70 Musique - juin 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 29 juin 2016

Pêché au Harpon


Amandine Casadamont et moi avons donné le nom de notre premier album à notre duo. Nous nous appelons donc désormais HARPON ! Occasion rêvée pour ma camarade, platiniste de circonstance, d'apporter un poulpe à déjeuner, avant que nous entrions en studio pour préparer le concert de demain soir jeudi.
Le poulpe était un rescapé d'un repas concocté par la scénographe culinaire Marie Chemorin dont les créations sont de véritables œuvres dramatiques qui se dégustent à plusieurs. Pour avoir joué les assistantes kali de la maître-queux, Amandine, qui ne fait jamais les choses à moitié, avait également apporté une charlotte au chocolat enrobée de biscuits de Reims. Je n'eus plus qu'à assaisonner la bête d'un délicat bouillon dashi au kombu et d'une pâte de yuzu goshô et nous nous mîmes à table, le riz gluant en feuille de bananier accompagnant l'ensemble. Au café, nous étions fin près pour embarquer.
Tandis que je lui fais écouter ma palette sonore en faisant courir mes doigts sur le grand clavier, Amandine choisit les vinyles qu'elle fera tourner sur ses trois platines selon les cinq thématiques cinématographiques que nous avons secrètement déterminées. J'oserai le terme de facéties tant l'humour habille nos sombres évocations sonores. Le poulpe incarne d'autre part merveilleusement l'énigme de la création ainsi que les acrobaties schizophréniques qu'elle exige de nous pour lui donner corps.

vendredi 10 juin 2016

Tony Hymas joue Léo Ferré au piano


Je l'ai déjà dit, je ne suis pas fan du piano solo, qu'il soit classique ou jazz. Alors pour m'enchanter il faut une patte bien à soi, une émotion et un style qui transcendent le genre. Glenn Gould me donne ce plaisir quoi qu'il interprétait. Comme pour les Sonates et Interludes de Cage, Ève Risser ou Benoît Delbecq me renversent lorsqu'ils préparent leurs pianos, mais est-ce encore du piano ou une sorte de gamelan ? Tony Hymas a la simplicité d'un Satie. Sa sensibilité habille chaque note d'une couleur qui lui colle à la peau. Pour ces quinze chansons il nous fait partager cette incarnation, nous offrant de vivre la musique du bout de ses doigts, effleurant les touches avec le c?ur.
Brassens, Brel et Ferré étaient trois anarchistes dont on a vanté les vers plus que la musique. Dommage qu'aucun des trois n'est fustigé la misogynie de l'époque, mais ils furent trois formidables pamphlétaires, se moquant allègrement des pratiques de leurs congénères. En orchestrant les chansons de Brassens, Jean-Claude Vannier a su montrer la subtilité et l'inventivité de ses harmonies que la guitare rendait discrètes. Cette fois Hymas souligne l'attrait des mélodies de Ferré. Qu'il soit l'auteur des textes ou inspiré par les poèmes d'Aragon, Léo Ferré savait les mettre en musique pour souligner ses joies et ses colères. En réduisant pour piano ses mémorables chansons, Tony Hymas fait délicatement et généreusement ressortir la tristesse du misanthrope et les blessures de l'âme plutôt que ses révoltes.

? Tony Hymas joue Léo Ferré, CD produit artisanalement par Jean Rochard pour nato, dist. L'autre distribution, 15? - extraits

jeudi 9 juin 2016

Birgé-Gorgé, showcase à 18h30 au Souffle Continu


En 1974 lorsque avec Francis Gorgé nous avons enregistré les pièces inédites d'AVANT TOUTE qui vient de sortir en vinyle sur le label du Souffle Continu je jouais du synthétiseur ARP 2600. Aujourd'hui 9 Juin à 18h30 nous nous retrouverons à nouveau en duo, chose extrêmement rare, pour un showcase où je jouerai du Tenori-on, du Kaossilator, de la Machine à rêves de Leonard de Vinci et de la trompette à anche, histoire de fêter la sortie du disque. Francis sera évidemment à la guitare.


Chaque exemplaire du vinyle est différent, giclée d'encre noire sur le blanc ou l'inverse si l'on écoute l'autre face. A l'intérieur Francis et moi racontons l'histoire de cet enregistrement avec des photos prises à l'époque par Thierry Dehesdin, un autre camarade du lycée Claude Bernard où nous nous sommes tous rencontrés en 1969.
De cette première équipée il reste aussi Michel Polizzi qui chaque dimanche réalise Le mélange sur Radio Libertaire et l'avocat Edgard Vincensini qui tenait la basse dans notre premier groupe, deux trajectoires relativement opposées même si on rigole tous à se remémorer nos débuts. Les autres ont hélas disparu, bien que nous ne sachions pas vraiment ce qui est advenu du graphiste Antoine Guerreiro.


