70 Révélations (coll.) - juillet 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 25 juillet 2010

Taille stéréo


Pierre Oscar est arrivé au moment où Francis me coupait les cheveux. Sonia et moi avions déjà commencé depuis la matin avec Marie-Laure qui avait apporté toile et pinceaux pour jouer le rôle d'Édouard Manet dans l'atelier où il avait peint le scandaleux Déjeuner sur l'herbe. Point d'ambiance naturaliste donc, mais l'envers du tableau, petits bruits légers et une seule respiration du modèle sur son gros plan. Au fond, une grosse horloge franc-comtoise homogénéise la scène en assurant la continuité.
Avec raison notre réalisateur nous obligea ensuite à refaire la toupie du Chardin pour mieux l'animer. Nous nous étions donné tant de mal à caler la planche la fois précédente alors qu'il me suffisait de l'incliner au fur et à mesure des lubies de la toupie pour que sa rotation dure le plus longtemps possible tout en variant ses mouvements. Suivit une séance de panoramification en fonction de l'animation en relief dont le film ne présentait ici que l'œil gauche, puisque l'Enfant au toton sera vu avec des lunettes 3D comme le Böcklin.


Pour terminer cette longue journée, nous peaufinâmes les mixages de Gauguin, Poussin et surtout Courbet pour lequel Pierre Oscar (merci pour la photo dans le studio) me demanda de faire complètement disparaître le son à chaque fondu au noir faisant sombrer les dames de petite vertu dans le rêve.
Le vingt-deuxième et dernier tableau est ainsi terminé. Il ne nous reste plus qu'à étalonner l'ensemble et créer toutes les nuances entre faux silence et musique à fond les manettes. Le temps était propice à ma taille saisonnière. Françoise ayant subi le même sort prend les photos avant-après comme la pub d'une cure d'amaigrissement. Je me sens mieux.

samedi 24 juillet 2010

Pluie, vapeur et vitesse


Je ne suis pas certain de l'ordre des évènements. Mon œuvre de workaholic m'aurait-elle donné des vapeurs au point de me faire sombrer dans une douce léthargie m'empêchant de discerner le vrai du faux ? Je mixais la partition sonore du tableau de Turner lorsque la pluie s'est mise à tomber, arrosant le jardin d'une lumière de mousson. J'ai redoublé de vitesse pour arracher le linge presque sec et fermer les fenêtres, mais c'était déjà trop tard. La tentation était grande de photographier les couronnes d'eau formées par les gouttes au contact du bois, mais Pierre Oscar était déjà passé par là avec son appareil le jour où nous mixions La tempête de Giorgione.
Il ne me restait plus qu'à repartir au début du fichier en soignant le point de bouclage. La brume de 1844 camoufle le départ de la Firefly Class qui s'ébroue avant que la pluie n'arrose copieusement le pont enjambant la Tamise à Maindenhead. L'averse redouble tandis que la locomotive accélère au delà du raisonnable. L'énergie cumulée de la nature et de la science pousse le son à son paroxysme, noyant le moteur emballé sous un déluge de bruit blanc. Je suis obligé de recommencer la fin, car les caprices des harmoniques me font bizarrement entendre un intolérable et répété "Sieg Heil" constitué de l'entrechoc des gouttes, des pistons et des rails. Je ne peux pas prendre le risque qu'un spectateur ait la même sensation. En réécoutant le mixage, je m'aperçois que je monte toujours selon des références cinématographiques plutôt que musicales, préférant les passages cut brutaux au camouflage des fondus. Ainsi, insérant par le son des effets de coupe dans un plan séquence, je recrée l'image mentale d'un film imaginaire où les angles varient alors que la caméra est fixe.

