70 Musique - septembre 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 29 septembre 2016

Rome sourit à l'ONJ


Après Paris et Berlin, le chapitre Rome de l'Orchestre National de Jazz dirigé par Olivier Benoit est le premier qui m'accroche véritablement. Les précédents étaient trop chargés, manquant de respiration. Les deux compositeurs invités, Benjamin de La Fuente et Andrea Agostini, alternent la véhémence propre à cet ensemble de virtuoses et des passages plus intimes. Si la musique me plaît beaucoup plus, est-ce pour ses coïncidences avec mon propre travail de grand orchestre au sein d'Un Drame Musical Instantané dans les années 80 ? Je ne suis pourtant pas convaincu par les extraits du film Gente di Roma que de La Fuente a insérés dans sa partition, plaqués là sans relation musicale. Je reste aussi toujours sceptique sur la thématique des trois capitales européennes qui sonnent comme des prétextes sans que j'en saisisse sérieusement la particularité locale. Par contre, les climax m'embarquent et je crois entendre Bernard Vitet quand le trompettiste Fabrice Martinez soliloque sans embouchure. Comme dans Rome: A Tone Poem of Sorts d'Agostini les claviers sont à l'honneur, Sophie Agnel au piano (préparé) ici, Paul Brousseau au Fender et effets dans la pièce précédente. Ils participent à la richesse variée des timbres comme tout le reste de l'ONJ. À noter que le directeur artistique Olivier Benoit a cédé sa place de guitariste à Didier Aschour et que Sylvain Daniel remplace Bruno Chevillon à la basse électrique. Le clarinettiste Jean Dousteyssier, les saxophonistes Alexandra Grimal et Hugues Mayot, le trombone Fidel Fourneyron, le violoniste Théo Ceccaldi et, last but not least, le batteur Éric Échampard complètent cet ensemble solidaire qui présentera le programme Europa Rome le 5 octobre au Carreau du Temple. Comme dans plus en plus de productions qui s'en réclament, n'attendez pas du jazz, mais une musique inventive qui s'affranchit des styles en allant piocher aussi bien dans le rock, la musique contemporaine, l'improvisation que les évocations cinématographiques.

→ ONJ, Europa Rome, ONJ Records, dist. L'autre distribution, sortie le 21 octobre 2016.

mardi 27 septembre 2016

Ursus Minor : What Matters Now


Aucune surprise. Je m'y attendais. En fait c'est le contraire. Le nouvel album d'Ursus Minor est un chef d'œuvre. C'est la surprise ! Ce n'est pas une contradiction, juste un poil de dialectique. Un poil de raton laveur, un "chat sauvage" que la Communauté européenne a scandaleusement décidé d'éradiquer, ici avec un bâillon rouge sur le museau pour éviter les puanteurs de nos sociétés sous contrôle, les gaz lacrymo de la ZAD et des manifs engrillagées de Paris. What Matters Now file la pêche parce qu'il est d'une énergie débordante et qu'il invente de nouvelles utopies. Le livret de 140 pages, bourré d'illustrations et de photographies, est un pavé dans la gueule de celles et ceux qui n'y croient plus ou qui font la sourde oreille. L'affirmation aussi de l'objet physique contre la dématérialisation de la virtualité vampirique.
Ce qui compte maintenant se décline en quatre parties : The Living Present, Land of The Tree, Talking Drums et A Simple Chronological Series. Au début la voix de Serge Quadruppani lance "la joie et la colère sont les deux passions de ce mouvement" pour qu'enchaînent et se déchaînent les rappeurs minnesotiens Desdamona et deM atlas. Leurs syllabes sont des cocktails Molotov, leurs vers des cris d'espoir. Mais Ursus Minor c'est d'abord le compositeur Tony Hymas, toujours aussi discret et efficace au clavier. Il est entouré du trio de choc constitué du sax baryton François Corneloup, du batteur Stokley Williams et d'un nouveau guitariste, Grego Simmons, encore plus hendrixien que ses prédécesseurs, Jef Lee Johnson et Mike Scott. De Jef Lee, passé dans un pays de nulle part, il reprennent le Move avec son dernier batteur, Patrick Dorcéan, parmi d'autres covers comme Notre Dame des Oiseaux de Fer de la bande Hamon Martin, Brown Baby d'Oscar Brown Jr ou Rythme Futur de Django Reinhardt... Plus rock que jazz, plus funk que pop, le double CD me fait danser sur ma chaise. Il rappelle les meilleures heures de l'Histoire de la musique populaire, quand elle épouse ou annonce les temps à venir, sans jamais désarmer parce qu'on n'a pas le choix, qu'on ne l'a jamais eu et qu'on ne l'aura jamais. On peut préférer dormir, calfeutré dans son petit confort, mais la mort est au bout du chemin. Pour chacune et chacun. Il reste peu de temps.
Seconde partie après un tendre intermède par Le Pont sur la Vézère où la clarinette de Manon Glibert rappelle que l'enregistrement s'est tenu à Treignac, berceau du festival Kind of Belou, complice de cette équipée ravageuse. La chanteuse soul Ada Dyer entre en scène avec un I Don't Live Today, Hendrix de circonstance. Puis c'est au tour de Dominique Pifarély de rejoindre le quartet et les Américaines. Son violon allume de nouvelles mèches, clins d'œil aux USA, parce qu'il est évident que c'est à leur rythme qu'Ursus Minor nous fait vibrer, même si le duo du Bénéfice du Doute, Mael Lhopiteau à la harpe celtique et Timothée Le Net à l'accordéon, et le Chœur des Belous viennent renforcer la ZAD Song qu'ouvre Sylvain Giro : "Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous empruntons celle de nos enfants". Le premier disque s'achève avec un tendre et bel hommage à Val, Valérie Crinière qui nous manque cruellement, murmuré par la jeune Anna Mazaud.
Après les revendications anarchistes de The Words of Lucy Parsons, le comédien Frédéric Pierrot déclame La meilleure des polices de Mohamed Bourokba (La Rumeur), le jeune Léo Remke-Rochard slame de l'autre côté du miroir noir, le limousin Bernat Combi à son tour excitant occitan, Stokley toujours aussi Wonder, et les illustrateurs Zou, Laurent Lebot, Emre Ohrun, Florence Dupré la Tour, James, Val K, et toute la bande au groove impeccable, à la tchatche qui raconte comment le monde est et comment il pourrait être, sans la gabegie des profiteurs du Capital... J'oubliais : et un raton laveur ! What Matters Now est un disque dense d'un groupe qui danse, un pansement qui pense, une sentence qui fait sens...

