70 Musique - mai 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 30 mai 2017

Paolo Fresu & Uri Caine, nocturne pour trompette et piano


Plutôt enclin à rechercher des musiques qui se rapprochent du cinématographe, entendre que le cut prévaut au développement, ou que la variété des plans supplante les variations du thème, j'ai parfois besoin de calme, d'une tendresse que seule la nuit ou la musique savent produire, du moins certaines nuits et certaines musiques, lorsque la nuit n'est habitée que d'étoiles et que la musique m'y transporte sur un courant d'air. L'enregistrement live à Milan du duo formé par le trompettiste sarde Paolo Fresu et le pianiste américain Uri Caine est de toute évidence un nocturne. Après les albums Things en 2006 et Think en 2009, la complicité de près de 15 ans des deux musiciens continue de caresser les oreilles comme une brise légère.


L'influence de la musique classique que Uri Caine arrangea souvent (Mahler, Wagner, Bach, Schumann, Mozart, Vivaldi...) pour des orchestres à tendance jazz ne s'entend pas seulement ici sur le Menuet en sol mineur de Bach, le troisième mouvement de la première symphonie de Mahler ou La Travagliata, Sino Alla Lorte Mi Protesto, L'Amante Bugiardo de Barbara Strozzi, mais aussi dans les morceaux d'origine pop (Nature Boy d'Eden Ahbez, All I Want de Joni Mitchell, Give Peace A Chance de Lennon) ou jazz (I Loves You Porgy de Gershwin). Paolo Fresu se faufile entre les touches avec l'aisance d'un oiseau de nuit, passant parfois au bugle, encore plus velouté, ou électrifiant l'air en transformant le son avec ses effets électroniques. Je cherche vainement mes mots car la qualité de ce concert est justement de les faire oublier pour laisser la musique nous emporter vers l'éther dont aucun nom ne peut rendre son irréalité tangible.

→ Paolo Fresu & Uri Caine, Two Minuettos (Live in Milano), Tŭk Music (Sonodisc/IDOL), 20€, sortie le 30 juin 2017

vendredi 26 mai 2017

Défis de prononciation, nouvel album de Bernado Birgé Edsjö


Après avoir édité 5 vidéos du spectacle Défauts de prononciation, voici l'album rassemblant les 10 pièces improvisées le vendredi 12 mai au Triton, Les Lilas. Il s'intitule Défis de prononciation pour marquer la différence en assumant le pluriel : un défaut, des défis ! En lecture et téléchargement gratuits comme les 70 autres albums exclusivement disponibles en ligne sur le site du label GRRR, il réunit Sophie Bernado (voix, basson), Linda Edsjö (voix, vibraphone, batterie) et moi-même (clavier, Tenori-on, trompette à anche, guimbarde...).
Ces allitérations sont dans l'ordre où elles ont été jouées. Les deux dernières sont des propositions du public, respectivement Pépito Matéo et Jean Bonnefoy. Florian Tirot est l'ingénieur du son. J'en ai assuré le mixage le 18 mai, jour de sa mise en ligne sur le site drame.org. Ma photo de pétales de magnolia a été prise à Rueil-Malmaison.

#1 Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ?
#2 Flyg fula fluga och den fula flugan flög
#3 Peter Piper picked a peck of pickled peppers. If Peter Piper picked a peck of pickled peppers, where's the peck of pickled peppers Peter Piper picked?
#4 Tas de riz, tas de rats, tas de riz tentant, tas de rats tentés, tas de riz tentant tenta tas de rats tentés, tas de rats tentés tâta tas de riz tentant
#5 Ringeren i Ringe ringer ringere end ringeren ringer i Ringsted
#6 Sju sjösjuka sjömän sköttes av sju sköna sköterskor på skeppet Shanghai
#7 She sells seashells by the seashore. The shells she sells are surely seashells. So if she sells shells on the seashore, I'm sure she sells seashore shells
#8 Y a pas d'hélice hélas, c'est là qu'est l'os
#9 Six chats chauves assis sous six souches de sauge sèche
#10 Si six scies scient six cyprès, six cent six scies scieront six cent six cyprès

