J'ai titré Avec "Post K" le clarinettiste Jean Dousteyssier remet les années 20 au goût du jour, mais qu'est-ce que le goût du jour ? Et puis les années 20, c'était quoi ? On imagine forcément qu'il s'agit du début du XXe siècle, l'arrivée du jazz coïncidant avec la fin de la Première Guerre Mondiale, les Américains en profitant aussitôt pour investir les territoires libérés, mais aussitôt conquis. Le soft power est déjà à l'œuvre ! Ils recommenceront le même tour à la fin de la Seconde...
Brusquement, le cake-walk vint disperser et décolorer tout. Les projecteurs jaillirent des cintres du Nouveau-Cirque, des oriflammes de soie aux couleurs américaines se déployèrent à gauche et à droite des portes, les premiers nègres (on ne connaissait que le pauvre Chocolat) apportèrent le Cake solennel, une vague d'élégance remplit les gradins de femmes couvertes de perles et de plumes, d'hommes à monocle, à chevelure en brosse ou à crâne étincelant, les cuivres et les tambours de l'orchestre attaquèrent une musique inconnue dont le rythme évoquait les marches que Souza dirigeait et ponctuait de coups de feu, les projecteurs, comme des ballerines, vinrent se réunir entre la haie des écuyers bleus, et les Elks apparurent. Jamais le premier jazz au Casino de Paris accompagnant la danse de Gaby Deslys et de Pilcer, jamais le nègre à blouse océane des Black Birds, jamais la danseuse à roulettes, jamais les matches de pancrace, jamais aucun spectacle de mode et de salpêtre ne fut comparable à cette apparition... (les Elks étaient des danseurs, comme ceux qui les imitent quand s'épanouit l'Umlaut Big Band auquel participe Jean Dousteyssier)... Cocteau continue plus loin : Et, à leur exemple, le rythme s'emparait du nouveau monde et après le nouveau monde du vieux monde et ce rythme se communiquait aux machines et des machines retournait aux hommes et cela ne devait plus s'arrêter et les Elks sont morts (...), mort le Nouveau-Cirque et mort ou vif le cortège continue sa danse...
Quant au goût du jour il est devenu multiple, se dispersant communautairement, par catégories de personnel, de revivals en opérations Kleenex, éclaté en petites chapelles. Mais le jazz perdure et celui de Jean Dousteyssier déconstruit le passé et le reconstruit sans cesse, aller-retours entre la tradition et le glitch du moment, free jazz qui n'aurait pas oublié la leçon des anciens, sorte d'Art Ensemble of Paris Today mêlant l'Histoire (les années 20-30, mais aussi le free des Afro-Américains des années 60-70) et l'actualité (nouvelles traditions européennes) en une danse euphorique et communicative. Avec son frère Benjamin Dousteyssier (pilier de l'Umlaut B. B.) aux sax alto et ténor, le pianiste Matthieu Naulleau (entendu également dans l'Umlaut B. B.) et le batteur Elie Duris (entendu dans Novembre) il dépoussière Jelly Roll Morton, Fats Waller, Willie "The Lion" Smith, Louis Armstrong, Red Nichols, Eubie Blake et quelques autres champions du swing ou de la jungle. On sautille sur place. Le titre de l'album Post K se réfère à l'après ouragan Katrina qui ravagea la Nouvelle Orléans il y a dix ans. S'il me semble logique d'improviser comme de regarder notre univers avec des yeux neufs, ce quartet virtuose accouche d'une musique populaire inventive qui fait plaisir à tous les sens.
Sur leur site ils ont la générosité de nous offrir plusieurs de leurs petites pièces délicieuses...

→ Jean Dousteyssier, Post K, CD ONJ Records, dist. L'autre distribution, sortie le 29 avril 2016