jeudi 22 juillet 2010

Il ne fait jamais nuit


Le tableau de Zao Wou-Ki s'appelle "Il ne fait jamais nuit". En ville comme à la campagne le noir n'existe pas et Claude Monet d'insister, "le noir n'est pas une couleur". En passant la journée à quatre pattes pour enregistrer le son des grains de riz tomber sur mes instruments, je cherchais à varier les couleurs d'une écriture imaginaire. Sur les à-plats du fond composés de deux violoncelles et de divers enregistrements de rhombe, nous pouvons entendre le riz sur les lames du xylophone et du métallophone, sur les blocs chinois et les peaux, mais j'ai aussi utilisé une ardoise et des casseroles accordées, et, pour terminer, la guitare électrique. En faisant tourner le rhombe j'ai heurté le mur et l'instrument s'est brisé. J'ai heureusement pu aller au bout de l'enregistrement en coinçant le bois dans les vis, mais ce genre d'accident me crève le cœur parce qu'il aurait pu être évité si je ne me mettais pas dans cet état d'excitation qui me fait enchaîner les prises à une vitesse digne d'un concert en public. Si je relâche la tension, il me faudra des jours ou des semaines pour obtenir un résultat équivalent. Voilà pourquoi je prépare la séance pour avoir tout sous la main, pour que la technique ne pose aucun obstacle à mon inspiration. Sonia est d'une aide précieuse tant pendant l'enregistrement qu'au montage, son écoute me permettant de prendre du recul, de voir avec ses yeux. Après plusieurs phases de doute et d'approximation, à la fin de la journée l'œuvre ressemble à ce que j'avais imaginé. Qu'il est agréable de comprendre que c'est fini !

mercredi 21 juillet 2010

L'anamorphose


En travaillant avec Pierre Oscar Lévy qui, par le biais de son "image du jour", me fait cadeau de son cliché pour le billet de ma nuit, je me demande si toute œuvre n'est pas une anamorphose. Entendre que nos motivations et les moyens pour les atteindre relèvent d'un mystère plus grand que notre prétention à maîtriser notre art, même en prenant la clef des chants les plus désespérés. De là à tordre notre fiction pour faire apparaître le réel enfoui sous des couches de savoir ou de savoir faire il n'y a pas loin. J'imagine que l'inconscient guide notre main comme un mille-feuilles hypnotise le gourmand. Voyez-y pour preuve le synchronisme accidentel que nos rêves les plus fous n'auraient jamais osé invoquer.
L'astronome de Vermeer résistait à toute analyse. Aucun lâcher prise n'établissait le contact sensible. J'ai commencé par résoudre les problèmes techniques qui m'ennuyaient depuis des semaines en réinitialisant le Midi dans l'utilitaire Configuration audio et MIDI. Comme j'avais lancé les machines sur huit pistes parallèles je débordai des quatre minutes du film de Pierre Oscar jusqu'à seize. Persuadé qu'il me faudrait trois ou quatre jours pour arriver au bout de l'œuvre, je réécoutai agacé le brouillon. Il y avait de belles choses. M'effleure alors l'idée que ce mélange de cloches tubulaires (lutherie Vitet toujours), de marimba eroica, de gongs et de pizz conviendrait peut-être... Laissant le début tel quel, sobre et répétitif, j'attaquai par la fin, riche en expérimentations timbrales, cymbales frottées, arpégiateur sur arpégiateur, filtre du circuit d'échantillonnage et de maintien sur le panoramique, etc. Je montai la musique comme un film tant qu'on oublie le plan séquence de l'image. La pièce prenait forme, mais la synchro ne rimait à rien. Reprenant le début tel quel, je coupai après une minute ce qu'il y avait en trop pour arriver à quatre minutes exactement. Start. Tout est magiquement en place. L'accélération fait tendre l'oreille à l'astronome comme à ses admirateurs. Même lorsqu'il regarde ses genoux il entend les étoiles et nous croyons les voir. L'horloge sonne au mur. On devine le ciel derrière la fenêtre fermée. La retenue de la première partie cède la place à une profusion d'équations musicales à l'instant même où l'idée jaillit, symbole de la création.
Les purs sanglots ne sont pas nécessaires pour la croire immortelle. La faux est au bout du chemin. Les deux crapules s'effacent devant le Christ en relief que trop de reproductions recadrent honteusement tandis que le crâne d'Holbein retrouve son inéluctabilité biologique.
S'il s'emporte sur son blog de temps en temps, Pierre Oscar publie sa photographie du jour qu'il envoie par mail à ses amis. Je suis chaque fois sidéré par l'acuité et la promptitude de son regard, cette manière de saisir l'instant des gens de la rue devant un décor qui semble construit pour eux ! À lui le soin de publier cette somme quand cela lui chantera. Je lui demande un simple témoignage, l'anamorphose. C'est sous son signe que nous croisons nos parapluies et nos machines à coudre sans autre effet que les ressources du son et de l'image. On nous demande d'en rajouter, mais on ne peut dessiner les moustaches de la Joconde à la Victoire de Samothrace !