mardi 23 mai 2017

Dramaticules de Dominique Fonfrède et Françoise Toullec


Des borborygmes ? De la Ursonate de Kurt Schwitters au monologue surréaliste de Salvador Dali en passant par les poètes lettristes et le yaourt des rockers français, les langages inventés en réfléchissent l'essence au delà du sens. Pourtant, le passé de comédienne et le talent d'auteur de la chanteuse Dominique Fonfrède confèrent à ses élucubrations vocales une dramaturgie qui les transforme en saynètes tragicomiques proches de Tex Avery ou Samuel Beckett dont elle revendique ses "dramaticules". Les seize pièces du CD, improvisées et hautement préparées avec la pianiste Françoise Toullec, laissent à l'auditeur sa part d'interprétation, autant d'évocations d'une mécanique déréglée qui différencierait l'homme des autres espèces animales. Préparé, le piano l'est aussi, des gommes de Robbe-Grillet à un mikado fragment d'une chronologie du hasard, d'un balai d'apprenti-sorcier aux ficelles du métier qui sont évidemment dans ses cordes. La rencontre est virtuose. Le concert l'avait déjà prouvé. On se laisse prendre par le vertige quand Fonfrède déballe un extrait de l'Épopée de Grabinoulor du pré-surréaliste Pierre Albert-Birot. Pour faire passer leur originalité fondamentale, exercice acrobatique où l'humour permet de prendre ses distances avec le drame de l'existence, les deux musiciennes convoquent Jacques Tati, Francis Ponge, Bobby Lapointe, György Kurtag, Alain Louvier, Georges Simenon et le petit chaperon rouge. Mais ont-elles vraiment besoin d'aucun prétexte pour leur douce folie qui n'est autre que la lucidité des poètes ?

Dominique Fonfrède et Françoise Toullec, Dramaticules, CD Gazul Records, dist. Musea, 14,99€

vendredi 19 mai 2017

Chansons minimalistes de Musseau et Caron


J'ai tant écrit de louanges sur les auteurs-compositeurs-interprètes Élise Caron et Michel Musseau que l'envie de chroniquer les deux rééditions de la délicieuse divette et la nouveauté de mon clown triste préféré est une tentation qui tient de la gageure. L'un et l'autre soignent leurs mots comme des dresseurs de puces, une homéopathie où la dose minimale sauverait la vie des désespérés de la mélodie simple. Les amateurs d'Erik Satie y reconnaîtront leurs petits, pour l'humour grave et la légèreté des doses.
Récemment Élise Caron reprenait certaines des Chansons pour les petites oreilles et d'Eurydice Bis dans des adaptations Orchestrales commandées à plusieurs compositeurs dont Michel Musseau et accompagnée par l'ensemble de tango Las Malenas. Les premières datent de 2003, les secondes de 2006, millésimes que le label Le Triton exhume de sa cave où les meilleurs crus ont conservé leur bouquet. Christèle Chazelle au piano et Michel Musseau au piano jouet et à la scie musicale (encore lui ?! Probablement parce que je découvris Élise et Michel ensemble sous la direction du compositeur Luc Ferrari il y a tant de temps déjà) jouent à quatre pattes sur le premier ; le pianiste Denis Chouillet (un des autres arrangeurs des Orchestrales), les bassistes Sylvain Daniel ou Daniel Diaz, le clarinettiste Bruno Sanalone sont du second. La propre fille d'Élise, Gala Collette, a signé la conception graphique de l'un et l'autre.
La couverture de Petites histoires noires est par contre de Thierry Flamand. Michel Musseau, assis sur les boîtes aux lettres, regarde-t-il le fauteuil vide ou le tableau aussi noir que ses vies dépressives ? Mais l'art de ce Buster Keaton de la chanson française est si tendre qu'il donne envie d'en rire. Je regrette seulement que les a parte composés de quelques mots qu'il sert en scène pour présenter chaque chanson soit absents du disque. J'avais adoré le programme où il partageait la scène avec Élise et que j'avais chroniqué sous le titre Les mots de Musseau et les mets de Caron. Ces trois albums prolongent le plaisir ou permettent de découvrir deux artistes originaux, magnifiques fleurons de la chanson française dont l'humilité et la sincérité n'ont d'égales que l'esprit et la bonté.

mercredi 17 mai 2017

Cinq allitérations musicales par Bernado-Birgé-Edsjö (vidéos)


