70 Musique - décembre 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 27 décembre 2017

Rap in Jazz


Il y a plus de trente ans nous avancions que les jazzmen auraient fait du rap s'ils avaient l'âge de leurs enfants. Au vu de la fréquentation des concerts, le jazz traditionnel, et j'y inclus le free, semble devenu une musique de vieux ou un phénomène nostalgique pour les jeunes. Sa modernité passe obligatoirement par une appropriation de toutes sortes de communautés musicales. Les jeunes jazzmen français les plus inventifs n'essaient plus de swinguer comme des Afro-Américains. Ils en ont hérité la liberté, l'improvisation individuelle et collective, l'expression personnelle, mais ils l'ont croisé avec leurs propres racines, cultures régionales, musique classique, rock, techno, etc. En France on continue à classer ces musiques libres sous la dénomination jazz, un qualificatif restrictif que détestaient aussi bien Miles Davis que Archie Shepp. À ce propos je publierai demain une enquête que j'avais réalisée en 1998 pour Jazz Magazine auprès de nombreux musiciens.
Mais revenons à l'actualité ! Vingt ans plus tard, dans le jazz il est devenu banal d'engager des rappeurs ou des slameurs à la place ou en plus des chanteurs. En 2003 le projet d'Ursus Minor avec Adda Dyer, Boots Riley, M1, Umi, D' de Kabal et Spike m'avait enthousiasmé. Depuis, Dem Atlas et Desdamona ont rejoint le quartet constitué de Tony Hymas, Grego Simmons, François Corneloup et Stokley Williams. Aujourd'hui je m'interroge sur le formatage esthétique des orateurs. Même en évitant les alexandrins, leurs prosodies obéissent à la scansion américanophile véhémente où un rythme prévisible prime sur les mélodies. Ceux ou celles qui reviennent au lyrisme glissent heureusement vers la soul. En 1972 Colette Magny posait déjà sa voix sur le free jazz de François Tusques pour sa suite sur les Black Panthers et elle swinguait inventivement sans perdre son authenticité.
Marc Nammour est présent sur les deux projets récents de l'ancien guitariste de Noir Désir, Serge Teyssot-Gay. Pour En milieu hostile du groupe Kit de Survie, il partage son flow avec l'Américain Mike Ladd qui vit à Paris, l'orchestre punchy intégrant le trompettiste-vocaliste Médéric Collignon, le sax ténor Akosh S. et le batteur Cyril Bilbeaud que l'on retrouve en duo sur Debout dans les cordages dans une adaptation du Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire. Leurs improvisations en duo sont plus libres que l'orchestre Kit de Survie dont le jazz sonne un peu années 70 ou 80 quand il fusionnait avec le rock. Il a aussi l'avantage de s'appuyer sur un texte précis et tranchant que l'on comprend. Lorsque l'on n'est pas un anglophone aguerri les paroles des rappeurs américains nous échappent hélas trop souvent et mériteraient d'être reproduits sur le livret. Mais, ici comme ailleurs, la déclamation des slameurs me semble formater la dramaturgie. Moins de véhémence pontifiante, plus de réserve, de nuances dans la théâtralité profiteraient grandement à l'immersion des auditeurs.
Mon propos choquera probablement celles et ceux qui acceptent cette uniformité, mais dès que l'un de ces virtuoses de la langue s'en échappe se révèlent des saynètes dramatiques qui nous font voyager. Je pense à David Lynch qui endosse un rôle différent pour chaque chanson de Crazy Clown Time, la transformant en un petit court-métrage. Ou encore à Brel dans son Olympia de 1964 où chaque geste quasi imperceptible est au service du texte. Qu'on me comprenne, j'aime ces disques, mais je reste sur ma faim, faim de non-recevoir le sens des mots par inadaptation du jeu vocal. Il faudrait conseiller des cours de théâtre à tous les chanteurs, les plus convaincants ayant toujours été de grands dramaturges.
Le titre Graft (la greffe) de l'album de Thiefs est explicite. Il propose des musiques variées et le ton des slameurs prend heureusement de temps en temps la tangente. Mike Ladd ici encore, Gaël Faye, ainsi que Guillermo E. Brown, Grey Santiago, Edgar Seklova, sont soutenus par les compositions du saxophoniste Christophe Panzani et du bassiste Keith Witt, avec le batteur David Frazier Jr. Le trio a invité le claviériste Aaron Parks pour leur fabriquer un écrin, sans craindre de mélanger les genres dans un melting pot seyant.
Par contre, si le saxophoniste David Murray invite le fameux Saul Williams pour son Blues for Memo, rien n'y change, ça sonne carrément pépère. Quand le turc Aytaç Doğan entre au qanûn je commence à entrevoir un chemin qui me sourit, mais il est trop court. Les amateurs de jazz du temps passé y trouveront certainement leur compte, mais pour moi le conte n'y est pas. J'ai besoin d'être transporté, que ce soit par une chanson ou un lied, un opéra ou une comédie musicale. Les paroles ont un sens, la musique doit aussi les vêtir d'un manteau qui les mette en valeur... On est loin de la diction de Sidney Poitier récitant Platon sur une musique de Fred Katz, de Burroughs ou Ginsberg dans les albums dirigés par Hal Willner, ou plus récemment du Mingus Erectus de Noël Balen. Dans un autre genre, l'adjonction du chanteur breton Lors Jouin à Mossy Ways d'Éric Le Lann est une idée formidable, ouvrant une porte au blues hexagonal, mais les instrumentaux très connotés banalisent le projet. Espérons que ces croisements et rencontres annoncent des voies nouvelles...

