Un son est caractérisé par sa hauteur, sa durée, son timbre et son volume, mais sa place dans l'espace est le plus souvent négligée. La disposition des instruments d'un orchestre symphonique sur scène est une convention que Hector Berlioz remet en question dès 1831 dans Lélio ou le Retour à la vie. Dans cette suite à sa Symphonie fantastique qui marque une étape capitale dans l'histoire du théâtre musical, il joue du hors-champ (voir l'incroyable livret) comme en usera Charles Ives en 1906 dans La question sans réponse avant d'imaginer sa Symphonie de l'Univers où plusieurs orchestres sont disposés sur des collines adjacentes. Nombreux compositeurs contemporains s'en inspirèrent et avec Un Drame Musical Instantané, après la création de La rue, la musique et nous à Arcueil en 1979, je disposai des haut-parleurs dans les arbres du Parc della Rimembranza à Naples pour créer des espaces imaginaires. Cette "métamorphose critique d'un espace livré à l'illusion" me laissait espérer sonoriser totalement une ville, mais cette folie des grandeurs rencontra l'opposition frileuse des édiles ! L'opéra Nabaz'mob pour 100 lapins communicants conçu et réalisé en 2006 avec Antoine Schmitt prend toute sa dimension dans la disposition spatiale des 100 synthétiseurs-haut-parleurs-lumineux. La semaine dernière j'assistai ainsi à deux concerts dont la spatialisation est l'un des éléments déterminants...


À La Obra-X skill, galerie d'art à Bagnolet où se rencontrent nombreux chorégraphes, le guitariste Laurent Stoutzer avait invité le violoniste Régis Huby et le percussionniste Xavier Desandre Navarre à improviser avec les installations vidéo-sonores de David Coignard. Chaque spectateur, invité à se promener partout autour des musiciens, des sculptures et des écrans, pouvait réalisé son propre mixage, mais la plupart finissaient par choisir une place pour n'en plus bouger. C'était pourtant en s'approchant ou s'éloignant d'une enceinte que la scénographie d'Ondes sur Ombres prenait son sens tant l'atelier était spacieux et la musique dense. Coignard dirigeait ses machines depuis un ordinateur tandis que l'ingénieur du son suivait les trois musiciens transformant leurs émissions à l'aide d'une pléthore de pédales d'effets. Stoutzer jouait d'un continuum électrique, Huby descendait dans l'infra-grave, Desandre Navarre fictionnalisait l'ensemble avec quantité de petits objets délicats, de gros ressorts venaient marteler de pauvres haut-parleurs qui ne leur avaient rien fait. Nous y assistions plongés dans la musique et l'obscurité comme l'homme se noyant dans un moniteur-aquarium situé au centre du dispositif.


Après moult improvisations et déjà 15 ans d'existence, Nicolas Chedmail a commandé des œuvres à différents compositeurs pour son Spat'sonore, pieuvre instrumentale coiffant et encerclant le public dans une forêt de tubes et pavillons. Même la violoniste Amarylis Billet, la guitariste Christelle Séry et le percussionniste Roméo Monteiro peuvent aiguiller leurs sons en diverses directions grâce à d'astucieux bricolages de pédales et pistons dont bénéficient déjà les souffleurs Thomas Beaudelin, Philippe Bord, Maxime Morel, Joris Rühl et Nicolas Chedmail. À l'occasion de Portes Ouvertes à la Manufacture des Oeillets d'Ivry, le Spat'sonore interpréta donc Maelström de Karl Naegelen et Aux enfants sauvages de Frédéric Pattar, avec une chanson de pirates siciliens interprétée par Elsa Birgé en cerise sur le gâteau. Après une nouvelle version de l'improvisation Des madeleines dans la galaxie, les pièces de Naegelen et Pattar forçaient les Spatistes à fourbir leurs armes pour lutter contre l'inertie des dizaines de mètres de tuyaux que les sons doivent parcourir jusqu'aux oreilles des spectateurs médusés. Fermer les yeux sur l'étrange Meccano de tubes et pavillons vous téléporte vers une quatrième dimension dont le prologue à la chanson d'Elsa, devenue rockeuse au mégaphone, me sembla le plus hallucinant.