70 Musique - mai 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 31 mai 2019

Quand la musique prend son temps


Quand la musique prend son temps. Le temps de goûter chaque note, chaque accord, le temps de préparer les oreilles à l’écoute. Lenteur et délicatesse. Jozef Dumoulin assura la première partie du quartet Slow avec la plus grande tendresse sans craindre les dissonances soudaines. Les murmures arpégés de l’intro identifient le silence (nous sommes dans celui du Studio de l'Ermitage) et l'impose au public. Une forêt de pédales est posée sur le coffre de son Fender Rhodes et forme carrelage à ses pieds. Le comédien Denis Lavant, rencontré avec Nicolas Clauss qui en avait fait son portrait mouvant, me demande comment on appelle cette musique ? Il s’est lui-même déjà produit avec le percussionniste Laurent Paris qu’on entendra en seconde partie. Si la question est banale, la réponse l’est tout autant. Expérimentale ? Electro ? Aujourd'hui les étiquettes valsent plus que jamais.


La musique du projet Slow est plus évidemment jazz, mais la lenteur des tempi lui donne une allure d’éternité. Il y a longtemps que je n’avais pas entendu un aussi beau timbre de trompette ou de bugle, le son rond de Yoann Loustalot me rappelant celui de mon camarade Bernard Vitet, a fortiori celui de Miles ! Ceux des trois autres sont aussi veloutés, Éric Surmenian en pizz ou à l’archet, Julien Touery frôlant les touches du piano, Laurent Paris variant ses timbres malgré une batterie réduite à une grosse caisse posée horizontalement sur pieds, une caisse claire et quelques cymbales. L’évidence des thèmes mélodiques est surprenante. À mon goût, j'aimerais juste un peu plus de grincements sur peau ou métal, Paris s'y entendant à merveille pour en varier les formes et les couleurs. ..


À l'entr'acte je croise le violoniste Lucien Alfonso qui organise ce vendredi soir la soirée du label Wopela sur la Péniche Anako. De 20h à minuit s'y succéderont Giuoco Piano, la Cosmologie de la Poire, Odeia (dont Elsa est la chanteuse) et Monsieur Lulu.

lundi 27 mai 2019

Azeotropes, collectif festif


Si Loris Binot en est le chef d'orchestre, Azeotropes est un collectif de musiciens capables de transmettre leur joie de vivre en jouant ensemble un mélange de ses compositions et improvisations. Fanfare grand luxe avec cordes, guitare et accordéon, cet orphéon mêle toutes les musiques qui ont passionné Binot depuis plus de trente ans, du rock au jazz en passant par les musiques contemporaines et le mode festif, tout en en proposant une relecture personnelle privilégiant le son d'ensemble tout en offrant aux solistes de belles plages d'eau turquoise. Il y a évidemment un petit côté zappien dans cette explosion de rythmes et de timbres, ce qui n'est pas fait pour me déplaire tant que ça prend la tangente ! Azeotropes en prend tant qu'on dirait une roue de vélo dont les rayons seraient passés de l'autre côté du pneu, autant dire un soleil ! Le disque commence par un pétage de piano préparé en bonne et due forme, mais très vite rejoint par le trompettiste Joseph Ramacci, l'altiste Antoine Arlot, le ténor Christophe Castel, le batteur Michel Deltruc, la violoniste alto Annabelle Dodane, le contrebassiste Louis-Michel Marion, la violoniste Madeleine Lefebvre, le guitariste Denis Jarosinski et l'accordéoniste Emilie Škrijelj. Loris Binot joue donc du piano ainsi que du Fender Rhodes et du Moog. Ce genre de projet sympathique fête bien le printemps en offrant aux petites fleurs d'ouvrir leurs corolles.

