70 Pratique - septembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 25 septembre 2019

Manuel de survie en cas d'effondrement de notre civilisation


Avant de vider définitivement l'appartement de mes parents j'ai récupéré quelques cahiers parmi la quantité phénoménale de livres, sept mille pour tout dire. Les uns ont été vendus, d'autres donnés, mais j'en ai conservé quelques uns qui me rappelaient mon enfance, en particulier ceux ayant trait à mon passage aux Louveteaux. Tous les jeudis, certains week-ends et lors de vacances, je pratiquais le scoutisme aux Éclaireurs de France, une troupe que dirigeait un jeune couple, rue d'Alésia d'abord, puis dans le fond de la rue de Nevers. Ils portaient les totems de Fennec et Akela. J'habitais alors rue Léon Morane dans le 15e arrondissement et je me rappelle être rentré plusieurs fois avec le grand mât de la troupe sur la plateforme arrière de l'autobus. On ne peut pas imaginer le plaisir que nous avions à voyager en plein air sur ce bacon mobile d'où l'on pouvait descendre en marche lorsque le receveur ne nous regardait pas. Ces jours-là je portais un uniforme bleu, un foulard jaune et évidemment des culottes courtes. De 8 à 11 ans, j'ai ainsi appris et testé la manière de vivre, à la fois morale et pratique, que m'avaient inculquée mes parents et que j'allais adopter au cours de ma vie. Je suis rapidement devenu sizenier, et, le plus jeune de France, je fus présenté à la petite fille de Baden Powell sur la scène de la Salle Pleyel. C'était déjà une vieille dame, le fondateur du scoutisme, né en 1857, étant mort en 1941.
Mon Manuel de l'éclaireur, sous-titré L'ami du campeur, publié en France en 1947 par les Éclaireurs unionistes d'inspiration protestante, prétend "développer chez les garçons la curiosité saine de la nature et des hommes. Il s'efforce de les pousser à «entreprendre» et à «réaliser»." Ce livre dont la première version remonte à 1914 n'est donc pas exempt de sexisme. Si les filles furent intégrées très rapidement au mouvement, Baden-Powell considérait que les garçons étaient des éclaireurs et les filles des guides. On notera la nuance ! Heureusement ma troupe n'était pas seulement laïque, elle était mixte, ce qui me valut, entre autres, mes premiers émois sexuels lors d'un camp à Belle-Île lorsque j'avais 11 ans. Entré aux Louveteaux à l'âge de 8 ans, je ne désirai pas poursuivre le scoutisme aux Éclaireurs l'année suivante. C'est à cette époque que je pris ma carte de Citoyen du Monde ! Si l'on fait abstraction de ma prédisposition obsessionnelle, ces trois ou quatre années aux Louveteaux et mon travail de premier assistant à la sortie de l'Idhec sont la base de mon imparable organisation.
Il était nécessaire que je resitue le contexte, mais en ouvrant ce livre je suis surpris de la somme d'idées pouvant nous permettre de survivre dans une perspective collapsologique ! Passé le chapitre sur la France, celui sur les arts me donne des pistes sur ce qui a pu m'inspirer alors que j'étais enfant. Celui sur le sport a quelque intérêt également, mais les choses deviennent sérieuses avec celui sur la santé. Hygiène de vie, sauvetages en tous genres, du cheval emballé au chien enragé, de l'électrocution aux troubles digestifs, on frise le Manuel de survie que ma fille m'avait offert il y a longtemps avec beaucoup d'humour. On y trouvait Comment sauter dans un train en marche quand on se trouve sur le toit, Comment survivre à une morsure de serpent venimeux, se débarrasser d'un requin, échapper à un puma, un alligator ou des abeilles tueuses, Comment gagner un combat à l'épée, encaisser un coup de poing, sauter d'un immeuble dans un container, faire une trachéotomie, détecter un colis piégé, faire atterrir un avion, survivre à un tremblement de terre ou à un naufrage, etc. Là ce serait plutôt comment construire une cabane, faire des nœuds, camper par tous les temps... Les chapitres Voir sans être vu et Transmissions sont évidemment passionnants, avant d'aborder ceux sur la nature qui concernent les animaux, les plantes, les roches, le climat et ce que l'on peut en tirer. L'exploration pourrait devenir un jour déterminante, comme Le Travail des hommes et Les bricolages puisqu'il s'agit de construire tout ce qui peut nous permettre de survivre dans la nature ou en l'absence du confort moderne. Cette perspective d'effondrement de la civilisation industrielle et du capitalisme devient de plus en plus probable sans que l'on sache très bien quand cela se produira, et si j'en verrai les effets.
Ce manuel tombe donc à pic au moment où j'attaque mon nouveau projet discographique intitulé Perspectives du XXIIe siècle. Coproduit avec le Musée Ethnographique de Genève (MEG) et les Archives Internationales des Musiques Populaires (AIMP), il y est question de repartir à zéro en revoyant les bases à la lumière des erreurs fatales du passé. Cette éventualité est plutôt sympathique, puisqu'elle envisage qu'il y aura des survivants !