lundi 19 juillet 2010

Les tableaux de Pierre Oscar Lévy


Pierre Oscar Lévy exécute un travail de titan, donnant un coup de jeune aux chefs d'œuvre du patrimoine. En un mois il aura pondu quarante scénarios et réalisé plus de la moitié des courts métrages autour d'autant de merveilles de la peinture. Une toile, un film. Même punition en ce qui me concerne, puisque j'en compose les partitions sonores avec la gageure de renouveler chaque fois l'exercice. La démonstration de l'apport du son dans un médium audiovisuel est flagrante. En suggérant Pierre Oscar à Dominique Playoust j'ignorais à quel point j'avais vu juste. Épris de peinture depuis son plus jeune âge, il réalise un de ses rêves d'enfant et donne naissance à son tour à quelques perles du 7ème Art. Pour ce faire il aura dévoré jusqu'à cinq bouquins par œuvre, recueilli les conseils avisés de Luis Belhaouari et dirigé une équipe d'effets spéciaux travaillant essentiellement sur Flame et une autre plongée dans la 3D. Chez Snarx, avec Jean-Christophe, Mélanie, Erwann, Nicolas, Frankie et tous les autres, il jongle donc d'un pied sur l'autre entre deux salles, ce qui est peu, j'en conviens, pour avoir vu Orson Welles travailler à Saint-Cloud avec cinq monteurs simultanément ! Ses genoux en prennent un coup, mais ses chevilles résistent à l'épreuve. Chaque scénario comprend un récit, soit l'analyse historique et psychologique du tableau, un texte poétique emprunt à la littérature qui n'a d'autre fonction que de décoller de la toile, l'objectif, c'est-à-dire l'angle sous lequel il l'aborde, et le découpage plan par plan, sachant que plus de la moitié des films qu'il aura réalisés se borne à un plan séquence savamment étudié au millimètre près.
Nous faisons valider d'abord les scénarios, puis le montage, le plus souvent sonorisé, pour terminer par les effets spéciaux exigés par notre client et qui prennent un temps machine considérable. Ces artefacts sont toujours inspirés de l'étude des tableaux et obéissent à la même logique narrative que le reste de la collection. Je les imagine comme un clin d'œil brechtien révélant la commande. Ils signent le saut dans le temps que notre travail représente, à la fois savant et naïf, et rendent hommage aux peintres sublimes que nous vénérons sans plus de sacralisation que d'iconoclastie. On peut être sérieux et élever des écureuils fous (je n'arriverais jamais à prononcer correctement "Crazy Squirrel"), puisque je ne peux m'empêcher de penser à Tex Avery quand le reste du temps et selon les films je reconnais Murnau, Renoir (Jean), Laughton, Visconti, Jancso, Buñuel et tant d'autres, mais, finalement et surtout, Pierre Oscar Lévy, qui en 1983 signait Je sais que j'ai tort mais demandez à mes copains, ils vous diront la même chose (Palme d'or du court-métrage au Festival de Cannes) autour de Picasso, Premiers mètres l'année suivante et Le cabinet d'amateur en 1986 qui sont deux magnifiques collections de faux, cinématographiques d'abord, picturaux ensuite, Relief de l'invisible en 1999, zoom vertigineux dans la matière, etc.
Si Dominique, qui est à l'origine du projet avec nous deux et remplit les fonctions de producteur, nous octroya une confiance aveugle, Pierre Oscar, avec qui j'avais travaillé précédemment sur deux films, me permet de vérifier mes théories sur l'apport du son lorsqu'il vient compléter les images plutôt que les illustrer. Les partitions sonores, répertoriées selon leurs constituants, prennent plus ou moins de recul, à savoir la densité d'évocation poétique qu'elles sont en mesure de susciter. La musique est évidemment la porte ouverte à toutes les interprétations, et plus elle est difficile à caractériser, plus elle en offre ! Les partitions bruitistes, faites d'ambiances réalistes ou sonorisées par des signes jalonnant de sens les paysages survolés par la caméra virtuelle, jouent la carte de l'immersion, voire de la transe. Certains partis-pris comme l'enregistrement de la foule des visiteurs du Louvre devant Les noces de Cana relève encore d'une autre série, plus conceptuelle. Je parle de tout cela alors que nous sommes encore en plein dedans. Presque toutes les musiques ont été enregistrées avec des instruments acoustiques, le plus souvent bien réels ; je m'y suis collé pour la plupart (flûtes, trompette à anche, trompette, violon, hou-kin, piano, piano-jouet, guimbarde, percussion...), mais le violoncelliste Vincent Segal est venu me prêter main forte, ainsi qu'Elsa pour une chanson murmurée, et pour quelques bruitages complexes Pierre Oscar et Sonia Cruchon qui trouverait la solution à n'importe lequel de nos désirs impossibles... À l'avenir il serait palpitant d'opérer sur des œuvres plus récentes. J'ai déjà hâte de voir tous les films terminés, repensant au dernier vers de Renard de Stravinsky et Ramuz : "Et si ma chanson vous a plu, payez-moi ce qui m'est dû !".

