70 Musique - mars 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 29 mars 2016

Harpon, nouvel album en duo avec Amandine Casadamont


Il est rare et précieux de rencontrer un musicien ou une musicienne avec qui l'on s'accorde naturellement. C'est comme se faire un nouvel ami. Cela n'arrive pas tous les jours, mais l'intuition des premiers échanges se confirme souvent rapidement dans la pratique. Je ne me souviens plus quand et comment j'ai rencontré Amandine Casadamont, mais elle faisait partie des quelques personnes que j'avais à l'œil, entendre surtout que je lui prête une oreille puisqu'elle est créatrice radiophonique. Le terme est bien vague pour une fille qui manie la fiction et le documentaire sonores avec autant d'audace qu'elle joue les DJ en jonglant avec ses trois platines vinyle. L'année dernière je faisais partie d'un jury qui lui accorda le Grand Prix Phonurgia Nova pour Zone de silence enregistré au Mexique. Lorsque Amandine ne s'y retrouve pas confrontée aux narcotrafiquants elle passe en zone interdite à Fukushima. À ma question si elle était courageuse, suicidaire ou inconsciente, elle me répondit que probablement un peu des trois. Mettre en ondes le silence à la radio c'est évidemment jouer avec le feu. Nous la vîmes plus protégée sur la scène du Silencio improvisant un mix à partir de disques de fiction, de bruitages et musiques variées. Je l'invitai donc à enregistrer ensemble un album au Studio GRRR...


Harpon marie mes premiers émois radiophoniques où je zappais les ondes courtes et ma recherche incessante de recréer ce rêve éveillé avec les instruments de mon époque. Les miens associent le plus souvent l'électronique et le geste instrumental, en l'occurrence trois claviers reliés à des banques de sons que j'ai toujours cherché à rendre le plus acoustique possible. Ceux d'Amandine sont ses trois platines vinyle où elles posent divers microsillons quitte à les maltraiter en faisant sauter l'aiguille ou intervenant sur la vitesse. Fondus du disque noir, les scratcheurs sont toujours à la recherche de galettes rares qu'ils remixent pour composer de nouveaux univers. Je lui ai donc prêté ma collection de 33 tours, essentiellement des fictions radiophoniques des années 50 qu'elle a mélangées avec ses drones et bruitages. Nous avons ainsi improvisé six pièces hier matin, mises en ligne le soir-même. J'aime cette urgence que le Net suscite et qui correspond bien à celle de l'improvisation, mouvement réduisant au minimum le temps entre conception et interprétation.


Vous pouvez donc écouter ou télécharger gratuitement Harpon comme les 68 autres albums inédits présents sur drame.org, 928 pièces, 137 heures de musique ininterrompue si vous vous branchez sur Radio Drame en page d'accueil ! De son côté Amandine Casadamont offre aussi ses créations sur son site (mis à jour jusqu'en 2010), puis sur SoundCloud.

lundi 28 mars 2016

Tamia Valmont (Tamia) et Les chants de la terre


Les voix de Tamia sont les perles d'un collier qu'un fil relie magiquement d'île en île. Cette énigme de l'Atlantide révèle tous Les chants de la Terre par un passage secret où le sacré n'a d'autre source qu'une humanité retrouvée, malgré les assauts du temps et la folie des hommes.
Après trente ans d'une carrière internationale commencée avec son étonnante apparition au cours d'un concert mythique au Festival de Châteauvallon en 1972 au sein d'un Unit¹ réunissant Michel Portal, Bernard Vitet, Beb Guérin, Léon Francioli et Pierre Favre, la chanteuse Tamia avait disparu de la scène, et même disparu tout court. En 1977 nous avions partagé maintes improvisations avec Un Drame Musical Instantané² avant que Tamia ne se produise essentiellement en solo, puis en duo avec le percussionniste Pierre Favre (2 disques chez ECM). Son enseignement forma longtemps de nombreux vocalistes. Lorsque Bernard Vitet était tombé malade je l'avais recherchée en vain, le Net ne relatant qu'une homonyme canadienne née une trentaine d'années plus tard. La notoriété de cette chanteuse de new soul poussa notre Tamia à ajouter Valmont à son nom pour éviter toute confusion. Après un passage à vide qui guette tout créateur indépendant, Tamia refait aujourd'hui surface en rééditant son album sorti en 1999 chez Universal (elle a juste changé l'ordre des pièces) et annonce la sortie prochaine d'un tout nouvel opus.
Récemment je reçus donc un coup de téléphone inattendu. Comment ne pas reconnaître ce timbre de voix unique où les harmoniques glissent de syllabe en syllabe ? Nous avons beaucoup parlé, évoquant l'avenir encore plus que le passé. Le lendemain de nos retrouvailles je posai la nouvelle version de son CD Les chants de la terre \ Earth Songs sur la platine comme l'un de ses bijoux étalés comme autant de souvenirs, parures chatoyantes d'un rite païen dont les matières et les couleurs reflètent les voyages vécus ou simplement rêvés. A capella ou accompagnée par le percussionniste Xavier Desandre-Navarre et le multi-instrumentiste Henri Agnel, Tamia revisite les continents et les réinvente en enregistrant sa voix sur plusieurs pistes, convoquant de temps en temps un chœur, sans aucune parole, jouant des possibilités incroyables de la voix humaine, seule divinité immatérielle de ses rituels purificateurs. Nancy Houston, qui s'est inspirée de Tamia pour le personnage principal de son roman Lignes de faille, signe le texte de présentation de cet album merveilleux.

