70 Musique - novembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 novembre 2019

Ball of Fire par Birgé Hochapfel Vrod


Ball of Fire est le nouvel épisode de mon laboratoire musical, séance d'une journée où nous improvisons en vue d'un album virtuel à mettre en ligne sur drame.org. Ce 80e album inédit, en écoute et téléchargement gratuit comme tous les autres, vient aussi alimenter la radio aléatoire de la page d'accueil du site où vous pouvez découvrir 155 heures de musique sans aucune répétition, soit 1051 pièces de durées très variées.
Comme je demandais au violoncelliste Karsten Hochapfel avec quel musicien il aimerait jouer pour la première fois, il proposa d'emblée le violoniste Jean-François Vrod. Je m'aperçois que cette année j'aurai souvent enregistré avec des cordes. Ainsi les auront précédés le violoniste Mathias Lévy et la contrebassiste Élise Dabrowski, ainsi que guitaristes Christelle Séry et Hasse Poulsen. Étaient présents également le percussionniste Wassim Halal et le compositeur Jonathan Pontier aux synthétiseurs. L'année n'est pas terminée puisqu'une dernière séance aura lieu avec le jeune contrebassiste minnesotien Nicholas Christenson et le clarinettiste Jean-Brice Godet, aussi grand que basse, qui jouera aussi de ses cassettes. La forme du trio a l'avantage d'être toujours équilibrée malgré son nombre impair, car il suffit de convaincre un contre deux pour que deux se retrouvent contre un. Comprendre qu'un accord est vite trouvé entre tous les protagonistes. La question ne se pose évidemment pas dans le cas de nos compositions instantanées, mais lorsqu'aucun des musiciens n'a pratiquement joué avec les autres la concentration exigée est plus simple à trois.
Découvert grâce à André Ricros, producteur du label Silex, j'avais enregistré Jean-François Vrod en 2000 pour la musique que j'avais composée pour l'exposition Le Siècle Métro et joué avec lui en concert deux ans plus tôt pour mon projet Birgé Hôtel avec Hélène Labarrière, Gérard Siracusa et, en invités, Michel Houellebecq et Bernard Vitet. Je connaissais Karsten Hochapfel grâce au groupe Odeia dont ma fille Elsa est la chanteuse.


Nous voilà donc réunis vendredi dernier au Studio GRRR pour interpréter les thèmes tirés au hasard dans le jeu de cartes Oblique Strategies inventé par Brian Eno et Peter Schmidt. Comme pour les albums Game Bling avec Ève Risser et Joce Mienniel (2014), Un coup de dés jamais n'abolira le hasard avec Médéric Collignon et Julien Desprez (2014), Un coup de dés jamais n'abolira le hasard 2 avec Pascal Contet et Antonin-Tri Hoang (2015), Questions avec Élise Dabrowski et Mathias Lévy (2019), WD-40 avec Christelle Séry et Jonathan Pontier (2019), et le concert filmé À l'improviste avec Birgitte Lyregaard et Linda Edsjö (2014), nous piochons chacun à notre tour et tentons de comprendre le sens des injonctions rédigées en anglais.
De temps en temps mes invités s'emparent d'un des instruments de ma collection que je considère plutôt comme une boîte à outils. Ainsi Karsten Hochapfel jouera de la guitare à cinq cordes (pour avoir cassé le mi aigu en l'accordant), du zheng (koto chinois à seize cordes dont plusieurs manquaient également) et du cosmicbow (manche de guitare à quatre cordes qui se joue comme une guimbarde). Jean-François Vrod m'empruntera d'ailleurs une guimbarde, mais il utilisera aussi sa voix, un appeau, un kazoo, un harmonica minuscule et toutes sortes de préparations sur son violon. Sur Turn it upside down Karsten retournera même son violoncelle !


