70 Perso - novembre 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 19 novembre 2008

Thierry Dehesdin sort des clichés du tout début des années 70


En crapahutant dans mes archives à la recherche d'inédits musicaux que je pourrais exploiter pour mon projet d'album, je tombe sur les milliers de diapositives qui constituaient le fond du groupe de light-show H Lights. Dans des boîtes et des paniers sont rangés un peu pêle-mêle des liquides séchés d'Antoine Guerreiro et Luc Barnier, des effets cinétiques de Krishna Lights à Londres, mes propres recherches en matière de polarisation et de chimie sur celluloïd (j'illustre de temps en temps mes billets avec certaines d'entre elles), quelques acides de Michaëla Watteaux, des archives des années 50 (monuments, scènes coquines, reproductions de tableaux...), tous les dessins d'Antoine, des repros de comics et de posters, des images que j'ai rapportées de mes voyages, ainsi qu'une quantité pharaonique de diapositives prises par Thierry Dehesdin que nous mettions en scène avec toute la troupe. Le format était généralement 24x36, mais nous avions parfois des 4x4 ou des 6x6. Si j'en parle aujourd'hui, c'est que Thierry a scanné celles qu'il préfère et m'en a fait gentiment copies et tirages. En voici trois (© Thierry Dehesdin) qui rappellent furieusement les années hippies (personne n'utilisait le mot "baba cool", apparu beaucoup plus tard). La bande ressemble à un groupe pop en séance photos, plus vraie que nature. Aux abattoirs de La Villette, je me cache sous mon haut de forme et ma cythare inanga aux côtés de Luc masqué, Mia en robe de chambre, Philippe Danton et Antoine en capes. La suivante a été prise dans la maison de campagne d'Annabel Clin (à gauche sur le cliché) à Vert, une maison incroyable avec jardin à la française et jardin anglais, des mezzanines, des voûtes, le luxe pour nos élucubrations psychédéliques !


J'ai rencontré Thierry en terminale, au Lycée Claude Bernard à Paris comme la majorité des protagonistes. Ayant appris que son père possédait un studio, je lui propose d'en profiter le week-end pour faire des photos à projeter avec le light-show que j'ai fondé, en 1969 à mon retour des États-Unis. Robert Dehesdin avait hérité d'un lieu improbable, surréaliste pour la bande d'énergumènes que nous formions, et prestigieux puisque situé Place Vendôme, juste à côté de la bijouterie Chaumet ! Le grand-père avait été chapelier et quelques couvre-chefs trônaient encore dans l'atelier. Les images que je reproduis ici n'y ont pas été prises et je crains de ne pouvoir montrer ici les autres, car nombre sont des nus. Ils étaient certes cadavériques, censés interprétés les habitants du Royaume des Morts, mais nous sommes tout de même tous et toutes à poil ! À cette époque, la nudité nous paraissait aller de soi et nous n'avions aucune difficulté à poser dans le plus simple appareil. Thierry, toujours patient et souriant, savait mettre tout le monde à l'aise. Je me souviens que c'était le seul à toujours rester sobre. La troisième diapositive vient d'une séance dans le carré botanique du Jardin des Plantes. C'est la séquence des Lotophages où figurent ici Laura Ngo Minh Hong, Francis Gorgé et Éric Longuet (je n'arrive pas à me souvenir du prénom de la jeune fille à droite qui était alors la petite amie de Luc). Éric porte une tunique et un collier qui m'appartenaient et je pense qu'il avait emprunté la jupe à l'une des demoiselles. Thierry a profité de la cohorte de modèles pour tester toutes sortes d'effets spéciaux que le numérique a souvent rangé aux oubliettes : prismes, infra-rouges, halo, etc. Les diapos étaient présentées en tryptique, avec un projecteur supplémentaire au centre pour jouer des effets d'animation, ce dont je m'acquittais avec les paumes de mes mains.


