70 Musique - octobre 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 27 octobre 2016

Macha Gharibian entre Paris, New York et Erevan


J'avais quantité de raisons d'écouter le nouvel album de Macha Gharibian. D'abord pour avoir été impressionnée il y a quelques années lorsqu'elle chantait avec les Glotte-Trotters de Martina A. Catella en même temps que ma fille Elsa. Les "fils de" et les "filles de" sont parfois énervants, comme si il y avait une évidence aux familles de musiciens. Mais si l'on dit que les chiens ne font pas des chats, le piston ne fait pas grand chose quand il s'agit de la voix, parce qu'il faut avoir de l'oreille et que c'est beaucoup de travail, d'exigence et d'écoute envers celles et ceux qui les entourent. Dan, le papa de Macha est donc l'un des fondateurs du groupe Bratsch comme BabX est le fils de Martina, professeur géniale chez qui tant sont passés avec succès... À la contrebasse Théo Girard est le fils de Bruno Girard, un autre fondateur de Bratsch qui fut le violoniste du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané pendant quelques années... Aux saxophones soprano et ténor on retrouve Alexandra Grimal, la sœur de David, violoniste et fondateur des Dissonances, ça se complique si je commence à citer le reste de la famille... J'ai eu le plaisir d'enregistrer deux albums en duo avec Alexandra, Transformation et Récréation. Il n'y a pas non plus de loi ni d'évidence. Personne de ma famille n'avait de don pour la musique, sauf peut-être ma grand-mère maternelle, soprano dramatique amateur qui avait chanté sous la direction de Paul Paray, mais nous fuyions bêtement ses vocalises lorsque nous étions enfants...


Les arbres généalogiques sont bien anecdotiques face au talent de chacune et chacun. Pourtant, pour une arrière-petite-fille du génocide arménien (la grand-mère de ma compagne y a survécu miraculeusement), cela fait sens. Il est ici question de transmission, des voix que l'on n'a pas connues et que l'on ne doit pas oublier. Mais lorsqu'on a la vie devant soi, le passé importe moins que l'avenir ; et la terre dont on a hérité, il faut savoir l'entretenir. L'espoir nous fait avancer, parce qu'aucune bataille n'est jamais perdue, tant qu'il reste des combattants. La musique est une arme merveilleuse, surtout là, où elle est havre de paix et chant d'amour. Macha Gharibian, en plus d'avoir une belle voix grave, joue magnifiquement du piano. J'ai véritablement accroché à partir du troisième morceau, Let The World Re-Begin, peut-être parce qu'il me rappelle Linda Sharrock que j'avais enregistrée avec Wolfgang Puschnig pour Sarajevo Suite, juste avant de m'occuper de Musiques du Front pour le label Silex, l'album sur le Haut-Karabagh. Je me rends compte que depuis que je tape ces lignes je cherche des points de concordance, des ramifications, avec cet album chamarré, entre jazz et musiques du monde, entre orient et occident. Rien d'étonnant. Paris est à mi-chemin entre New York et Erevan. Les villes, qu'elle vous ait vue grandir, que vous l'ayez adoptée ou qu'elle vous inspire, dessinent des histoires où le quotidien rejoint le mythe. Et ces voyages initiatiques forment la jeunesse, sur la trace des anciens.
Macha est ce qu'on appelle une artiste complète. Elle écrit ses paroles, compose et chante en anglais et en arménien. D'ici à ce que j'apprenne qu'elle danse aussi bien, il n'y a pas loin ! J'adore particulièrement les arrangements jazz où sont aussi présents le trombone Mathias Mahler (Trio Journal Intime), les batteurs Fabrice Moreau ou Dré Pallemaerts, le guitariste David Potaux-Razel et le soprano-clarinettiste-flûtiste Tosha Vukmirovic, mais un souffle romantique habite autant les morceaux plus traditionnels que le piano modernise par son traitement ciselé, à la fois mélodique et rythmique, une sorte de ligne claire qui détoure les thèmes en faisant ressortir les couleurs.