→ Kit de Survie, En milieu hostile, cd Intervalle Triton, dist. L'autre distribution, 11,99€
→ Zone Libre, Debout dans les cordages, cd Intervalle Triton, dist. L'autre distribution, 11,99€
→ Thiefs, Graft (la greffe), cd Jazz & People, sortie le 26 janvier 2018
→ David Murray feat. Saul Williams, Blues for Memo, cd Motéma Music, dist. Pias, sortie le 16 février 2018
→ Éric Le Lann, Mossy Ways, cd Musique à bord, dist. L'autre distribution, 12,97€

lundi 25 décembre 2017

Comment s'inventa l'art de la manipulation sonore


Antonin-Tri Hoang m'indique avec enthousiasme un petit fascicule de Juliette Volcler intitulé Contrôle (Comment s'inventa l'art de la manipulation sonore). Parallèlement à mes lectures romanesques, je venais de terminer la lecture de deux autres essais très différents, liés au phénomène sonore, le premier technologiquement économique, le second carrément cosmique.
Boulevard du Stream de Sophian Fanen reprend la saga du mp3 à l'endroit où À l'assaut de l'empire du disque de Stephen Witt l'avait laissée ; si les maisons de disques n'ont pas cru aux mutations d'usage qu'impliquait le mp3 dont se saisissaient les internautes, le streaming aura-t-il raison des uns et des autres ? Le verrou des DRM ou la répression de type Hadopi non seulement ne dissuadent pas les pirates à partager gratuitement la musique, ils les incitent même à braver les réponses imbéciles de l'industrie culturelle. L'enquête est minutieuse, peut-être trop, ne proposant pas de sortie de crise qui puisse convenir aux artistes, dindons de la farce laissés pour compte par les accords entre sociétés d'auteurs et fournisseurs de contenu.
L'harmonie secrète de l'univers de Jean-Philippe Uzan part de l'Antiquité pour s'interroger sur les liens que la musique entretient avec le cosmos. On espère entendre le chant des étoiles, mais ce ne sont que transpositions spéculatives puisqu'aucun son ne peut traverser l'éther, contrairement à la lumière. Les férus d'Histoire y trouveront matière noire à imaginer le cri du big bang, les mathématiciens se rappelleront que leur science fut jadis considérée comme un art, les musiciens continueront à composer la musique des sphères puisque les questions sont autrement plus inspirantes que les réponses.
Spécialisé dans les applications pratiques du phénomène sonore à tous les aspects de notre société, j'avais déjà lu Le son comme arme de Juliette Volcler. Il m'est d'ailleurs arrivé d'être indirectement sollicité par l'Armée, demande à laquelle je ne pus souscrire par déontologie personnelle, fidèle à ma réforme P5 ! La guerre est le troisième chapitre de son nouveau livre, Contrôle (Comment s'inventa l'art de la manipulation sonore), essentiellement axé sur les alertes et les leurres. Il existe évidemment bien d'autres manières d'utiliser le son à des fins guerrières ou policières et j'imagine que l'auteure, qui s'en est fait une spécialité, ne manquera pas de s'y pencher à l'avenir. Les deux précédents chapitres sont consacrés au théâtre et à l'industrie grâce au portrait étonnant du précurseur Harold Burris-Meyer, ingénieur et homme de théâtre, chercheur comportementaliste méconnu, épine dorsale de ce nouveau livre. Vu ma pratique, je n'apprends évidemment rien des simulations dramatiques que le son offre, ni de l'histoire de la société Muzak à l'origine de la musique d'ambiance, mais l'approche globale par Volcler des manipulations de masse est très intéressante, rappelant les travaux d'Edward Bernays, inventeur de la société de consommation et du marketing qui s'est appuyé sur les recherches de son oncle, Sigmund Freud ! Mon travail de designer sonore en milieu urbain ou mes sonorisations de grandes expositions m'ont permis d'arriver aux mêmes conclusions que Burris-Meyer sans le connaître, d'autant que j'ai pu appliquer mes théories à nombre d'événements, par exemple en réalisant l'étude du son du métro du Grand Paris ou en créant la partition sonore et musicale de l'exposition-spectacle Il était une fois la fête foraine à La Villette. Si vous êtes passionné par les illusions sonores au théâtre, la sonorisation mercantile ou les armes acoustiques, vous serez passionné par la lecture de cet ouvrage...

