70 Musique - septembre 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 30 septembre 2021

Discorama, comme un dimanche


Je continue de reprendre des articles parus il y a plus de dix ans en les réactualisant, en particulier les liens souvent devenus caduques.
Il y a de beaux cadeaux à (se) faire, tel ce coffret de 3 DVD (INA, 29,99€) compilant les Discorama de Denise Glaser, programmés le dimanche avant le déjeuner dans les années 60. Avant de devenir la première productrice-présentatrice de la télévision avec son émission dédiée à l'actualité du disque, Denise Glaser avait été une illustratrice sonore recherchée. On pourra apprécier la qualité de ses entretiens devenus des modèles de ce que cela avait été et de ce que cela pourrait être ! Le temps de respirer, d'écouter, de s'exprimer... Beaucoup de tendresse et d'engagement. À l'époque le pouvoir gaulliste contrôlait les informations, mais fichait la paix aux secteurs des dramatiques et des variétés, repères de "rouges" ! C'est devenu plus difficile à partir de 1981, car les socialistes avaient compris l'importance des autres émissions que le Journal... Le réalisateur Raoul Sangla contribua grandement au succès de Discorama, avec ses échelles et ses caméras dans le champ et ses deux tabourets, comme de son égérie. Mais, définitivement virée en 1974, Denise Glaser mourut neuf ans plus tard dans la misère.
Le coffret offre des instants inoubliables, que l'on apprécie ou pas les artistes, peu importe ! Denise Glaser savait faire parler ses invités, les mettre à l'aise, leur laisser le temps... Se succèdent Barbara, Brel, Ferré, Moustaki, Gainsbourg, Polnareff, Lara, Le Forestier... Mais aussi Piaf, Bécaud, Aznavour, Nougaro, Reggiani... Ou encore Xenakis, Dali, Vince Taylor, Johnny, Eddy, Dutronc... Comme Paco Ibañez, Miriam Makeba, Caetano Veloso, Joan Baez... Et en bouquet final, Dick Annegarn et Nino Ferrer... J'en passe... Elle offrit leur chance à nombre d'entre eux alors qu'ils débutaient...

Article du 13 novembre 2008

lundi 27 septembre 2021

La Sourde des oreilles jusqu'aux yeux


Comment faire vivre un orchestre d'une vingtaine de protagonistes sans subventions ? Comment assurer des salaires décents et préserver l'extraordinaire enthousiasme de tous les musiciens ? Quelle structure culturelle y verra l'opportunité de présenter un spectacle exceptionnel qui enchante aussi bien les petits que les grands ? Ces questions peuvent sembler bizarres sous la plume numérique d'un compositeur, mais je me souviens encore une fois de Jean Cocteau dans l'impossibilité de se comprendre avec un producteur. Celui-ci voulait parler art quand le poète ne pensait qu'à l'argent qu'il lui fallait pour mener à bien son projet. Pendant six ans j'ai fait exister le grand orchestre du Drame en réduisant le nombre de répétitions pour ne pas exploiter les musiciens au détriment de la qualité du jeu. J'admire d'autant plus la qualité de celui de La Sourde. Ils et elles sont seize sur scène, tous et toutes excellents interprètes, tous et toutes d'une extrême bienveillance les uns pour les autres, et donc pour l'ambitieuse prouesse de jouer un Concerto contre piano et orchestre de Carl Philipp Emmanuel Bach, deuxième fils survivant de Jean-Sébastien, en étendant sa douzaine de minutes initiales à un spectacle contemporain qui explose l'espace scénique et rend intemporelle la musique en en réveillant le millésime.
Ils s'y sont mis à quatre pour écrire ce nouveau spectacle. Avant l'été j'avais adoré la reprise au Théâtre de l'Aquarium à Vincennes de la pièce Le Crocodile trompeur / Didon et Enée de Samuel Achache et Jeanne Candel. Si Achache est un brillant metteur en scène qui interroge chaque fois l'espace scénique et les mouvements qui s'y déploient, on le trouve ausi à la trompette dans cet orchestre de solistes qui font corps. Antonin-Tri Hoang, ici au saxophone alto et à la clarinette basse, avait collaboré avec lui pour Chewing Gum Silence et Original d'après une copie perdue. La pianiste Ève Risser, qui forme duo avec Hoang entre autres dans Grand Bazar, participait d'ailleurs à ce dernier. Quant au clarinettiste Florent Hubert, il avait déjà collaboré avec Achache et Candel pour de nombreuses pièces de théâtre. La musique est histoire d'amitié, de partage tout au moins, et le reste de l'orchestre n'échappe pas à ces retrouvailles heureuses autour d'un projet ambitieux qui sonne si léger tant il coule de source.