Mon incisive manquante m'avait donné l'idée du thème du concert de la semaine dernière au Triton, Défauts de prononciation. J'ai photographié mon plus beau sourire avec le vide intersidéral plongeant, mais c'était vraiment trop gore pour illustrer ce billet, déjà que je ferme les yeux à chaque opération de la série The Knick que je regarde ces soirs-ci. Clive Owen y est très bien dans le rôle du chirurgien junkie, et Steven Soderbergh a réalisé tous les épisodes, fait la lumière sous le pseudonyme de Peter Andrews et le montage sous celui de Mary Ann Bernard, encore un Shivaïste ! Le trou dentaire ne collait pas avec la délicatesse du concert de vendredi dernier. Nous avons donc virtuellement renfilé les doudounes de l'hiver 2015 et clic clac c'était déjà dans la boîte. Je passe récupérer le multipistes ce matin aux Lilas, mais en attendant j'ai monté les rushes que Françoise a tournés depuis le balcon...


La première allitération en ligne est Flyg fula fluga och den fula flugan flög (Envole-toi, mouche moche, et la mouche moche s'est envolée, 2'51). Le basson de Sophie Bernado répond à la voix de Linda Edsjö tandis que je joue du cristal au clavier. Le fait que la phrase soit suédoise convient évidemment parfaitement à Linda, native de Stockholm.


L'accent nordique de Linda et celui du sud de Sophie ont validé mon idée de prendre pour titres et thèmatiques des allitérations. La seconde ici est danoise. Oh miracle, Linda s'y entend aussi dans cette langue, d'autant qu'elle est diplômée de l'Académie Royale de Copenhague ! Sur Ringeren i Ringe ringer ringere end ringeren ringer i Ringsted (Le clocher de Ringe sonne moins bien que celui de Ringsted, 6'30) elle joue aussi du vibraphone et de la batterie. Sophie se contente de sa voix, elle qui est du Gers, le CNSM ne l'ayant pas formatée à l'accent pointu. Enfin, seul autodidacte de la bande, il est rare que je n'entende qu'un son, puisque je joue de plusieurs cloches au clavier, plus une touche de zoziaux printaniers.


Sju sjösjuka sjöman sköttes av sju sköna sköterskor på skeppet Shanghai (7 jolies infirmières se chargent de 7 marins qui ont le mal de mer sur le navire Shangaï, 6'36) ne se prononce pas du tout comme on pourrait le croire. Linda est encore à l'honneur pour essuyer les plâtres. Remarquez que j'ai réussi à taper le å avec son petit rond sur la tête, on dit "a rond en chef", en tenant alt-majuscule-§ sur mon Mac ! J'enchaîne le navire dans la tempête, le koto, le rythme des machines, une flûte tandis que Linda vocalise, vibraphonise et percute, Sophie se cramponnant à son grave instrument à anche double.


Nous avons aussi dialogué sur Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes / Peter Piper picked a peck of pickled peppers. If Peter Piper picked a peck of pickled peppers, where's the peck of pickled peppers Peter Piper picked? / Tas de riz, tas de rats, tas de riz tentant, tas de rats tentés, tas de riz tentant tenta tas de rats tentés, tas de rats tentés tâta tas de riz tentant / She sells seashells by the seashore. The shells she sells are surely seashells. So if she sells shells on the seashore, I'm sure she sells seashore shells, mais je n'avais pas matière cinématographique pour en réaliser un petit montage. Contentons-nous de Y a pas d'hélice hélas, c'est là qu'est l'os (6'06) issu du dialogue du film La grande vadrouille. Je joue de la trompette à anche et du clavier, Linda de la batterie et Sophie chante et passe au basson.


Comme nous avions épuisé notre répertoire au demeurant totalement improvisé, j'ai demandé si quelqu'un dans la salle pouvait nous proposer une de ces phrases vachardes que nous serions heureux d'exécuter aussitôt comme un dit d'un condamné. Avant que Jean Bonnefoy nous suggère Si six scies scient six cyprès, combien scient six cent six scies ? Si six scies scient six cyprès, six cent six scies scieront six cent six cyprès (7'05), Pépito Matéo, qui était probablement entré là parce qu'il avait vu de la lumière, nous propose Six chats chauves assis sous six souches de sauge sèche. Nous en fûmes très inspirés, même si à la maison nous n'en avons actuellement que cinq en comptant les trois chatons d'un mois qui seront appelés à voler de leurs propres ailes dès juillet prochain... Mes deux camarades miaulent ainsi un duo adéquat que j'accompagne au Tenori-on, avant que Linda ne passe au vibra et que je dégonfle ma baudruche... Pour terminer, l'ordinateur a travaillé toute la nuit pour que ces instantanés voient le jour.