→ Ursus Minor, What Matters Now, Hope Street, dist. L'autre distribution

vendredi 23 septembre 2016

Daniel Erdmann's Velvet Revolution


Après les disques et concerts du trio Das Kapital ne pourrait-on parler d'un all-star tant leurs prouesses isolées sont à la hauteur des espérances de leur ensemble ? À moins qu'ils ne s'agisse de divergences politiques annonçant la création de nouveaux partis ? J'ai maintes fois vanté celles du batteur tourangeau Edward Perraud avec qui j'ai eu souvent la chance de jouer en public et enregistré les albums Rêves et cauchemars et Anatomy. Il se pourrait bien qu'un jour ma route croise également celle du guitariste danois Hasse Poulsen, aussi incroyable en acoustique qu'en électrique, mais aujourd'hui c'est le saxophoniste allemand Daniel Erdmann avec son trio Velvet Revolution qui sort un album aussi beau, lyrique et romantique que ceux des deux autres, A Short Moment of Zero G.
Musique de chambre liée aux instruments utilisés, vibraphone pour Jim Hart, violon et alto pour Théo Ceccaldi et sax ténor pour Erdmann, les compositions du leader sont à la fois habitées, déterminées et délicates. Les lames assurant l'harmonie, les cordes la seconde voix, l'anche joue littéralement sur du velours avec les inflexions révolutionnaires auxquelles le sax aylerien nous a habitués, restes probables des fanfares d'Allemagne de l'Est dont les mélodies sont sur les lèvres. La langue d'Erdmann est celle du free, une musique tonale héroïque qui laisse à chaque musicien la liberté de s'exprimer et place l'auditeur en apesanteur. C'est tout bonnement magnifique.

Daniel Erdmann's Velvet Revolution, A Shift Moment of Zero G, CD BMC Records, sortie le 14 octobre 2016