La source est baroque, musique du XVIIIe siècle d'un compositeur admiré par Haydn, Mozart et Beethoven. Source encore, l'introduction parlée du percussionniste Thibault Perriard devant le rideau de fer qui s'interroge sur la musique et ce qui la meut, comme je le fais, certes avec moins d'humour, au début de cet article. Et puis les cordes entrent en scène, violons (Marie Salvat, Boris Lamerand), violes de gambe (Étienne Floutier, Pauline Chiama), violoncelles (Gulrim Choï, Myrtille Hetzel), archiluth (Thibaut Roussel), contrebasses (Matthieu Bloch, Youen Cadiou), augmenté du cor naturel (Nicolas Chedmail). Je vole à l'irremplaçable Jeff Humbert l'apparition de la pianiste, de dos, derrière la petite porte qui s'ouvre dans le rideau de fer doré. Le Théâtre de l'Athénée est évidemment rouge et or, typique d'une salle à l'italienne, avec ses cariatides et sa coupole en faux ciel, restes de l'Eden-Théâtre. Depuis une loge située derrière nous qui sommes à la corbeille, Jeff capte discrètement les mouvements de l'orchestre avec son téléobjectif. L'amateur, biologiste de profession, donne à entendre ce que les professionnels ne voient plus, comme les journalistes dont l'absence est souvent comblée par les blogueurs. Mais les belles photos en couleurs sont de Joseph Banderet. Tout au long du spectacle, Perriard tient le rôle du clown musicien. C'était mon préféré lorsque, enfant, j'allais au cirque. Il monte et démonte, mime et soutient. Ève Risser, soliste du concerto, ne se prive pas de ses préparations magiques qui transforment le piano en gamelan et percussion. Soudain, ses camarades accourent, virevoltent et lui prêtent mains fortes sur le clavier. Le concerto, pourtant joué dans l'ordre de ses trois mouvements, est déstructuré par des digressions délicatement amenées. Les cuivres s'y mettent, trompettes (Olivier Laisney, Samuel Achache), clarinettes et saxophones (Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert), flûte (Anne-Emmanuelle Davy) et le cor qu'on entend bien pour une fois qu'il ne participe pas simplement au timbre...


D'un mouvement à l'autre, l'orchestre se déploie sur scène de tant de façons que l'on se demande pourquoi les scénographies sont habituellement si pauvres quand il s'agit de placer les musiciens. Ils jouent assis, ils jouent debout, ils se déplacent et tout fait sens. Une fugue arbitraire (clin d'œil à Papa Bach ?), un menuet, oui mais aussi une sortie aylerienne de sax alto, un chorus de trompette, des illusions d'optique sonore s'insèrent dans les mouvements "bis" où la musique ancienne retrouve une nouvelle jeunesse. L'art n'a pas d'âge. Les lumières de César Godefroy et les uniformes de Pauline Kieffer participent à cet étrange ballet de musiciens qui nous entraîne loin des conventions tant théâtrales que musicales. Comme souvent j'ai cherché des cousinages : Kagel (à la récré) évidemment, Berio (son Orfeo de Monteverdi enregistré à France Musique, jamais retrouvé), le Winterreise de Schubert par Hans Zender ou la version arrangée par René Lussier et Vincent Gagnon, les dérapages d'Uri Caine... Alors, si La Sourde (c'est le nom de cet orchestre incroyable) passe près de chez vous, ne le ratez pas !

