70 Perso - novembre 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 27 novembre 2007

Le panache


Pour conclure le délicieux dîner vietnamien composé par Claire d'un phó et d'un poulet au saté, Sacha, qui a d'autres talents que celui de designer sonore, avait apporté de quoi élaborer le dessert. Sur un épais coussin de crème Chantilly à la fleur d'oranger et au sirop d'érable trônait une pâte de dattes au réglisse et mandarine entourée de pépins de grenade, pignons et petits morceaux de pommes. Le syphon qu'il utilise également pour de savantes émulsions me rappelle mon père qui avait l'habitude de s'en faire une montagne recouvrant son assiette. Pfruuuuuit de Chantilly... Ma mère lui faisant remarquer qu'il était tout de même au régime, il répondait que ce n'était "que du Luft", de l'air !
Légers et aériens, les petits carnets de Claire imprimés sur des marges de papier se déplient pour nous emporter au dessus des nuages tandis que ses photographies nous plongent dans des abysses en suspension. D'une balade interactive à Tokyo à la contrebasse chorégraphique de Youen Cadiou, Claire promène une sensibilité féminine à fleur de peau, confrontant les corps aux éléments, en mouvements amples et sensuels. Les quatre carnets font un cadeau très mignon quelle que soit la saison (4 euros l'un, 14 l'ensemble). D'une planète à l'autre, Étienne fit une démonstration de Super Mario Galaxy sur Wii Nintendo, tandis que Karine et Françoise se défonçaient en échangeant quelques balles. Goûtant peu les jeux d'adresse, malgré l'impression physique étonnante que procurent les manettes vibrantes et sonorisées, je restai à la fenêtre avec le panache qui avait décoré mon assiette.

jeudi 22 novembre 2007

Explication de texte


Quelques personnes amicales se sont émues du texte que j'ai publié sur les difficultés de communication que je rencontre de temps en temps avec ma maman. D'autre part, il aura parfois pu paraître indécent d'étaler en public sa vie de famille ou l'intimité de ses proches. Je m'en suis déjà un peu expliqué dans le billet du 23 janvier, mais il me semble important d'apporter quelques précisions sur ce difficile exercice.
Tout d'abord, je suis évidemment moins touché par la tristesse de ma mère qu'elle ne l'est elle-même. Je suis affecté par son handicap parce que je l'aime. C'est elle qui souffre de l'isolement dans lequel elle s'est enfermée. Par flemme elle s'est souvent empêchée de faire ce qui lui plaisait. Pour avoir refuser le moindre effort physique, elle s'est coincée dans une attitude arthritique aujourd'hui irréversible. Il lui est devenu de plus en plus douloureux de marcher, alors qu'elle aimait sortir au théâtre ou au cinéma. Ma grand-mère ne l'encouragea pas. Ainsi, par exemple, le jour du baccalauréat, elle ne la força pas à se lever si elle était trop fatiguée pour s'y présenter ! Ou encore, mon père la déposait devant le restaurant pour aller ensuite se garer. Et ainsi de suite.
Vendeuse en librairie quand elle le rencontra, lui-même était alors agent littéraire, elle est restée entourée de milliers de bouquins. Mais si les livres aujourd'hui la fatiguent, elle passe ses journées à feuilleter des magazines. La télévision reste allumée comme chez beaucoup de personnes âgées qui accompagnent leur solitude par une présence fictive, un médium. Elle a pourtant la visite de sa femme de ménage cinq matins par semaine et reçoit ses deux sœurs le week-end. La mienne est également très présente, puisqu'elles se voient toute la journée au bureau et font même les courses ensemble. Maman craint de s'ennuyer si elle s'arrêtait de travailler. Comme chacun d'entre nous, elle est d'abord sa propre victime. Elle veut avoir le dernier mot, se braquant dans une attitude qui rejette les apports extérieurs. On apprend pourtant autant de ses aînés que de la jeunesse qui vous suit. La perte de communication vous fige dans une attitude étouffante. Pénible pour soi, et par conséquence pour tous ceux et toutes celles qui tiennent à vous.
Françoise se moque de moi parce que ces lignes lui rappellent certains traits de mon caractère. En mettant le doigt là où cela fait mal, elle comprend pourquoi j'écris. Certains penseront que ces histoires devraient rester du linge sale qu'on lave en famille. Hélas, les cadavres ressortent toujours des placards, un jour ou l'autre. Lorsqu'ils n'affectent pas directement les protagonistes, ils influencent catégoriquement leur progéniture voire leur lointaine descendance. La névrose se transmet avec le reste des acquis. Si je m'exprime publiquement, c'est que je n'ai d'autre choix. Mon mutisme serait beaucoup plus dévastateur. J'ai souvent raconté que j'étais devenu artiste pour ne pas devenir fou ou délinquant. Transformer mes souffrances sociales en texte, en film ou en musique m'a permis de sublimer l'insupportable et de retourner la contrariété en acte positif. Elle m'en a aussi donné la force. Les valeurs qu'elle m'inculqua et dont elle ne sut pas toujours profiter elle-même m'aident à taper ces lignes, me permettant d'évacuer mes désaccords et de savoir pourquoi j'aime ma mère.