Si je me sers essentiellement d'échantillonneurs sur mon ordinateur portable, j'ai eu le plaisir de jouer avec mes deux synthétiseurs physiques russes, le Lyra-8 et The Pipe, ainsi que de la JJB64, application informatique unique puisqu'elle fut inventée spécialement pour mon 64e anniversaire par Eric Vernhes. Selon les morceaux, Ball of Fire en compte seize, j'ai également recours à une radio qui se remonte à la manivelle, à mon éternelle trompette à anche, une guimbarde et une flûte comme souvent, plus diverses percussions.
Mes deux camarades de jeu se sont livrés à maintes facéties expérimentales dont je ne découvre vraiment la qualité qu'au moment du mixage. Lorsque nous plongeons la tête la première dans nos improvisations hirsutes, nous sommes en état de transe, transe constituée d'une concentration extrême puisque nous inventons la musique au fur et à mesure en écoutant les autres sans aucune préparation ou avertissement.
What are you really thinking about just now? Incorporate / Gardening, not architecture / Take a break / Discover the recipes you are using and abandon them / Be dirty / Once the search is in progress, something will be found / Do something boring / Make an exhaustive list of everything you might do and do the last thing on the list / Allow an easement (an easement is the abandonment of a stricture) / Use filters / Not building a wall but making a brick / In total darkness or in a very large room, very quietly / Where’s the edge? Where does the frame start? / Simple substraction / You don’t have to be ashamed of using your own ideas... sont le genre d'invitations auxquelles nous sommes confrontés. Si vous avez du mal à les comprendre, dites-vous bien que cela nous fait le même effet, mais que nous devons nous y coller chaque fois sans délai, du moins deux ou trois minutes plus tard !
Pour moi, le meilleur moment est donc lorsque je rééquilibre les voies, découvrant ce que nous avons enregistré dans la fougue de la rencontre. Pour la mise en ligne je masterise les pièces en mp3, rédige les crédits, fabrique la pochette à laquelle je dois trouver un titre.


Suivant l'article d'hier sur la screwball comedy, celui de l'album est un hommage à Barbara Stanwyck pour son rôle dans le film de Howard Hawks. La boule vient d'un immeuble viennois designé par Friedensreich Hundertwasser. Quant aux photos du trio nous les devons à Peter Gabor passé faire quelques plans pour le film qu'il me consacre.

samedi 23 novembre 2019

Vrod Birgé Hochapfel


Bientôt un nouvel album en ligne sur drame.org enregistré avec le violoniste Jean-François Vrod qui fait de drôles de bruits avec sa bouche et le violoncelliste Karsten Hochapfel qui joue aussi de la guitare à cinq cordes après qu'il a cassé mon mi, du koto qui n'avait plus toutes les siennes, et de son instrument tête en bas... Pour nos compositions instantanées, comme nous avons tiré encore une fois les thèmes au hasard parmi les cartes d'Oblique Strategies, j'ai joué des choses auxquelles je ne m'attendais pas du tout...

Photo © Peter Gabor (venu tourner filmer quelques nouveaux passages pour un film sur ma pomme)

mercredi 20 novembre 2019

Sobre Sordos, petit opéra pop


Le disque Sobre Sordos permet d'apprécier toutes les subtilités de l'instrumentation et la lisibilité des textes que la sonorisation du concert rendait un peu difficile jeudi soir à l'Atelier du Plateau. Il faut préciser que les textes d'Ignacio Plazza Ponce et Giustino De Michele sont chantés en français, italien, espagnol et anglais, or tous les spectateurs ne sont pas aussi polyglottes ! Sobre Sordos donne l'impression d'un petit opéra pop qui se situerait entre les mises en musique d'Edward Gorey, l'Italie de Paolo Conte et les évocations cinématographiques de Tim Burton. Les vidéos et images interactives, figuratives ou abstraites, de Damien Serban qui les accompagnent sur scène sont remplacées par un beau travail graphique illustrant les trois vinyles (ou 2 CD) de l'album.
Ignacio Plaza Ponce joue des claviers tandis que Giustino De Michele est le principal chanteur de cette longue suite imagée. J'étais allé les écouter parce que ma fille Elsa y jouait les secondes voix, mais les deux auteurs-compositeurs sont accompagnés par une ribambelle d'excellents musiciens que l'on a l'habitude d'entendre dans des contextes fort différents : le flûtiste Joce Mienniel, le saxophoniste Hugues Mayot, la bassoniste Sophie Bernado, le trompettiste Aymeric Avice, le tromboniste Fidel Fourneyron, le violoncelliste Clément Petit, le contrebassiste Simon Drappier, ainsi que le violoniste Sylvain Rabourdin, le guitariste Bartolomeo Barenghi, le clarinettiste Matteo Pastorino...