→ Concerto contre piano et orchestre de Samuel Achache, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Eve Risser avec l'Orchestre La Sourde

jeudi 23 septembre 2021

Mon portrait sonore par Émilie Mousset


J'avais rencontré Émilie Mousset alors qu'elle était l'assistante de Anne-Laure Liégeois sur la pièce de théâtre Médée dont j'avais composé la partition sonore. Quelques temps plus tard, attirée par le son, Émilie est venue me rendre visite au studio pour réaliser un petit portrait sonore de ma pomme. Elle a ainsi ponctué notre entretien avec les instruments de musique dont j'ai joué pour elle. On entendra mon VFX (c'est un synthétiseur), des guimbardes, la trompette de poche, une varinette, des percussions, mes téléphones, une flûte, des petits jouets, un carillon de pots de fleurs, le piano qu'elle a mélangé pour en faire une bouillabesse à la fois chronologique, didactique et loufoque. Je ne sais pas si elle [avait] fait exprès de laisser du silence à la fin de l'extrait qu'elle [m'avait envoyé], mais sa référence indirecte à Mozart et Cage me plaît beaucoup !

En écoute : index 6 de l'album Intimités
Durée : 7 minutes

Article du 17 octobre 2008
Depuis, Émilie a fait du chemin, signant de nombreuses pièces sonores.

mercredi 22 septembre 2021

Pommes d'argent au Souffle continu


Depuis mon article du 16 octobre 2008, Le Souffle Continu s'est spécialisé dans les disques vinyles et a lancé son propre label sur lequel est paru il y a cinq ans Avant Toute, ma préhistoire (inédit de 1974-1975), en duo avec mon camarade Francis Gorgé. C'est un disque qui m'est très cher. J'y joue essentiellement du synthétiseur ARP 2600.

Samedi après-midi j'ai dévalé la côte jusqu'au magasin de disques Le Souffle Continu que [tiennent] Théo Jarrier et Bernard Ducayron. On y trouve tout ce qui sort de l'ordinaire des grandes surfaces autrefois culturelles : du rock (indépendant, psyché 60's et 70's, post rock, free folk, krautrock, progressif, in opposition, no wave, hardcore 80's...), du jazz (free, improvisation libre...), de la musique expérimentale (classique contemporain du sérialisme au spectralisme, field recordings, électro-acoustique, concrète, fluxus, répétitif, minimaliste...), de l'électronique (electronica, dub, trip-hop...), du hard (heavy metal, trash, black metal, gothic, dark wave, electro indus...). Les prix sont plus que compétitifs et les deux compères aiment leur métier de disquaires. La boutique est sise au 22 rue Gerbier, au coin de la rue de la Roquette, avant d'arriver au Père Lachaise déserté par le fantôme de Jim Morrison. Ils n'y perdent pas au change puisqu'à l'endroit du passage piétons de la rue précédente, dite de la Croix Faubin, ont été préservées les cinq stèles sur lesquelles reposait la guillotine devant la porte de la prison de la Roquette de 1870 à 1909. La peine de mort a été abolie, celle du disque est partie remise.
Samedi après-midi il fait beau. Je ne repars pas les mains vides, puisque j'acquiers un livre d'entretien de Jacqueline Caux avec le regretté Luc Ferrari et que je découvre le second album des Silver Apples, perdus de vue depuis mon retour des USA en 1968. Du haut de mes quinze ans j'avais déjà un sacré nez puisque je rapportai dans mes bagages les trois premiers Mothers of Invention, les Silver Apples, Crown of Creation du Jefferson Airplane, David Peel and The Lower East Side, In-A-Gadda-Da-Vida (!) d'Iron Butterfly, Wild Man Fisher, et qu'à mon retour je trouvai chez Pan Music tenu par Adrien Nataf, mon premier contact avec un vrai disquaire, les deux premiers disques de Captain Beefheart, très vite suivis par White Noise, Sun Ra et Harry Partch...
En écoutant Contact, deuxième album des Silver Apples datant de 1969, je me rends compte que c'était probablement la première fois que j'entendais du synthétiseur dans un environnement rock. La même année, le Switched-on-Bach de Walter (devenu Wendy) Carlos relevait plus de la prouesse technologique qu'il ne réfléchissait mes goûts rock 'n roll (en France, on disait "pop" plutôt que "rock" qui se référait alors à Elvis et consorts). Contact ressemble beaucoup à mon disque argenté dans lequel était glissé un poster couleurs plein de photos du duo sur les toits de N.Y., Dan Taylor jouait d'une batterie mélodique de 13 fûts et 5 cymbales et Simeon d'une batterie d'oscillateurs qui portait son nom. Le Simeon, composé de 9 oscillos contrôlés par 86 boutons, était joué avec les mains, les coudes et les genoux tandis que les pieds activaient les basses. Leurs voix reflétaient parfaitement l'époque psychédélique. Je terminai ainsi la soirée en me laissant bercer par leurs rythmes et leurs chansons.

