70 Musique - mars 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 30 mars 2015

Lothar and The Hand People


De temps en temps, au gré d'un nom lu ou entendu, la mémoire revient avec son lot d'émotions oubliées. En saisir un petit bout suffit pour dérouler le fil de toute une époque. Un morceau de musique, particulièrement, peut faire remonter les rêves de sa jeunesse, le sens d'une démarche, un engrenage de notre inconscient horloger. J'ai souvent cherché à comprendre comment j'en étais arrivé là, un chemin de traverse me menant très vite aux bases de mon engagement et de l'une de mes passions. Parmi les premiers émois électroniques je me souvenais de la musique tachiste de Michel Magne, des Silver Apples rapportés des USA en 1968, de Luc Ferrari entendu sur France Inter, de White Noise acheté sur sa pochette, de l'époustouflant Walter (Wendy) Carlos, du disque électronique de George Harrison, du Poème électronique de Varèse, mais j'avais oublié Lothar and The Hand People.


Leur second album, Space Hymn, commençait par Today is Yesterday's Tomorrow. Nous appelions cela de la musique spatiale, naviguant entre science-fiction et expériences sensorielles avec ou sans expédients divers. Lothar and the Hand People était le premier groupe de rock à jouer sur scène avec Theremin et synthétiseur Moog.
Réunis en 1965 à Denver, les Hand People sont contemporains des Beach Boys qui utilisèrent à la même époque une sorte de Theremin appelée Tannerin sur I Just Wasn't Made for These Times, Good Vibrations et Wild Honey. Lothar était le nom que les Hand People donnaient à leur Theremin !
Le groupe émigra à New York en 1966, enregistra seulement deux albums, Presenting... Lothar and the Hand People en 1968 et Space Hymn en 1969, et se dissoudra l'année suivante. Les voix rappellent un peu les Beatles, mais leur rock est à la fois psychédélique, folk et totalement azimuté. Lors de quelques séances mémorables, c'est ici que la mémoire refait surface, nous jouions le jeu de Space Hymn, allongés sur de profonds coussins sous la lumière noire. Far out ! Je me servis probablement de cette expérience pour pratiquer l'hypnose sur mes petits camarades de lycée, mais fatigué par l'exercice je ne continuai pas... Du moins l'hypnose. J'abandonnerai aussi les expériences lysergiques, et le dérèglement de tous les sens beaucoup plus tard, toujours pour les mêmes raisons : mon travail exige une fraîcheur que les lendemains matins brumeux empâtent. Progressivement la musique et les mots devinrent une drogue plus efficace que la chimie, fut-elle soigneusement naturelle !

vendredi 27 mars 2015

Berlingot, un disque de papier d'Étienne Brunet


Le dernier disque d'Étienne Brunet est un livre de 130 pages au format A5. Comme chacun de ses précédents albums, Berlingot est porté par un concept fort, ici une écriture rythmée à la manière des poètes de la Beat Generation sur des sujets contemporains. Ça tourne autour de la musique, le style et l'idée, tribulations d'un musicien imaginatif qui se heurte au réel comme une mouche contre la vitre, un cri romantique dans la jungle Internet. Sa course après une mère morte lorsqu'il avait six ans est une ronde où les permutations mènent sans cesse à la chute. Les chapitres sont de courtes pièces, parfois déjà publiées dans différents magazines, mais qui font sens, s'emboîtent et se succèdent comme les mouvements d'un petit opéra. L'impudeur de l'auteur mêle le sang et les larmes, le sperme et la voix, dans une danse parano que la confrontation à notre société du spectacle analyse et valide. Passés au crible du free jazz, les textes rendent hommage à Brion Gysin et à la ville de Berlin, la musique à Wagner, Satie et Cage, le saxophone à Ayler et Coltrane. Des partitions récentes bouclent l'ouvrage qui ravira les amateurs de musiques alternatives. Étienne Brunet est un compositeur trop atypique pour être adoubé par ses pairs. Les électrons libres dérangent la confortable classification des genres. Il a publié son livre à compte d'auteur, ce qui est devenu le lot de la plupart des créateurs inventifs de notre siècle.

