Elsa, ton grand-père aurait été fier de t'entendre participer à ces Chroniques de Résistance, il aurait été bouleversé par ta voix et ses larmes auraient coulé sur ses joues comme lorsqu'il écoutait la Callas chanter Verdi (P.S.: le film "Senso" de Luchino Visconti commence sur une scène à la Fenice, l'opéra de Venise, avec l'air “Di quella pira” du Trouvère qui se termine par un appel aux armes, “All’armi, all’armi!” À la fin de l'aria les révolutionaires lancent depuis le balcon des tracts aux couleurs de la future Italie contre l'occupation autrichienne dont les officiers sont assis à l'orchestre).
Cette Suite en 27 fragments dédiée aux résistants du passé, du présent et du futur que Tony Hymas a composé magistralement est un opéra qui rend hommage à tous les oubliés de l'Histoire, un oratorio où la puissance des cuivres et de la percussion redonne au jazz son urgence de combat revendiquant la nécessité de la résistance.
Adressées aux résistants de la seconde guerre mondiale, les lettres américaines récentes de Barney Bush, John Holloway, David Miller et de la slammeuse Desdamona, dont le flow porte les mots acérés de tous comme des flèches pour que nous puissions vivre demain, répondent aux poèmes et textes clamés par les acteurs Nathalie Richard et Frédéric Pierrot que l'on a connus chez Rivette, Godard, Loach ou Assayas. La distribution de ce brûlot épique au poing levé et à la verve romantique est brillante : Aimé Césaire, René Char, Robert Desnos, Raymond Dronne, Buenaventura Durruti, Jean-Jacques Fouché et Gilbert Beaubatie, Armand Gatti, Georges Guingouin, Evelyn Mesquida, Marie-Eugène-Aimé Molle, Henri Nanot, Firmín Pujol, Maurice Rajfus, Jean Tardieu, Arsène Tchakarian.
Les Chroniques de résistance sont constituées de six parties : "Situation" replace d'emblée le combat dans le mouvement de l'Histoire sans négliger les luttes actuelles ; "Espagnols" parce que tout a commencé en 1936 et que les anti-franquistes passèrent plus tard les Pyrénées dans l'autre sens pour se battre contre les Nazis ; "Limousin" où le producteur Jean Rochard a fait naître ce magnifique projet lors du Festival de Treignac, Kind of Belou, et où surtout le maquis fut particulièrement actif (la première journée de l'équipe, avant les répétitions, commença par la visite du village martyr d'Oradour-sur-Glane) ; "Femmes" inoubliables, chansons bouleversantes portées par la voix à la fois tendre et déterminée d'Elsa Birgé : Suzy Chevet (écrite par Serge Utgé-Royo comme Souvenir de Ponzán dit François Vidal), Je trahirai demain (poignant texte de Marianne Cohn), Valse macabre 'à Germaine Tillion' (que j'ai moi-même écrite, inspiré par la lecture du Verfügbar et des témoignages des rescapées de Ravensbrück filmés par David Unger) ; dans le CD Elsa (qui à onze ans en 1996 interprétait déjà ¡Vivan las utopias! dans la compilation culte Buenaventura Durutti) chante également Les flamboyants et Addi-Bâ dont les paroles sont de Sylvain Girault et La complainte du Partisan écrite par Emmanuel d'Astier de la Vigerie sur une musique d'Anna Marly ; "Étrangers" pour les résistants de la première heure, Allemands (communistes du KPD, communistes antibolchéviques du KPOD, anarcho-syndicalistes la FAUD, anciens spartakistes, protestants de la Ligue d'urgence des pasteurs de Martin Niemöller, catholiques anciens membres de Zentrum, petites organisations étudiantes comme la Rose Blanche, aristocrates du Cercle de Kreisau, actions individuelles comme celle de Johann Georg Elser, déserteurs de la Wehrmacht, etc.), combattants de la MOI, Main Œuvre Immigrée (Polonais, Arméniens, Hongrois, Italiens, Espagnols, Français), Juifs de toute l'Europe, tirailleurs sénégalais renvoyés en Afrique pour "blanchir" l'armée de libération jusqu'au massacre de Thiaroye par les blindés français, tirailleurs marocains, tunisiens, algériens et l'on connaît maintenant les massacres de Sétif du 8 mai 1945 qui inaugurent la guerre d'indépendance algérienne, etc. ; "Libération(s)" parce que rien n'est terminé et que partout dans le monde des peuples résistent à l'oppression, à l'occupation, à la colonisation !
La musique du pianiste anglais Tony Hymas est remarquablement efficace, lyrique et puissante, sans aucun temps mort. Elle a donné du fil à retordre aux cinq instrumentistes virtuoses. Heureusement le saxophoniste baryton François Corneloup l'a pratiquée au sein d'Ursus Minor, le batteur-mandoliniste minnesotien des Fantastic Merlins Peter Hennig une fois dans le trio de Hymas, tandis que les cuivres de Journal Intime (Sylvain Bardiau à la trompette, Matthias Mahler au trombone, Frédéric Gastard au saxophone basse) font corps. Le souffle de la résistance leur donne l'énergie indispensable à cette fresque incroyable, suite logique des Voix d'Itxassou de Tony Coe, de la trilogie indienne Oyaté de Hymas et du double album consacré à Durutti.
Le livret bilingue de 152 pages est un complément indispensable, bourré d'informations passionnantes en plus de tous les paroles en français et anglais, et illustré merveilleusement par Vincent Bailly, Daniel Cacouault, Sylvie Fontaine, Stéphane Levallois, Jeanne Puchol, Vaccaro et quantité de photographies d'époque.
Parallèlement à la sortie de l'album chez nato et distribué par L'Autre Distribution, Frank Cassenti a réalisé un documentaire pendant les répétitions à Treignac en intégrant des extraits de son premier film, L'affiche rouge. Quant au spectacle il commencera sa tournée à l'automne. Ne le manquez pas !