→ Macha Gharibian, Trans Extended, CD Jazz Village, dist. Pias, 19,65€

lundi 24 octobre 2016

Koki Nakano et Vincent Segal, entre romantisme décomposé et minimalisme exubérant


Le jeune pianiste japonais de 28 ans Koki Nakano avait déjà écrit des pièces pour violoncelle et piano avant de composer pour Vincent Segal. À ses pièces il donne parfois le nom des lieux où il séjourne, manière de tenir son journal de voyage à travers une Europe dont il connaît bien la musique. On reconnaît ici ou là la musique classique française ou allemande, de même que son appétence pour le jazz et la pop lui permettent d'assimiler toutes ses influences dans son monde musical personnel. Certaines pièces sonnent plutôt classiques, d'autres répétitives. Sa diversité fait pourtant unité, entre romantisme décomposé et minimalisme exubérant. La virtuosité n'y cache jamais le lyrisme.


Vendredi soir Nakano et Segal jouaient dans le Grand Foyer du Théâtre du Châtelet dans le cadre du Festival Nø Førmat devant 200 spectateurs vernis. Les concerts acoustiques sans amplification permettent de jouir de la musique dans ses moindres nuances. Je ne comprends pas que des musiciens poussent les décibels comme on joue des muscles. Les systèmes de sonorisation rendent rarement grâce à la musique. Privilégier le volume, c'est sacrifier le timbre.
L'équilibre était parfait. Le pianiste retenait astucieusement le Fazioli et le violoncelliste, tournant les pages de sa partition sur iPad grâce à une pédale, voletait autour et zébrait l'espace avec une précision d'horloger.


Deux heures plus tard, le même soir, Vincent Segal et Ballaké Sissoko interprétaient leur Musique de nuit dans la grande salle bondée du Châtelet. Très légèrement amplifiés, la kora et le violoncelle résonnaient dans une intimité de proximité pour chacun et chacune quelle que soit sa place. Les deux musiciens se connaissent depuis si longtemps qu'ils peuvent improviser autour de leurs compositions, sans avoir besoin de partition, contrairement au concert de 18h où la mise en place rigoureuse des rythmes l'exigeait. Chaque fois le violoncelliste montrait que la musique est avant tout une histoire d'écoute et d'amitié, bien au delà du discours sur le franchissement des frontières musicales et culturelles.

→ Koki Nakano, Lift, CD Nø Førmat, 15€, dist. A+lso / Sony pour la France, IDOL pour le reste du monde
Sinon, le Pass annuel Nø Førmat de 50€ (ou 60€ en format vinyle) permet de recevoir tous les albums produits dans l'année, plus des invitations à des concerts privés, à des répétitions, à des rencontres avec les artistes...

vendredi 21 octobre 2016

Frank Zappa par lui-même et dans ses œuvres


Tandis que Eat That Question - Frank Zappa in His Own Words fait le tour des festivals, le film sort en Blu-Ray et DVD aux États Unis. Thorsten Schütte a travaillé pendant huit ans sur cette biographie cinématographique, probablement la meilleure réalisée sur Frank Zappa. Composé exclusivement d'entretiens avec l'artiste et d'extraits live, il évite l'écueil des témoignages hagiographiques qui plombent les documentaires du genre. Schütte a fait le tour des télévisions du monde entier pour dégoter des documents rares et il a finalement reçu l'appui de la famille, soit Gail, la veuve du compositeur disparue récemment, et leur fils Ahmet. Leurs filles Moon et Diva sont plus ou moins associées, mais Dweezil n'est toujours pas en odeur de sainteté malgré ou à cause de ses concerts-hommages à leur père, Zappa Plays Zappa, en tournée depuis dix ans. La partie familiale du reportage ne semble pas avoir été la plus agréable ni la plus aisée pour le réalisateur allemand !
J'ai beaucoup écrit sur celui qui déclencha ma vocation musicale en 1968 et dont je m'occuperai ensuite épisodiquement lors de ses premiers passages en France. Ayant laissé retomber cette passion pendant les années 80 pour m'emballer à nouveau sur les œuvres orchestrales de la fin de sa vie, je découvre avec plaisir et intérêt le parcours kaléidoscopique de mon héros de jeunesse. Peu de temps avant sa mort en 1993 d'un cancer de la prostate à 52 ans, Zappa avait accepté de dialoguer pendant trois jours par satellite et vidéo compressée avec le chanteur Robert Charlebois, filmé par mes soins, mais France 3 refusa le projet qu'elle ne trouvait pas assez commercial. On retrouvait le "no commercial potential" imprimé ironiquement sur nombre de ses pochettes ! Quelques mois plus tard, en tournage à Sarajevo pendant le siège pour la BBC, je m'écroulerai à l'annonce de son décès. Je n'ai jamais essayé de l'imiter musicalement, mais la variété de ses créations représente toujours pour moi un modèle de rigueur et d'inventivité.