→ Sobre Sordos, Bandcamp, 2 CD 20€ / 3 LP 40€
Leur site web est plein de musiques, de vidéos et d'informations...

jeudi 14 novembre 2019

Francis Gorgé, des cygnes qui ne trompent pas


En publiant Swan Night cette semaine sur SoundCloud, Francis Gorgé signe avec Jan Eerala une pièce qu'il dédie à l'écrivain Antoine Volodine et à Un Drame Musical Instantané dont il fit partie de 1976 à 1992. S'il doit la connaissance de l'écrivain à son ami Dominique Meens, un temps compagnon de route du Drame, cette nouvelle pièce rappelle fortement le travail de notre trio avec Bernard Vitet. Ces derniers temps Francis s'affairait surtout à orchestrer des œuvres pour piano de Claude Debussy avec ses machines virtuelles. Son travail avec le Finlandais Jan Eerala, photographe et sound field recorder, s'axe sur des évocations paysagères souvent planantes.
Swan Night capture le chant des cygnes migrateurs dans la baie de Makholma, près de Pori. Il est certain que le Drame a toujours été sensible aux autres espèces, intégrant le langage des animaux à nos évocations musicales. Merle, canards, chevaux, fauves, singes, baleines, insectes, chats, etc. Francis, ornithologue en herbe, s'appuie sur le chant extraordinaire de ces cygnes que l'on espère ne pas être le dernier. Il ajoute celles transformées d'êtres humains, un piano tournant à la percussion, des sons électroniques qui glissent à la surface de l'eau, un violoncelle lyrique, une trompette bouchée, une clarinette... Les reconnaîtrez-vous ? Ces réminiscences participent à ce bel hommage, l'œuvre s'articulant comme un petit poème symphonique de douze minutes. Sur assezvu.com, Francis cite d'ailleurs une phrase d'un de ses héros, Hector Berlioz, cet autre guitariste français anticipant étonnamment Edgard Varèse et John Cage : « Tout objet sonore mis en œuvre par le compositeur est un instrument de musique ». Berlioz est aussi l'un des précurseurs du théâtre musical moderne (cf. Lélio ou le retour à la vie, par exemple). Swan Night est plus épique que dramatique, comme les pièces que nous aimions créer sur un tempo lent. Si elle est dramatique, il faut l'entendre au sens de théâtrale. Le rôle des volatiles finit par imposer une sorte de subjectivité comme s'ils étaient derrière la caméra sonore des deux compères. On se plaît à rêver. Une invitation au voyage.
La première fois que je suis monté sur scène, c'était avec Francis au Lycée Claude Bernard en 1970. Nous avions fondé un groupe de rock, Epimanondas. En 1975 nous avons enregistré ensemble notre premier disque, devenu un objet culte, Défense de. Puis beaucoup d'autres avec Bernard en trio, en grand orchestre, avec des formations encore plus grandes, un opéra, accompagnant plus d'une vingtaine de films muets, inventant des spectacles abracadabrants... En 2014 nous avions ressuscité Un Drame Musical Instantané le temps d'un concert mémorable, hélas sans Bernard décédé l'année précédente. Je suis touché que mon camarade ait pensé à notre collaboration en composant ce bouleversant oratorio pour cygnes migrateurs. Il y a des signes qui ne trompent pas.

