70 Perso - avril 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 17 avril 2015

Charade


Après avoir longuement surveillé la mésange, le geai finit par comprendre (à) quelle image le miroir renvoie. Plutôt qu'imiter les sauts de zébulon du petit passereau le geai agite ses ailes en se regardant du coin de l'œil. Ses mimiques schizophréniques renversent la célèbre scène de Duck Soup où Pinky (Harpo Marx) qui a cassé le miroir singe les gestes de Firefly (Groucho Marx) dont il a pris l'apparence, gag inventé par Max Linder douze ans plus tôt en 1922 pour Sept ans de malheur. Superstitions et maladresses peuvent accoucher de merveilleux scénarios ! Ici le geai se dédouble, son reflet prenant son indépendance pour jouer d'un effet de distanciation que B.B. aurait adoré.


Le geai résonne en moi comme un suffixe, rime riche que mon père avait noté dans sa charade nominale : "Mon premier est un apéritif, mon second est un oiseau et mon tout est un homme délicieux". Mon souvenir avait laissé la marque d'un "oiseau des cieux", pléonasme que j'attribue seulement à la démarcation grivoise du terme "petit oiseau" auquel mon père avait donné des ailes. Le qualificatif délicieux rend mon interprétation d'autant plus crédible. Pendant ce temps le geai des chênes se déchaîne en battant des ailes sur ses échasses.

jeudi 16 avril 2015

À plat


Erreur de perspective. L'homme porte les branches, l'arbre une perruque. L'image se lit comme un oracle. Quelle précision ! Je dors debout. Dans la boîte : le miaulement d'un gros chat, une aspiration, l'ampoule flash d'un appareil argentique, toute une jungle, des percussions, un orchestre, une guitare préparée avec des grains de riz et la clarinette d'Antonin. Autant de notes, autant de phrases à découper ensuite. Pour la seconde vinaigrette j'ai mélangé de l'huile d'olive, de l'huile de sésame, du vinaigre turc à l'ail, de la moutarde, de la pâte de curry, du poivre de Tasmanie. Après cinq heures de cuisson les souris fondaient dans la bouche. Terminus au mastica.

jeudi 9 avril 2015

La nuit Scat était gris, mais le jour aussi, était gris


En épluchant les annonces de chatons à donner je suis tombé sur une fratrie de chartreux gris souris à croquer. Pas question d'acheter un animal évidemment. Nous souhaitons adopter un petit de deux ou trois mois élevé sous la mère, espérant éviter ainsi les conséquences des traumatismes des pauvres bestioles abandonnées. C'est aussi une question de coup de foudre car l'aventure commune peut durer vingt ans (si je tiens le coup jusque là !). Il est donc indispensable de voir les chatons avant de nous décider. Nous connaissions ainsi les pédigrées de chats de gouttières de Lupin, Scat, Snow et Scotch pour avoir rencontré leurs mamans.
Les donateurs hypothétiques des chartreux répondirent par une série de questions: "Êtes vous éleveur ? Où vous situez vous ? Êtes-vous sûr que votre temps et votre revenu vous permettent de bien prendre soin de nos chatons ? Surtout ne pas les vendre." Suivies de conditions : "Me permettre de visiter les chatons disons deux fois par an, me donner les nouvelles des chatons avec les photos aussi, leur donner tout l'amour dont ils auront besoin, prendre bien soin d'eux, il faudra que les bébés restent avec vous toute leur vie." Enfin la description des caractères de chacun donnait envie d'adopter aussitôt les deux. Je répondis comme il se doit à chaque question avant de m'apercevoir que les chatons ne vivaient pas à Paris comme stipulé sur l'annonce, mais à Londres ! Il fallait donc aller les chercher ou payer les frais de transport de 200 € par chaton par une agence spécialisée dans la livraison animalière. J'avoue avoir fait machine arrière alors que nous aurions pu passer le week-end en Angleterre (pour moins de 400€!) et ramener la marmaille avec nous dans l'EuroStar, mais les formalités douanières se sont un peu durcies depuis peu...
La photo des chartreux m'a évidemment fait penser à Scat, mort à quatre ans, empoisonné par un voisin maladroit ou mal intentionné. Guy Le Querrec l'a immortalisé sur un fameux cliché paru dans son recueil Jazz, un petit format italien de 400 pages où notre héros m'épaulait au Theremin pendant que Bernard Vitet jouait du cornet dans le jardin de Clamart (Federico Motta Editore, 2001). Sa photo est également parue quatre ans plus tard dans Le Chronatoscaphe, album exceptionnel commémorant le 25e anniversaire du label nato (3 CD, illustré par une douzaine de dessinateurs de BD et une soixantaine de photos de Le Querrec, avec des textes d'une vingtaine de journalistes) ; j'en avais écrit et composé les 53 intermèdes sonores avec la participation des comédiens Nathalie Richard et Laurent Poitrenaux à la demande de son producteur Jean Rochard, grand serviteur de la gente féline...