Dans ce film, Frank Zappa affirme son rôle de compositeur dans toutes ses activités. S'il a toujours écrit de la "musique sérieuse" (indéfectible amour d'Edgard Varèse et son Ionisation), il n'était connu que pour ses chansons provocatrices. Il n'a commencé à écrire des paroles qu'à l'âge de 22 ans, se battant continuellement contre la censure qui lui reproche ses mots crus dont il revendique la justesse. Il est fier d'être américain (avec des réserves sur l'importance culturelle de son pays et la dénonciation de la dérive reaganienne vers une théocratie fasciste, mais sans comprendre la nature de la Fête de l'Huma et du communisme européen). Il n'a pratiquement jamais pris de drogues, mais l'abus de cigarettes, de café et de beurre de cacahuètes avec une hygiène alimentaire déplorable n'a pas été plus salutaire. Ses chansons satiriques sur les groupies soulignent la vie dissolue des tournées. Il hait les major compagnies du disque qui l'ont censuré, etc. Le puzzle, lié au montage d'archives, n'empêche pas sa musique et ses intentions d'être explicites, probablement grâce au respect de la chronologie. Détail insignifiant, mais important pour l'image, c'est la première fois que je comprends l'origine de la moustache qui camoufle un rictus près de la narine droite ! Pour la barbe je ne sais pas, je vais réécouter les disques...
Le film, coproduit par la France (Estelle Fialon des Films du Poisson) et l'Allemagne (Jochen Laube de UFA Fiction), a des chances de se retrouver sur Arte qui leur a emboîté le pas, mais il est aussi possible qu'il sorte bientôt dans les salles...

→ Thorsten Schütte, Eat That Question - Frank Zappa in His Own Words, Blu-Ray & DVD, Sony Pictures Home Entertainment, sous-titres anglais et français / sortie DVD française chez Blaq Out, coll. Out Loud, avec bonus originaux, le 2 mai 2017