vendredi 16 septembre 2016

André Minvielle, 1 time, extime


Avant de chroniquer 1time, le nouveau CD d'André Minvielle, j'ai longtemps cherché mes mots. J'aurais aimé écrire une chanson en bouts rimés pour lui rendre hommage, mais c'est trop de travail. Or j'ai déjà les miennes sur le feu, préparées pour un gros projet perso commencé il y a déjà six ans et que j'aimerais terminer l'année prochaine. Alors voilà, je passe et repasse l'album de Dédé sur la platine en me demandant comment l'aborder.
Ça commence par un Intime One Time forcément extime lorsqu'on l'offre au public en invitant le vieux compagnon Bernard Lubat au piano Fender, un tube nougaresque qui n'annonce pas la couleur tant l'éventail des chansons donne de l'air et des paroles à la chaleur du sud-ouest. Abdel Sefsaf scatte Le facteur d'accent d'une belle originalité, un enfant samplé joue aussi avec les mots en prenant L'ascenseur, le saxophone d'Illyes Ferfera africanise Sacré Eole, le trio de cuivres Journal Intime fait swinguer Le verbier, quantité d'invités formidables donc, avec aussi Fernand Nino Ferrer à la basse, Sylvain Marc à la guitare, Juliette Minvielle au piano, Georges Baux au clavier... Mais surtout il y a le peps de l'auteur, noteur, botteur, dotteur, docteur, moteur, roteur, sauteur, qui jongle avec les vers à faire bouger les jambes d'un cul-de-jatte ! Il improvise parfois, écrit et compose souvent, quand ce ne sont pas les musiques de Lubat, Marc Perrone, Richard Hertel, ou les paroles de Jacques Prévert ou André Benedetto. Il s'est fait construire une mainvielle à roue par Jacques Grandchamp, il éructe et percute, échantillonne des voix du cru et du cuit, ravivant les mythologies de France et de Navarre ou expérimentant pour révéler de nouveaux paradigmes, autant de représentations du monde cachées derrière les mots et portées par la musique de la langue. Héritier de Bobby Lapointe et Claude Nougaro, mélangeant jazz musette et funk occitan, Minvielle a inventé un scat à la française, blues râpé qu'il nomme vocalchimie. À l'ère de l'anthropocène qui menace nos existences, son nouvel album ne s'en laisse pas conter, il jouit de chaque jour qui naît pour en faire une fête... St Cop, brillez pour nous !

→ André Minvielle, 1 time, Complexe articole de déterritorialisation, dist.L'autre distribution, sortie le 23 septembre

jeudi 15 septembre 2016

"Changement de programme" sur WebSYNradio


Je suis perdu. Dominique Balaÿ me demande un programme pour WebSYNradio, sorte de carte blanche sous forme de playliste. Je suis submergé par les 138 heures d’inédits que Radio Drame diffuse aléatoirement sur mon site drame.org. Comment choisir ? Sur quels critères ? Je commence par sélectionner le premier morceau de chacun des 70 albums virtuels, libres en écoute et téléchargement. Trop long, beaucoup trop long, et totalement arbitraire. J’opte ensuite pour un autoportrait composé des pièces les plus intimes. À quoi bon si tout cela est déjà accessible sur drame.org ? Le cahier des charges est trop libre pour me fixer un cadre où la fiction rejoindrait le réel.
La solution à mes interrogations draconiennes apparaît soudain dans l’énoncé de mon incapacité. S’il me semble absurde d’extraire une liste courte des 900 pièces déjà offertes sur mon site, il me suffit de proposer une sélection d’œuvres qui n’y figurent pas ! Ma proposition consistera donc en une suite chronologique de plages de certains de mes disques dans l’ordre de leurs parutions, toutes inédites sur Internet. Comme ces albums sont presque tous en vente dans le commerce je n’en livre en général qu’un extrait pour appâter l’amateur de beaux objets, vinyles aux généreuses pochettes ou CD aux petits livrets illustrés.
Le corpus ainsi rassemblé dessine une histoire qui s’étale de 1975 à 1997, date à laquelle j’ai abandonné la production physique pour le virtuel. Elle commence avec Défense de, disque de Birgé Gorgé Shiroc devenu culte pour avoir figuré dans la Nurse With Wound List, et se termine avec Machiavel d’Un Drame Musical Instantané, collectif auquel je me consacrai pendant 32 ans.
Pour marquer la continuité avec l’époque actuelle j’ajoute néanmoins en prologue mon enregistrement le plus récent, soit la dernière pièce jouée en public au Silencio Club le 30 juin 2016, improvisée en duo avec la platiniste Amandine Casadamont sous le nom de groupe Harpon. Il manque cruellement mes collaborations avec tous ceux et celles qui participèrent à mes derniers albums, soit Vincent Segal, Antonin-Tri Hoang, Pascal Contet, Sophie Bernado, Linda Edsjö, Médéric Collignon, Julien Desprez, Birgitte Lyregaard, Bass Clef, Pierre Senges, Ève Risser, Joce Mienniel, Edward Perraud, Fanny Lasfargues, Sylvain Kassap, Nicolas Clauss, Alexandra Grimal, Ravi Shardja, Sacha Gattino, Yuko Oshima, Pascale Labbé Didier Petit, Étienne Brunet, Éric Échampard, Bumcello et bien d’autres antérieurement. Francis Gorgé qui quitta le Drame en 1992 et Bernard Vitet qui fut mon partenaire de 1976 à 2008 sont évidemment très présents dans la playliste composée pour WebSYNradio.
Changement de programme est à la fois un autoportrait en creux et un montage de scènes où les origines de ma musique sont explicites. Les évocations radiophoniques de mon enfance et mes études cinématographiques m’ont certainement plus influencé que l’Histoire de la musique, même si j’y ai plongé corps et âme, sans omettre aucune époque ni aucun continent. Musique à propos, cinéma pour aveugles, compositions interactives, mon travail appartient désormais aux auditeurs dont l’interprétation est la clef. Je souhaite surtout qu’ils se fassent leur propre cinéma !