C'est grâce à lui que je suis entré à l'Idhec. Alors que j'avais décidé d'arrêter mes études, je suis rentré à la maison en racontant que Thierry avait l'intention de tenter le concours d'entrée à l'école de cinéma. Ma mère m'y poussa et l'on connaît la suite. Ma vie en fut radicalement changée. L'année suivante, Michaëla Watteaux et Luc Barnier réussissaient de même. Nos bourses d'études nous permirent de louer un appartement où nous avons vécu en communauté, tous les trois plus Antoine qui était aux Beaux-Arts comme Francis, Philippe Labat et Éric... Avec Luc, Antoine Guerreiro, Bernard Mollerat, Philippe Danton, Francis Gorgé, nous avions composé un spectacle de deux heures que nous ne jouâmes qu'une seule fois. L'audition devant Sylvia Monfort, alors directrice du Carré Thorigny, n'ayant pas été à la hauteur de nos espérances et nos nouvelles attributions nous emportant vers de nouveaux rivages où les images rythment le temps à raison de 24 par seconde, le light-show s'éteint en 1974. Thierry me rappelle que les conditions pour montrer "Brrr, j'ai grand regret de n'avoir pas pris double manteau" n'étaient pas à notre avantage. La salle était vide, il n'y avait pas de retours, donc nous n'entendant rien sur la scène Francis et moi jouions de plus en plus fort, ce qui devait redoubler d'agressivité aux oreilles de Madame Monfort dont ce n'était pas forcément la tasse de thé. Nous n'avions pas non plus imaginé qu'il faudrait rejouer le spectacle tous les soirs identique à lui-même et cette pensée, nouvelle, nous terrorisait. Elle ne me lâchera pas.
Bernard, Philippe Labat, Éric ont disparu prématurément. Je pense souvent à eux. Que sont devenues Annabel et Laura ? Perdues de vue, comme Jean-Pierre Laplanche, Elisabeth Graine, Catherine, Carole et d'autres qui apparaissent sur les autres clichés. J'envoie copies à ma petite sœur Agnès... Michaëla réalise des comédies pour la télévision, Luc est un monteur recherché (d'Assayas aux Chtis !), Antoine est devenu ethnologue, Philippe Danton un fameux botaniste, Francis le grand spécialiste de QuickTime. Thierry (à la recherche de tous ses anciens modèles / écrire ici si vous avez une piste !) est toujours photographe.

mercredi 12 novembre 2008

Le grand écart


Hier j'ai dit des bêtises. Sur la boîte il était pourtant écrit : "trouble du comportement, modifications de la conscience, confusion, baisse de vigilance..." Pas facile de tout gérer avec un lumbago, le petit orteil en l'air et les drogues. Cela manque cruellement de souplesse. Ne jouant plus au Twister, quand sonne l'heure du blog la position devient sportive. Aujourd'hui je préfèrerais me taire en espérant que ma santé me permettra bientôt de retrouver mes esprits. C'est pas donné ! Je ne parle pas de mon corps, c'est bientôt la fin, la fin de mes douleurs. Je fais ce que je peux. C'est la panade, mais j'y travaille d'arrache-pied (aïe !). Non, c'est pas donné d'avoir quelque chose à raconter chaque soir sans se répéter ; encore faudrait-il le dire toujours avec pertinence, de différentes manières selon les humeurs, selon les couleurs du ciel ou des drapeaux. Comment y échapperais-je ? Un bout de chiffon au bout d'une perche pour qu'on le voit de loin, comme un écran que l'on empêche de s'éteindre pour rameuter les camarades. C'est dur de taper dans du mou. Quant à me taire, c'est un gag, non ?
Le film de Peter Brook est tragique. Oui, ça se passe aussi comme ça. Non, cela peut se passer autrement. Bien heureusement. Brook met en garde. Et si c'est naturel, ce n'est pas humain, car, je l'ai déjà écrit (vous voyez je perds la boule), partout où l'homme passe la nature trépasse. Il faudra bien s'accorder. Nul constat d'échec, mais du pain sur la planche à gérer le grand écart (ouïe !) entre nos rêves, les moyens que nous nous donnons pour les exaucer et la pratique effective de nos gestes.

lundi 10 novembre 2008

À cloche-pied façon bonzaï


Non mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? J'étais déjà complètement tordu avec une contraction musculaire qui ne cède pas malgré l'ostéo et la pharmacopée grand style, il a fallu que je me recogne le petit orteil en jouant avec Scotch autour du lit. Ça brûle dans le bas, ça presse dans le dos, j'ai le cerveau qui commence à fumer, et pas n'importe quoi, vraiment il ne manquait plus que ça ! Comme je suis raide comme un passe-lacet, j'ai du mal à voir mes orteils, d'où l'accident fatal ! Cet enchaînement d'inculture physique explique ce billet creux qui me renvoie à ma plus simple expression, la cellule, cellule de décompression, et minimalisme du aïe.

Illustration (celluloïd, laque et allumette) réalisée en 1969 pour H Lights.

mercredi 5 novembre 2008

Yukka stère


Lorsque l'on est encerclé par les gros titres, lorsque l'on travaille jour et nuit sur des projets prenants, s'il n'y pas d'accident, c'est difficile de parler d'autre chose. Pas besoin d'ajouter une voix au tintamarre qui camoufle l'avenir. D'un autre côté, trop envie de parler de ce qui nous anime. Fidèle au poste, j'essaie d'éviter les écueils. Je suis le gamin qui grimpe en haut du mât. De temps en temps, je regarde à la fenêtre, j'ouvre et respire un grand coup, je vais parfois jusqu'à trois pas dehors pour admirer les fleurs de yucca. Deux fois par an, ce n'est pas croyable ! Hier soir j'ai cueilli des tomates cerises à la lampe de poche. Elles étaient sucrées et parfumées... Je ne dis rien de ce que je fais.