dimanche 18 juillet 2010

Flûte alors


Embarqué dans une activité musicale monomaniaque, j'ai de plus en plus de mal à écrire sur autre chose. Vient s'ajouter la crainte de lasser mes lecteurs/trices à en détailler le menu, discours de la méthode que je tente de renouveler chaque jour puisque je me suis fixé de traiter chacun des vingt-deux tableaux de manière radicalement différente. Saurez-vous décrypter le sens caché de ce qui peut, au premier abord, paraître des modes d'emploi ? Dans cet autoportrait en creux, j'espère toujours que l'anecdote ou l'exemple seront suffisamment éloquents pour susciter une critique, une réflexion, ou bien livrer quelque astuce, pour que l'on n'en reste pas à la description rudimentaire de ma tambouille faussement technique !
Aussitôt dit, aussitôt fait, j'ai enregistré les deux pièces pour flûte. Très tôt, j'attaque le Portrait de l'artiste en costume oriental avec la flûte basse en PVC construite par Bernard. Je m'époumone dans son tube de 2 mètres avec une section de 3,5 cm. Cinq prises de 4 minutes chacune plus tard, je crée un espace plausible pour la scène, mais je réverbère la mélodie rythmée accompagnant le chien pour lui donner un effet artificiel, comme si c'était un avatar rêvé du peintre. Pierre Oscar (admirant l'original au Petit Palais) m'apprend que l'animal a été ajouté dans un second temps. À la sortie des 101 dalmatiens en 1961, j'avais été marqué par la scène où les maîtres ont tous un chien qui leur ressemble. Ce phénomène d'identification se vérifie souvent. Si je joue Rembrandt très grave, son ironie devient explicite avec le rythme sur le chien, sujet majeur de la toile.
L'après-midi, j'essaie de transmettre l'érotisme d'Arearea (Joyeusetés) de Gauguin tout en soufflant comme si c'était la jeune fille. La rivière diffusée en playback dans le casque, je joue là aussi en regardant le film, ce qui n'est pas mon habitude, car en général je préfère mémoriser pour profiter des effets magiques du synchronisme accidentel. J'hésite un peu, j'ânonne tout en conservant l'émotion. Je voulais utiliser une petite flûte en bois, mais Pierre Oscar insiste pour que ce soit très doux. J'en sélectionne donc une en plexiglas que Bernard m'avait construite. En fait, c'est ma préférée. J'avais peur qu'elle fasse trop japonaise, mais en choisissant bien la tonalité j'espère m'être approché de la sensualité fragile désirée.

jeudi 15 juillet 2010

Silence on tourne


À peine avais-je le dos tourné que S. inonde la cave en voulant changer la pompe de la chaudière. Interrompu alors que je plaçais mon ambiance piscine sur le Manet qui fit scandale au salon des Refusés en 1863 (Mais que fait la police ? Elle arrive ! Sifflets à roulette et sirène pin pon d'avant l'Amérique...), je me retrouve devoir bouger des centaines de kilos de disques, éponger à quatre pattes et juguler la crise. Comme je vide les seaux d'eau encrassés par la suie je fais un vol plané à plat dos sur les planches de la terrasse. Il est trop tard pour réparer, je n'aurai pas encore d'eau chaude avant vingt quatre heures !
La journée avait commencé drôlement, en stéréophonie, à droite le réel, à gauche le virtuel. Un impressionnant orage éclate sur Paris tandis que je sonorise La tempête avec Pierre Oscar. Le tableau de Giorgione est une pure mise en scène de théâtre. Je jongle entre le tonnerre et la plaque de tôle. Les trois coups résonnent avant que la femme nue ne gronde. Le public applaudit le véritable éclair qui zèbre le ciel peint, mais en fait c'est la pluie...
Plus tard, Pierre Oscar jouera le rôle de Joseph dans le tableau de Georges de La Tour, soufflant comme un bœuf sur son labeur de charpentier face à l'enfant interprété il y a quelques jours par Sonia. Il plie sa ceinture pour imiter le bruit des semelles, mouille la mèche de la bougie avant de l'allumer et fait un trou avec une vrille dans mon tambour de bois. Tout est très délicat, souffles proches du silence.
Il m'attrape dans le mouvement avec son appareil tandis que je lui propose des sons pour le Zao Wou-Ki. Je pense utiliser un rhombe et des grains de riz tombant sur différentes percussions. Nous faisons le tri parmi les différentes ambiances que j'ai préparées pour Poussin, Courbet et Gauguin. Je cale toujours sur Vermeer.