mardi 21 septembre 2021

Foggy Songs For The First Periods


Sehnsucht est un mot réputé intraduisible. J'aime le prononcer. Mon allemand me le permet, même si "ich habe es ganz verlernt". La première fois il s'agissait d'une œuvre de Gustav Mahler. C'est ici le vague à l'âme ressenti par Guillaume Boppe au retour de ses visites de l'hôpital psychiatrique où son frère schizophrène séjourne régulièrement. Ses textes ont été mis en musique par Denis Frajerman qui a enregistré et mixé l'album Foggy Songs For The First Periods. J'ai aussitôt pensé à la collection d'anatomie pathologique située dans la Tour aux fous de Wien, la plus importante au monde. Avec Denis, nous avions arpenté ses couloirs circulaires il y a deux ans. De quoi faire tourner la tête. Cellules où chaque objet renvoie à une histoire douloureuse, parfois un enfer. J'ai d'ailleurs du mal à faire le tri parmi les pseudonymes de Denis (Ismaël Boppe ? El Faroud ? Yann Caravan ? Lesquels sont vrais ?), comme si il s'y perdait lui-même. En Autriche j'avais constaté son absence totale de sens de l'orientation ! Sous le nom The Blizzard Sow, le duo avait déjà publié Baagou Music en 2005. Quinze ans plus tard, c'est une nouvelle musique pour un autre retour du refoulé. Une pop sombre, minimaliste, incantatoire à laquelle participent le saxo-clarinettiste Mathias de Breyne, le batteur Stefano Cavazzini, la flûtiste Cassandre Girard, la violoniste Fanny Kobus, le cornettiste Eric Roger, le clarinettiste basse Laurent Rochelle. Là aussi je m'y perds dans les noms que le dossier de presse égrène. Heureusement ce n'est pas le propos. Frajerman aux claviers et guitares, Boppe vocalement, fabriquent des fictions musicales à partir du réel, mais ce réel semble toujours d'un autre monde.


→ The Blizzard Sow, Foggy Songs For The First Periods, CD E-Klageto, 17€ (7€ en numérique)

jeudi 16 septembre 2021

Carnage, épuisé depuis 30 ans, sort en CD !