samedi 13 mai 2017

Trois réactions au CD d'EL STRØM "Long Time No Sea"



Robert Wyatt : "Terrific CD" (10 mai 2017)

Louis-Julien Nicolaou (Les Inrocks, 12 mai 2017)
Les 10 albums de jazz français qu’il faut écouter d’urgence :
"La première impression est câline : petite boîte à musique et voix douce nous affirmant que la liberté existe, ce que nous sommes tout prêts à croire, comme à n’importe quel conte de l’enfance. Et puis, rapidement, ça se détraque et on décolle vers un territoire sans balises, hors-monde, traversé de transes obsédantes, d’étranges ruminations vocales et tripatouillages qui déconstruisent le sens, déroutent, égarent, ravissent. Le paysage s’élabore en collages et zigzags aléatoires et c’est toute une anarchie fantasque, drôle et vivante à laquelle nous invitent l’expérimentateur compulsif Jean-Jacques Birgé, la chanteuse Birgitte Lyregaard et le percussionniste Sacha Gattino. La musique si neuve d’El Strøm nous vient sans doute d’un lointain futur : la seule chose dont on est sûr, c’est qu’on ne s’y ennuie pas."

Jean Rochard (natomusic, 11 mai 2017) :
En 1844, Grandville, inimaginable illustrateur, publie Un autre monde (Transformations, visions, incarnations, ascensions, locomotions, explorations, pérégrinations, excursions, stations, cosmogonies, fantasmagories, rêveries, folâtreries, facéties, lubies, métamorphoses, zoomorphoses, lithomorphoses, métempsycoses, apothéoses et autres choses). Le déroulé complet du titre est celui du plus explicite des programmes ou plutôt des déprogrammes de la plus folle intériorisation à l'extérieur le plus absolu (l'imagination selon Will Spoor).
Dans une mise en scène d'Etienne Mineur, les illustrations d'Un autre monde ornent justement, 173 ans plus tard, le livret du premier album (physique comme on dit de nos jours) de El Strøm, trio constitué de Birgitte Lyregaard, Sacha Gattino et Jean-Jacques Birgé (également mixeur de l'enregistrement). Cela tombe bien, car le dessein d'Un autre monde et ses immanquables sous-titres est aussi celui de ce disque titré Long time no sea, jeu de mots entièrement associable à l'univers de Grandville.
Les trois camarades de luth, troubadours des impossibles, philosophes des tentations avides et joyeuses, en 9 stations, livrent et délivrent autant de formes, autant de détails chantés où le réel scruté n'a qu'à bien se tenir. Les à-coups sont tendres mais déterminés et les frontières facétieusement piétinées. C'est que l'accueil est l'une des multiples qualités des trois baladins. Leurs chansons sont effectivement des points hospitaliers pour qui cherche, des situations riches de petites énigmes pour mieux se libérer, "Approchez-vous même en dormant, délivrez-nous du contretemps" dit l'une des chansons. Qu'ils trifouillent la radio où vibrent de saveurs orientales, à l'évidence, les trois labadens turbulents s'entendent à merveille et cette joie d'être ensemble fait du bien.
Leurs chansons sont des fêtes taquines tintinnabulantes, des loupes qui ne craignent pas l'infiniment petit où tout se révèle ("C'est tout petit, ça veut dire loin, oui mais c'est grand quand tu t'approches"). L'évocation de "Lover Man", la chanson de Jimmy Davis, Ram Ramirez et James Sherman, écrite pour Billie Holiday, surprendra plaisamment en pareil territoire où c'est bien parce qu'il est interdit d'interdire qu'on a grande mémoire. Ah oui, El Strøm signifie "le courant" en danois, ça vous étonne ?