→ Jean-Jacques Birgé, Changement de programme, 19 pièces de 1975 à 2016, en écoute sur WebSYNradio qui offre quantité d'autres contributions sonores...
À partir du jeudi 15 septembre à 20h jusqu’au 29 septembre 2016 même horaire.
Podcast direct, mais il vous manquera le détail de chaque pièce et les photos !

lundi 12 septembre 2016

Michèle Buirette chante ses Passions Swing


L'accordéoniste Michèle Buirette est espiègle. Elle chante sa passion pour le jazz musette des années 30 en collant des paroles modernes à ses tubes sautillants. Ses histoires légères qui volent au vent renvoient à une époque où l'optimisme révolutionnaire flirtait avec le bonheur de vivre. C'est dire si l'on aurait bien besoin de s'en inspirer en ces périodes troubles où la manipulation d'opinion, les réformes les plus réactionnaires et les replis communautaires filent le mouron à la population. Ses paroles coquines et amoureuses dissipent les humeurs maussades en nous entraînant dans la danse. Lorsqu'elle ne compose pas elle-même, ou avec le guitariste Max Robin qui tient le rôle de directeur artistique, Michèle Buirette attrape Gus Viseur (Jeannette), Tony Murena (Passion), Jo Privat (Rêve bohémien, La Zingara), Django Reinhardt (Swing 42, Tears, Douce Ambiance) ou Sonny Rollins (Valse hot) pour nous raconter de petites histoires drôles et tendres : La grande bouffe, La plus bath des nanas, Le hommes de ma vie, Été 68, Ton moi et mon moi, Une fille de la ville, Parfum de révolution, La boîte à frissons, Cheveux au vent, Jean et Jeanne... Les virtuoses qui l'entourent se sont plu à jouer le jeu : Hervé Legeay à la guitare, Moïra Montier-Dauriac à la contrebasse, Elisabeth Keledjian à la batterie, Linda Edsjö aux percussions, Lucien Alfonso au violon, Antonin-Tri Hoang à la clarinette et au sax alto. Dans le joli livret Jean Rochard a écrit un très beau texte qui rend hommage à ces valses printanières. C'est vraiment bath !

→ Michèle Buirette, Swing Passions, GRRR, dist. L'autre distribution, sortie le 23 septembre.

jeudi 8 septembre 2016

Jazz, planant ou évocateur ?


L'album Aegn de Marc Buronfosse a beau être marqué du sceau grec, enregistré sur l'île de Paros avec le trompettiste Andreas Polyzogopoulos et le claviériste Stéphane Tsapis, il flirte avec un jazz cosmique plus nordique que méditerranéen. Transe aussi envoûtante qu'entraînante, la musique du quintet survole des paysages naturels où l'électronique trace des couloirs aériens, soutenue par la rythmique du batteur Arnaud Biscay et Buronfosse qui a troqué sa contrebasse pour une Fender VI. La guitare électrique de Marc-Antoine Perrio accentue les tenues planantes qui ne perdent jamais de vue la pulsation.
J'ai eu un peu de mal à trouver le nom du bassiste Rex Horandu et du batteur Evan Jenkins du Neil Cowley Trio dont le moteur est le pianiste anglais. Ce sont pourtant ses acolytes habituels. De plus, le guitariste Leo Abrahams les rejoint sur l'album Spacebound Apes pour former un carré. Très écrite, la musique tire parfois sur le rock progressif, l'ambient ou la pop. Elle ne les atteint heureusement jamais, protégée par un concept original puisqu'il s'agit de la bande-son d'une nouvelle littéraire, Lincoln. Ainsi les ambiances sont extrêmement variées, mélodies minimalistes ou plages étales, mais les coups francs viennent toujours ponctuer l'action. L'électronique, comme pour le disque de Buronfosse, élargit la palette des instrumentistes. Là comme ici, le style s'échappe des sentiers formatés pour accoucher d'une musique au service d'un propos plutôt qu'elle ne flatte des egos bavards. Le livret ferait-il son come back ? Que ce soit en musique comme en danse, il serait en effet grand temps que les artistes s'inspirent d'autres formes d'expression que les leurs, et ce avec du solide !