Azeotropes, cd CCAM

vendredi 24 mai 2019

Tant de bons disques et si peu d'espace


Il y a tant de bons disques que j'aimerais évoquer, mais sans un angle personnel pour les aborder je reste incapable d'écrire. Je souhaiterais faire plaisir à leurs auteurs en trouvant les mots, mais je suis ailleurs, dans leurs sons ou dans l'espace où ils s'écoulent les uns après les autres, décor sonore de mon quotidien ou écoute attentive comme lorsque l'on est au cinéma. Les rubriques musicales de la presse disparaissent les unes après les autres. Le milieu est sinistré. Dans les îlots de résistance le salaire des piges est pitoyable, cinq euros pour une chronique de disque dans un journal de jazz qui a pignon sur rue, vous le croyez, ça ? Avec quelques journalistes pugnaces qui d'ailleurs jouent, comme moi, le rôle de vigies, les blogueurs sont les derniers remparts contre l'anonymat du flux et les blockbusters kleenex. Avec Louis-Julien Nicolaou à Télérama, Jacques Denis à Libération, Franpi Barriaux sur Citizen Jazz et quelques autres qui m'en voudront de ne pas les citer, nous sommes souvent les premiers à souligner l'intérêt de tel ou tel album, à nous enflammer... Ces trois-là sont hebdomadaires et proches de mes goûts en général. Quotidien, sans rédaction en chef ni ligne éditoriale imposée, je peux réagir au jour le jour. Mais là je sèche et cela me rend triste. Aucun de nous fait vendre. Aucun artiste ne vend plus de disques, si ce n'est à la fin des concerts, à condition que ce soit le même répertoire. Par contre, cela remplit un dossier de presse qui pourra convaincre un organisateur ou simplement fait chaud au cœur si le chroniqueur est séduit. Par exemple, la couverture médiatique de mon Centenaire m'a identifié comme compositeur auprès de quelques jeunes musiciens qui me prenaient pour un journaliste, et elle m'a aidé à traverser un moment difficile de ma vie, de ma vie de centenaire, s'entend !
J'aurais tant aimé vous parler de la fougue du violoncelliste Matthias Bartolomey et du violoniste Klemens Bittmann pour leur Dynamo chez ACT ou de la délicatesse inventive des Episodes de Spring Roll chez Clean Feed avec la flûtiste Sylvaine Hélary, le ténor Hugues Mayot, les deux pianistes Antonin Rayon et Kris Davis, le percussionniste Sylvain Lemêtre. De même l'électro funk puissant de Seb El Zin sur BZZ Records, le swing très lent et tendre de Slow par le trompettiste Yoann Loustalot, le pianiste Julien Touéry, le contrebassiste Éric Surménian et le batteur Laurent Paris sur le label Bruit Chic, ou celui de Kepler avec le pianiste Maxime Sanchez, les ténors Adrien Sanchez et Julien Pontvianne sur Onze Heures Onze, ou encore en un peu plus énervé The Lost Animals d'Oxyd avec le pianiste Alexandre Herer, le trompettiste Olivier Laisney, le bassiste Olivier Gabriele, la batteur Thibaut Perriard et à nouveau le ténor Julien Pontvianne sur le même label, mais aussi le rock essentiel de Massif Occidental par le duo Hyperculte sur Bongo Joe, le jazz puissant flirtant avec le rock de Frizione du ténor Romano Pratesi avec le tromboniste Glenn Ferris, le guitariste Hasse Poulsen, le pianiste Stéphan Oliva, le contrebassiste Claude Tchamitchian, le batteur Christophe Marguet, autant dire un all stars, sur Das Kapital, et pour terminer le dernier album du poète Steve Dalachinsky avec The Snobs, superbe Pretty In The Morning sur Bisou Records... Peut-être reviendrai-je sur l'un d'eux si je trouve une manière d'en parler qui me soit propre. Ou bien aucun d'eux, pourtant tous excellents, ne m'évoque la révolution après laquelle je cours sans cesse. Rares sont les artistes dont je surveille les sorties comme je le faisais avec Scott Walker, qui, le lâcheur, vient de mourir et ne m'offrira plus ce plaisir. Combien sont-ils ceux que je diffuse en boucle sur la platine jusqu'à l'invasion totale de mon univers spatio-temporel ? Que cela ne vous retienne pas ! Tous ceux que j'ai cités méritent qu'on s'y arrête et qu'on s'en délecte. Ce n'est pour moi qu'une question d'identification. Ma plus récente émotion, je l'ai ressentie sur Internet en découvrant le travail orchestral de Jonathan Pontier...