mercredi 19 octobre 2016

Obsolete de Dashiell Hedayat, retour d'acide


En sortant du Souffle Continu où je venais d'acheter la réédition d'Obsolete, le disque rose de Dashiell Hedayat, je me suis demandé si l'écouter 45 ans plus tard me produirait des retours d'acide. La pilule ronde a bien goût de madeleine, sucrée comme le buvard minuscule que nous avalions telle une hostie psychédélique. La spirale m'aspirait vers le haut, transe rock de la tornade qui nous hypnotisait le samedi soir dans des coussins profonds. Nous avons écouté Chrysler rose encore et encore, même si je laissais toujours au moins trois mois entre deux trips. Attention, les produits d'antan n'ont rien à voir avec ceux mis sur le marché aujourd'hui, souvent frelatés ou trafiqués. L'herbe venait des Amériques, le kif du Maroc, la variété des haschs se savourait selon les différentes provenances, libanais rouge ou jaune, pakistanais, afghan, népalais noir veiné de blanc, cachemire, etc. J'ai arrêté de fumer essentiellement parce qu'avec le temps cela me fatigue, je ne suis plus bon à rien et le lendemain matin le soleil est pâlot.
La première fois que j'ai rencontré Melmoth, c'était son anniversaire. Il venait d'avoir 23 ans. Melmoth est un des nombreux pseudos de Daniel Théron, dit Jack-Alain Léger, dit Dashiell Hedayat, dit Ève Saint-Roch, dit Paul Smaïl. Les groupes Red Noise et les Crouille Marteaux accompagnaient le jeune écrivain sur la scène pendant que nous projetions notre premier light-show. Patrick Vian et Jean-Pierre Kalfon jouaient de la guitare électrique, Pierre Clémenti de la scie musicale. Nous étions au balcon avec nos projecteurs à diapos et d'autres qui faisaient éclater des bulles de couleurs sur les musiciens.
Sur Obsolete, Dashiell Hedayat chante accompagné par Daevid Allen (guitare), Didier Malherbe (sax et flûte), Christian Tritsch (basse, guitare), Pip Pyle (batterie), il joue de la chambre d'écho tandis qu'on entend ici ou là les voix de Gilli Smyth, William Burroughs, Sam Ellidge (le fils de Robert Wyatt a alors cinq ans !). C'est en fait le groupe Gong qui enregistrait alors comme lui au Château d'Hérouville en 1971. Chantal Darcy (du mythique label Shandar) et Bernard Lenoir avaient produit le disque en laissant à Dashiell Hedayat une totale liberté. Il tirait ce pseudo-là d'un mix entre l'auteur de polars américain Dashiell Hammett (Le faucon maltais) et celui du sublime La chouette aveugle, Sadegh Hedayat. En remontant par le Père Lachaise, nous sommes passés près de la tombe de l'Iranien dont une petite chouette stylisée orne la tombe dans l'enclos musulman. Ce con de Daniel Théron avait viré islamophobe à la fin de sa vie, mais il n'allait pas très bien. D'ailleurs dans Chrysler il chante que "les enfants ont écrit que Dashiell est un con". Dépressif, il a fini par se défenestrer de chez lui au 8ème étage, en 2013 à 66 ans.
Il n'empêche qu'Obsolete est un des grands disques de rock tout court, pas seulement de rock français. Plus proche des improvisations californiennes que des élucubrations anglaises ou australiennes. C'est un disque d'ivresse. Un truc d'ado qui découvre le monde. "Une Chrysler rose ! Le 7e ciel à travers la capote déchirée. J'ai une Chrysler rose tout au fond de la cour, elle ne peut plus rouler mais, c'est là que je fais l'amour..."

→ Dashiell Hedayat, Obsolete, Replica/Musea Records, 14€ au Souffle Continu

mardi 18 octobre 2016

À l'assaut de l'empire du disque


L'enquête de Stephen Witt, À l’assaut de l’empire du disque, est sous-titrée Quand toute une génération commet le même crime, mais l'histoire est plus complexe qu'elle n'y paraît, plus complexe même que le récit palpitant qu'en fait l'auteur. Au travers de trois portraits parallèles, le journaliste raconte par le menu comment une équipe allemande a inventé le mp3, comment des employés d'une usine de pressage de Caroline du Nord ont sorti 2000 CD en les piratant avant leur sortie officielle, comment le patron d'une des multinationales du disque (PDG d'Atlantic, Warner puis Universal, et actuellement Sony !) jouait de manière ambiguë avec les intérêts des producteurs... Le récit hyper détaillé ressemble à un polar, avec tous les détails indispensables pour qu'on s'y croit. Il faut néanmoins le considérer plus emblématique qu'exclusif, car il y eut certainement d'autres protagonistes que Karlheinz Brandenburg, Dell Glover et Doug Morris.
Brandenburg vit un parcours d'obstacles pour développer le format mp3 auquel personne ne croit, Glover cherche la manière de faire fuiter les CD malgré les mesures de sécurité, et Morris rappelle Richie Finestra, le héros inconséquent de Vinyl, le feuilleton de Martin Scorsese et Mick Jagger. La conjugaison de leurs efforts ouvrira la voie au piratage planétaire. Witt remonte la piste comme un détective privé et dévoile les conséquences de ce jeu de dominos qui s'écroule en même temps qu'il se construit. Les pseudonymes affublant les fichiers illicites trouvent leur explication, urgence des tagueurs qui mènent une course orgueilleuse pour être les premiers. L'enquête se focalise sur les best-sellers de la musique populaire américaine sans approcher les conséquences que tout cela va avoir sur l'ensemble de l'industrie du disque et sur les pratiques artistiques variées qui y sont rattachées. Lorsque le livre se referme on a beaucoup appris des vingt dernières années. Les verdicts sont tombés, mais comme pour les banquiers et les faux-monnayeurs, les escrocs et les bandits sont déjà ailleurs.

