70 Perso - juillet 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 29 juillet 2010

Tout va bien


Pourquoi faut-il toujours que les ennuis nous tombent sur la tête à l'instant où nous pouvons enfin nous reposer ? Suis-je naïf de croire que je vais pouvoir enfin me prélasser à la fenêtre !
Comme Jonathan m'apprend que le tapis qui recouvre toute la salle de bain est gorgé d'eau, nous découvrons que le flexible du mitigeur est fendu sur toute sa longueur. Nous avions évidemment commencé par changer les joints, mais l'eau chaude fuyait de plus belle. Coup de chance, voilà onze ans que je conserve au grenier un mélangeur tout neuf pour bidet qui s'adapte parfaitement au lavabo. Annie m'aide à l'installer, mais la chaudière ne veut pas repartir ! Enfin, je ne sais plus, j'appelle le plombier qui est en vacances, le chauffagiste qui me dit de ne pas m'affoler et d'attendre, je mets le tapis à sécher. En bas, Annie, grattant le mur du studio avant de le repeindre, s'aperçoit que la poutre qui tient la maison est bouffée par les bêtes, il n'en reste pratiquement rien. Espérons seulement que c'est ancien.
Hier soir je faisais des comptes. Pendant quelques jours j'ai cru être riche. Je me suis seulement donné les moyens de continuer. J'ai la chance d'avoir travaillé pour pouvoir payer les travaux. Tout ce que l'on a gagné s'évapore plus vite qu'il n'a fallu de temps pour l'amasser. Ceux qui n'ont pas les moyens de réparer ou de remplacer les appareils défectueux sont simplement encore plus dans la mouise.
Moralité : tant que les ennuis arrivent lorsque le travail est terminé, tant que l'on a gagné de quoi payer la casse, tant que l'on est encore là pour en parler, c'est que tout va bien.

samedi 17 juillet 2010

682 km à vol d'oiseau


Je voudrais filer à La Ciotat auprès de Françoise qui veille Rosette jour et nuit, mais le tournage des tableaux me retient à Paris. Ce n'est pas toujours facile d'être où l'on devrait.
Je travaille de 6h à passé minuit presque tous les jours. Comme pour le reste de l'équipe il n'y a ni samedi ni dimanche. Et chaque jour j'ai l'impression que respecter le planning tient du miracle. Hier j'ai mixé La Vierge aux rochers de Leonard de Vinci et préparé les séquences animées des Demoiselles des bords de Seine de Gustave Courbet. Le rêve qu'a construit Pierre Oscar autour de ce tableau me fait éloigner les rires du bal sur l'autre berge et celui d'une des filles dans un imaginaire à portée de main. Samedi la flûte tient le rôle principal, basse sur le Rembrandt, aigrelette sur le Gauguin, dans l'intimité du miroir pour le premier, en suivant la rivière pour le second. Je voudrais tout enregistrer cette fois à l'image, sur le modèle de la fugue.
Une fugue ? Je me sens mal de ne pas pouvoir te serrer dans mes bras. J'aimerais faire rire ta maman, aider ton père, vous écouter parmi les oiseaux et les cigales, mais je ne fais que reconstituer ce genre d'ambiances dans le studio que je déserte seulement aux rares heures du sommeil. Je pense à vous tout le temps, dans le moindre interstice de la fiction en morceaux que nous inventons.
Lorsque j'arrive à voler du temps à cette course folle contre la montre je m'active à terminer 2025 ex machina, un grand écart de quinze ans en prémisse de mon prochain disque, je rédige avec Antoine le texte de présentation de Petit manège, notre nouvelle installation, je résous mille problèmes domestiques ou administratifs sans réussir à m'allonger ne serait-ce que dix minutes pour lire le journal. Pourtant je suis calme, ce qui me permet d'avancer vite et bien. Il y avait longtemps que je n'avais senti cet élan musical. Tout prend sa place. Je pense que je suis calme parce que je suis avec toi et que je te sens t'affairer aussi jour et nuit. Je suis près de toi et ta pensée m'enveloppe à tout moment. Ma tristesse est modulée par l'admiration que m'inspire Rosette, égale à elle-même, à la hauteur de sa vie exemplaire. Déjà Tonton nous avait épatés. Quelle belle famille ! Est-ce que j'écris ces lignes pour m'empêcher de culpabiliser de n'être pas physiquement avec vous ? C'est possible. Je suis ici et là-bas. Je me dépêche de terminer. Ce mois de juillet n'a pas l'air vrai. Rien ne semble réel.