→ Marc Buronfosse, Aegn, Abalone Productions, dist. L'autre distribution, 14,25€
→ Neil Cowley Trio, Spacebound Apes, autoproduction, sortie le 16 septembre, 12,85€

lundi 5 septembre 2016

Eisler Explosion

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Eisler Explosion, le nouvel album de Das Kapital, est à l'image du Feestlokaal Vooruit (Palais des Fêtes Vooruit), construit en 1913 par la coopérative socialiste à Gand en Belgique. Énorme pièce montée entre Art nouveau et Art déco, édifiée pour le plaisir et la gloire de la classe ouvrière, elle abrite plusieurs salles de spectacle. Pour fêter son 100e anniversaire, le producteur Wim Wabbles a passé commande à quatre compositeurs pour le Royal Symphonic Wind Orchestra Voorhuit d'après les œuvres d'Hanns Eisler et en aménageant des plages pour Das Kapital. Le trio guitare-sax-batterie a déjà à son actif deux formidables CD, Ballads & Barricades et Conflicts & Conclusions, où ils adaptent avec brio la musique du compositeur autrichien. Mélanger un trio amplifié avec un orchestre essentiellement d'harmonie n'est pas chose facile, mais l'ingénieur du son Michael Seminatore remporte une fois de plus son pari. Les moments où l'orchestre est absent produisent malgré tout une sorte de manque auquel palliait probablement son image et la présence du public médusé lors des deux concerts gantois. En 1989, avec Un Drame Musical Instantané, nous avions fait le même constat, mais dans le cadre du J'accuse de Zola nous avions martyrisé la Marseillaise (Contrefaçons, index 5) alors que le concert de cette Eisler Explosion se termina en fanfare par L'Internationale, hélas absente de l'album. Son compositeur, Pierre De Geyter, est lui-même natif de Gand, mais surtout la couleur aylerienne du saxophone de Daniel Erdmann se prête parfaitement aux hymnes héroïques !


La rencontre est donc ici forcément grandiose. Le batteur Edward Perraud souligne la dynamique de l'ensemble tandis que quatre percussionnistes enfoncent le clou quand ils ne font pas des pointes légères. Les envolées de Hasse Poulsen à la guitare figurent la contemporanéité de l'entreprise, seul timbre inhabituel de cet orchestre avec la contrebasse que l'on n'entendrait pas sans micro au milieu de la puissance de feu des 80 cuivres. Amateurs et professionnels s'y côtoient, dignes héritiers des fanfares socialistes, mettant tout leur cœur à honorer Hanns Eisler ainsi que les quatre compositeurs qui s'en inspirent. Erik Desimpelaere, Tim Garland, Stéphane Leach, Peter Vermeersch qui se succèdent tout au long des neuf pièces sont peut-être trop révérencieux face à Eisler tandis que le trio assume sa liberté même si elle est ici très surveillée. La modernité d'Eisler, mélange d'inventivité et de références populaires, apparaît ainsi moins évidente que dans les précédents albums de Das Kapital. Mais cela n'occulte nullement le feu d'artifice.

→ Das Kapital & Royal Symphonic Wind Orchestra Vooruit, Eisler Explosion, Das Kapital Records, dist. L'autre distribution, sortie le 23 septembre.

vendredi 2 septembre 2016

Magic Flutes


Si pour être de partout il faut être de quelque part, il n’en est pas moins vrai que les musiques traditionnelles partagent quantité de similarités de par le monde. En croisant leurs souffles, les flûtistes Jean-Luc Thomas et Ravichandra Kulur dressent un pont magique entre la Bretagne et l’Inde. En se faisant accompagner par le guitariste colombien Camilo Menjura et le percussionniste-tabliste Jérôme Kerihuel ils impriment définitivement l’étiquette Musiques du Monde à leurs créations originales.
En cette période noire de stigmatisations communautaires, leur ouverture d’esprit devient un mot d’ordre salutaire. On sent heureusement le style de chacun de ces deux virtuoses, Kulur aux flûtes Bansuri, Thomas à la traversière en bois, entraînés dans la danse par les rythmes de fête de nos continents à la dérive.
Les amateurs de festoù-noz, de tablas échevelés et de danses jusqu’au lever du jour devraient s’y retrouver avec le même entrain.

→ Jean-Luc Thomas - Ravichandra Kulur, Magic Flutes, Hisrustica, 16,50€