70 Musique - juin 2014 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 30 juin 2014

La grève, point G du rêve


J'ai raté l'entrée en scène d'André Minvielle avec le panneau "La grève, point G du rêve" suivie de la lecture intégrale du remarquable texte d'Edwy Plenel sur le modèle du statut des intermittents qu'en firent avec lui Babx et Thomas de Pourquery. Dans le foyer du Theâtre Sorano un couillon hurle pour se faire rembourser. Dans la salle le public venu assister à l'Hommage à Claude Nougaro concocté par le trio est partagé. Raison de plus pour prendre le temps d'expliquer pourquoi il est si important de défendre cette lutte qui préfigure ce qui nous attend avec le honteux et catastrophique Traité Transatlantique.


J'ai raté ça, mais pas le concert. Avec Hélène Sage venue m'écouter évoquer les rapports de la poésie et de la musique chez Michel Houellebecq sur le plateau de France Culture dressé dans l'église Saint-Pierre des Cuisines, nous avons enfourché deux velibs pour rejoindre cet autre événement du Marathon des Mots organisé à Toulouse. Le direct où Marianne Denicourt avait su insuffler leur rythme aux alexandrins sensibles du poète m'avait donné des ailes. J'avais reconnu chez elle la musique d'Établissement d'un ciel d'alternance que Houellebecq avait enveloppé de sa voix chaude et envoûtante. Rien à voir avec les tentatives de les transformer en chansonnettes pour midinets.

Au Sorano, Babx au piano, Dédé Minvielle à la percussion, Thomas de Pourquery au sax alto ont donc choisi la veine rose de Nougaro, la couleur de Toulouse qu'ils ont rougie au feu de l'actualité. La révolte n'a jamais quitté celui qu'ils surent s'approprier, évitant de sombrer dans une adaptation trop révérencieuse. À bout de souffle chanté dans le noir a capella, Paris mai mixé avec Locomotive d'or, la Dépêche du Midi lue en diagonale, le jazz rencontrant la java, les trois gars étaient faits pour cela. Et Dédé de souffler dans sa varinette ou une drôle de bouteille comme Thomas dans son bec lyrique, et Babx de plaquer ses accords dans cette merveilleuse mêlée.

Photo n°2 © Hélène Sage

jeudi 26 juin 2014

Fantazio rubato


Dimanche dernier l'association BaLiPa qui organise des évènements à l'intersection de Bagnolet, Les Lilas et Paris, avait installé le soleil pour réchauffer les nombreux musiciens venus jouer en after de la Fête de la Musique. Fantazio qui habite le quartier était accompagné par la batteuse japonaise Kumiko et deux Tamouls, le guitariste Paul Jacob et la chanteuse Kavitha Gopi. Chansons traditionnelles japonaises et airs de Bollywood étaient passés à la moulinette d'un rock à Billy, punk et pounk, joyeuse musique approximative qu'un attachant chef d'orchestre trisomique avait du mal à suivre. Ces Indus Bandits zappaient les langues, les rythmes, les mélodies qui me rappelaient tantôt Tony Tani, tantôt Captain Beefheart, tantôt Lata Mangeshkar, mais n'appartenaient qu'à eux. Le public ravi, assis sur des chaises au milieu de la rue, écoutait les orchestres de jazz, de hard rock ou classique avec le même intérêt. Le quartier apprenait à se connaître. On serrait des pognes. Il faisait beau. Même dans les cœurs.
Fantazio pense que l'on devrait recommencer ce type de concert toutes les semaines. Il a une longue pratique des squats où les gigs s'improvisent. Énervé par les journalistes qui n'y mettent jamais les pieds, il continue de fréquenter ces lieux vivants comme il en avait l'habitude à Berlin. Nous partageons le même sentiment sur la plupart des "professionnels de la profession" qui ne se bougent que pour les trucs convenus. Tristes tropismes. Les annonceurs et le réseautage font la loi. La médiocrité leur embraye le pas, l'arrogance, fruit de leur ignorance, assassinant les artistes les plus fragiles. Quelle curiosité résiste à la paresse ? La solidarité va devoir s'exercer au delà des luttes intermittentes, les coudes se serrer au lieu de jouer perso, les chapelles s'ouvrir, apprendre à écouter si l'on veut changer le monde. Quel autre propos aurait l'artiste, amateur ou passé pro ? Quel avenir envisageons-nous pour demain matin ?