Berlingot, Longue Traîne Roll, 8,50 + 3 euros de port

mercredi 25 mars 2015

Le White Desert Orchestra de Ève Risser


En réunissant le White Desert Orchestra la pianiste-flûtiste Ève Risser réalise l'un de ses rêves, d'autant qu'elle l'a prolongé au delà du réveil. Une quarantaine de très jeunes enfants et une quarantaine de seniors sont venus lui prêter voix fortes pour évoquer la matière que fabrique la nature. Des grands espaces américains à la structure d'une simple pierre, elle a composé des pièces sensibles où la métamorphose joue avec le temps. Le projet pédagogique mené parallèlement à la direction de son tentet lui permet d'assumer plus facilement son rôle de chef dans une entreprise où ce sont d'abord des camarades qui jouent le jeu pour elle. Tous et toutes font partie de ces jeunes affranchis qui font fi des frontières et des genres pour se consacrer à la musique, medium universel par excellence.


Si son Désert Blanc est beaucoup trop chaud pour être celui de l'Antarctique, il pourrait s'agir des White Sands de gypse du Nouveau Mexique, lumière aveuglante des dunes se confondant avec le ciel, sans limites, vertigineuse. Regardez avec les yeux d'une femme et vous entendrez peut-être les timbres magiques qui éclosent de l'orchestre. Sylvaine Hélary (flûte), Sophie Bernado (basson), Antonin-Tri Hoang (sax alto, clarinette, clarinette basse), Benjamin Dousteyssier (sax ténor et baryton), Eivind Lønning (trompette), Fidel Fourneyron (trombone), Julien Desprez (guitare électrique), Ève Risser (piano), Fanny Lasfargues (basse électro-acoustique), Sylvain Darrifourcq (batterie, percussion), Céline Grangey (mise en son) sont les artisans de la transmutation. Pour cette 32ème édition du Festival Banlieues Bleues à La Courneuve, le chœur d'adultes du Conservatoire à Rayonnement Régional d’Aubervilliers-La Courneuve était dirigé par Catherine Simonpietri et les enfants de l’école élémentaire Charlie Chaplin de La Courneuve par Azraël Tomé. Hors les chœurs les mouvements lents rappellent parfois les à-plats mouvants et cuivrés de Carla Bley tandis que les passages rythmiques ont quelque chose de zappien dans l'humour et l'entrain. Mais la pâte est de sa patte.


Il y a sept ans pour son Prix au CNSM Ève Risser avait déjà disséminé des comparses parmi le public. Hier soir le premier invité à sortir de l'ombre fut un gamin s'emparant du Theremin suivi d'une petite fille prenant la place d'Ève au piano. Les autres suivirent, dirigés tour à tour par l'une ou l'un d'entre eux. Quant au chœur d'adultes il était divisé en deux, en haut des gradins derrière le public qui encerclait le spectacle. Il n'aurait plus manqué que la salle se mette à chanter comme l'y incite dans ses œuvres Bobby McFerrin, car c'est le genre de pari qui doit titiller Ève Risser depuis belles lurettes ! Le White Desert Orchestra est bien la continuité d'une démarche généreuse.

mardi 17 mars 2015

J'ai tué l'amour


Si J’ai tué l’amour est le titre du projet franco-suédois sur les amours biscornues de Linda Edsjö (voix, vibraphone, percussions) et Elsa Birgé (voix, percussions), n'allez pas croire que c'est celui de la musique ! Les deux filles ont mis en ligne cinq chansons bouleversantes sur la page SoundCloud de Linda, cinq chansons tragiques que leur interprétation habitée transforme en saynètes à vous briser le cœur ou à vous faire rire. L'accompagnement instrumental minimal est un écrin où brillent les voix précieuses des deux musiciennes...

La belle qui fait la morte, chanson féministe avant la lettre puisqu'elle date du XVIIe siècle !



Sur J'ai tué l'amour le jazzo-flûte et le clavier de cloches viennent soutenir le vibraphone sur cette chanson méconnue de Barbara, musique de Jean Poissonnier...



En visa om karlek, chanson traditionnelle suédoise d'un autre amour désabusé...



Mon homme, version très personnelle du tube d'Albert Willemetz et Jacques-Charles sur une musique de Maurice Yvain, rendue célèbre par Mistinguett et Édith Piaf...



Le marchand de velours est tout de même plus gai et carrément grivois, avec un superbe arrangement a capella de ce traditionnel breton...