dimanche 11 juillet 2010

Quai des Vertus


Quai des Vertus, deux fleurs blanches se donnent la main devant témoin. Dalila et Didier avaient trouvé un endroit original pour fêter leur mariage. Je n'irai pas jusqu'à le prétendre sauvage, mais le pique-nique l'était bel et bien, comme les fleurs, un peu à l'écart de toute habitation, squat des ami/e/s venu/e/s partager quelques heures agréables sur le bord du canal. Les danseurs s'accroupirent pour savourer le couscous chèvre au saté ou à la noix de coco. On aborde les continents en touristes, même si le mot déplaît aux voyageuses, étymologiquement pourtant équivalent. Je n'avais pas revu Lou depuis qu'elle était devenue une belle jeune fille. Tant que vous grandissez, vous me faites vieillir, et dans vos yeux je reconnais l'enfant que je n'ai jamais cessé d'être : il fait le grand écart en me criant "encore !"


Sur l'autre rive, les camions se clonaient, flotille de bétonnières bleu blanc rouge. À mi-chemin entre le pont et l'écluse, notre bivouac vit défiler les cacous sur leurs machistes engins. Les uns rôdent leur auto, les autres s'essayent à la roue arrière. Comme nous sommes sur leur territoire, je les salue en m'enfonçant dans la nuit. Le parfum de leurs cigarettes magiques embaume l'atmosphère de ce rendez-vous de juillet. Tandis que je tente de me souvenir, mes yeux se ferment, mes bras s'alourdissent et je m'endors sur mon clavier, sans me rendre compte des heures qui filent sur les rouets de nos vies. Chaque seconde est un miracle.

mercredi 7 juillet 2010

La bande des épouvantails


La maison est triste. Tout le monde est parti en même temps. Françoise est descendue voir sa maman qui va de plus en plus mal. Elsa est arrivée dans l'autre sud avec ses amis musiciens. Je crois qu'elle chante trois chansons dans leur spectacle dans trois langues différentes. Pascale est repartie aussi vite qu'elle était apparue. Le quartier est bien calme. Le chat qui vient d'avoir huit ans roupille toute la journée. Sur le chemin du métro, en revenant du rendez-vous avec Olivier et Marc qui nous ont révélé ce que devenait le joyeux projet des objets communicants, j'ai croisé une meute d'épouvantails qui occupaient seuls le jardin des Lilas. Chacun a sa personnalité, choisie par les enfants qui les ont transformés en autant de grands Pinocchio. Je devrais probablement en installer un pour me tenir compagnie quand je lève la tête de mes claviers pour mettre le nez dehors.
Hier, j'ai composé et enregistré une valse pour orchestre, deux mouvements en boucle, l'un gai, l'autre triste, avec la harpe et les timbales en éléments interactifs, pour le dernier module de 2025 ex machina que Nicolas doit terminer avant de ficher le camp à son tour. Je suis content de clore les quatre épisodes par une chose romantique après avoir joué des codes du jeu sur ordi. Ces derniers jours, je ne dors presque plus. L'excitation de la création me tient en éveil. Néanmoins, sans prévenir, à n'importe quel moment de la journée et dans des circonstances parfois assez saugrenues, je sens le sommeil qui me tire par les paupières. Plus je compose, plus je vais vite et plus les pièces me ravissent. Heureusement que toute la "bande des tableaux" est coincée à Paris jusqu'à la fin du mois ! Tenu par un secret de polichinelle, je ne sais comment nous appeler. Pierre Oscar m'a fait envoyer le Chirico, très court, une minute et quelques. C'est une chance que nous ayons enregistré dimanche avec Vincent et que j'ai attaqué le dépouillage de la séance... J'aurais été moins prolixe. À la tête d'autant de prises drôles et surprenantes, j'ai l'idée de faire plusieurs partitions sonores différentes pour le même film. Puisqu'il joue en boucle, la répétition générera la surprise ! Combien pourrai-je bien fabriquer de versions successives à partir de nos élucubrations ? Je m'y attèle.