lundi 23 juin 2014

Des albums qui arrachent


De plus en plus de jeunes virtuoses venus du jazz et de la musique improvisée publient des albums en solo ou duo. En période de réduction de budgets les petites formes fleurissent évidemment mieux que les grands ensembles. Le jeu de massacre auquel se livre le gouvernement en faisant le lit du Medef au lieu de soutenir les artistes, intermittents ou pas, n'arrange pas les choses. Alors quitte à vendre des projets bon marché, puisqu'aussi léger qu'un showcase, autant revendiquer ses extrêmes sans se courber devant les lois médiocres du marché. Car avant tout il est question de rage et de révolte. Jusqu'au boutistes amoureux du son et de ses infinies variations nombre d'entre eux se risquent à lever le poil des timorés nostalgiques de l'ancien temps. Ils attrapent la matière à pleines mains, la malaxent, la broient, la fondent pour dresser des cathédrales miniatures aussitôt englouties par de nouvelles expériences. Cela ne s'écoute pas en faisant la vaisselle ni vous pousse à danser. Cela s'écoute dans le recueillement, comme on lit un livre dans le silence. Les musiciens en question n'apportent pas de réponse, ils interrogent, dans un partage mérité pour peu que l'on prenne le temps de s'arrêter, loin de la foule, de la perfusion médiatique, du bruit décervelant que le monde déverse bouillant dans nos ciboulots qui débordent d'informations inutiles. Cette musique n'en rajoute pas, elle guérit le mal par le mal.
Les derniers albums reçus en date sont Acapulco de Julien Desprez, brutale sculpture physique où la guitare électrique jouent des effets de manche, Missing Time de Frederick Galiay, drône électroacoustique où la basse électrique plonge chercher la gravité des hautes sphères, REPS de Sophie Agnel et Olivier Benoit, quatre mains sympathiques où les cordes métalliques du piano et de la guitare tissent une toile magique servant de réceptacle au pur jus cérébral. L'écoute des trois m'évoque les brûlants rayons du soleil d'été qui ne manqueront pas d'échauffer les pensées à moins que vous ne préféreriez l'ombre, il y en a tout autant, question de point de vue, de confort d'écoute, du choix du siège, en proie à la torpeur ou fièrement debout.

mercredi 18 juin 2014

La voix humaine par la grâce de Denise Duval


Francis Poulenc est en France un compositeur largement sous-estimé. Quasi autodidacte préférant jouer sur l'instinct plutôt que suivre les règles d'une école, il oscille entre écrire des œuvres sacrées et des pièces impertinentes casquette sur l'œil. Mouton noir de la famille Rhône-Poulenc, homosexuel déclaré à une époque où régnait le machisme des surréalistes, digne héritier de la musique française en opposition au wagnérisme puis au dodécaphonisme, Poulenc composa trois opéras remarquables et radicalement différents. Les mamelles de Tirésias est certainement le seul opéra surréaliste (le mot fut inventé par Guillaume Apollinaire pour la pièce qu'il met en musique), drôle, enjoué, complètement loufoque. Le dialogue des Carmélites d'après Georges Bernanos raconte le martyre d'une jeune femme au moment de la Terreur, sobre, bouleversante évocation de l'échafaud. La voix humaine est la mise en musique du monologue sublime de Jean Cocteau, kaléidoscope d'émotions exprimées par une femme que son jeune amant vient de quitter. La réussite de ces trois opéras doivent énormément à leur interprète, Denise Duval, cantatrice atypique issue des Folies Bergère !


Dans Denise Duval, ou la Voix retrouvée, long bonus de 1998 accompagnant le film réalisé par Dominique Delouche en 1970, la soprane montre ses qualités de comédienne en donnant une leçon d'interprétation passionnante à la jeune Sophie Fournier. En 2004, saisi par le toupet de Denise Duval interviewée dans Libération par Éric Dahan, j'avais acheté sa biographie rédigée par Bruno Berenguer (ed. Symétrie). Je possédais également l'enregistrement vidéographique d'un savoureux récital donné avec Poulenc au piano, mais je rêvais depuis quarante ans de la voir dans le rôle que je ne connaissais que par le disque. Or Dominique Delouche l'avait filmée en 35 mm couleurs pour la télévision dans des décors et costumes de son fait. Ayant perdu sa voix, elle chantait là en playback sur l'enregistrement de 1959, concentrant toute son énergie sur son jeu dramatique. Nous avons donc Georges Prêtre, à la tête de l'orchestre de l'Opéra Comique où l'œuvre fut créée, suivant la cantatrice tel que le rôle l'exige, à l'inverse de la pratique usuelle où les chanteurs s'adaptent à l'orchestre ! Delouche redouble de virtuosité en découpant le film, imaginant des angles que seul le cinéma permet, transformant le décor 1925 en toiles de Klimt au gré des plans. En écoutant l'œuvre on comprend ce que les "comédies" musicales de Jacques Demy lui doivent, comme on entend d'où vient la chanson française à l'écoute de Bizet, Massenet ou Gustave Charpentier. Poulenc et Cocteau ne pouvaient rêver meilleure interprète que cette femme moderne pour jouer l'amoureuse éconduite pendue au fil de son téléphone face à un amant terriblement absent. Sa diction parfaite permet de jouir du texte de Cocteau et son intelligence de la musique de Poulenc. Le DVD publié par Doriane (extrait ici) est un must absolu que vous soyez ou non fan d'opéra.

