20h30 au Lavoir Moderne Parisien, 35 rue Léon dans le 18ème (12/10€).

vendredi 2 mai 2014

Le rêve d'Armagan


Après le cauchemar d'Edward Perraud intitulé L'Afrique fantôme, voici le rêve d'une spectatrice, Armagan Uslu est une vidéaste turque vivant à Paris, qui a accepté l'invitation lancée au public de venir raconter le sien sur la scène de La Java avant que nous l'interprétions tous ensemble (5'47). Quelle ne fut pas notre surprise lorsque Alexandra Grimal s'en inspira pour improviser une petite histoire avant de reprendre son saxophone ! Comme tous les rêves et cauchemars filmés ce 14 avril par Françoise Romand les séquences vidéographiques que j'ai montées ne représentent pas l'intégralité des rêves tels que nous les avons joués en direct, mais sont de simples témoignages de la naissance d'un nouveau groupe !


Jean-Jacques BIRGÉ - clavier, Tenori-on
Alexandra GRIMAL - voix, sax ténor
Antonin-Tri HOANG - sax alto
Fanny LASFARGUES - basse électro-acoustique
Edward PERRAUD - batterie