Article du 10 juin 2006, augmenté d'un P.S. d'actualité

J'étais fatigué. Je cherchais une musique calme. J'ai pensé à la graine (seed) récoltée sur Dimeadozen hier matin, une des œuvres de Brian Eno qui avaient annoncé le style ambient à la fin des années 70. Elle est interprétée ici par un véritable orchestre, celui de Bang on a Can, et dans un cadre approprié, l'Aéroport de Schiphol à Amsterdam, en juin 1999. C'est la première fois que je l'écoute vraiment. La musique se mêle merveilleusement aux voix des passagers que l'on peut parfois entendre échanger des remarques sur leurs bagages et aux bruits des salles d'embarquement. C'est parfait, très Cagien dans le concept. On sent l'espace, il y a de l'air autour des musiciens rassemblés par Michael Gordon, David Lang et Julia Wolfe. Cela fait passer le temps agréablement.
Lorsque je pense aux aéroports, je me souviens de prendre des lunettes de soleil pour atténuer leur éclairage éblouissant. Ou bien est-ce l'arrivée imminente d'Helsinki de mon amie Marita Liulia qui m'a inconsciemment aiguillé vers le ciel ? La musique d'ameublement n'a rien d'un papier peint insipide, c'est choisi avec goût. Aux quatre parties de Music for Airports succèdent Everything Merges with the Night et Burning Airlines give you so much more. J'ignore qui est l'auteur des photos récupérées avec la musique.


Eno cherchait une troisième voie à côté des représentations de concert et de la muzak des supermarchés et des ascenseurs. Peut-être que les prochaines années verront pousser des fleurs musicales sur des terreaux inattendus. Nous traversons tant d'endroits inhumains, froids, austères, des lieux où l'on ne fait pas toujours que passer, qu'il serait agréable de transposer leur univers sonore vers des zones plus douces, plus tendres, en jouant avec la transparence ou bien à cache-cache, accordant l'ambiance sonore avec l'espace public. Il en deviendrait agréable grâce à cette métamorphose réfléchie en fonction des besoins d'évasion de la communauté. Trouver le son de chaque place, selon la sensation que l'on souhaite produire. Il y a de la musique partout, c'est insupportable, je fuis les restaurants et les bars où la pollution musicale nous oblige à monter le ton. Le choix de l'ambiance sonore n'est pas neutre, il y a de quoi faire pour les rares designers sonores ! En 1981 à Naples, nous avions rendu à l'illusion le Parc della Remembranza en camouflant des dizaines de haut-parleurs dans les arbres, transformant la nuit en plein jour. Vous connaissez pourtant mon goût pour le dérangement, pour la critique brechtienne des mises en scène ou des mises en ondes, pour la révolte... Mais il y a un temps pour tout, pour vivre debout comme pour aller se coucher. Le tout est de choisir la bonne attitude au bon moment ! Nous avons décollé, bonne nuit...


P.S. : En 2015, à la demande de Ruedi Baur, j'ai conçu l'intégralité du son du métro du Grand Paris. Nous avons travaillé ensemble une année, mais d'une part il s'agit seulement de l'étude, d'autre part je suis tenu à la confidentialité pour cinq ans, ce qui nous emmènera au début de l'an prochain. Réaliser une étude comme celle-là est terriblement frustrant pour ses concepteurs qui n'auront pas l'autorisation d'appliquer leurs astucieuses idées (!) et encombrant pour les futurs réalisateurs qui seront contraints de s'y conformer, parfois en dépit de leurs propres choix. A moins qu'ils fassent exactement le contraire de ce que nous avons préconisé, ce qui arrive souvent... Imaginez alors l'argent fichu en l'air ! J'avais adoré imaginer le son des parvis extérieurs devant les gares, des espaces commerciaux du premier niveau, des couloirs au second niveau, des quais cinquante mètres sous terre, et des rames des trains, en adéquation avec les étonnants choix graphiques de Ruedi Baur et en bonne intelligence avec le développeur Olivier Cornet...
Ces jours-ci, j'ai justement peu de temps à consacrer à mon blog, accaparé par les annonces Nudge commandées par la SNCF pour la période du déconfinement. J'enregistre les signaux d'appel, les messages vocaux, les effets spéciaux, de manière à créer la surprise pour attirer l'attention des voyageurs du Transilien...