Par ces chansons aux accents graves rappelant la situation aiguë des femmes dans l'Histoire, Elsa et Linda évoquent l'émancipation indispensable dont les femmes ont dû faire preuve pour s'affranchir de la domination masculine et du carcan social qui les ont souvent rendues complices en acceptant leur soumission. L'interprétation critique et les associations qu'elle suscite retournent comme un gant le sens des paroles initiales quel que soit leur lieu d'origine ou l'époque. On attend avec impatience le spectacle et l'album complet !

vendredi 13 mars 2015

Idir et Johnny Clegg a capella


Plus de vingt ans après sa réalisation je me suis décidé à mettre en ligne le film que j'avais réalisé dans le cadre de la série Vis à Vis. J'ai raconté ici la genèse de Idir et Johnny Clegg a capella. En 1993 ce film marquait mon retour à la réalisation, vingt ans après La nuit du phoque, publié en DVD avec le disque Défense de d'abord chez Mio puis réédité chez Wah-Wah. Œuvre de commande, Idir et Johnny Clegg a capella n'en est pas moins un jalon dont je suis fier. J'y reconnais mes préoccupations tant sur la question de la création musicale que mon point de vue sur le documentaire en général.


On pourra être surpris par le choix des musiciens, mais mes goûts sont éclectiques et les questions posées dépassent les classifications qu'impose le marché. Au delà des genres je me suis toujours intéressé au processus de la création, en commençant par ses origines généalogiques et psychanalytiques...
Il y a quelque temps j'avais monté les rushes mettant en scène Johnny Clegg fabriquant un arc musical depuis la coupe des bambous au fond de son jardin jusqu'à la musique...

vendredi 6 mars 2015

Carnage, Un d.m.i. 2014


Après Trop d'adrénaline nuit, Rideau !, À travail égal salaire égal, nous avons improvisé des évocations d'autres albums d'Un Drame Musical Instantané. Hélène Sage a chanté L'invitation au voyage (Baudelaire-Duparc, 1857) que Bernard interprétait sur Les bons contes font les bons amis, Le roi de Thulé (Barbier-Gounod, 1859) et Carton (Birgé-Vitet, 1997). La violoncelliste Hélène Bass a ouvert L'homme à la caméra et avec Francis Gorgé et Hélène Sage aux freins (contrebasses à tension variable) ils ont formé un trio à cordes en référence à l'album Qui vive ? dont je diffusai une radiophonie. Au tour du percussionniste Francisco Cossavella d'attaquer Urgent Meeting. Sans oublier Carnage où l'on retrouve le saxophoniste Antonin-Tri Hoang, toujours à propos, qu'il mélodise, rythme ou sorte des sons inouïs de ses instruments :


Nous avons terminé par Opération Blow Up en rappel, onzième vidéo de ce concert unique au Théâtre Berthelot à Montreuil le 12 décembre 2014. Les liens dirigent vers chacune des captations vidéo dont les caméras étaient tenues par Alain Longuet, Françoise Romand et Armagan Uslu.

Photo N&B : Christian Taillemite (Citizen Jazz)

lundi 2 mars 2015

Partie carrée entre majeur et mineur


L'Ukrainien Oleg Berg et sa fille Diana se sont amusés à convertir quantité de chansons en mode mineur vers le mode majeur, et réciproquement. Les résultats sont évidemment passionnants, surtout lorsque l'on connaît par cœur les œuvres transformées.


Le mode majeur est généralement réputé chaud, joyeux et lumineux tandis que le mode mineur serait plutôt sombre, triste et profond. Évidemment tout cela est fait à la truelle, gauche et maladroit, mais la démonstration est éloquente. Ici Hey Jude est passé en mode mineur et la Ve de Beethoven en majeur pour l'exemple, mais il y en a plein d'autres sur la chaîne YouTube d'Oleg Berg.


Les deux iconoclastes ont probablement utilisé un logiciel du type Celemony Melodyne auquel j'ai parfois recours pour faire subir à un fichier audio ce qu'il est coutume de réaliser avec la norme midi. Les limites qualitatives de la conversion audio sont encore très repérables alors que l'on peut transformer allègrement un fichier midi dans tous les sens. Rappelons que le midi ne véhicule que des informations de hauteur, durée, intensité, mais qu'il n'intervient pas directement sur le timbre ou les formants. Les instruments virtuels s'y prêtent bien, mais les sons réels sont plus problématiques à tripatouiller, en particulier la voix humaine.
Heureusement errare humanum est. Le vivant reste beaucoup plus attachant, ses maladresses façonnant le style, que les dysfonctionnements stériles de la machine qui n'accouche que de bugs.