Mon hagiographie intrigue plus d'un lecteur bienveillant. Pascale me demande de qui attends-je de la reconnaissance. Si j'en perçois ici et ailleurs, ce ne peut être que de mes pairs, entendre de mon père, suggère-t-elle avec malice. Or le 23 octobre j'ai fait de désagréables cauchemars dont la date coïncide avec son anniversaire. J'incarne en effet sa revanche, puisqu'il dût abandonner le monde du spectacle à 40 ans et retourner à l'école pour nourrir ses deux enfants. Mon père, avec ses manières de nouveau riche (c'était très relatif, il finit de rembourser ses dettes à 67 ans, trois ans avant sa mort), était très fier de son rejeton. Alors qu'il était hospitalisé pour des problèmes cardiaques, il me présente à l'infirmier qui fait son lit : "Mon fils, qui est compositeur..." Comme le type n'en a rien à battre, mon père insiste "... d'opéra !". Nous venions d'être joués à l'Opéra Garnier avec la partition de Manèges, chorégraphie de Karine Saporta avec le GRCOP, et avions enregistré L'hallali, opéra-bouffe sur un livret de Régis Franc interprété par l'Ensemble de l'Itinéraire, le premier album en CD du Drame. De là à me qualifier de compositeur d'opéra il y a un monde. Pour lui c'était la panacée universelle. Dans ses derniers jours, comme il écoutait la Callas au casque les larmes coulaient le long de ses joues. Je continue à sentir le poids de son regard posé sur moi, vingt-deux ans après sa mort qui me renvoie automatiquement à la mienne.

J'ai retrouvé la photo dans le dossier de l'opérette Nouvelle-Orléans, avec Sidney Bechet et Mattye Peters, qui sonna la faillite de mon père. Il vendit heureusement le bureau Empire, qu'il tenait lui-même de son père, avant de déménager de la rue des Peupliers à la route de la Reine à Boulogne-Billancourt. Mon oncle, Gilbert Martin, avait peint son portrait. Dans le grand miroir, j'aperçois le vieux poste de radio Telefunken, un insigne de la paix que j'avais fabriqué avec du papier d'aluminium et un téléphone à cadran.