Il était très attendu. Voilà 30 ans que le vinyle Carnage d'Un Drame Musical Instantané était épuisé. Comme il l'avait fait pour les précédents, Rideau !, À travail égal salaire égal et L'homme à la caméra, Walter Robotka du label autrichien Klang Galerie, le publie pour la première fois en CD. On retrouve la magnifique pochette du peintre Jacques Monory. Les photos plein cadre de Bernard Vitet (le terroriste), Francis Gorgé (une victime) et moi (en héros !) forment triptyque à l'intérieur du digipack trois volets. Le sang a giclé sur la galette. C'était en 1985. Le dernier 33 tours 30 centimètres du Drame avant que nous ne passions au CD deux ans plus tard. J'avais surtout pensé au dernier plan, arrêt sur image, du dernier film de Luis Buñuel, Cet obscur objet du désir, l'explosion prophétique d'une bombe. Jacques Monory détestait la violence qui s'étale au quotidien. Nous venions de composer la musique de Souvenir, un film de Dominique Belloir sur le peintre de la figuration narrative pour la Cité des Sciences et de l'Industrie. Il fut projeté pendant des années à l'entrée du Planétarium. Monory, qui était un modèle de gentillesse, nous avait également offert l'image de notre carte de visite, un tableau détruit avec un chimpanzé. Comme j'avais écrit le dos de la pochette à la main, Walter a choisi une police de caractères qui s'en rapproche. On notera tout de même que tout cela est bleu blanc rouge. Le bleu du monochrome, le blanc de chaque nouvelle page, le rouge de la révolution.




Quant à la musique, je l'avais presque totalement oubliée. Elle marquait le retour du trio après trois albums avec notre grand orchestre. Pas vraiment une réduction, puisque le morceau de résistance est La Bourse et la vie, commande de Radio France pour l'Ensemble Instrumental du Nouvel Orchestre Philharmonique. Personne ne m'avait pris au sérieux lorsque j'avais exprimé notre envie de composer pour un orchestre symphonique jusqu'à ce qu'Alain Durel, alors responsable de la musique à Radio France, me demande de lui envoyer deux lignes de texte sur notre projet. Six mois plus tard, il descendait à la cave qui nous servait de studio, rue de l'Espérance, pour nous proposer de le réaliser. Il était accompagné d'Yves Prin, en charge de l'orchestre qu'il dirigera d'ailleurs lors de son unique représentation à la Maison de la Radio. Nous n'en restâmes pas là puisque nous nous associerons ensuite avec l'Ensemble de l'Itinéraire pour l'opéra-bouffe L'hallali ou avec un orchestre d'harmonie de 80 musiciens pour J'accuse, avec Richard Bohringer et Dominique Fonfrède, et Zeyesramal, un hommage à Hector Berlioz et à la république. Comme nous ajoutons un "bonus track" pour chaque réédition sur Klang Galerie, on peut écouter une autre version de La Bourse et la vie que celle publiée à l'origine. Il s'agit de l'enregistrement de l'émission, avec l'introduction de Marc Monnet, avant que nous ne massacrions brillamment la pièce en réenregistrant et rajoutant nos trois instruments solistes, la trompette, la guitare et le synthétiseur PPG, que nous trouvions sous-mixés. Il me semble aujourd'hui que c'était une erreur, malgré la qualité de nos interventions (pour une fois nos egos nous jouèrent un mauvais tour), d'où l'importance de cet inédit. C'est aussi une version plus longue, puisque la version vinyle dure 12 minutes alors que celle, non trafiquée, du live est de 20 minutes ! Peut-être que je me trompe, mais ce sont en tout cas deux versions radicalement différentes. Ce ne fut pas simple de demander aux musiciens classiques de simuler une grève ou de hurler leurs noms, et Yves Prin fut d'une grande aide, par exemple lorsque la violoncelliste soliste refusa de jouer ce que nous avions écrit ou que nous découvrîmes que Jacques Di Donato, pour qui nous avions imaginé un chorus, n'était que deuxième clarinette et n'avait donc pas le droit de le faire, au profit d'un autre qui ne swinguait pas une cacahuète. Bernard y trempe aussi sa trompette dans l'eau. Nous avons bien rigolé, peut-être plus après que pendant !