mercredi 11 septembre 2019

Tant bien que mâle


J'aurais pu écrire un énième article fustigeant le machisme toujours prégnant, des gars qui s'étalent, abusent de leur position de force ou de leurs prérogatives sociales, mais la question ne concerne pas que l'espèce humaine. J'ai mis hors d'état de nuire le matou qui a fait sauter les plombs de toute la maison en marquant son territoire sur une prise de courant de la cuisine. Le voyou qui terrorisait Django et Oulala, que des opérations ont rendus stériles, manœuvre qui devrait inspirer quelques mâles sexuellement incontinents, ne pourra plus empuantir le cellier ni le rez-de-chaussée. Loin de moi l'idée d'en rajouter en lui faisant du mal. Mes chéris ont la délicatesse de faire leurs besoins dans les jardins avoisinants. J'ai donc installé deux chatières électroniques ne laissant passer que les chats autorisés. Il leur suffit de présenter leur puce d'identité devant la trappe pour qu'elle s'ouvre automatiquement. Tout le monde peut sortir, mais ils sont seuls à pouvoir entrer.
N'étant pas du tout bricoleur, l'installation tint à la fois de l'exploit et du miracle. À la cave le trou existant était trop grand. au rez-de-chaussée il était trop petit. J'ai dû combler l'espace qui aurait pu laisser passer des petites souris, encore qu'en général elles pénètrent chez moi dans la gueule de Django, et attaquer au burin l'épais mur du salon. J'ai bêtement commandé pour rien une extension de tunnel, préférant conserver la chatière extérieure, question d'isolation thermique et de minimisation des travaux terrassiers, et insérer en force la nouvelle à l'intérieur. Évidemment celle-ci n'est pas d'équerre, mais ceux ou celles qui me connaissent peuvent imaginer le sentiment de victoire qui m'anime lorsque je réussis à bricoler un truc qui tient tant bien que mâle. Après avoir retaillé le morceau de gazon synthétique qui sert de tapis-brosse aux bottes de sept lieues des félins entre les deux portillons, j'ai testé les équipements avec les intéressés qui ont commencé par faire la gueule, mais se sont vite habitués à montrer patte blanche. La moindre contrariété peut modifier leur comportement !


Ainsi, si un chat se met à pisser quelque part, ce qu'il ne faisait jamais "au paravent", il faut toujours se demander ce qui a changé. Cela m'est arrivé avec Scotch qui faisait ses besoins dans la douche depuis que l'on avait fermé la porte d'une des chambres. Il avait suffi de la rouvrir pour qu'il cesse cette pratique détestable. Je cherche actuellement une idée pour que mes zozos arrêtent de me prendre pour le portier, en miaulant pour que je les fasse entrer ou sortir à tout bout de "chant", et choisissent d'utiliser plus souvent les équipements qui m'ont coûté les yeux de la tête et la sueur de mon front.

vendredi 6 septembre 2019

Dormir ?