Sur la photo j'ai trois ans, c'est le jour du premier anniversaire de ma petite sœur.

mardi 20 novembre 2007

J'ai un problème avec ma mère


S'entendre dire que l'on ne fait pas partie de la population active ou que l'on est à la charge de la société parce que l'on est intermittent du spectacle alors que l'on bosse 7 jours sur 7 et 15 heures par jour pour s'en sortir malgré les difficultés que rencontre le métier face à une politique de plus en plus culturellement suicidaire, c'est énervant. S'entendre traiter de lepéniste parce qu'on ne vote pas pour la social-démocratie, devilliériste parce que l'on ne veut pas de cette Europe là, réac ou rétrograde parce qu'on roule à bicyclette dans les rues de Paris, c'est fatiguant. Entendre dégoiser sa mère contre les cyclistes, l'écologie, les produits frais ou bios, la prétendue pollution, les ordinateurs, les privilèges des grévistes, les gauchistes qui ne baissent pas les bras et tutti quanti, c'est déprimant.
D'autant plus si c'est elle qui paradoxalement vous a appris à penser par vous-même, à rédiger un texte pour exprimer clairement vos idées, sans négliger celles des autres, et que l'on vous a fait croire que vous aviez été élevé dans un milieu d'intellectuels de gauche... Au milieu de cette petite bourgeoisie, c'est ainsi que mes parents se définissaient. Ainsi j'appris à faire une dissertation après qu'elle en ait fait nombre à ma place ! "Birgé, votre style habituel..." C'était la première fois que je m'y collais.
Je n'appelle plus autant ma maman au téléphone et je la vois moins depuis qu'elle ressasse hargneusement ses éternels griefs contre une population qui refuse de plier ou collaborer avec l'horreur (l'exploitation de l'homme par l'homme) et le cynisme. Elle râle évidemment encore plus contre ceux qui s'y conforment. Maman ne jure que par ce qu'elle voit à la télé et ce qu'elle lit dans le Nouvel Obs, mais qu'entend-elle, s'étant repliée sur des positions misanthropes qui lui évitent de se remettre en question ? Cela me rend si triste de la voir souffrir et s'ennuyer par simple intolérance. S'aimer soi-même, c'est par là qu'il aurait fallu commencer. Il n'est jamais trop tard. Quelle histoire familiale a pu produire tant de souffrance chez les trois sœurs ? Sa cadette exprime sa folie avec une apparente désinvolture tandis que l'aînée ne laisse percer ses sentiments. Ma grand-mère avait un sale caractère, mais ce n'était rien à côté de mon arrière-grand-mère, Béberthe, une horreur, paraît-il ! Je n'ai fait que la croiser lorsque je roulais encore en poussette. Je dois à la mienne le pouvoir de prendre mes distances avec le modèle social, mais elle a oublié ses propres leçons.
Est-ce une question d'âge et de sénilité ? Je ne crois pas. Dimanche, nous avons évoqué la vieillesse avec Agnès Varda, à peine plus âgée qu'elle et sérieusement plus active. Ce n'est pas qu'elle soit facile non plus, mais, comme Rosette, elle vibre avec son temps. Évidemment la mémoire décline, des choses récentes s'évaporent, des faits anciens refont surface, reste la morale qu'elles se sont forgée chacune. Rien n'implique que l'on sombre dans le déni et le rejet si l'on s'est préparé à vieillir. Il n'est pas d'âge pour devenir un vieux con ou un vieux sage. Vieux ? On n'y échappe que par la mort prématurée, les questions, alors, ne se posent plus. Tout finira ainsi. Quelles raisons aurait-on de se hâter lorsque tout ce qui nous a été offert reste à transmettre ? Con ! La tentation est forte, tout est fait pour, nous abrutir, rendre notre cerveau humain disponible au marché des idées comme des marchandises. Sage ? C'est un travail de fourmi, jour après jour, matin après matin, obstacle après obstacle, un désir de douceur, à partager... Il faut être entouré et savoir écouter. Encore. Toujours. Plus. Les proches, attentionnés et bienveillants, se chargent de vous rappeler à la vie, parce que la route est longue, semée de vilaines tentations, de provocations stériles, de situations complexes et de fausses routes. Il est si facile de se tromper.
Je ne sais pas quoi faire. Certains jours, je calme le jeu, à condition qu'elle le permette, sinon je passe. D'autres, je monte au créneau, je hurle pour en placer une, je reconnais là sa mauvaise influence, ce dont je dois me détacher. D'elle, je voudrais conserver ce qui me fait du bien et m'a fait grandir, mais recracher ce qui m'a pourri la vie lorsque j'étais enfant, lorsque mes parents s'engueulaient à tous bouts de champ. Adolescent, mon père me demandait de jouer les modérateurs. Comme si c'était mon rôle ! Ces derniers temps, j'aurais souhaité aider ma mère, mais je me sens impuissant, ne pouvant cautionner le mépris qu'elle exprime trop souvent à l'endroit de quiconque ne pense pas pareil, intolérance dont je croyais exempte mon éducation. Est-ce seulement le besoin d'avoir raison qui pervertit le raisonnement ? Que s'est-il passé ? Ai-je à ce point changé ou s'est-elle laissé enfermer dans un rôle autodestructeur qui attriste tous ceux qui l'aiment ?
Ma mère ne lit pas plus mon blog qu'elle n'écoute lorsque je tente de lui parler tendrement. Elle ne s'intéresse pas non plus à ce que fait Elsa lorsqu'il faudrait faire trois pas vers un Mac pour regarder le site qu'elle s'est construit. Elle ne sait plus qui je suis. Elle fait semblant. Devant les autres, je reste le petit garçon dont elle est si fière. Mais celui-là n'existe que dans le passé, le présent est oublié. Toute mon enfance, j'ai tout fait pour exceller, quitte à m'en rendre malade, juste pour lui faire plaisir. En 68, j'ai réalisé que la vraie vie était ailleurs. Depuis quelques années, j'apprends doucement qui je suis et pas seulement d'où je viens. Sa noirceur me pousse vers la lumière. J'écris pour être certain de me souvenir, si un jour je deviens vieux.