Il y a bien d'autres trésors sur Carnage. Le disque commence par La fièvre verte avec le corniste Patrice Petitdidier et le saxophoniste Jean Querlier. C'est une évocation quasi cinématographique de la destruction de l'Amazonie et de la résistance locale, avec ambiance jungle, fléchettes empoisonnées et cuivres menaçants. Je m'y inspire des chanteurs du Burundi et Francis inaugure sa passion pour la composition assistée par ordinateur. Suit Les gueules cassées enregistré boulevard de Ménilmontant avec un magnifique effet Döppler inattendu. Bernard suggéra que nous enregistrions le feu dans l'âtre et le ralentissions pour obtenir un solo de percussion. J'aime énormément l'évocation fantomatique de ces explosions de bois mort. Bernard exploite le même procédé de vitesse que sur M'enfin dans l'album Rideau ! et utilise une assiette en aluminium comme timbre sur le bugle. En fin de face A, La Bourse et la vie se terminait par une pique anagrammatique, prononcée par mon père, à un directeur de France Musique qui nous avait roulés dans le cadre des ciné-concerts dont nous avions initié le retour.
La face B ne déroge pas au concept de carnage qui sous-tend tout le disque, écologiquement, socialement, économiquement. Elle s'ouvrait avec la chanson Rangé des voitures dont j'avais écrit les paroles et où le percussionniste Youval Micenmacher jouait sur un bidon d'huile cylindrique. Ce n'était pas la première fois que nous nous essayions à la chanson, et nous nous y collâmes plus sérieusement avec les albums Kind Lieder, Crasse-Tignasse ou Carton qui suivirent. Cabine 13 (contrepet rapporté par Bernard) insiste encore sur l'aspect "théâtre musical" de l'époque. Ce morceau avait pour but d'effacer tout ce qui précède avant Le téléphone muet où interviennent Jean Querlier (hautbois, cor anglais, flûte, sax), Youenn Le Berre (flûtes, basson), Michèle Buirette (accordéon), Geneviève Cabannes (contrebasse). Bernard y joue un rôle que j'avais construit dans le réel pour faire craquer un maniaque du téléphone qui harcelait deux de mes copines, dans l'esprit de L'arroseur arrosé. Nous finissions avec le délirant Passage à l'acte, entièrement vocal, le genre de pari expérimental dont nous étions friands.
Le CD se termine donc avec la version originale inédite de 20 minutes de La Bourse et la vie que je suis enchanté de découvrir enfin.

→ Un Drame Musical Instantané, Carnage, CD Klang Galerie, 18€

mercredi 15 septembre 2021

Contrebasse et viole de gambe pour Fin' Amor


L'alliance de la viole de gambe et de la contrebasse donnent à la fois un aspect ancien et moderne à la musique.
Cela n'a rien d'étonnant. Baroque et contemporain s'entendent souvent comme larrons en foire. Oh ce n'est pas que les créations du contrebassiste Jean-Philippe Viret et du gambiste Atsushi Sakaï soient folichonnes ! Ces deux-là sont plutôt graves, à l'image de leurs instruments. Entendre que c'est du sérieux. La rigolade se cantonne au hors-champ. J'avais été surpris par l'ambiance enjouée des loges lors des concerts de musique baroque, climat plus proche de celui du jazz que des classiques bien coincés. L'improvisation et la recherche sont le lot des anciens et des modernes. Ailleurs (un entre-deux ?) l'orthodoxie règne en maître, apanage d'une bourgeoisie figée dans ses us et coutumes. N'y voir aucune critique musicale, aucune époque ne m'est étrangère ou récalcitrante, même si mes affinités électives me tirent vers le romantisme et l'invention radicale, toutes périodes et styles confondus évidemment.


L'alliance de la viole de gambe et de la contrebasse donnent à la fois un aspect ancien et moderne à la musique.
Les cordes, frottées, frappées ou pincées, jouent sur ces deux tableaux. Elles n'ont pas d'âge, résistant mieux que n'importe quel autre instrument à l'électricité et à la surenchère sonore. Le duo est à la fois minimal et riche en harmoniques. Lorsqu'ils ne jouent pas leurs propres compositions, Jean-Philippe Viret et Atsushi Sakaï, que j'avais jusqu'ici entendu au violoncelle, remontent le temps en reprenant Jehan Simon Hasprois, Thomas Tallis et Guillaume de Machaut. Machaut ("aime assez à chahuter", comme l'épelait Bernard Vitet pour qui la Messe de Notre Dame était un des modèles) est de plus en plus reconnu par les contemporains, comme ils ont recours à la viole de gambe qui donne une couleur intemporelle à leurs compositions (il y en a d'ailleurs deux parmi les 18 musiciens du tout récent orchestre "La Sourde" monté par Samuel Achache, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Ève Risser). En tout état de causerie, on appréciera la délicatesse de Fin' Amor du duo Viret-Sakaï, introspectif et souterrain.