samedi 10 juillet 2010

Partout j'écris ton nom


Écrire, toujours écrire. Chaque jour, tous les jours. S'il n'y avait qu'ici, mais là aussi. Jouer avec les mots ou les sons échappe aux lassantes habitudes. Mon amour pour l'écriture finit par se savoir. En vérité, j'improvise. Ma main ne m'obéit même pas. Elle revnerse les lettres. Sommes-nous tous dyslexiques ? Les idées tricotent. Les bulles de savon éclatent en frôlant la portée. Les clefs perdues, je rentre par la fenêtre. L'assurance se nourrit de la commande. Courte, elle se construit phrase après phrase. Conséquente, l'intro - trois parties - conclusion mène le bal. Ça sonne aux abonnés absents. Le regard perdu sur la ligne bleue des Vosges. Oiseaux devant, oiseaux derrière, peu d'automobiles, autant d'avions, insecte, un autre, encore... Dix lignes pour hier soir, quatre ou cinq feuillets pour début d'août, le nouveau projet pour la semaine prochaine, les comptes, les chèques, signer ou faire signer ? Je passe d'un clavier à un autre. Le merle est revenu. À l'instant ! C'est la fête. Je me demandais.
Si Vincent Segal ne m'avait pas raconté qu'il adorait Fra Angelico, lui aurais-je proposé d'enregistré le playback du Couronnement de la Vierge ? Sur la basse recopiée trois fois, il ajouta la seconde voix. Je n'aurais plus qu'à poser un instrument à vent sur la corde à linge de ses violoncelles. À la recherche de trompettes célestes, j'ai ressuscité le bugle de Bernard Vitet cryogénisé il y a plus de vingt ans dans le S1000. Différents timbres. Mes mains font ce qu'elles peuvent. Je ne pense qu'au sens, à l'émotion que la scène me procure. Enregistré dix prises successives, pratiqué des élisions chirurgicales jusqu'à ne garder que l'essentiel. Sonia y entend de la bienveillance. C'est ma manière de traiter avec le sacré. Idem avec La Vierge aux rochers de Vinci. J'ai demandé à Elsa de la jouer comme Edith Scob dans La voie lactée de Buñuel, comme si elle chantonnait en faisant la vaisselle. "Ne te rase pas mon fils, la barbe te va si bien !". Elle est tendre avec les bambins, bienveillante. Un coup de vent, un ru, je noie sa voix dans l'écho de la grotte (et non pas...). Je n'ai pas pu m'en empêcher. Comme l'illustration de l'article !
Traiter avec l'histoire de la peinture, c'est se coltiner un paquet de bondieuseries. Sans foi, on s'invente sa loi. Pour y arriver, je me glisse souvent dans la peau de l'artiste, je pense à son salaire, au délai qu'il lui fallut respecter, au refus de ses commanditaires, au scandale que sa plume ou son pinceau provoquèrent... À condition de pouvoir jouer sur les deux tableaux, auteur ou sujet, le système d'identification fonctionne aussi bien en musique qu'au cinéma ou au théâtre. Je prends l'accent de mes modèles pour voyager dans le temps.