samedi 17 novembre 2007

Le vide


J'étais vide. Je n'avais rien à raconter. La machine à laver la vaisselle était pleine. L'évier était encombré des restes de la veille. Le chat n'arrêtait pas de miauler. Lorsqu'il vient nous réveiller le matin, nous avons décidé d'attendre pour lui donner à manger. Il était très énervé, essayant de m'attraper les pieds sous la couette. Il avait dormi à côté de moi et je n'avais pas osé le pousser. J'ai bu mon verre de jus d'orange en attendant que tout le monde soit levé. Je ne sais pas encore ce que je vais aller acheter à la bonne boulangerie de la Place du Vel d'Hiv. Baguette, croissants, et le pain pour le week-end ? J'ai pris mon bain tôt pour que les amis aient de l'eau chaude à leur tour. Et puis j'ai retroussé mes manches, j'ai sorti la vaisselle pour remplir à nouveau le bac avec tout ce qui traîne dans la cuisine et le salon. Je suis incapable de réfléchir et de travailler sur un foutoir laissé la veille, comme un déficit des années antérieures. Habituellement je range avant de monter, mais hier soir, nous avons abusé des bonnes choses et je me suis retrouvé face aux miettes en ouvrant les yeux. J'étais vide, je n'avais rien à raconter.

lundi 5 novembre 2007

5.11=55


À chacun de nos anniversaires, Maman nous invite au restaurant. Elle trouve que c'est plutôt à elle qu'il faudrait souhaiter un bon anniversaire, parce qu'elle s'est coltinée tout le boulot, du moins pendant tous mes débuts. J'avais déjà pas mal d'années. En voilà une de plus. J'ai souvent prétendu avoir tous les ans passés. J'ai 5 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans, 30, 40, 50, 55 aujourd'hui. Il faut savoir choisir selon les instants. Je fais ce que je peux pour garder la fantaisie de mon adolescence et gagner la sagesse qu'est supposée apporter la maturité. Il arrive hélas que je me comporte comme un gamin capricieux, mauvaise pioche. Ou que je joue les rabat-joie comme un adulte responsable, ce n'est pas mieux. Nous avons donc tous les âges acquis précédemment, pas seulement celui qui s'affiche officiellement. C'est un peu comme un mille-feuilles ou une pile de choses à faire qui s'amoncèle sur le bureau. On peut aussi tirer au hasard. C'est ce qui nous arrive le plus souvent si nous n'y prenons garde. J'appartiens à une génération qui pensait ne pas atteindre 30 ans. Chaque année de plus est une victoire. Je pense à tous les disparus et à tous ceux et celles que j'aime.