Je vais de découverte en découverte. Elles ne sont pas forcément récentes. Cela me rappelle une histoire corse que m'avait racontée Jean-André Fieschi, avec l'accent évidemment : un vieux de l'île avait abattu un couple de touristes anglais, geste franchement inexplicable ; comme la police l'interroge sur ses motivations, le vieux Corse répond que les Anglais sont responsables de la mort de Jeanne d'Arc ; les policiers surpris lui rappellent que c'était tout de même il y a des siècles de cela; le vieux s'exclame alors "peut-être, mais moi je l'ai su qu'hier !"...


La mienne est une histoire allemande. Le célèbre label de musique classique avait commandé à plusieurs compositeurs de musique électronique des remix d'œuvres du répertoire dirigées par Herbert von Karajan, leur fournissant par exemple des enregistrements de Shéhérazade de Rimsky-Korsakov, des Planètes de Holst (Mars), de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, de la Moldau de Smetana, de la 8e symphonie de Schubert (1er mouvement), des Tableaux d'une exposition de Mussorgsky (Gnomus arrangé par Remo Giazotto), l'Adagio prétendument d'Albinoni, des Hébrides de Mendelssohn-Bartholdy et du Lac des Cygnes de Tschaikowsky !
Mais Matthias Arfmann ajoute l'Ouverture du Hollandais Volant de Wagner et les Scènes d'enfants de Schumann (2005), Carl Craig & Moritz von Oswald le Boléro et la Rhapsodie espagnole de Ravel (2008), Max Richter s'attaque aux Quatre saisons de Vivaldi (2008), Matthew Herbert à la Xe symphonie de Mahler (2010). Quant à Jimi Tenor, il enchaîne Music For Mallet Instruments, Voices And Organ et Six Pianos de Steve Reich, Wing on Wing d'Esa-Pekka Salonen, Répons (Section 1) et Messagesquisse de Boulez, les Variations de Satie, Déserts et Ionisation de Varèse et le Concerto choral sans paroles à la mémoire d'Alexander Yurov de Georgi Sviridov (2006) ! À l'instar des DJ échantillonnant les musiques dont les majors auxquelles ils appartiennent ont les droits (ce qui laisse les indépendants bien démunis ou les transforme en pirates), le label allemand exploite ainsi son fond de commerce avec intelligence.


Je n'ai pas entendu les récentes Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach par Peter Gregson (2018), mais j'ai trouvé passionnantes les cinq autres adaptations sorties depuis quelques années.
Mon préféré est de très loin le travail du Finlandais Jimi Tenor, s'appropriant totalement ses aînés ou ses contemporains sans aucune retenue, dynamitant les originaux en leur superposant quantité d'instruments et de filtres. Reich est transformé en big band de jazz sur rythmique reggae, Salonen en exotica féérique, Boulez en electro funky, Varèse en bande-son d'un thriller, etc. J'adore, d'autant que cette renaissance du passé est cousine de mon prochain disque qui devrait faire suite à celui de mon Centenaire !


L'Américain de Detroit Carl Craig & le Berlinois Moritz von Oswald mettent en boucle Ravel et Moussorgsky pour composer une longue pièce répétitive hypnotique.


Le Hambourgeois Matthias Arfmann est le plus banal, technoïsant rythmiquement les classiques sans prendre de véritable distance, ce qui revient paradoxalement à une iconoclastie ringarde que les autres remixeurs ont su éviter.


Si Max Richter est le plus classique avec sa magnifique réinterprétation pour orchestre de 2012, il ajoute de nouveaux remix dans une version dite de luxe où il collabore en 2014 avec Daniel Hope et André de Ridder pour de reposants soundscapes répétitifs et bucoliques, avec en plus des remix forcément plus kitsch de Robot Koch, Fear of Tigers, NYPC...


L'Anglais Matthew Herbert réussit une sorte d'évocation radiophonique conceptuelle éclairant la partition inachevée de Mahler d'un jour totalement nouveau, ajoutant un violon alto enregistré sur la tombe du compositeur, diffusant la symphonie dans un cercueil plombé, ajoutant des petits oiseaux pris près de Toblach dans les Alpes italiennes où Mahler passait ses vacances d'été...


Toutes ces iconoclasties méritent d'être écoutées, car la distance entre le passé et le présent rend encore plus flagrante la relecture qu'avec les albums Remixed d'après Steve Reich ou Métamorphose, messe pour le temps présent d'après Pierre Henry et Michel Colombier dont les effets sont télécommandés. Ces recompositions racontent des siècles d'histoire de la musique en dressant d'innombrables ponts qu'il faut emprunter pour faire le voyage d'hier à aujourd'hui. À l'inverse elles nous interrogent sur la manière dont ces œuvres étaient perçues à une époque où elles étaient contemporaines.