El Strøm, Long Time No Sea (Grrr 2029, dist. Orkhêstra)
→ À signaler également la très attendue réédition du classique Rideau ! de Un drame musical instantané par le label viennois Klanggalerie (Klanggalerie gg221)

vendredi 12 mai 2017

Défis de prononciation, ce soir 20h au Triton


D'abord ce n'est pas tous les jours vendredi, car je n'ai pas joué à Paris ou en région parisienne depuis le concert avec Bumcello il y a 15 mois qui avait fait salle comble, et aucun autre n'est encore programmé ! Concert exceptionnel à plus d'un titre donc, parce que nos "défauts de prononciation" sont si nombreux qu'on aurait dû appeler le spectacle "Défis de prononciation". Avec Sophie et Linda nous avons enregistré l'album Arlequin en 2015 (disponible en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org), mais nous n'avons jamais joué ensemble sur scène, et cette fois encore nous vous en ferons voir de toutes les couleurs...
Au menu, errare humanum est. En art, les erreurs font le style. Les machines en sont incapables, ne connaissant que le bug. D’une langue à une autre, nos défauts de prononciation alimentent les allitérations, sujets de nos improvisations. Nos accents tracent une ligne musicale de Auch à Stockholm traversant Les Lilas, longitude 2°25′14″ Est. D’Andromaque à La grande vadrouille, les serpents sifflent, la mouche moche s’envole, les rats tâtent du riz, Peter Piper picore des poivrons, elle vend des coquillages, les marins ont le mal de mer, les grosses cloches sonnent, y a pas d’hélice c’est là qu’est l’os…

Et puis on vous promet de tomber la veste avec l'arrivée du joli mai...

Défauts de prononciation, avec Sophie BERNADO (basson, voix), Linda EDSJÖ (vibraphone, percussion, voix), Jean-Jacques BIRGÉ (claviers, machines, archaïsmes), Le Triton, 11bis rue du coq français, 93260 Les Lilas, Métro Mairie des Lilas (ligne 11) - Vélib - Autolib - Porte des Lilas : Bus 61 - 96 - 105 - 115 - 129 - 170 - 249 - Tramway - Billetterie/Renseignements 01 49 72 83 13 - www.letriton.com - tarifs : voir flyer ci-dessus

mercredi 3 mai 2017

Dominique Lentin à l'heure du thé


Après la visite de Dominique Lentin, j'ai cherché dans mes archives des images de Dagon, le groupe qui réunissait Daniel Hoffman à la guitare, Fabien Poutignat à la flûte, Jean-Pierre Lentin à la basse et Dominique à la batterie, prises par Thierry Dehesdin lors d'un concert à la Fac Dauphine en 1971 auquel je participai. Les provocateurs patentés m'avaient déguisé avec un truc en plumes style Zizi Jeanmaire, mais j'avais heureusement apporté avec moi la robe de chambre en laine des Pyrénées de ma grand-mère et le béret rouge de ma petite sœur. Je manipulais des bandes magnétiques en direct et produisais des larsens avec un amplificateur de téléphone en approchant la ventouse du haut-parleur. Je ne me rappelle pas du reste, mais sur la photo j'aperçois un entonnoir qui avait peut-être appartenu au ministre Michel Debré. Philippe Graine, dit Sigismond Macchabée, faisait aussi partie de la troupe. Il est difficile de me souvenir de cette époque riche en rebondissements. La bande habitait encore chez leurs parents, près de la Tour Eiffel, et j'étais impressionné par le papa, Albert-Paul Lentin, journaliste anticolonialiste proche de Mehdi Ben Barka et fondateur de Politique Hebdo.


J'étais resté en contact avec Jean-Pierre lorsqu'il avait participé à la fondation du journal Actuel et de Radio Nova, et j'avais revu Dominique à l'enterrement de son frère il y a huit ans. Dominique a continué la batterie, en particulier avec les I et avec Ferdinand et les Philosophes. J'aime bien le CD qu'il m'a laissé, Best Before 04/04/44 avec Bruno Meillier au sax et Paed Conca à la basse. Il y a un fort cousinage avec ce que je fais, sauf qu'ils ont été assimilés au rock alors que j'ai plutôt, et probablement à tort, fréquenté les scènes de jazz. Aujourd'hui Bruno est notre distributeur de disques, Orkhêstra, et Dominique compose surtout pour le théâtre. Quant aux autres membres de Dagon... Je partage des points de vue politique avec Daniel sur FaceBook. À l'époque, j'étais un peu choqué que Fabien incarne le souffre-douleur du groupe qui l'avait surnommé Loupignat ; il a su s'en servir lorsqu'il a créé sa société de bijoux électroniques, Loupi. Sur la photo Jean-Pierre tient la place centrale, c'était l'intello de la bande, et l'on aperçoit au fond Daniel et derrière lui Dominique. Comme celui-ci n'a pas Internet chez lui, il me demande si je pourrais retrouver la trace de sa première petite amie, Marie-Reine, qui a épousé le bassiste des Flamin' Groovies et vit San Francisco. Le truc amusant c'est qu'elle fut quelques années plus tôt ma première petite amie aussi ! C'est grâce à elle que j'avais connu Dagon. J'ignore si ma démarche portera ses fruits, mais nous lui avons envoyé ensemble un message pour avoir de ses nouvelles. Dominique, qui est donc plus jeune que moi, est déjà grand-père de très grandes filles. Notre mémoire est forcément lacunaire. Internet la ravive parfois lorsque nos enquêtes portent leurs fruits.