→ Francis Gorgé et Jan Eerala, Swan Night, SoundCloud

mardi 12 novembre 2019

Les Allumés du Jazz toujours à la page


Voilà. J'ai tout lu. Le Journal des Allumés du Jazz est bien le seul canard à encore parler du fond des choses. En 2004, du temps où j'en partageais la rédaction-en-chef avec Jean Rochard, Le Monde Diplomatique, sous la plume de Francis Marmande, l'avait salué comme « le seul journal de jazz à maintenir un point de vue politique sur cette musique ». Cela n'a pas changé. C'est bien dommage. On aurait aimé qu'il fasse des petits. Chez l'historique Jazz Magazine, qui le fut il y a fort longtemps, la tendance est aujourd'hui de faire payer les annonces de concerts ! C'est évidemment politique, mais c'est celle du fric. Les annonceurs sont à la fête. Sur Les Allumés du Jazz il n'y a pas de publicité, sauf le rappel des dernières nouveautés de la soixantaine de labels adhérents. Sur la Toile on a Citizen Jazz qui s'y colle de temps en temps, mais on le lit sur écran. Les Allumés tiennent au papier, ils le font savoir. Le bilan carbone lui serait même favorable, si l'on ne tient pas compte de l'envoi gracieux par la poste à ses 18 000 abonnés. Il est certain qu'il me fut agréable de le lire allongé et d'en admirer les illustrations grand format dues aux dessinateurs Emre Orhun, Johan de Moor, Jeanne Puchol, Matthias Lehmann, Denis Bourdaud, Julien Mariolle, Zou, Nathalie Ferlut, Gabriel Rebufello, Pic, Rocco, Sylvie Fontaine, Jop, Thierry Alba, Anna Hymas, Andy Singer, Cattaneo, Efix... J'espère n'oublier personne, parce qu'il y a du monde en bande dessinée, plus que de rédacteurs que l'on peut reconnaître sous leurs amusants pseudonymes...
Jean Rochard est sur tous les fronts, Pablo Cueco mène la danse, Christelle Raffaëlli traduit et s'entretient, Jean-Brice Godet fait son entrée, Fabien Barontini a maintenant le temps de s'y consacrer, mais il y a aussi Jean-Paul Gambier, le fiston Léo Remke-Rochard près pour la relève, les mots croisés de Jean-Paul Ricard, toutes celles et ceux qui rendent hommage au poète Steve Dalachinsky récemment disparu, la photo de Guy Le Querrec commentée par Véronique Mula et L'1nconsolable... On y trouve aussi des photographies de Francis Azevedo, Éric Legret, Luc Greliche, Maxim François, François Corneloup et la maquette est de Marianne T.
Et la politique dans tout cela ? On commence par le titre, détournement du film situationniste de René Vienet sorti en 1973, époque artistiquement révolutionnaire. Dans l'ordre, un beau désordre, on s'y moque de la novlangue qui réduit subrepticement les ciboulots, on dénonce les deux poids et mesures écologiques tendant à rendre responsables les usagers quand c'est tout le système qui est corrompu, suit un éloge de l'indispensable indépendance, un plaidoyer pour le compact disc face au streaming et au prétendu retour du vinyle, un entretien sur le jazz et l'improvisation avec la chanteuse lyrique Léa Trommenschlager, avec Xavier Garcia sur la musique électro-acoustique, une conversation de Jean-Brice Godet avec Yoram Rosilio autour des collectifs, un dézingage salutaire du Centre National de la Musique créé par le Ministère de l'Inculture qui, de plus, fragilise le système des "commandes d'État" en refilant stupidement le bébé aux DRAC, une double page sur la radio avec un passionnant entretien avec Anne Montaron après la suppression des cinq émissions consacrées aux jazz, musiques improvisées, musiques du monde et contemporaines sur France Musique, etc. Nombreux musiciens et producteurs évoquent leur magasin de disques favori, cela aussi c'est de la résistance !
Alors si ça vous chante, abonnez-vous à ces 28 pages grand format, c'est le numéro 38 et c'est gratuit depuis 20 ans déjà ! Et si vous en avez les moyens, achetez la revue Aux ronds-points des Allumés du Jazz, avec ou sans le 33 tours qui l'accompagne...