mardi 21 mai 2019

La révolte des carrés


Comme promis, l'album La révolte des carrés est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org ! C'est le 78e album à paraître exclusivement en ligne sur le site du label GRRR qui totalise 1025 pièces. Sur la page d'accueil la radio aléatoire diffuse ainsi 153 heures de musique inédite, parallèlement à une trentaine de disques physiques que l'on peut acquérir en fouillant dans son porte-feuilles ou simplement découvrir sur Bandcamp. La liste de toutes celles et tous ceux à qui je dois près de 50 ans de bonheur en musique est sur la page Crédits du site, mais cette fois-ci c'est au tour du guitariste Hasse Poulsen et du percussionniste Wassim Halal de faire la une avec un album de free rock zarbi inattendu.
En proposant son titre à l'album rassemblant 13 portraits de révolutionnaires improvisés le 13 mai dernier pour fêter un autre lundi 13 mai, celui de 1968, qui fut ma seconde grande manifestation et qui marqua l'unification de la lutte entre les étudiants et les travailleurs, Wassim a mimé un carré qui avance en se déhanchant. Hasse et moi cherchions quelque chose de plus prosaïque, mais tous ceux que nous avancions sonnaient velléitaires : Pour un 13 mai révolutionnaire, Figures de la révolution, Portraits de famille, Le poing levé, Révolution tentation et perpétuation, (Les) enfants des fleurs, Mai 68-19, Dans la famille Fleurs la révolution…, Révolus scions, Sans fleurs ni couronnes, 100 fleurs ni couronnes, etc. Vraiment trop ringards ! Le 13 mai 1940 Churchill a prononcé son Blood, Sweat and Tears, le 13 mai 1958 fut mis en place le comité de salut public en Algérie, celui de 68, et puis, coup de chance, de journée internationale officielle répertoriée pour cette date ! Et puis Wassim a lancé "La révolte des carrés" en faisant le pitre et nous l'avons tous instantanément adopté. Quelques jours plus tard j'ai trouvé une image de carrés bringuebalants dans les lumières mouvantes d'Anne-Sarah Le Meur. Ce rouge à venir remue ciel et terre et fait bouger mes lignes. Tout le monde sait que j'aime les couleurs vives, comme les émotions vives, enfin... Tout ce qui est vif !


Hasse est arrivé un tout petit peu en retard, parce que le matin-même il a composé une chanson de circonstance, This Is Always The First Time ! Oui, ce doit être toujours la première fois. Pour les artistes comme pour les amoureux. Paradoxalement, Bernard Vitet me conseillait de toujours jouer comme si c'était la dernière. La première et la dernière se confondent. Je déteste refaire deux fois le même tour et je veux chaque matin reprendre tout à zéro. Voir la vie avec un œil neuf. C'est ce qui arrive lorsqu'on est amoureux. On peut l'être d'une personne, de la vie, de la musique ou de bien des choses. La ville semble alors éclairée de couleurs inédites, on a la tête à l'envers, on ne contrôle plus rien, guidé par une force sublime qui nous transporte. L'ici devient l'ailleurs. J'ai souvent cette sensation lorsque j'organise les sons, composition préalable ou instantanée, action directe du jeu, révélation de l'écoute... Dans Les Demoiselles de Rochefort, une fille dit à Gene Kelly "Vous avez de la chance !", et lui de lui répondre :"Je fais ce que je peux !"...

→ Birgé Halal Poulsen, La révolte des carrés, GRRR, 82 minutes

lundi 20 mai 2019

Continuum de Thurston Moore


Musique répétitive, drone, noise, arpèges, larsens, Thurston Moore, ex-Sonic Youth, a joué une pièce extrêmement prenante vendredi soir sur la scène du Silencio. Ce flux à rebondissements réclamait l'usage de pédales d'effets dont le guitariste préfère généralement se passer, et pour cause, car l'une d'elle tomba en rade à la fin du morceau, l'obligeant à improviser une coda inédite. Nous nous connaissons depuis trente ans, mais nous ne nous étions jamais rencontrés. Il y a exactement 20 ans Thurston avait enregistré un remix d'Un Drame Musical Instantané que l'on peut écouter sur drame.org. Il l'avait appelé 7/11, du nom d'une chaîne de commerces de proximité américains ouverts de 7h à 23h, probablement pratique lorsqu'on est musicien !
Comme nous discutions à bâtons rompus après son concert, Thurston me dit qu'il n'a pas reconnu ce qu'il avait composé sur le disque de remix qui accompagne parfois le vinyle de L'homme à la caméra... Par acquis de conscience je compare le CDR qu'il m'avait envoyé avec le disque transparent qu'a pressé DDD. Horreur et honte de ma part, ce n'est pas la pièce de Thurston ! J'avertis aussitôt Xavier Ehretsmann qui me dit qu'on trouvera une solution, le nom de Thurston n'apparaissant que sur un sticker. Je me fais un devoir de rectifier partout la mauvaise information, renvoyant les curieux au seul endroit où l'on peut écouter 7/11, le site du label GRRR...