→ Juliette Volcler, Contrôle (Comment s'inventa l'art de la manipulation sonore), Ed. La Découverte, 14€ (11,99€ en version numérique)
→ Jean-Philippe Uzan, L'harmonie secrète de l'univers, Ed. La Ville Brûle, 20€
→ Sophian Fanen, Boulevard du Stream, Ed. Le Castor Astral, 20€

mercredi 20 décembre 2017

Heldon coffré


Le Souffle Continu tient imperturbablement sa ligne. Le label, qui a pignon sur rue en son renommé magasin de vinyles, continue à souffler sur les braises des années 70. Ses deux animateurs, Bernard et Théo, se sont pliés en quatre pour réaliser le luxueux coffret de trois 30cm, un 17cm et un livret de 20 pages joliment illustré. Célébrant les aventures du groupe français Heldon, il ravira les collectionneurs. Limité à 300 copies, l'objet rassemble les 5e, 6e et 7e albums remasterisés du groupe de Richard Pinhas enregistrés de 1976 à 1979. Les vinyles sont en couleurs monochromes transparentes jouant sur la pâleur alors que les disques vendus à l'unité sont carrément flashy. Le boîtier de la série complète est noir avec impression relief argentée. À une semaine de Noël l'objet fera bonne figure dans la hotte de celles et ceux qui cèdent à la folie consumériste de notre époque. Les spéculateurs et les maniaques se rueront même sur les test pressings habillés d'une jaquette marron anonyme, mais malicieusement numérotés. Tout est fait pour alimenter la légende. Dans les notes de pochette Philippe Robert rappelle astucieusement la chronologie des faits. On ne peut s'empêcher de sourire lorsque Pinhas évoque sa dépression de 1982 à 1992, combattue lors d'"une décennie sabbatique centrée sur la philosophie, le ski et le parapente". La vie est vraiment dure pour certains créateurs underground ! Si le guitariste, qui s'est entiché des synthétiseurs, a toujours convoqué Nietzsche, Lyotard ou Deleuze dont il fut l'élève à Vincennes d'un côté, et Norman Spinrad, Philip K. Dick, Maurice Dantec d'un autre, on cherchera en vain des traces de philosophie ou de science-fiction dans la musique. Son cousinage avec le krautrock allemand ne l'empêche pas de développer une sorte de rock industriel qui influencera trente ans plus tard les nostalgiques d'une époque où la liberté guidait la création dans tous les arts.


Un rêve sans conséquence spéciale voit se succéder un délire de guitare électrique, une accélération de vitesse percussive et deux boucles hypnotiques composées pour les adeptes de la défonce. Interface enchaîne des rythmes plus lourds mettant en valeur les autres musiciens, le batteur François Auger, déjà présent sur le précédent album, et Patrick Gauthier au Moog basse, la guitare distordue de Pinhas planant au-dessus des obstinatos. J'ai une préférence pour les compositions d'Auger dont l'orchestration est plus variée et la structure moins conventionnelle comme Bal-A-Fou rappelant Terry Riley. La référence revendiquée de façon récurrente à King Crimson ne me saute par contre pas aux oreilles. Les longues improvisations visent une transe qui flanque le vertige. Le silence au bout du microsillon est le même que celui qui faisait chavirer les musiciens après la coda finale. Stand By se construit sur une caricature de boléro avant de prendre heureusement la tangente. Au gré des plages et des années on aura noté la visite du bassiste Jannick Top ou du chanteur Klaus Blasquiz, ou encore l'arrivée du bassiste Didier Batard, Gauthier devenant soliste Moog. Je suis moins convaincu par le 17cm publié sous le pseudonyme Richard Dunn, à peine moins ringard que le tube Popcorn, premier succès populaire de musique électronique ! C'est ainsi que l'on se rend compte de l'importance du collectif, la complémentarité des individus s'agrégeant dans une entité solidaire où l'émulation tient lieu de fil directeur.