D'autres amis nous rejoindront donc ce soir au Souffle Continu, magasin de disques génial situé en haut de la rue de la Roquette, 22 rue Gerbier 75011 (entrée libre), tenu par Bernard et Théo qui soufflent continuellement sur les braises des années 70.

Merci à Amandine Casadamont pour les photos de son exemplaire !

vendredi 3 juin 2016

Musique un jour de pluie


Tandis que je tape ces mots à ma place de travail préférée, au bout de la table en verre de la salle à manger, avec vue sur le jardin si je lève le nez, je regarde la pluie tomber en écoutant mes "disques" les plus récents. Stromboli, c'est le nom (provisoire ?) de la petite chatte qui redonne vie à la maison, roupille en écoutant Feel It In Your Guts par Thurston Moore accompagnant un discours de Bernie Sanders. La musique peut parfois aider à faire passer le message auprès des distraits. À l'origine c'est un disque souple tiré à 1000 exemplaires, très vite épuisé, mais ça fait le buzz.
Fidelia, l'application qui me sert pour ce qui est dématérialisé, enchaîne avec Everything's Beautiful attribué à Miles Davis et Robert Glasper. Ce dernier a concocté un drôle de mélange, des masters et prises laissées de côté remixées avec une tripotée d'invités rendant hommage à Miles. Se suivent Bilal, Illa J, Erykah Badu, Phonte, Hiatus Kaiyote, Laura Mvula, KING, Georgia Ann Muldrow, Ledisi et John Scofield, Stevie Wonder, pour justifier l'influence du trompettiste et surtout du compositeur : en fin de cuisson une ratatouille noyée dans la soul. Dans le genre easy listening, je préfère nettement la pop de A Moon Shaped Pool, le nouveau Radiohead, excellente cuvée où les instruments acoustiques et le London Contemporary Orchestra prédominent. Rythmées et planantes, la variété des ambiances lui confère une petite touche cinématographique. Les premiers clips vont en ce sens : Burn The Witch est une animation de Chris Hopewell tandis que Paul Thomas Anderson a réalisé celui de Daydreaming avec Thom Yorke traversant espaces et saisons jusqu'à l'épuisement...
Je passe sur le Vulnicura Strings de Björk aussi catastrophique que l'original, pas faute de ma part d'avoir essayé une fois de plus, pour me laisser aller sur Bluefly, le nouveau Cyro Baptista paru chez Tzadik avec la forte présence de mon ami Vincent Segal au violoncelle. Quantité d'apparitions, mais le quartet formé avec le percussionniste Tim Keiper et le bassiste Ira Coleman tient son cap ; ça chante, ça danse, c'est léger et inventif, le Brésil comme on l'aime, libre et plein de fantaisie, à l'opposé du coup d'État institutionnel qui vient de replonger le pays vingt ans en arrière.


Sur la photo du jardin il n'y a pas que le charme, le bouleau et le palmier ruisselants, le pupitre vide et rouillé, et Stromboli qui fait semblant (que font d'autre les chats ?)... Dans le fond à droite on aperçoit la pile de matériel hi-fi qui me sert à diffuser ce qui déborde des étagères. Il est pratique d'enchaîner les albums virtuels sans bouger de mon fauteuil, mais je préfère toujours l'objet disque, fut-il aussi riquiqui qu'un CD. Ainsi, une fois de plus, Who's enjoying this Zoo ?, le nouveau projet du bassiste Frederick Galiay, cette fois associé au guitariste Gaël Cordaro, allie puissance et délicatesse. Le duo Mud produit une pop expérimentale où les chansons tiennent lieu de gros plans et les instrumentaux de plans d'ensemble. Des fenêtres du train qui nous emmène je crois reconnaître des paysages. Est-ce de les avoir traversés moi-même ou de m'y sentir invité ? Les sons électroniques et les ambiances réelles élargissent encore le cadre de ce disque intimiste. Cette musique de chambre à petit budget pour rêveur éveillé est étonnamment proche de la grosse machine somnambulique de Radiohead.