→ Stephen Witt, À l’assaut de l’empire du disque, 304 pages, Le Castor Astral, 24€, à paraître en novembre 2016

lundi 17 octobre 2016

Le White Desert Orchestra d'Ève Risser sonne en couleurs


Si Les deux versants se regardent est un des albums les plus enthousiasmants de l'automne, c'est d'abord parce qu'il ne répond à aucune attente, si ce n'est d'avoir assisté béat à la première du White Desert Orchestra en mars 2015. En choisissant le piano préparé, la soliste Ève Risser avait opté d'emblée pour un concept orchestral, sorte de grand gamelan occidental dont la richesse de timbres vient augmenter un instrument déjà réputé complet. En s'adjoignant huit des meilleurs instrumentistes de l'Hexagone (plus le trompettiste norvégien Elvind Lønning), la compositrice crée un orchestre solidaire où ses neuf compagnons, jeunes affranchis, peuvent s'exprimer librement, chose devenue rare dans les projets très écrits. L'ensemble sonne comme l'agrandissement photographique de ses précédentes expériences, projection 3D du piano sous la forme d'un orchestre "préparé", où les timbres incroyables de chaque musicien et musicienne semblent également avoir inspiré la pianiste pour les reproduire à l'orchestre : souffles crachés des clarinettes d'Antonin-Tri Hoang et des saxophones de Benjamin Dousteyssier, volutes des flûtes de Sylvaine Hélary, éructations du basson de Sophie Bernado, crépitements de la basse électroacoustique de Fanny Lasfargues, découpages tranchants de la guitare de Julien Desprez, grondements du trombone de Fidel Fourneyron, percussions graves ou scandées de Sylvain Darrifourcq, etc. Ici l'etcétéra fait sens, lorsque, transporté, l'on se moque de savoir qui fait quoi.


En soufflant le chaud et le froid des grands espaces qui l'ont fascinée, Ève Risser exalte la nature. La Terre ouvre ses entrailles pour laisser s'envoler quelques oiseaux de nuit. Le ciel laisse retomber les touches noires et blanches comme s'il pleuvait des grêlons accordés. Se perpétue inlassablement l'idée d'une projection du petit vers le grand, comme les ombres de la caverne platonicienne, avec ce que cela comporte d'interprétation. L'auditeur se fait son cinéma.


Sur le disque sont absents les 80 choristes, enfants et personnes âgées, de la première au Festival Banlieues Bleues à La Courneuve, question de budget évidemment, et d'implication pédagogique suivant les lieux de concert. À Annecy, le 22 novembre prochain, ils et elles seront 150 choristes ! En écoutant cet opéra instrumental, je n'ai pu m'empêcher de penser à Carla Bley, lorsqu'en 1971 je posai pour la première fois Escalator Over The Hill sur la platine. Ève Risser est de cette trempe, femme moderne qui joue de tous les accessoires à sa portée pour jouir du temps qui passe et s'approprier l'espace au-delà du territoire concédé.