lundi 16 juin 2014

Velvet Goldmine, hymne de Todd Haynes au glam rock


Carlotta publie en Blu-ray et DVD un film culte de Todd Haynes, hymne au glam rock en forme de kitscherie musicale et cinématographique. De Superstar: The Karen Carpenter Story (film interdit sur la vie de Karen Carpenter entièrement interprété par des poupées Barbie et visible de temps en temps sur YouTube) à I'm Not There (où six acteurs différents dont une femme incarnent Bob Dylan) le cinéaste américain s'est toujours passionné pour les récits mettant en scène des musiciens.
Velvet Goldmine est de cette veine hors du commun où les aller et retours entre fiction et réalité produisent une poésie vertigineuse où l'abondance de références plus ou moins cachées finissent par former une toile d'araignée cannibale qui gomme les a-priori et nous avale corps et âme. Par un effet de renversement propre au système d'identification cinématographique cette fellation peut nous chatouiller la luette ou la digestion arachnoïde aller jusqu'à son terme scatologique, mais l'expérience mérite toujours le voyage tant Haynes bouscule les codes en changeant nos repères.
Ainsi, si le glam rock m'a toujours laissé insensible par son attraction pour une décadence propre à la bourgeoisie et la poudre aux yeux des paillettes camouflant la lutte des classes au profit d'une révolte sexuelle, certes nécessaire, mais lourdement versifiée, le film, et plus encore le bonus où témoignent Todd Haynes et sa productrice Christine Vachon, ainsi que ses acteurs Ewan McGregor, Christian Bale, Jonathan Rhys Meyers, Toni Collette, m'ont permis de mieux comprendre cette période de l'histoire du rock dont le côté rétro m'avait agacé. Car la revendication de la bisexualité s'opposant au machisme du rock et à l'hétérosexualité du psychédélisme évitait hélas la question du féminisme en ne mettant toujours en scène que des hommes. Le film n'est d'ailleurs pas exempt de misogynie. De plus, dans la fastuosité des années 70 il existait des courants autrement plus inventifs, tant dans le rock que dans le jazz et la musique contemporaine.


Le scénario abracadabrant que le style exige et l'étude de mœurs quasi ethnographique confèrent néanmoins à Velvet Goldmine (1998) un intérêt indéniable. Si David Bowie, Iggy Pop, Lou Reed ou Marc Bolan ont inspiré les personnages principaux du film, les musiciens qui ont participé aux enregistrements de la musique ont dû bien s'amuser à recréer cette période essentiellement britannique. On reconnaîtra Thom Yorke et Jonny Greenwood (Radiohead), David Gray, Bernard Butler (Suede), Andy Mackay (Roxy Music), Ron Asheton (The Stooges), Thurston Moore et Steve Shelley (Sonic Youth), Placebo, etc. Dans les premières secondes Todd Haynes demande aux spectateurs de pousser le volume à fond. Ces indispensables décibels ne m'empêchent pas de penser que cette libération sexuelle exposée à grand renfort de strass et de drogues brutales affectait plus le paraître que l'être. La révolution amorcée dans ces conditions accoucha d'un pétard mouillé, science-fiction de pacotille pour midinets en révolte contre la famille, mais qui, leur crise adolescente passée, reprendront le flambeau des aînés. Les cadavres sortaient des placards, mais ils avaient toujours leurs costumes du dimanche.

vendredi 13 juin 2014

Big, c'est grand !


Big, c'est "grand" ! C'est "gros" aussi. Le gros son de la basse et de la batterie. Énorme, comme les trados possibles. Ce soir certains se sont enfilé du coton dans les oreilles pour épargner leurs tympans. Les musiciens nous avaient prévenu, mais les boules Quiès atténuaient trop les timbres des cymbales et du métal. Big, c'est "remarquable". Une énergie communicative qui électrise les uns et berce les autres. Big, c'est "marquant" comme le Triton que l'ouvreur nous imprime sur le poignet. On se souviendra de ce duo diabolique qui nous emporte dans les extrêmes. Big, c'est "fort". Deux virtuoses qui jouent au ping-pong avec les timbres de leurs instruments. Edward Perraud jongle avec ses baguettes, Fred Galiay penché sur le manche fait glisser son archet. Big, c'est "prétentieux". Parce qu'il faut être gonflés pour tenir tout un set dans la sueur avec cette précision de forçat. Mais quand on pète plus haut que son cul, suffit de mettre son cul à la hauteur du pet pour rétablir l'équilibre. Big, c'est "ambitieux". Les propositions fortes le sont toujours. Ils en font parfois de drôles d'albums qui ressemblent à leurs performances. Big, c'est "grand" !