P.S. : lire "Arnaque aux chatons"

mercredi 1 avril 2015

Changement de régime


Non, ce n'est pas un poisson d'avril, mais aujourd'hui je change de régime. Ce n'est pas un régime politique, mais social. Oui, aujourd'hui je passe du régime des intermittents du spectacle, jamais quitté depuis 42 ans, pour celui de la retraite, qui ne durera très probablement pas aussi longtemps ! Je n'ai pas écrit que j'étais à la retraite, car je vais devoir continuer à travailler quoi qu'il en soit. J'ignore encore dans quelles mesures, car la CNAV ne m'a pas envoyé son évaluation ni la "notification de pension vieillesse du régime de base", bloquant ainsi ma "demande de retraite complémentaire et Agirc" auprès d'Audiens. S'il est conseillé d'envoyer sa demande quatre mois avant, je comprends maintenant pourquoi : la CNAV n'étudie votre dossier que quatre mois plus tard. Ah, les rouages administratifs français, quel poème ! On m'a trimbalé de fausses adresses en faux horaires, mais, comme tout le monde, j'ai fini par y arriver, en perdant du temps et en en faisant perdre à tous les préposés aux fausses pistes.
Quel gâchis économique et humain que ces courses d'obstacles auxquelles se livrent les intéressés, traiteurs incompétents et traités circulant d'impasse en impasse. Notre système est entièrement à revoir. C'est sans compter l'absurdité kafkaïenne des habitudes. C'est sans compter les lobbys industriels qui en croquent. Je passe du coq à l'âne. Changement de régime. Dans tous les secteurs. Simplifier les démarches ferait-il perdre tant d'argent à l'État ? C'est probablement le contraire. Tant d'énergie dépensée de chaque côté du guichet pour rien. Ailleurs et dans le désordre, développer les transports en commun pour limiter les véhicules individuels, les rendre gratuits pour économiser les portillons automatiques et leur entretien, les contrôles et les sanctions. Faire pousser des légumes en créant des espaces verts au lieu des terrains vagues en bas des immeubles. Dépénaliser les drogues pour détruire le marché parallèle dont le banditisme et les banques font leurs choux gras. Arrêter la fabrication et la vente d'armes. Transformer les médias pour qu'ils deviennent formateurs au sens de formation plutôt que de formatage. Etc.
La société est malade. Nous sommes en présence d'un malaise social beaucoup plus profond que la crise politique. J'évite ici d'évoquer les grands profiteurs dont il faudra bien couper les têtes. Le cynisme des dirigeants de la planète, ivres de profit indu, se répercute sur toutes les couches de la société, si bien que le manque de conscience professionnelle, de passion au travail, et par conséquent de compétence, touche tous les secteurs. Françoise a raison : le revenu de base pourrait résoudre bien des problèmes. L'argent ne serait plus lié au travail, mais à la personne. Mon métier m'y a évidemment habitué : mes revenus n'ont jamais été cohérents avec la quantité et la qualité de mon travail. Quelques jours peuvent générer un fric considérable tandis qu'un an de boulot peut accoucher d'une souris. Seul l'amour de mon métier m'a permis de tenir. Mais est-ce un métier ? Lorsqu'on lui demanda sa profession, Cocteau écrivit : "sans (toutes)". Je l'ai depuis longtemps adopté. Mon père m'avait expliqué que même si je devais balayer la rue, le faire bien est moins ennuyeux que de le bâcler. Les machines sont stériles et polluantes. À qui rapportent-elles ? Bien entendu, je n'ai jamais balayé que devant chez moi, mais je partage régulièrement le fruit de mes réflexions et toutes les informations dont j'ai pu hériter grâce à la générosité des anciens ou de mes camarades.
Le régime de la retraite va me permettre de sortir de l'humiliation que Pôle-Emploi distille à ses bénéficiaires. Je saurai où je vais. I know where I'm going est un film sublime de Michael Powell. À 60 ans et 9 mois, sans devoir justifier des 43 cachets j'ai touché mes indemnités de chômage d'intermittent, une sorte de pré-retraite ? Puis ayant atteint le total de trimestres travaillés requis je prends ma retraite à taux plein. Déjà la Sacem me gratifiait d'une somme trimestrielle, mes points comptant pour de vrai parce que j'y étais monté en grade. Pour les petits ils sont simplement perdus. Pourquoi notre société aide-t-elle toujours ceux qui ont le moins besoin d'être secourus ? Les autres ont le droit à une misère programmée.
En France, la gauche a failli. Je ne parle pas de la droite bien pensante du PS, mais du PCF par exemple. En 1972 le Parti Communiste a abandonné l'idéologie au profit de la stratégie. Cela aurait pu éventuellement se comprendre si cela avait marché, mais ce fut une catastrophe et le Parti a persisté à s'associer aux sociaux-démocrates jusqu'à pratiquement disparaître. L'extrême-gauche semble incapable d'incarner le vote contestataire que l'extrême-droite récupère chez les déshérités. Dans notre ville c'est un noir et une arabe qui représentaient le FN aux élections ! Il y aura des lendemains qui déchantent. Créer de nouvelles utopies est absolument indispensable, et, pour ce, il faut revoir tout le système, bouleverser nos manières de penser, réapprendre à respirer, savoir pour quoi nous combattons. On n'a qu'une vie.