→ Tamia Valmont, Les chants de la terre \ Earth Songs, Eolico 01 (réédition de l'album paru initialement chez Universal)
¹ Michel Portal Unit No, no but it may be, réédité en CD dans une version inédite intégrale, Universal
² Un Drame Musical Instantané, Poisons, GRRR

mercredi 23 mars 2016

Alva Noto & Ryuichi Sakamoto avec l'Ensemble Modern: utp_


J'ai souvent du mal avec la raideur germanique du compositeur de musique électronique Carsten Nicolai dit Alva Noto, mais associé au romantisme japonais de Ryuichi Sakamoto et surtout à la cohésion de l'Ensemble Modern je plane totalement. Le concert enregistré live pour le 400e anniversaire de la ville de Mannheim le 16 novembre 2007 est livré sous deux versions audiovisuelles, en stéréo et en 5.1, l'écran flottant au-dessus de l'orchestre ou bien les visuels de Noto seuls, et sous la forme d'un CD. Le coffret contient également deux petits livrets, le premier avec une introduction de David Toop et des images couleur pleine page, le second avec la partition complète de 72 minutes.
Après avoir écouté l'œuvre deux fois, j'ai eu l'idée de diffuser le CD sur l'ampli du rez-de-chaussée où sont branchées deux enceintes Auratone dans la salle à manger et deux imposantes Technics dans le salon simultanément au DVD sur le système 5.1 du premier étage, sans pour autant chercher un synchronisme parfait. L'expérience est tout bonnement hallucinante, surtout dans l'escalier !
Utp_, pour piano, orchestre de chambre et électronique est un modèle de musique minimaliste, un trip zen où les instruments acoustiques dressent un pont avec les click et boom électroniques. Les points et les lignes prennent de l'épaisseur. L'indétermination de nombreux paramètres de la partition donne vie à l'artificiel, faisant vibrer les corps sonores dans le silence de l'air. Le robot est devenu androïde.


Reçu du Japon à un prix extrêmement décent en comparaison à d'autres propositions, la troisième fois est enfin la bonne après que j'ai commandé deux fois le CD+DVD et que ses vendeurs successifs aient annulé l'envoi pour avoir pensé le posséder à tort. Les objets épuisés atteignent parfois des prix délirants utp_ est souvent proposé entre 60 et 90 euros.
Mais ce n'est rien à côté des catalogues d'exposition récemment recherchés sur le Net. Travaillant avec Jean-Hubert Martin à l'exposition Carambolages dont j'ai composé toute la partition musicale, j'ai craqué pour nombreux ouvrages, seules traces de ses précédentes interventions muséographiques. Il m'a fallu fouiner pas mal pour les trouver à des prix raisonnables, mais j'ai dû abandonner en ce qui concerne l'original des Magiciens de la Terre proposé à plus de 1000 euros ! J'ai par contre enrichi ma bibliothèque de beaux exemplaires de Une image peut en cacher une autre, La mort n'en saura rien, Altäre, Le château d'Oiron et son cabinet de curiosités, Africa Remix, Dali, Le Maroc contemporain, Ilya et Emilia Kabakov... En ce qui concerne Le Théâtre du Monde j'ai eu l'immense joie de recevoir le somptueux catalogue de l'exposition originale australienne intitulée Theater of the World, grandes reproductions pleine page et surtout intégralité du projet initial... Internet, via des sites comme Leboncoin, eBay, Discogs, etc., permet de trouver quantité de choses que l'on pensait inaccessibles, et parfois pour des sommes dérisoires, d'autres fois honteusement spéculatives.

jeudi 17 mars 2016

Ceòl Mòr/Light & Shade du sonneur Patrick Molard


Rien d'étonnant à ce qu'en écoutant les stridences de la cornemuse je sente les esprits de la lande se réveiller et les ombres de la préhistoire sortir de terre comme des menhirs lorsque l'orchestre vient la rejoindre pour interpréter une musique inouïe, transmise oralement de génération en génération. Si le répertoire du Ceòl Mòr fut créé exclusivement pour la cornemuse seule, Patrick Molard eut l'idée de l'étendre à d'autres instruments en utilisant le système gaéllique ancestral chanté du canntaireachd où les notes sont des voyelles et les ornementations des consonnes. En réalisant des arrangements modernes, son frère, le violoniste Jacky Molard, rend imperceptibles les couches du temps, strates d'un monde où le ciel et la mer sont les mêmes qu'antan. La grande histoire s'efface devant la géographie, les petites histoires font place à l'imagination. Le saxophoniste Yannick Jory et la contrebassiste Hélène Labarrière, déjà membres de l'Acoustic Quartet de Jacky, le guitariste Eric Daniel et le batteur Simon Goubert s'imprègnent de ce tissu qui colle à la peau jusqu'à ne plus sentir si l'habit est dessus ou dessous. Dans ces musiques du XVIIe et XVIIIe siècles issues des hautes terres d'Écosse, ressuscitées par l'étude des manuscrits, elle-même enjolivée par une fantaisie grave qui caractérise notre époque, se retrouvent la transe des musiques répétitives et le grain de folie des jours de grande marée. L'air du large est vivifiant, mais il énerve les esprits qui font corps avec les vivants.

→ Patrick Molard, Ceòl Mòr/Light & Shade, CD, Innacor, dist. L'autre distribution, sortie le 1er avril 2016