→ Ève Risser White Desert Orchestra, Les deux versants se regardent, Clean Field, dist. Orkhêstra, sortie le 11 novembre 2016

jeudi 6 octobre 2016

Non je ne veux pas d'une civilisation comme celle-là

...
Avec Feu et Rythme qui l'a précédé de deux ans, mon disque de Colette Magny préféré est Répression, parce que ce fut par lui et la chanson éponyme que je découvris cette chanteuse extraordinaire qui allait accompagner nos luttes, parce que la suite des Black Panthers est composée par le pianiste François Tusques, qu'y figurent le trompettiste Bernard Vitet, les contrebassistes Beb Guérin et Barre Philips, le sax alto Juan Valoaz et le batteur Noël Mc Ghee, parce que Léon Francioli a composé la musique de Libérez les prisonniers politiques, que la pochette est signée Ernest Pignon-Ernest, et parce que Camarade Curé m'avait fortement surpris et impressionné.
45 ans plus tard, Pierre Prouvèze m'offre le disque du Chœur des prêtres basques GOGOR. À côté de Ez, Ez Dut Nai sur lequel Colette chante en re-recording, les autres morceaux sont aussi émouvants. Le 4 novembre 1968, devant l'absence de réponse du Pape à leur lettre de doléance sur l'attitude honteuse de l'Église au Pays Basque, soixante prêtres de la Biscaye décidèrent de s'enfermer au séminaire de Derio tant que Rome ne réagirait pas. Quelqu'un eut la bonne idée de les enregistrer pendant les 25 jours où ils étaient cernés par la police et accablés par la presse. Comme le texte intégral de leurs revendications reproduit sur le livret du CD est assez long, je cite seulement quelques vers de Colette qui résume leur position :
Camarade-curé, l'évêque t'a interdit d'exercer ton ministère
À la rigueur tu peux dire la messe,
mais surtout pas prêcher...
Et plus loin
"L'Église est coupable de l'oppression qui s'exerce sur les travailleurs,
Liée au pouvoir fasciste, militariste et capitaliste,
Elle jouit de privilèges dont le peuple est privé,
Nous la voulons pauvre du côté des pauvres et des opprimés,
Libre sur le plan du culte,
Dynamique, à l'avant-garde de la promotion humaine,
Qu'elle s'incarne dans l'Histoire, dans la marche et dans l'effort des travailleurs du pays basque..."


Je fus très proche de Colette Magny que j'allai voir dans sa campagne à Verfeye-sur-Seye dans le Tarn-et-Garonne. Nous avons enregistré ensemble Comedia dell'Amore en 1991 au sein d'Un Drame Musical Instantané, et tant Francis Gorgé que Bernard Vitet l'accompagnèrent dans ses récitals. Je me contentais d'improviser au piano avec elle ici et là. Avec Léo Ferré et quelques autres, douée d'une voix exceptionnelle, elle représenta pendant trente ans l'extrême-gauche par ses textes provocateurs et revendicatifs. Depuis sa disparition, il y a bientôt vingt ans, je pense souvent à elle.

→ Colette Magny, Répression / Pena Konga, CD Scalen'Disc
→ Go-Gor, Agorila, CD remasterisé en 2012

mardi 4 octobre 2016

La musique, éternel espéranto - 2


Hier j'écrivais : Il y a du revival dans l'air, mais ce retour aux sources s'expose sous les couleurs de la mixité. Puisque, depuis le free jazz, le rap, le reggae ou l'électro, aucune révolution musicale n'est sorti des haut-parleurs, c'est en mélangeant des ingrédients jusqu'alors étrangers les uns aux autres que la cuisine se renouvelle. Au lieu de défendre leurs prés carrés, les musiciens ont appris à s'écouter en allant voir ailleurs s'ils y sont. Ils ont découvert d'autres styles, d'autres modes de jeu, d'autres règles, d'autres accents. Nombreux ont compris que la musique est la forme rêvée et aboutie de l'espéranto...
Ainsi TOC, initiales du trio de Jérémie Ternoy (Fender Rhodes), Peter Orins (batterie), Ivann Cruz (guitare) s'est une fois de plus adjoint une ribambelle de camarades pour traduire leurs impressions en musique. Pour ce nouvel album, le vague alibi du jazz de la Nouvelle Orléans les rapprocherait plutôt de la transe de l'Art Ensemble de Chicago quand ceux-ci singeaient le rock avec souvent plus d'à propos que les originaux. Ils se débrouillent pour que les uns assurent une continuité dans la pulsation pendant que les autres jouent des riffs répétitifs sans ne jamais perdre de vue une certaine idée du free, la liberté de jouer ensemble. Le trompettiste Christian Pruvost, les saxophonistes Sakina Abdou (alto et soprano) et Jean-Baptiste Rubin (baryton et ténor), le tubiste et trombone Maxime Morel sont les derviches tourneurs de The Compulsive Brass. Si les références aux ancêtres Jelly Roll Morton et Kid Ory sont explicites, j'ignore d'où sortent certains sons d'apparence électronique dans les introductions. Pour le reste, c'est à vous flanquer le vertige : musique répétitive d'obédience jazz, pop-rock d'influence free, danses de cinglés communicatives, hurlements de joie sur rythmique à même la peau... En plus, vous avez le choix du support, car le collectif sort l'album en vinyle 12", CD digifile, téléchargements mp3, Flac HD 88,2 kHz/24bits. Si la prochaine fois vous pouviez écrire vos notes de pochette autrement qu'en pattes de mouche anorexique blanches sur fond beige, j'aurais encore des yeux en plus de mes oreilles !


