Le dernier album publié par Ayler Records est une des bonnes nouvelles du printemps. Mais de même que je dévore les modes d'emploi avant l'usage, je lis les livrets des disques en même temps que j'en découvre la musique. Le texte de présentation de Jericho Sinfonia de Christophe Monniot rédigé par Michel Petrossian est si élogieux que j'ai d'abord cru que c'était un gag de Monniot sous pseudonyme. Mais non, Petrossian existe, c'est un compositeur, et lorsqu'il avance que "Le disque que vous tenez entre les mains est une vraie nouveauté. Pas seulement à titre chronologique. Il s'agit d'une nouveauté au sens fort, au sens d'une rareté authentique. Ici Christophe Monniot tente et réussit ce qui fut peu tenté ces dernières années dans le monde du jazz. En quoi consiste cette singularité ? On peut évoquer trois aspects qui le caractérisent : un album concept, des matériaux très riches et la dimension spirituelle. Tout d'abord Jericho Sinfonia est une œuvre puissamment unifiée, porteuse d'un souffle et d'une cohérence interne inédits... ", il semble sérieux, d'autant que l'explication s'étale sur cinq pages du même acabit. Je me souviens avoir succombé moi-même à ce genre d'auto-promotion hagiographique à mes débuts, m'étant aperçu que nombreux journalistes recopiaient bêtement nos communiqués de presse. Le pire, c'est que cela marchait ! Aujourd'hui je n'oserais le faire que sous la bannière du canular. Il eut été plus juste de rappeler la longue liste des œuvres merveilleuses qui ont précédé cet oratorio savant et entraînant, de Sing Me a Song of Songmy de Freddie Hubbard avec Ilhan Mimaroğlu à toutes les pièces de Michael Mantler en passant par Escalator Over The Hill de Carla Bley, 200 Motels de Frank Zappa, Le trésor de la langue de René Lussier, Back On The Block de Quincy Jones, Welcome To The Voice de Steve Nieve, Mingus Erectus de Noël Balen, Buenaventura Durruti et tous les albums thématiques du label nato pour ne citer que les premiers qui me viennent à l'esprit.


C'eut été d'autant plus malin que l'album est formidable. J'adore ce genre de projet opératique. Mélange de voix enregistrées et d'arrangements pour le Grand Orchestre du Tricot, l'objet se rapproche d'une évocation radiophonique façon ACR sur l'énigme que représente l'effondrement des murailles de la ville de Jéricho. Le livret de Sylvie Gasteau repose sur un habile montage d'interrogations scientifiques et mystiques sur le phénomène hypothétique, mythe retranscrit dans l'Ancien Testament par le Livre de Josué. Si la parabole du mur renvoie explicitement à celui de Berlin, il rappelle plus terriblement l'existence de celui que l'État d'Israël a érigé contre les Palestiniens. Autant camper sur le terrain des espoirs actuels ! Les arrangements raffinés restent pourtant très jazz. Le texte d'accompagnement laissait entrevoir plus d'audace compositionnelle. La réussite de l'entreprise tient à l'équilibre entre les voix parlées et l'orchestre. Monniot, au soprano et à l'alto, est somptueusement accompagné par le pianiste Roberto Negro, les trompettistes Alan Regardin et Yoann Loustalot, les trombones Jean-Baptiste Lacou et Alexis Persigan, les saxophonistes Gabriel Lemaire et Quentin Biardeau, le guitariste Guillaume Aknine, le violoncelliste Valentin Ceccaldi, les batteurs Adrien Chennebault et Florian Satche, tous excellents. Le son d'ensemble est chaleureux, mais, malgré quelques percussions et cuivres enthousiastes, je doute qu'il fasse s'écrouler les murs de Jericho ! Par contre, il ravira les amateurs d'œuvres qui s'écoutent religieusement, appréciant chaque détail de ce bel édifice.

→ Christophe Monniot, Jericho Sinfonia, CD Ayler Records, dist. Orkhêstra, 17,50€