Retour au rythme avec Mots croisés / Crosswords de Qüntêt avec la slameuse Desdamona. Le trombone Jean-Louis Pommier (que nous avions judicieusement engagé sur le conseil de François Corneloup pour une musique de film avec Bernard Vitet il y a déjà neuf ans) s'est adjoint le saxophoniste Alban Darche, le sax-clarinette-flûtiste Rémy Sciuto, le trompettiste Alain Vankenhove, le tubiste François Thuillier et le batteur Christophe Lavergne pour composer de subtils arrangements sur lesquels il scande les textes qu'il a écrits avec la slameuse de Minneapolis. Le français est tout en retenue théâtrale quand l'Américaine fait rebondir les syllabes comme des ballons de basket. Les cuivres rattrapent les balles haut la main tandis que les voix égrainent les moments secrets de chacun.

→ Cyro Baptista, BlueFly, Tzadik, dist. Orkhêstra, 17,50€
→ Mud, Who's enjoying this Zoo ?, Inversus Doxa, 15€
→ Qüntêt feat. Desdamona, Mots croisés / Crosswords, Yolk, dist. L'autre distribution, 12€

mercredi 1 juin 2016

AVANT TOUTE, retour vers le futur


En découvrant le pressage vinyle de notre "nouvel" album je retrouve une émotion sensorielle que j'avais perdue depuis l'avènement du CD, l'impression irréelle que nous sommes là en train de jouer, entendre la reproduction de l'instant, madeleine de Proust plein les oreilles (drôle d'image !), mais surtout circulant dans le corps comme un courant électrique qui flanque le frisson. Le plus important, c'est bien le free son, la liberté incroyable de l'époque, l'imagination au pouvoir loin de tout revival, même si le obi, la bande de papier gris foncé qui ceinture le disque, évoque la rencontre improbable des Silver Apples et Sonny Sharrock et que ses premiers auditeurs s'emballent en citant Can, Kraftwerk ou Sun Ra.

Avant toute est le début de notre histoire ou plutôt sa préhistoire. Enregistrés de décembre 1974 à mars 1975, les quatre morceaux choisis par Bernard et Théo du label Le Souffle Continu parmi une quantité incroyable d'improvisations sont à la base de mon engagement musical. C'est en les réécoutant à l'époque que j'ai pensé pouvoir rivaliser avec ce que j'entendais à la radio. Le formatage n'était pas encore de rigueur sur les ondes ! Et ce sont justement ces morceaux qui convainquirent Sébastien Bernard de produire la première mouture de Défense de, disque signé Birgé Gorgé Shiroc devenu culte par sa présence sur la Nurse with Wound List. Notre premier album voyant le jour, nous avons laissé dormir ces archives quarante ans au grenier jusqu'à ce que je décide de mettre en ligne sur drame.org les étonnants inédits produits par le label GRRR et toutes les nouveautés exclusivement numériques depuis 15 ans.


Si le obi suggère simplement qu'il s'agit d'un duo du guitariste virtuose Francis Gorgé et de ma pomme en tant qu'un des premiers Français à jouer du synthétiseur (ici l'ARP 2600) pour une musique pop improvisée unique en son genre, sur un feuillet glissé à l'intérieur de la pochette nous racontons tous les deux l'histoire de ces quatre pièces que l'on peut écouter gratuitement et intégralement sur SoundCloud à cette adresse !

Mais alors pourquoi acheter un vinyle ? D'abord, parce que la dynamique de l'enregistrement d'époque est à tomber par terre et que la version numérique n'est qu'une pâle reproduction de l'original, ensuite parce que l'objet est un des plus beaux que nous ayons imaginé, ici avec Le Souffle Continu et le graphiste Stéphane Thanneur (le disque vinyle lui-même est une giclée d'encre noir sur blanc / blanc sur noir), sans oublier un grand merci à Thierry Dehesdin pour les photos prises sur scène à La Gaîté Montparnasse et à l'ARC-Musée d'Art Moderne ainsi qu'à Gary May pour la traduction anglaise...

Le reste est entre les mains des chroniqueurs, à commencer par l'illustre Bradford Bailey !

BIRGÉ - GORGÉ, Avant Toute, Souffle Continu Records (FFL014), édition limitée à 700 exemplaires, vinyle noir et blanc (tous les exemplaires sont différents), 350 gr. Sleeve - Reverse Printing - Obi Strip - insert avec photos, sortie le 23 mai 2016, 18 €

Pour fêter cette sortie, Francis et moi jouerons exceptionnellement en duo le JEUDI 9 JUIN à 18h30 (nous jouons "légers" à partir de 19h) au Souffle Continu, 20-22, rue Gerbier à Paris