lundi 5 juillet 2010

L'accord parfait


Le miracle se reproduit chaque fois en la présence de Vincent. Tout coule de source, le son du violoncelle prend trente secondes à régler, aucune répétition n'est nécessaire, nous nous comprenons à demi-mot voire sans paroles, lorsque je suis au clavier je le sens lorgner sur mes mains pour être certain de rattraper les balles impossibles qu'il m'arrive de lui lancer ! Nous enchaînons la musique de cinq films avec une efficacité déconcertante. Vincent Segal passe d'un style à l'autre comme qui rigole et nous ne nous en privons pas (photo : Sonia). L'atmosphère détendue permet de nous concentrer tant sur les effets de sens que sur la musique proprement dite. La première prise est la bonne. Mis en confiance par son goût de la surprise et son agilité de funambule, je m'autorise d'imprévisibles expérimentations, je me découvre des talents que j'ignorais. Je crois n'avoir connu cette complicité de jeu qu'avec Francis Gorgé du temps d'Un Drame Musical Instantané. Sur le Chirico je joue d'un ballon de baudruche en modulant les notes avec ma caisse de résonance buccale et ma guimbarde prend des intonations que je ne lui connaissais pas. Vincent pense que, n'ayant aucun complexe pour jouer quelque musique que ce soit, nous nous affranchissons de tous les préjugés musicaux dans la plus grande liberté. Il sait tout jouer, je crois ne rien savoir, ce qui revient au même lorsqu'il faut se jeter à l'eau. Dimanche après-midi nous improvisons sans effort, du pur plaisir !
Lyrique et dramatique pour le début du Lorrain, Vénitien et irradiant pour la fin, il imite le oud sur le Ingres mieux que je ne l'aurais fait avec la cythare inanga. Nous accumulons les petites formes nerveuses pour le Chirico qui n'est pas encore tourné, après avoir lu le découpage réalisé par Pierre Oscar, plus une dernière séquence dans un seul souffle pour la remontée de la montgolfière. Si j'utilise également le piano-jouet Michelsonne et la pomme-carillon pour donner l'aspect ludique et enfantin à La chanson d'amour, je suis assez fou pour agripper le violon, encouragé par mon camarade ! Comme j'évoque mes difficultés à trouver les trompettes célestes du Fra Angelico, Vincent me propose un sublime continuum à deux violoncelles qui me permettra de poser un cromorne ou un autre instrument à vent lorsque Le couronnement de la vierge aura été filmé. Pour terminer la journée, il enregistre quelques nuages inspirés par Zao Wou-Ki, le seul peintre vivant de la collection, bien que nous ne connaissions pas encore le tableau choisi.

samedi 3 juillet 2010

Trompette de la mort


En m'endormant je savais qu'un truc ne collait pas. J'avais prévu de sonoriser Les Ambassadeurs d'Holbein avec un solo de trompette à anche, instrument inventé dans les années 60 par Bernard Vitet qui utilisait un bec de saxophone sopranino sur sa trompette en si bémol aigu. Aussi, dès 1976, lorsque nous avons commencé à jouer ensemble, j'ai adapté le bec de mon alto à ma trompette de poche. Quelque chose me chagrinait. Je pensais qu'il manquait une ambiance derrière les phrases entrecoupées de silence, mais le problème venait du fait qu'ils étaient deux, ces brigands ! Dans mon sommeil, j'ai imaginé inviter un autre musicien à jouer en duo, mais aucun instrument ne me convenait. Je me suis demandé comment j'aurais fait si Pierre Oscar ne m'avait pas dit qu'il n'aimait que les instruments acoustiques. D'un coup, la musique a résonné dans ma tête, le timbre du rythme cardiaque, les souffles du Christ derrière le rideau, le Waldorf MicroWave XT que je n'avais pas allumé depuis des lustres... J'ai filtré les graves et rosi le bruit blanc, mais je n'étais pas au bout de mes peines. J'ai commencé par enregistrer tous les instruments ensemble, parce que j'aime que la musique sonne comme on respire. À 8 heures du matin, j'avais quatre excellentes prises dans la boîte. Manque de chance, je ne devais pas être tout à fait réveillé, les sons synthétiques étaient trop bas dans le mixage. Tout reprendre. Je les ai enregistrés seuls et j'ai recommencé à souffler par dessus, en faisant du bruit avec les clefs, en respirant, j'ai même poussé un gémissement sur le crucifix. Entre temps j'avais suffisamment répété en regardant le film pour en connaître toutes les subtiles articulations et me souvenir de l'analyse que Luis en avait faite. La première prise était la bonne ; juste remplacer la dernière phrase par une seconde. Tout est calé à l'image près, naturellement. Le son de la trompette à anche ressemble à celui d'une clarinette basse. Dominique compare mon solo à Roland Kirk sans connaître mon attachement au saxophoniste aveugle. Je pensais à quelque chose de grave, à la mort dont les signes sont partout cachés dans le tableau jusqu'au célèbre crâne anamorphosé. J'ai trouvé un moyen de boucler mes 4'51" et j'ai envoyé le fichier son. La tension était telle dans le studio que j'en avais encore la tremblote. Le soir, Pierre Oscar me dit qu'avec la musique on dirait du Scorcese. Les Ambassadeurs ont l'air de deux crapules. La vanité est devenu un film noir.