Vous pouvez croiser Thurston Moore ce soir lundi à 18h30 au Souffle Continu où, avec Brunhild Ferrari, Eva Prinz et Catherine Marcangeli, il signera le livre Complete Works de Luc Ferrari dont j'ai parlé ici aussi et j'apprends à l'instant qu'il jouera un petit morceau !

P.S.: pour réparer ma bévue Thurston me propose d'enregistrer en duo et de sortir un 17 cm avec les 2 morceaux. Ah, si tous les musiciens avaient cette élégance...

mercredi 15 mai 2019

Bientôt la révolte des carrés


À peine Questions publié la semaine dernière sur le site drame.org, trio composé d'Élise Dabrowski (contrebasse, voix), Mathias Lévy (violon) et moi-même, s'annonce déjà un nouvel opus sur le label GRRR, toujours en écoute et téléchargement gratuits. Mixé, enluminé graphiquement, quelques jours après leur enregistrement, directement du producteur au consommateur, c'est ce qu'on appelle un circuit court !
Donc cette fois-ci je fais front avec le guitariste Hasse Poulsen et le percussionniste Wassim Halal. La photo est d'Elsa. Je n'ai pas forcément eu une bonne idée de leur proposer une suite improvisée de portraits de révolutionnaires. Alors que les précédents thèmes permettaient une interprétation très large, ce sujet réduisait au contraire nos imaginations à des caricatures, vue du ciel certes, de l'imaginaire collectif. Nous avons relevé le défi brillamment, mais ce fut beaucoup plus difficile, même si l'ambiance de franche camaraderie était bien là comme à chacune des ces expériences/laboratoires où les musiciens n'ont jusque là jamais joué ensemble pour la plupart. Je rappelle que mon propos est de jouer pour se rencontrer au lieu de se rencontrer pour jouer ! Hasse était arrivé sur son lourd vélo danois chargé de son ampli Marshall à l'avant et de ses trois guitares sur le dos. Wassim avait voyagé en bus avec daf, bendir et darbouka, et je lui ai prêté un tara acquis il y a bien longtemps dans le souk de Marrakech. Nous avons donc enchaîné, ce qui n'est pas si grave tant nombre d'entre eux ont fini assassinés, Ho Chi Minh, Rosa Luxemburg, Malcolm X, Julian Assange, Maximilien Robespierre, Toussaint Louverture, Mahatma Gandhi, Thomas Sankara, Louise Michel, Angela Davis, Spartacus, Geronimo... Hasse avait composé le matin-même une chanson, It Is Always The First Time, qui avait trait aussi bien à notre sujet et à la vie qu'à l'improvisation en général. J'ai un peu de travail de montage et de mixage avant publication, mais ce nouvel album devrait vous arriver avant la fin du mois.
Je dois d'abord terminer le traitement des fichiers d'une application pour tablette sur l'apnée du sommeil chez les enfants. Quelques démarches domestiques occupent également mon temps, sans compter les trois heures quotidiennes consacrées au blog et mes activités politiques tous azimuts qui ces derniers jours m'ont terriblement accaparé. Mais c'est chaque fois pour la bonne cause...

→ Birgé Dabrowski Lévy, Questions, GRRR, 139 minutes sur drame.org
→ Birgé Poulsen Halal, La révolte des carrés, GRRR, à paraître prochainement