mercredi 6 novembre 2019

Perception des années 70


Le Souffle Continu a encore mis le paquet, trois vinyles et un CD de Perception enregistrés entre 1971 et 1977. Le groupe est certainement un des meilleurs représentants du free jazz qui se jouait en France dans ces années, ou de ce que l'on appelait ainsi. Il réunissait Jeff Yochk'o Seffer aux saxophones et à la clarinette basse, Siegfried Kessler au piano électrique et au piano, Didier Levallet à la contrebasse et Jean-My Truong à la batterie. Sur le second album ils sont rejoints par les contrebassistes Jean-François Jenny-Clark et Kent Carter, le violoncelliste Jean-Charles Capon et le clarinettiste Teddy Lasry. Sur le CD, enregistré live au Stadium, avenue d'Ivry à Paris, Truong est remplacé par Jacques Thollot.
J'avais 21 ans, nous étions en 1974. J'avais cherché dans Jazz Magazine qui étaient les musiciens politiquement engagés. À l'époque, le mensuel dirigé par Philippe Carles n'était pas dédié au revival nostalgique comme il est devenu. Pour les y avoir lus, j'avais donc appelé Bernard Vitet et Didier Levallet... Vitet, que je ne connaissais pas encore, mais qui deviendrait mon coéquipier et mon meilleur ami pendant près de 40 ans, m'avait envoyé gentiment sur les roses. Levallet, en syndicaliste pédagogue, m'avait généreusement reçu et expliqué le contexte social des musiciens et donné quelques ficelles. Même s'il était musicalement trop jazz à mon goût, j'ai toujours estimé sa démarche.
Samedi, probablement intrigué par la présence de Jacques Thollot, je commence par écouter le CD du dernier concert de Perception enregistré en 1977 au Stadium, avenue d'Ivry, qui avait fini brûlé dans d'étranges circonstances. Rien à voir avec l'incendie que j'y avais provoqué lors d'un concert d'Un Drame Musical Instantané. La maison de tulle construite par Bernard Vitet dans laquelle nous jouions en trio avec Francis Gorgé avait pris feu parce que j'avais mal dosé les fumigènes que j'avais allumés à l'intérieur. Lorsque j'ai vu le voile en flammes, j'ai pensé "couverture", mais, n'ayant rien d'autre, j'ai éteint avec mes mains. Le feu a repris, alors j'ai recommencé. Comme je sortais de notre cage les bras en l'air en criant "on a eu chaud", le public crut que cela faisait partie de la mise en scène. Pendant que les pompiers rappliquaient et qu'un infirmier tentait de décoller le nylon de mes paumes en me racontant des histoires de grands brûlés, j'entendais mes deux camarades continuer au loin comme si le Titanic s'enfonçait dans le noir. Pendant un mois je suis allé chaque jour chez la charmante pharmacienne de la Butte aux Cailles faire changer mes pansements de biogaze verte. Ce n'était pas une blague. J'étais pourtant brûlé au second degré. Je n'ai jamais cru au second degré, manière coupable de ne pas assumer. J'adorais ces chastes matins partagés dans l'arrière-boutique...
Pendant que je vous raconte cette histoire, j'écoute le premier vinyle de 1971, moins fouillis et mieux enregistré que le CD dont la balance laisse vraiment à désirer, d'autant que la batterie de Thollot est très lointaine. Perception est aussi plus lyrique, plus expérimental, il a la fougue des premières fois.
Perception & Friends s'ouvre par Colima de Seffer qui, influencé par Soft Machine, a amené des cuivres (trompette, trombone, sax/clarinette). Pour Le Horla c'est au tour de Levallet de s'adjoindre deux violoncelles, probablement Capon et J-F, mais pour Mamelai, Seffer et lui demandent à Capon et Kent. Les contrebassistes passent ainsi au violoncelle, et Manuel Villaroel remplace Kessler au piano sur plusieurs morceaux. Plus construit, moins typé par les tics du free jazz, donc moins américain, cet album de 1972, tiré à l'origine à seulement 500 exemplaires, est franchement mon préféré.
A mi-chemin entre le premier très libre et le second plus contenu, Mestari enregistré live au Théâtre Cyrano, depuis Théâtre de la Bastille, retrouve le quartet original. D'une pièce à l'autre, Seffer joue de la flûte, on retrouve les sons de clavier électrique de Kessler, inspiré cette fois par Terry Riley, et Levallet résume la voie que prendront nombreux musiciens français, laissant de l'air entre les sons, les soignant, les emmêlant, jouant du crescendo comme d'une mayonnaise de derviche. On lui doit aussi d'intéressantes notes de pochette, communes aux trois vinyles, contrairement aux photos qui sont chaque fois différentes, mais les crédits manquent de précision, que ce soit pour l'instrumentation ou l'identification des musiciens. Ce n'est peut-être pas si important...