vendredi 2 juillet 2010

Baignade à Asnières


On peut toujours se plaindre de la chaleur. Il faut savoir aussi l'apprécier. J'ai passé l'après-midi à Asnières, les yeux baignés par ces bords de Seine. Je m'y suis plongé à en attraper la crève. Les zoziaux finissant par me sortir par les trous de nez, j'ai ajouté quelques clapotis pour me rafraîchir. Écouter un train à vapeur au loin renforçait la perspective, mais le bruit des wagons salissait le tableau peint par Seurat. Je ne conserve que le sifflet de la locomotive rappelant les volatiles et surtout le gamin qui voudrait faire de la musique en serrant un brin d'herbe entre ses pouces. Quand glissent les rameurs je me repose sur le panoramique. Une voile claque. Le môme finit par y arriver, mais ça réveille le chien. J'anticipe les sons pour qu'ils justifient les deux mouvements rapides que Pierre Oscar a écrit et qui dynamisent cette après-midi lascive. Ce grand type allongé de tout son long dresse l'oreille aux moqueries des enfants. Je pense au flic frappadingue qui a sauté sur mon pote mercredi matin en l'accusant de pédophilie parce qu'il faisait des photos d'un gamin de 5 ans poussant le caddy de sa mère dans une rue du XVIème. Ça fait peur. On attend le récit de son aventure traumatisante sur son blog avec impatience ! Il fait vraiment chaud.
Aujourd'hui le travail sera plus ardu, je dois souffler la mort sur Les Ambassadeurs et je sens ma trompette se plier pour me montrer ce que je ne veux pas voir.

jeudi 1 juillet 2010

Comme une toupie


Notre client nous aura fait tourner comme une toupie, mais nous sommes à l'œuvre après quatre mois d'une éprouvante partie de yoyo. Passant moins de temps à la direction artistique du projet, je me consacre essentiellement à composer les partitions sonores de 22 courts-métrages réalisés par Pierre Oscar Lévy sur autant de chefs d'œuvre du patrimoine pictural. Les 18 autres tableaux de la collection que nous avons scénarisés sont entre les mains d'une autre équipe et il semble que l'agence en charge de l'exposition dont j'ai pourtant imaginé le projet jusqu'à sa scénographie ait décidé de se passer de nous. Dominique Playoust aux commandes et Sonia Cruchon dans le rôle de la déesse Shiva complètent notre équipe infernale avec les camarades de Snarx pour œuvrer comme des fous jusqu'à la date limite fin juillet. Je crains de revenir pas mal ici sur ce travail qui va nous occuper jour et nuit pour rendre les 21 films, certains en 3D, à la date exigée ! Chez Snarx ou chez nous, tout le monde est excité par le projet. Luis Belhaouari offre une approche historique et critique à Pierre Oscar pour les scénarios et le conservateur de l'exposition apporte toutes ses lumières. Deux films pilotes avaient été réalisés en mars dernier, l'un sur Véronèse, l'autre sur van Gogh. Le premier invite le public du Louvre au festin, le second fait planer sous les étoiles. Nous n'attendons plus que les Ektas pour pouvoir connaître le planning précis de la suite.
Je choisis les sons déjà en magasin en attendant les premiers QuickTime, j'enregistre à l'avance lorsque c'est possible, accumulant les matériaux pour être prêt à monter et mixer, et évidemment enregistrer la musique à l'image si nécessaire. Hier matin, Sonia, qui s'était entraînée, a fait tourner la toupie de Chardin qui selon le conservateur ne s'est jamais arrêtée depuis 250 ans ! Dans l'après-midi, Elsa est venue interpréter la Vierge aux rochers, défi qu'elle a relevé tout en délicatesse et sans montage dès la seconde prise. Je m'attèle maintenant à sélectionner les sons du Seurat que j'avais préparés il y a quatre mois, avec Anny en siffleuse d'herbe, et je planche simultanément sur de douces trompettes célestes, la musique du cosmos entendue par la fenêtre et une odalisque que je ne suis pas encore certain d'accompagner au oud.