Vais-je enfin pouvoir dormir ? J'en doute. D'abord parce que j'ai l'habitude de dormir peu. Quatre heures et quart me suffisent. Il m'arrive néanmoins d'avoir des insomnies nocturnes. Plutôt que me retourner désespérément dans tous les sens dans mon lit, je me lève et vais travailler une heure ou deux. Je retrouve le sommeil aussitôt ! D'ailleurs le soir je m'endors en trente secondes. Par contre le matin, le soleil me réveille, d'où l'installation d'un volet roulant. Dans les hôtels où les chambres sont dans l'obscurité totale je dors plus tard le matin. Si on ne le ferme pas tout à fait, le volet laisse passer l'air du dehors. La télécommande permet aussi de l'arrêter en marche et de ne pas le fermer jusqu'en bas. Au milieu de la nuit il suffit parfois que je marche trois minutes sur un tapis de réflexologie pour retrouver les bras de Morphée. Je m'allonge bien dix minutes chaque soir sur un tapis de fleurs, le Shakti Mat hérissé de pointes qui me transforme en fakir. Ainsi mon dos se repose et je ronfle moins. On verra à l'usage... Le petit fil qui dépasse correspond au thermomètre que j'ai accroché à l'intérieur il y a vingt ans et dont je n'ai encore jamais changé les piles. Mais la grande question est celle de l'appréhension du sommeil. Suis-je si heureux de me réveiller et d'aller travailler comme je le prétends ou est-ce la crainte de la mort ? J'ignore pourtant la peur du noir (la preuve !) comme j'aime le silence. Il est vrai que le silence n'existe pas. Il y a toujours le murmure de la ville ou le chant de la nature, au pire le son de mon sang qui circule dans mes veines...

mardi 3 septembre 2019

Le rouquin faisait sauter les plombs


Nous étions à Bucarest lorsque mon voisin, passé nourrir Django et Oulala, m'appelle pour me dire que les plombs de la maison ont sauté à cause du réfrigérateur et que les glaces Berthillon ont fondu. Je n'ai évidemment pas tous les détails, mais cela sent la catastrophe, avec serpillères et déménagements. Pascal a heureusement sauvé la majorité du contenu du congélateur. Or chaque fois qu'il remplace les fusibles, cela disjoncte. Comme l'appareil a vingt ans j'en commande un aussitôt, suivant les suggestions du magazine Que Choisir, pour ne pas nous retrouver trop longtemps sans réfrigérateur. Il fait encore plus de 30°C dehors. Rentrés à Paris, je m'aperçois que la largeur du nouveau "frigo américain" est de 92cm au lieu des 82 de l'ancien, et qu'il ne rentrera pas dans l'espace qui lui est alloué. J'annule donc la livraison et la commande. Après recherches sur Internet, je suppose que le compresseur est hors-service, que la résistance de dégivrage dysfonctionne ou que le ventilateur est en panne. Alors que je tourne désespérément autour de la question, je m'aperçois que le matou roux qui tape l'incruste de temps en temps a giclé sur les murs de la cuisine. Mes deux chats ayant été opérés n'ont pas cette nauséabonde pratique ni le tonus de s'opposer à l'intrus qui passe parfois la nuit par les chatières que j'ai installées à l'avant et à l'arrière du pavillon. Apercevant trois petites coulées sous une prise électrique, j'ai l'idée de la démonter, découvrant alors que cet horrible individu a réussi à couper le courant de toute la maison en marquant un territoire qui n'est même pas le sien. J'en ai profité pour nettoyer mon vieux frigo de fond en comble qui est reparti comme si de rien.
Un dépanneur m'avait prévenu que, même très âgé, il fallait mieux le faire réparer en cas de panne, plutôt qu'en racheter un nouveau. En effet il date d'une époque où les machines n'étaient pas construites selon la règle de l'obsolescence programmée. Les mêmes appareils ou équivalents ne tiennent que quelques années et les constructeurs ne sont tenus de fabriquer les pièces de rechange que pendant sept ans après leur sortie sur le marché. Il ne me reste plus qu'à faire l'acquisition de chatières électroniques interdisant l'entrée à d'autres félins que les miens. Lorsque je dis "les miens", les humains domestiqués comprendront l'ambiguïté du renversement. Cela fonctionne grâce aux puces dont ils sont équipés. Me voilà donc allongé par terre à installer ces portillons censés nous délivrer des odeurs acres des anciens amants d'Oulala...