vendredi 10 mai 2019

Questions de Birgé, Dabrowski et Lévy


Voilà, comme promis, le nouvel album est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org, et c'est le 77ème ! Questions regroupe 12 compositions instantanées enregistrées en trio avec Élise Dabrowski et Mathias Lévy. Élise joue de la contrebasse et elle chante sur presque tous les morceaux, idem au violon pour Mathias, sauf que sur C'est pour quand ? il m'a emprunté mon sax alto et mon venova, mais comme j'en profite pour l'harmoniser avec le H3000 son Ayler tourne au Kirk ! De mon côté j'enchaîne comme d'habitude quantité d'instruments que je choisis en fonction du récit à construire : claviers, synthétiseur, field recording, guimbardes, baudruche, flûtes, frein (c'est la contrebasse à tension variable construite par Bernard Vitet), radiophonie (plunderphoniocs pour les anglo-saxons), groowah et toulouhou (c'est le nom que leur donne Dan Moi), chimes, trompette à anche, Tenori-on, etc. Tirant à tour de rôle les cartes des Oblique Strategies inventées par Brian Eno et Peter Schmidt, nous avons imaginé Dans l’œuvre et hors d’œuvre, Dans quel ordre faites-vous les choses ?, À quoi pensez-vous juste à l’instant ?, Utilisez une couleur impossible, Essayez de faire semblant, Un bout seulement - pas tout, Avons-nous besoin de trous ?, Les mots nécessitent-ils de changer ?, Débarrassez-vous des ambiguïtés et convertissez-les en détails, Accumulation, Écoutez la voix douce...
Si le début peut sembler très free, progressivement se fait sentir l'influence des musiques populaires comme la pop, le jazz, le trad... En fin de séance les pièces s'allongent. Si nous pressions un CD, ce serait un double album avec ses 2h19. Pour l'instant, Questions est en libre accès sous format mp3, mais j'imagine que bientôt on le trouvera en AIFF sur Bandcamp. Trente-deux albums du label GRRR y sont déjà accessibles.
J'ai adoré l'ambiance de notre session. J'attends les retours de mes deux camarades pour d'éventuelles corrections, mais l'album est dores et déjà accessible dans une mouture très avancée. Pour l'instant ils sont dans l'ordre où nous les avons joués, mais est très facile de remplacer ou déplacer un fichier. Après les trois premiers nous avons fait une petite pause déjeuner. J'avais préparé des rillettes de saumon (je mixe le poisson cuit avec de la crème fraîche, du yaourt, du citron et des épices), des rillettes d'agneau de l'île d'Yeu au thym citron et du caviar d'aubergine aux grains de coriandre, accompagnés de gousses d'ail noir que je prépare moi-même, mais au garage à cause de son parfum capiteux ! Mathias préférait le café tandis qu'Élise et moi avions opté pour un Tamaryokucha, un thé vert qui ne doit infuser que 40 secondes à 70°. Je pense que ce qu'on ingère influe aussi sur ce qu'on produit !

J'ai oublié de préciser que j'ai choisi ce point d'interrogation parce qu'il me rappelait à la fois le nez rouge de l'affiche de Yoyo (film de Pierre Étaix), le Taijitu (yin et yang sont dans un bateau, etc.) et le corps (pour parties ou dans le mouvement) !