→ Jean-Philippe Viret - Atsushi Sakaï, Fin Amor, CD Côté Cour Production (CCProd)

lundi 13 septembre 2021

Unheimlich Manoeuvre de Jo Berger Myhre


Rares sont les disques que j'ai envie de remettre sur la platine, aussitôt écoutés, puis le lendemain y revenir comme si c'était la première fois. Je ne m'attendais pas à être saisi par l'album Unheimlich Manoeuvre du bassiste norvégien Jo Berger Myhre pour avoir entendu la semaine précédente Stitches, le nouveau CD de son compatriote, le trompettiste Nils Petter Molvær, qu'il a coproduit et qu'il accompagne aux basses acoustique et électrique, augmentées de différents synthétiseurs et boîtes à rythmes. Même instrumentation pour Jo Berger Myhre, mais le disque planant du trompettiste n'apporte pas grand chose à sa production habituelle tandis que celui du bassiste nous entraîne dans un univers sombre et mystérieux où l'on est étonné qu'il y ait encore du son tant l'azur est profond et les nuages obscurs. J'ignore pourquoi j'ai pensé à Scott Walker ou au Double Negative de Low. Les drones orageux minimalistes, les courants d'air des effets électroniques et les basses vibrantes font planer une menace qui annonce la catastrophe plus tôt que prévue. Et néanmoins rien encore ne se voit. Rien encore ne s'entend : le message lui-même à présent s'est tu. Ce qui devait être dit l'a été. Silence.* Cela n'empêche pas les neuf pièces d'être variées dans le timbre comme dans le tempo. De l'une à l'autre, le tombak de Kaveh Mahmudiyan, la guitare acoustique dse Jo David Meyer Lysne, le piano droit de Jana Anisimova, l'orgue d'Ólafur Björn Ólafsson et la voix de Vivian Wang (lisant Raymond Carver) viennent apporter de nouvelles couleurs. Une histoire du temps, quand l'espace est trop large. Étrange, angoissant, c'est la traduction de unheimlich. À la manœuvre, un musicien au son riche et précis qui, pour avoir l'habitude de s'effacer derrière ses camarades, sait que l'objet, fut-il volant et non identifié, est tellement plus important que le sujet.

→ Jo Berger Myhre, Unheimlich Manoeuvre, CD/LP Rare Noise Records, également sur Bandcamp, CD £9 / LP transparent £20, dist. Differ-Ant
* C.F.Ramuz, Présence de la mort

lundi 6 septembre 2021

L'harmoniseur vocal plein gaz


Il semble que mes cordes vocales n'ont pas été touchées par l'ablation de la thyroïde, mais je ne peux pas faire grand chose. Monter dans l'aigu exige une petite gymnastique. J'ai également un peu de mal à déglutir et le torticolis passe vraiment lentement. L'impression qu'un imbécile a voulu me montrer comment on fait un nœud de cravate, mais il a serré comme une brute, de l'intérieur. J'imagine que tout cela s'assouplira avec la cicatrisation qui tire sur mon cou.