Heldon, 1976-1979, Le Souffle Continu, coffret 69€ - disque à l'unité (Un rêve sans conséquence spéciale, Interface, Stand By) 19,90€ - Test-pressings 25€

lundi 18 décembre 2017

Kurt Weill par Mike Zwerin avec Eric Dolphy conseillé par Robert Wyatt


Je reçois donc les disques méconnus conseillés par les uns et les autres... Le premier est Mack The Knife and other Berlin Theatre Songs of Kurt Weill arrangé et dirigé par Mike Zwerin pour le Sextet of Orchestra U.S.A., enregistré à New York en 2 sessions, le 10 janvier 1964 et le 1er juin 1965. À son propos Robert Wyatt m'écrivait : "Je placerais Kurt Weill entre George Gershwin et Leonard Bernstein, dans ce magnifique triumvirat d'auteurs de chansons inspirés par - et inspirant – les musiciens de jazz. Voilà qui garantit la qualité du matériel de base. Mais c’est pour moi un disque de Mike Zwerin, rempli d'idées harmoniques et rythmiques, rehaussé des solos de sa trompette basse. Il est joyeusement assis au milieu des autres musiciens, pas le moins du monde relégué dans l'ombre de gars comme Jerome Richardson, Thad Jones, Richard Davis et bien entendu l'éternel et électrique Eric Dolphy. Je ne me lasse jamais de ce disque et je suis surpris qu'il ne soit pas plus connu."
Vous avez bien lu ?! Alabama Song, Havana Song et As You Make Your Bed sont interprétés par Nick Travis à la trompette, Zwerin à la trompette basse, Dolphy au sax alto, à la clarinette basse et accessoirement à la flûte, John Lewis au piano, Richard Davis à la contrebasse et Connie Kay à la batterie. Malheureusement le diabète terrasse Dolphy à Berlin le 29 juin 1964 et l'ulcère de Nick Travis l'envoie le rejoindre le 7 octobre. Ils avaient respectivement 36 et 38 ans. Pour Mack The Knife, Bilbao Song, Barbara Song et Pirate Jenny, ils sont remplacés par le trompettiste Thad Jones et Jerome Richardson à l'alto et à la clarinette basse. Lewis cède aussi la place au guitariste Jimmy Raney. Le CD ajoute quelques prises alternatives.


Le Sextet of Orchestra U.S.A. est une émanation jazzy d'un ensemble de quarante musiciens fondé par John Lewis, directeur musical du Modern Jazz Quartet, capable de tout jouer, du baroque au contemporain, donc pas seulement du jazz ! C'est le premier orchestre de ce type. Quant au sextet, il ne s'est jamais produit sur scène. Le trombone Michael Zwerin arrangea les chansons de Kurt Weill en précisant qu'il ne s'agissait nullement de versions jazzy, mais d'un désir de transposer le style jazz des années 30 du compositeur allemand en quelque chose d'actuel, "comme si Weill avait modifié quelque peu ses harmonies après avoir écouté Duke Ellington !". Zwerin, connu pour ses chroniques au Village Voice, Rolling Stone, Down Beat et l’International Herald Tribune, signe un disque fondamentalement original qui sera suivi d'autres interprétations créatives par Marianne Faithful ou la compilation Lost In The Stars de Hal Willner avec Sting, Van Dyke Parks, John Zorn, Lou Reed, Carla Bley, Tom Waits, Elliott Sharp, Dagmar Krause, Todd Rundgren, Charlie Haden, etc. Sur cet album de studio où les musiciens doublent leurs instruments, Eric Dolphy y est étonnant, Zwerin passionnant à la trompette basse et tous les autres portés par ses arrangements inventifs.