jeudi 9 mai 2019

Avec Élise Dabrowski et Mathias Lévy


Je suis éreinté des yeux à force de scruter l'écran, des index parce que je tape à deux doigts, du ciboulot à force de concentration parce que j'ai commencé à 6 heures du matin et qu'il était 16h lorsque j'ai terminé. Qu'est-ce que je fabrique et qu'est-ce qui m'excite à ce point que je m'accroche à mes nouvelles machines comme un junkie à sa seringue ?
Tout a commencé hier matin. La contrebassiste et chanteuse Élise Dabrowski et le violoniste Mathias Lévy sont arrivés de bonne heure pour enregistrer un album en trio dans la journée. On papotait tellement que je me suis demandé si on aurait le temps de jouer. Et puis on a enchaîné 12 morceaux de plus de deux heures en tout, avant de se quitter en se promettant qu'il fallait qu'on se revoit bientôt. Ces séances que j'organise sont basées sur la passion de notre métier ou sur le métier que nous avons choisi et qui se confond avec notre passion. D'habitude les musiciens se rencontrent pour jouer, or depuis Urgent Meeting et Opération Blow Up en 1991-92 j'ai compris qu'il fallait que nous enregistrions ensemble pour nous rencontrer. Je fais en sorte que nous soyons le plus confortablement installés possible. Je prépare toujours le studio la veille, plaçant les micros, les casques, les espaces de chacun/e, mes propres instruments, le Mac Mini qui tient lieu d'enregistreur et le MacBook sur lequel je joue via mon nouveau clavier adapté aux applis de Native Instruments et aux plug-ins Eventide et GRM Tools, etc. Je prévois aussi de provisions de bouche lorsque je n'ai pas le temps de cuisiner. Il ne faut pas que j'oublie l'appareil-photo, car il est nécessaire de laisser une trace visuelle de notre aventure.
La journée de mardi s'est donc passée comme sur des roulettes. Nous étions ravis tant de la musique que de l'expérience, déconnectée des habitudes professionnelles et des nécessités alimentaires. La seule consigne était d'improviser le plus librement, sans aucun interdit ni préjugé. Cela signifie qu'il est autorisé de jouer en do majeur ou de tenir un rythme soutenu, ce que trop d'improvisateurs de free music s'interdisent, ce qui a le don de m'ennuyer plus que n'importe quoi. L'improvisation n'est pas un genre. C'est juste une manière de raccourcir le temps entre la composition et l'interprétation. Je rabâche, mais j'ai des lecteurs/trices qui prennent ce blog en route et qui ne sont pas coltinés les 4000 articles que j'ai pondus depuis 14 ans ! Nous nous sommes donc amusés comme des fous. Mathias Lévy a même joué du sax alto et du venova, c'est un soprano en ut en plastique, qu'il m'a empruntés, tout comme il a désossé mon archet de violon pour le glisser sous les cordes du sien. Élise Dabrowski a pioché dans les dictionnaires alignés derrière elle pour trouver les mots, découvrant l'analogique. J'ai reconnu du français, de l'anglais et de l'allemand. Les autres langues étaient peut-être inventées ? Nous n'avons rien réécouté le soir-même, préférant continuer à refaire le monde en nous interrogeant sur les absurdités de celui de la musique.
Mais le lendemain matin, c'est-à-dire hier, j'ai peaufiné le mixage des 139 minutes qu'on avait mises dans la boîte. Je fais peu de corrections. C'est aux musiciens de contrôler leur son en jouant, mais parfois quelques petits rééquilibrages s'imposent parce que nous jouons aux casques et qu'ils ne sont pas hermétiques. Le secret est de bien placer les micros. J'avais installé trois Shoeps (voix d'Élise, contrebasse, violon) et un Shure de proximité pour tous mes bidules. Mathias avait besoin d'un Neumann en plus pour se servir de temps en temps de son violon comme d'un cymbalum en frappant les cordes dans lesquelles il glisse des petits machins. J'ai nettoyé les deux ou trois pains dans la micro, soigné techniquement les débuts et les fins et masterisé l'ensemble. La nuit précédente j'avais déjà préparé la pochette un gros ? rouge suggéré par Élise comme j'avais proposé le titre Questions. Les thèmes des morceaux étaient donnés par le jeu des Oblique Strategies que j'utilise aussi en concert. Nous avons tiré les cartes à tour de rôle. En concert je demande au public de s'en charger ! Pour terminer j'ai répertorié l'instrumentation et le minutage pour chaque pièce, et j'ai francisé les titres en les rendant un peu plus sexy. L'album virtuel sera donc bientôt en ligne, gratuit en écoute et téléchargement comme 76 autres dont on peut aussi profiter en aléatoire sur la radio qui en page d'accueil de drame.org !
Cela tombe bien, parce que je remets ça lundi prochain avec le guitariste Hasse Poulsen et le percussionniste Wassim Halal pour des portraits de révolutionnaires dont nous ne savons encore rien ni les uns ni les autres... À part cela, j'aimerais bien savoir pourquoi le clavier de mon nouveau portable rajoute des caractères un peu partout sans que je le lui demande. Peut-être y a-t-il un réglage à faire dans les préférences ? Mais là, c'est bon, je rends mon tablier. Terminer un album le lendemain de son enregistrement fait de moi le Lucky Luke de la production discographique. En plus il a fallu pondre ce 4146e article du blog pour relater toute cette salade !

mardi 7 mai 2019

Le chaos technique de Franck Vigroux


Franck Vigroux est un caméléon qui joue des nuances de gris en prenant la couleur de la muraille. Pour parvenir à ses faims, il a choisi la musique comme médium à en faire tourner les tables de mixage sur elles-mêmes, provoquant un maelström de bruits assourdissants qui lorgnent sur le drone, sorte de rouleau compresseur n'autorisant aucune contradiction. La dialectique est absente. C'est fort et brutal. Il flotte une odeur de fauve, des mâles sans aucun doute. L'électronique y est animal, bête du Gévaudan des temps modernes. La matière sonore est bien matière, des murmures, des bruits de surface, de lourdes percussions se mêlant aux sons se synthèse. Mais je n'ai rien vu à Hiroshima. Les pochettes des deux vinyles ne livrant aucune information, j'ai volé vers son site que j'ai épluché avec un économe pour creuser sous la peau. L'écorché est sombre, lugubre, cosmique, orageux. J'ai regardé les pixels d'Antoine Schmitt et les corps de Kurt d'Haeseleer, les performances de Vigroux lui-même. Partout règne le chaos, mais un chaos organisé, dressé, une ligne directe comme le faisceau d'un laser, un torrent de lames. J'imaginais la mort autrement, plus complexe, plus sensuelle, mais nous n'avons pas tous la même approche. Alors je me suis laissé porter par cette rage intérieure et quand tout s'est tu j'ai rêvé d'un chant de fleurs...

→ Franck Vigroux, Rapport sur le désordre, LP D'autres Cordes
→ Franck Vigroux, Théorème, LP D'autres Cordes