Perception, LP Souffle Continu Records, 22€
Perception & Friends, LP Souffle Continu Records, 22€
Mestari, LP Souffle Continu Records, 22€
Live At Le Stadium, CD Souffle Continu Records, 12€
Bundle (édition limitée) avec les 4 disques, 75€

vendredi 1 novembre 2019

Daniel Erdmann's Velvet Revolution : Won't Put No Flag Out


Jusqu'à ce que je joue avec Linda Edsjö j'ai privilégié le marimba au détriment du vibraphone, préférant le bois au métal, et les bois aux cuivres, peut-être parce qu'ils sonnent plus européens. Quant au saxophone ténor, les Coltraniens (pas forcément ceux qui s'en réclament) m'ennuient parce qu'ils sont tous évidemment à la Trane... Ceux qui s'inspirent du timbre de Coleman Hawkins ou Ben Webster, des fanfares d'Albert Ayler, par exemple, ne cherchent pas le mantra ; leur souffle terrestre se sent comme si on avalait la fumée, chaude et veloutée, pour l'exhaler en buée dans la froideur du paysage. L'inimitable oblige à inventer. Qui oserait marcher sur les pas de Roland Kirk ? Les jeunes violonistes jazz ou gypsy nous évitent d'autres envolées virtuoses fastidieuses, ils utilisent d'ailleurs de plus en plus les pizz comme des guitaristes. La véritable virtuosité ne doit pas se sentir. C'est l'écart entre élégance et vulgarité. Un vibraphoniste inventif, un saxophoniste lyrique, un violoniste coloriste, c'est le Daniel Erdmann's Velvet Revolution avec Théo Ceccaldi & Jim Hart...


J'avais adoré le premier album, A Shift Moment of Zero G. Le second, Won't Put No Flag Out, est plus retenu, apaisé, mais toujours aussi humain. Je me suis surpris plusieurs fois à prendre les coups d'archet de Théo Ceccaldi, probablement à l'alto, pour un second saxophone. Si les ondes en dents de scie des deux instruments sont physiquement proches, leur alliage dépend de la manière dont les musiciens frottent et soufflent. Ce trio à l'instrumentation inhabituelle fonctionne merveilleusement ; sur scène il arrive que les rythmiciens Cyril Atef ou Samuel Rohrer les rejoignent. J'ai réécouté plusieurs fois les 45 minutes du CD avant de me décider à écrire quelques mots. Ils me manquent parfois. La musique le permet. C'est là que la magie opère. La Révolution de Velours de Daniel Erdmann sait préserver les acquis en prenant les risques de la nouveauté. Ses protagonistes, comme ceux du trio Das Kapital dont le souffleur est un des fondateurs, font partie de ceux (et de celles car il y a de plus en plus de musiciennes extraordinaires) susceptibles de nous épater à chaque sortie d'album. Lourde responsabilité.

→ Daniel Erdmann's Velvet Revolution featring Théo Ceccaldi & Jim Hart, Won't Put No Flag Out, CD BMC Records, dist. Socadisc, 19,99€