Retour vers le futur.
On connaissait l'effet de l'hélium inhalé qui transforme la voix en Donald Duck en dehors de servir à gonfler les ballons. L'hexaflorure de soufre, cinq fois plus lourd que l'air, produit l'effet inverse en modifiant la voix en basse profonde, effet de ralenti obtenu artificiellement en ralentissant la vitesse de défilement d'une bande sur un magnétophone. La vélocité du son dans SF6 est 0,44 fois plus lente que dans l'air. Dans l'hélium, la vitesse est trois fois supérieure. La fréquence fondamentale de la cavité buccale étant proportionnelle à la vitesse du son dans le gaz, ces manipulations respiratoires attaquent les formants et produisent ces étonnantes transformations. Idem avec le protoxyde d'azote dit gaz hilarant...
Attention, tous ces produits peuvent être extrêmement dangereux : l'expérience doit rester courte et exceptionnelle. Inquiétez-vous si vous trouvez des cartouches argentées jonchant le sol à proximité des lycées ou ailleurs. Ces produits font des ravages sur la santé des ados. De toute manière les stocks d'hélium seront épuisés d'ici 2025. Depuis l'apparition des harmoniseurs sur le marché des effets sonores électroniques, on peut transformer sa voix en temps réel sans aucun risque, mais c'est évidemment moins drôle qu'émis acoustiquement par sa propre bouche.


Pratiquement lors de tous mes concerts j'utilise un vieil Eventide H3000, dit harmoniseur intelligent, qui me permet d'intervenir sur de nombreux paramètres, effets de glissés, découpages mélodiques par sauts de fréquences, infra-sons, etc. J'ai également conservé un Korg DVP1, l'un des premiers harmoniseurs polyphoniques contrôlables au clavier, utilisable aussi en vocodeur, encore que la dernière fois que je l'ai allumé j'ai eu l'impression qu'il avait rendu l'âme. Par contre la pédale H9 MAX d'Eventide sur laquelle je branche ma shahi baaja, le frein inventé par Bernard Vitet (contrebasse électrique à tension variable) ou mon kazoo amplifié offre des possibilités fabuleuses de transformation des sons.

Article réactualisé du 12 septembre 2008

jeudi 2 septembre 2021

Duo Du Bas - Suzanne - Pelouse


Déposés en mon absence dans la boîte aux lettres, 3 disques de chansons dans l'air du temps, inventives et délicates. Ces albums sont personnels tout en rendant hommage aux anciens dont ils ont hérité.
Duo Du Bas me fait penser à Camille et évidemment aux terroirs dont les deux chanteuses sont originaires. La Basque Hélène Jacquelot et la Bretonne Elsa Corre se sont inspirées de la rencontre de sept vieilles dames qu'elles ont prises à leur jeu. Elles mêlent leurs jolies voix à celles de ces Géantes qui apparaissent de temps en temps, un autre temps, temps de toujours où l'enfance est soulignée par des jouets mécaniques, toupies, ballons... Et cela fonctionne.


Suzanne, ce sont des chansons instrumentales, mélodies sans paroles, musique de chambre articulée par la clarinettiste Hélène Duret, le guitariste Pierre Tereygeol et la violoniste alto Maëlle Desbrosses. Délicatesse des timbres, tendresse des intentions. La musique folk a souvent influencé les classiques. Les improvisateurs s'y faufilent. Cela fonctionne encore.


Pelouse, voix grave de Xavier Machault, textes flippés, parlé-chanté, arrangements de Valentin Ceccaldi (basse, violoncelle, percussion, synthé basse, flûte à bec) et Quentin Biardeau (sax ténor, claviers, flûte à bec, percussion) avec des interventions de Roberto Negro (piano), Laura Cahen (voix, guitare), Théo Lanau (batterie), Gabriel Lemaire (clarinette). Je ne connais pas assez les chanteurs français, un peu Murat, un peu Léotard. Et cela fonctionne toujours. Ajoutez Mathieu Pion pour le son et une belle pochette colorée d'Aurélie William Levaux. Leur Bowling rock et roule, c'est de la balle !



→ Duo Du Bas, Les Géantes, CD Musiques Têtues, dist. L'autre distribution, 12,99€
→ Suzanne, Berthe, EP suzannemusicband, Bandcamp, 5€
→ Pelouse, Bowling, CD Matcha / le Grille Pain, dist. Inouïe, 15€ (LP 20€), sortie le 17 septembre 2021