Samedi j'assistais à un concert réservé aux professionnels organisé par le label Umlaut au Shakirail à Paris. Cette journée Umlaut on Air était retransmise en direct sur Radioshak dont c'était le lancement. Tout évènement de ce type est salutaire pour les musiciens et musiciennes qui sont privés de leur raison d'existence depuis plus d'un an. Le public se rabat sur les disques dont la vente a malgré tout explosé, pas suffisamment néanmoins face à la dégringolade due à la dématérialisation des supports et la frilosité des majors incapables aujourd'hui de prendre le moindre risque. Par contre, les musiciens subissent douloureusement la gestion de la crise dite sanitaire que l'on jugera absurde ou criminelle selon son analyse critique du capitalisme. D'un autre côté, leur passion leur permet souvent de résister là où d'autres professions n'offrent aucune soupape. Seules les résidences comme celle qui eut lieu là avec la compositrice Pascale Criton, ou bien l'enseignement, permettent de gagner sa vie en dehors des indemnités de chômage. Or ils sont nombreux à ne pas bénéficier de l'intermittence du spectacle, et ceux-là sont dans des situations critiques. Enfin et surtout, si la saison 2020-2021 est reportée d'un an, les projets pour 2022 sont une énigme totale. Les structures culturelles ne peuvent s'engager et il faudra du temps pour retrouver un équilibre. À l'issue de ces confinements et interdictions, on peut craindre que nombreux rideaux de fer restent baissés. Se rapprochera-t-on de la situation d'Athènes qui a perdu la majorité de son activité ? La solidarité permettra-t-elle de construire une nouvelle résistance ou sera-ce la foire d'empoigne où chacun jouera des coudes dans une période où l'offre aura considérablement baissé ? Je pense aussi aux plus jeunes dont certaines tranches d'âge sont dores et déjà sacrifiées sur l'autel de la prudence sanitaire. Beaucoup hésiteront à se lancer dans une "carrière" de plus en plus hasardeuse et de moins en moins protégée des lois du marché quand le suicide attire déjà des adolescents qui ne voient aucune perspective à leur avenir pour n'avoir connu que des années grises. Dans ce paysage où l'on comprend que l'art est le cadet des soucis de ceux qui nous gouvernent, voire qu'en entendant le mot culture ils sortent leur révolver métaphorique, les interdictions de tout évènement vers l'imaginaire, la création de collectifs ou de nouveaux syndicats semblent indispensable.
Ainsi, dans le climat actuel, chacun, chacune, voit et entend toute initiative artistique comme une bouffée d'air frais dans ce printemps bourgeonnant. La pièce du compositeur Karl Naegelen interprétée par Amaryllis Billet (violon), Fanny Paccoud (alto), Sarah Ledoux (violoncelle) et Joris Rühl (clarinette) m'inspira une douce méditation, les cordes s'imprégnant du son de l'anche pour construire un délicat soufflet où les harmoniques jouent le rôle de la levure.


Des entretiens avec les musiciens émaillaient l'après-midi, tandis que le nouveau groupe d'Ève Risser clôturait la journée. La pianiste (bien préparée) avait réuni la chanteuse Bianca Iannuzzi, Luc Ex à la basse électroacoustique et le batteur Francesco Pastacaldi pour former ce(tte) Brique, nom de cette nouvelle formation, sorte de blues déglingué au groove salement funky.
Il y a quelque temps j'avais également assisté à un concert en appartement du duo pop Vixa de la percussionniste Linda Edsjö et de la chanteuse-claviériste Yael Miller, ou à la remise du Grand Prix de l'Académie Charles-Cros à Linda et ma fille Elsa pour le disque de Söta Sälta, Comme c'est étrange !. Chaque sortie est un bol d'air frais dans celui confiné qui étouffe la création. Sans avoir besoin de nos autorisations de sortie professionnelle dûment tamponnées et suivant les règles basiques des gestes dits barrières, prendre le maquis devient un acte de résistance au même titre que les rassemblements sauvages dans l'espace public ou l'occupation des théâtres. Pourtant ces actions sont bien maigres en regard du reste de la population victime de la gestion absurde et criminelle de cette crise qui profite aux plus riches et mine encore un peu plus les plus pauvres. Pensez par exemple aux Gilets jaunes qui n'arrivaient déjà pas à boucler leurs fins de mois avant que le virus montre le bout de son nez ! Tout retour à avant est impossible. Par contre, il tient à nous tous et toutes de ne pas accepter ce que les larbins des banques nous concoctent. Car lorsque la famine se répand, tout bouleversement devient envisageable.