mardi 2 mai 2017

"Rideau !" sonne comme une ouverture


Si tous les journalistes pouvaient être aussi consciencieux que Franpi Barriaux dans Citizen Jazz, mes matins ressembleraient à ce 1er mai (il est paru hier). Il fête un travail commencé dans les années 70 du siècle dernier, un travail quotidien, sans dimanche ni jour férié puisque tous ont le goût des vacances quand passion rime avec profession. On me dit que nous partagerions ce privilège avec seulement 5% de la population. Raison de plus pour désirer changer le monde et s'y employer, sans peur et sans reproche...


Avec Rideau !, c’est un sacré morceau d’histoire de la musique électronique francophone et de ses cousines improvisées (terme auquel Jean-Jacques Birgé, l’un des auteurs préférera celui de composition instantanée) qui voit le jour pour la première fois en CD. Paru en vinyle à l’orée des années 80, le second disque d’Un Drame Musical Instantané (UDMI) étonne par son témoignage sur la frénésie créative de cette décennie dans les expressions de marge et sa grande modernité. On pourra le constater notamment avec la vidéo en pied d’article : quelques mois après la mort du trompettiste et poly-instrumentiste Bernard Vitet, Birgé et son vieux compagnon Francis Gorgé reprenaient ce spectacle entourés de jeunes musiciens avec une impression de bonification, propre aux grands crus.
Le disque n’est pas que la photo d’une époque. Un morceau comme « Tunnel sous la Manche », théâtral sans être emphatique, révèle un propos très intemporel, marqué par la musique contemporaine et les racines zappaïennes de Birgé dans la plupart de ses prises de parole. Et pourtant… Le trio a toujours eu une démarche très proche de l’image, si ce n’est directement intégrée à celle-ci. Et dès les prémices de l’album, on plonge dans une ambiance de documentaire, voire dans un cinéma du réel qui marque sa sécularité sans s’y enfermer. Ainsi, dans « M’enfin », les sons captés dans le bar du coin où des travailleurs immigrés jouent au loto ponctuent une œuvre complexe et vivante. Elle est percluse de sons issus de nombreux claviers que l’on qualifierait aujourd’hui de vintage, de jeux étendus de guitare, de multiples cuivres et d’autres lutheries extravagantes. Cela donne l’impression d’un long travelling avant dans un monde regardé avec beaucoup de chaleur et d’empathie, émaillé de dialogues impulsifs et en un sens, romanesques.
UDMI s’appuie sur des musiciens iconoclastes et très complémentaires. Bernard Vitet brille dans « Rideau ! », où chacune de ses interventions est fougueuse et précise. Ce morceau, véritable happening enregistré live en juin 1980 au Forum des Halles, permet de ressentir le rôle explosif de la relation Birgé/Gorgé, encore vivace de nos jours. C’est un moteur à entropie, qui déborde d’idées sans partir dans toutes les directions et marque un album qui fait date. On retrouve par ailleurs ces duettistes dans le bien nommé Avant Toute paru en vinyle sur le label du Souffle Continu. Il met sur un magnifique support des archives qui datent de 74 et constitue autant une genèse des folies de l’UDMI qu’un incontestable jalon posé dans l’histoire de l’électronique hexagonale. Deux pièces indispensables aux discothèques honorables.

→ Un Drame Musical Instantané, Rideau !, avec Jean-Jacques Birgé (claviers, électronique, effets), Francis Gorgé (guitares), Bernard Vitet (trompettes), CD label Klang Galerie
→ Birgé Gorgé, Avant Toute, avec Jean-Jacques Birgé (synthétiseur ARP 2600), Francis Gorgé (guitares), vinyle label Souffle Continu