→ The Sextet of Orchestra U.S.A., Mack The Knife and other Berlin Theatre Songs of Kurt Weill, cd RCA Victor/Legacy, 6,99€ !

mercredi 13 décembre 2017

Le Club des Animistes de Montreuil


Dans le cadre de la Semaine du Bizarre qu'organise chaque année le Théâtre Berthelot à Montreuil, Vincent Epplay et Ravi Shardja (Xavier Roux) jouaient hier soir en direct sur un montage d'archives cinématographiques montées par Stéphane Broc. De chaque côté de l'écran les deux musiciens opèrent sous l'œil torve de masques à plumes tandis que sont projetés d'étranges cérémonials où la musique est centrale. De la Manche au Pacifique les nuages protègent ces musiciens en herbe qui tapent sur les touches pour plaire aux vaches, soufflent dans des conques ou de longues trompes que le doublage sonore fait communier en un rituel sans âge. Même les chats s'en mêlent ! Vincent Epplay transforme le son synchrone des films et ajoute des nappes d'électrons tandis que Ravi Shardja joue à l'ancienne en anches, appeaux, dulcimer et sanxian. Le Club des Animistes qu'ils ont fondé nous plonge dans une messe profane dont les dieux se rient du formatage monothéiste aux mains des marchands. Nous sommes rentrés en voiture, mais les conducteurs autour de nous avaient de drôles de têtes...

vendredi 8 décembre 2017

Peemaï rafraîchit le molam lao aux couleurs du jazz


Inspirés par la musique de leurs ancêtres lao, les frères David et Alfred Vilayleck, respectivement guitariste et bassiste, ont enregistré un disque rappelant l'influence de la musique pop occidentale en Asie. Le décalage entre les continents produit des effets délicieux lorsque l'on écoute par exemple du rock thaï ou du rap lao. En s'adjoignant le saxophoniste Hugues Mayot, également au clavier, ils intègrent des soli coltraniens et le batteur Franck Vaillant encadre l'ensemble d'un rock progressif où les petites cymbales aiguës donnent une sonorité locale. En tournée au Laos et au Cambodge le groupe Peemaï (bonne année en lao) invitent à Ventiane les chanteurs Sisengchan Thipphavong et Vongdeuan Soundala et des musiciens qui donnent tout leur suc à l'album. Les percussions à clavier (khongvang, lanade) de Vilasay Laisoulivong et à vent (hautbois pi phouthaiy, orgue à bouche khên) de Odai Sengdavong, ainsi que leurs violons à deux cordes (sor) nous font voyager, transportés par les bruitages ajoutés, mobylette, foule ou sons de nature. Le molam, dont les Vilayleck s'inspirent est une sorte de blues rural longtemps méprisé, mais revenu récemment à la mode. En le peignant aux couleurs du jazz et du rock, Peemaï entérine sa ré-actualité.

Peemaï, cd Shreds Records, dist. L'autre distribution, 12,99€, et sur Qobuz, 7,99€

mardi 5 décembre 2017

Mon remix de Controlled Bleeding


Il y a exactement un an, Paul Lemos du groupe new-yorkais Controlled Bleeding me demandait d'enregistrer un remix d'un des titres de leur précédent album Larva Lumps and Baby Bumps. J'avais évoqué nos aventures communes dans les années 80 avec les compilations Dry Lungs auxquelles avait participé Un Drame Musical Instantané, et raconté comment j'avais composé ma propre version de Driving Through Darkness. Depuis, Paul m'a demandé d'intégrer le groupe pour leur prochain album. En attendant, est donc sorti Carving Songs, un double album vinyle et double CD avec une vingtaine de contributeurs dont Hélène Sage, Merzbow, Justin K. Broadrick (Godflesh), Monolake, Crowhurst, Ramleh, Child Bite, Weasel Walter (Lydia Lunch Retrovirus) !



Ce n'est pas tous les jours que je me remets au rock ! Voici donc ma participation à l'entreprise, intitulée Driving Through Darkness Lights Off. Mon interprétation fait référence aux trajets traumatisants que je devais faire chaque soir à Sarajevo pendant le siège de la ville martyre fin 1993. La camionnette filait tous feux éteints sur Sniper Allée pour ne pas être touchée par les balles des Tchetniks qui nous prenaient pour cible tandis que nous emportions à l'immeuble de la Télévision le film que j'avais réalisé dans la journée. Je tournais le matin, montais l'après-midi, mais il fallait encore l'envoyer chaque soir par satellite aux États Unis pour qu'il soit diffusé avant les actualités de 20 heures sur la BBC et dans les autres pays d'Europe. Le chauffeur, pied au plancher, donnait un petit coup de phares toutes les trente secondes pour s'assurer que nous étions bien sur la route. De cette équipée épouvantable j'ai tiré le film Le sniper qui a fait le tour du monde et j'espère toujours que la série complète de Sarajevo, a Street Under Siege sera un jour édité en DVD...