Il y a 24 ans Corinne Léonet m'a proposé de produire avec elle un disque dont les bénéfices seraient consacrés "à la reconstruction de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Bosnie-Herzégovine à Sarajevo détruite par les bombardements serbes en août 1992. Près d'un million et demi de manuscrits, livres, incunables et périodiques avaient été anéantis par le feu, menaçant ainsi une partie de la mémoire collective des civilisations des Balkans." Je revenais de la ville martyre où j'avais participé à la réalisation de la série Chaque jour pour Sarajevo (Sarajevo: a Street Under Siege) et mon petit court métrage Le sniper était alors diffusé dans mille salles de cinéma en France. Corinne s'était engagée corps et âme dans une lutte "contre l'intolérance et le fascisme". Nous avions été mis en contact par Marie-Anne Roudeix que j'avais rencontrée grâce à Olivier Bernard, alors responsable de l'Action Culturelle à la Sacem. Je connaissais Corinne depuis longtemps, car elle avait été agente d'artistes que j'estimais, en particulier Didier Levallet avec qui elle avait fondée le label In & Out, et dix ans plus tôt nous avions été, avec d'autres, à l'origine du Japif (Jazz Action Paris Ile-de-France) dont elle avait été la secrétaire, et du CIJ (Centre d'Information du Jazz) dirigé par Pascal Anquetil qui plus tard intégrera l'IRMA... Corinne avait imaginé une œuvre de création collective avec des artistes qu'elle avait soigneusement choisis pour leur engagement politique : Lindsay Cooper et Phil Minton, Henri Texier, Wofgang Puschnig et Linda Sharrock, Willem Breuker, The Westbrook Trio, Pierre Charial, Louis Sclavis... À partir de là elle m'en confia la direction artistique dans une confiance absolue et réciproque, car elle se chargea d'absolument tout le reste, ce qui était colossal. De mon côté j'allai chercher Jane Birkin, Bulle Ogier, André Dussollier et Dee Dee Bridgewater qui enregistra en français une chanson que nous avons composée avec Bernard Vitet, accompagnée par le Quatuor Balanescu qui interpréta également notre quatuor à cordes Sniper Allée. Les paroles comme celles de tout le disque sont du grand poète bosniaque Abdulah Sidran également présent sur l'album. Il en était le ciment, le cadre imposé, la ligne directrice...



En réécoutant cette Prière de Sarajevo, je pense très fort à Corinne dont le cœur d'or a cessé de battre mercredi à 1 heure du matin, sans souffrance. Depuis trois mois elle avait beaucoup décliné et ne parlait plus du tout. L'album Sarajevo Suite que nous avons mené ensemble, comme un frère et une sœur, fut pour elle comme pour moi une de nos plus grandes fiertés, une réussite saluée par toute la presse. Tous les protagonistes, musiciens, comédiens, directeurs artistiques, producteurs, ingénieurs du son, propriétaires de studios à Paris, Londres et Sarajevo, photographes, graphistes, photograveurs, etc. avaient accepté d'y participer bénévolement. Thomas Bloch, Dean Broderick, Gérard Siracusa, Brian Abrahams et Ademir Kenovic (sur répondeur) avaient rejoint Lindsay. C'était la première fois que Sébastien Texier jouait avec son père et avec eux Bojan Z, Noël Akchoté, Tony Rabeson. Carol Robinson, Michel Godard, Emil Krištof épaulaient Puschnig et Linda. Breuker avait envoyé un surprenant montage électro-acoustique. Chris Briscoe, Bruno Chevillon, Michèle Buirette étaient aussi de la partie. Richard Hayon nous avait donné ses sons enregistrés là-bas. Pendant six mois nous avons travaillé d'arrache-pied. Le disque est sorti chez L'Empreinte Digitale avec le soutien de Catherine Peillon et Benoît Thibergien qui m'a demandé d'en faire une adaptation pour la scène. Nous étions une vingtaine au Cargo en 1994 avec Claude Piéplu comme récitant !


Après cette fantastique aventure, Corinne a monté la Maroquinerie à Paris, elle s'est rapprochée des Gnawas du Maroc, nous nous sommes perdus de vue... Mais j'ai conservé une très grande tendresse pour cette femme exceptionnelle, dévouée, entreprenante, d'une rigueur morale à toute épreuve, avec qui j'ai réalisé une des plus belles choses de ma vie.
Une petite célébration est organisée mercredi 7 novembre à 14h30 à l'église Saint-Merry, 76 rue de la Verrerie (angle rue Saint Martin) à Paris. Je ne serai hélas pas là, en route pour Avignon où se tiennent les Rencontres des Allumés, une initiative qui aurait plu à notre très très chère amie.