TOC & The Compulsive Brass, Air Bump, Circum-Disc, dist. Allumés du Jazz / Musea / CDBaby

lundi 3 octobre 2016

La musique, éternel espéranto - 1


Il y a du revival dans l'air, mais ce retour aux sources s'expose sous les couleurs de la mixité. Puisque, depuis le free jazz, le rap, le reggae ou l'électro, aucune révolution musicale n'est sorti des haut-parleurs, c'est en mélangeant des ingrédients jusqu'alors étrangers les uns aux autres que la cuisine se renouvelle. Au lieu de défendre leurs prés carrés, les musiciens ont appris à s'écouter en allant voir ailleurs s'ils y sont. Ils ont découvert d'autres styles, d'autres modes de jeu, d'autres règles, d'autres accents. Nombreux ont compris que la musique est la forme rêvée et aboutie de l'espéranto...
Ainsi, le 7 février dernier, le pianiste Alexandre Saada convia 29 musiciens au Studio Ferber à Paris sans qu'aucun ne connaisse le nom des autres invités. Chacun/e était libre de jouer ce qui lui faisait envie. Comme ils et elles improvisaient totalement, il a appelé ce rassemblement We Free (qui fut aussi le nom d'un groupe de rock expérimental français à la fin des années 60) et il a découpé les meilleurs passages de ces cinq heures pour les coucher sur un CD. L'autodiscipline a si bien fonctionné que nous pouvons écouter de joyeuses et exubérantes compositions collectives instantanées. Le temps où l'improvisation était tragiquement devenu un style est définitivement révolu. On peut même danser sur ces élucubrations instrumentales d'où émergent les voix chantées. Il a donc fallu se conformer aux références en espérant que toutes et tous partageraient le goût du rythme, des riffs et de la tonalité. Si le résultat rappelle parfois Pharoah Sanders ou les grands ensembles d'Archie Shepp, c'est bien que cette soirée avait à la fois un caractère de fête, mystique de l'union et compréhension raisonnée de la véritable anarchie. N'ayant pas encore trouvé de lien vers l'album ailleurs que sur des sites marchands, je leur en veux de m'obliger à recopier leurs noms avec mes deux doigts. Étaient donc présents Sophie Alour, Julien Alour, Illya Amar, Philippe Baden Powell, Marc Berthoumieux, Martial Bort, Florent Briqué, Gilles Coquard, Larry Crockett, Alex Freiman, Macha Gharibian, Julien Herné, Olivier Hestin, Chris Jennings, Dominique Lemerle, Sébastien Llado, Olivier Louvel, Malia, Meta, Jocelyn Mienniel, Ichiro Onoe, Antoine Paganotti, Tony Paeleman, Bertrand Perrin, Laurent Robin, Clotilde Rullaud, Alexandre Saada, Olivier Temine, Tosha Vukmirovic. Alors pour la peine, la prochaine fois que vous vivez de telles agapes, invitez-moi à les partager !

→ Alexandre Saada, We Free, musique improvisée par The All Band, label Promise Land, dist. Socadisc