70 Théâtre - janvier 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 27 janvier 2007

Le trou du souffleur


Pourquoi ne voit-on plus de souffleur au théâtre ? On a démonté la boîte qui dépassait à l'avant-scène et qui représentait les hommes de l'ombre. On imaginait un très vieux monsieur qui était là depuis Molière, un vieil acteur décapité, épris de compassion pour ses congénères. Il était encore là lorsque j'étais petit. Je ne sais pas quand il a disparu, à quelle occasion, si cela s'est produit brutalement ou progressivement, je ne sais rien. Les comédiens ont-ils plus de mémoire que jadis ? Improvisent-ils leur texte lorsqu'à leur tour ils ont des trous ? Des ptits trous, des ptits trous, toujours des ptits trous.
Pourquoi est-ce que je m'ennuie au théâtre ? Pas tout le temps, mais si souvent. Jusqu'au supplice. La déclamation est insupportable, on a l'impression que le comédien ne joue pas un rôle, mais qu'il tient le sien, comédien ! Pas toujours, mais beaucoup trop souvent à mon goût. Peut-être le théâtre est-il une forme dépouillée du drame ? Le cinéma est plus complexe, il permet de changer d'angle, de faire des ellipses, j'ai l'impression d'une grande liberté que je ne perçois pas sur scène. Ou alors je préfère la piste, lorsque le danger peut se présenter de toute part. La musique est plus abstraite, sujette à interprétation. Les comédiens de théâtre me font rarement rêver, ils ne m'émeuvent pas comme un livre, un film, une voix qui s'élève note à note dans le noir. J'en souffre au point d'y aller à reculons. Mes jambes finissent pas avoir des impatiences. Je mors mes doigts, je me masse les pieds sous les malléoles, je pense à ça, à quelque chose, j'essaie de m'évader car je n'ose pas me lever et m'en aller. C'est terrible. Je souffre pour celles et ceux qui sont sur scène et débitent leur texte comme s'ils étaient à l'école, une école de ou du théâtre, mais une école tout de même. C'est cela : j'ai le sentiment d'être à l'école et j'attends la cloche. Il y a quelque chose de réducteur dans tout cela, le théâtre comme ce que j'en dis.

dimanche 14 janvier 2007

Un commencement à tout


Il y avait eu Du vent dans les branches de sassafras au Théâtre Gramont avec Michel Simon et Caroline Cellier, Le cimetière de voitures d'Arrabal avec Jean-Claude Drouot, le Living Theater de Julian Beck, mais j'ai découvert l'univers théâtral avec Michel Vinaver en 1980 au Théâtre de Chaillot grâce à Jean-André. Jacques Lassalle montait À la renverse avec, pour peu que je m'en souvienne, Françoise Lebrun et Jean-François Stévenin. Le passe-montagne tourné par le motard qui était accroupi là dans la loge m'avait beaucoup impressionné. Je crois me souvenir qu'il y avait aussi Maurice Garrel qui fit plus tard une petite apparition dans notre opéra-bouffe, L'hallali. Vinaver menait une double vie en tant qu'auteur et que PDG des sociétés Gillette et Dupont sous le nom de Grinberg, m'avait confié Jean-André Fieschi, qui plus tard épousera sa fille Barbara, la sœur d'Anouk. Leur fils avait baptisé sa poupée Elsa du nom de ma fille... Vingt quatre ans plus tard, j'ai revu Vinaver en haut des marches d'une remise de prix. Il m'avait rassuré en racontant que c'était la deuxième fois qu'il était primé par la Sacd. Je recevais moi-même ce soir-là le Prix de la création interactive après en avoir déjà été gratifié quatre ans auparavant. J'avais redouté une erreur, du moins que l'on s'aperçoive du doublon, probablement à cause du complexe d'usurpation que ressentent tant d'autodidactes. Somnambules succédait ainsi à Alphabet.
Raymond a dessiné le décor blanc de la reprise de L'émission de télévision mise en scène par Thierry Roisin à Montreuil. Je suis chaque fois épaté par le travail de mon ami. La scénographie éclaire le texte. Tous les lieux cohabitent sur le plateau. Les comédiens ne le quittent jamais, ils restent en bordure, devenant les musiciens de la partition sonore qui souligne avec simplicité et brio certains gestes importants. Les bruitages font surtout exister le hors-champ alors que leurs interprètes sont à vue, raclant une sonnette, jouant de fourchettes, transvidant une bonbonne d'eau pour faire discrètement couler un bain... L'idée est formidable, sa réalisation parfaite. J'ai d'ailleurs préféré le décor et le son de François Marillier au jeu dramatique dont la direction m'a échappé. Vinaver connaît évidemment si bien le monde de l'entreprise, ici une émission de télé-réalité et une grande surface de bricolage, que les échanges sont aussi jubilatoires qu'effroyables.


J'ai rencontré Raymond Sarti en 1989 aux milieux des tours de Mantes-la-Jolie. Le metteur en scène Ahmed Madani et lui nous avaient été "imposés" par la DRAC, mais nous n'eûmes pas à le regretter ! De notre côté, nous apportions J'accuse, avec Richard Bohringer dans le rôle d'Émile Zola. Un drame musical instantané était secondé par une harmonie de 70 musiciens dirigée par Jean-Luc Fillon et par la chanteuse de Pied de Poule, Dominique Fonfrède. Raymond avait collé un chapiteau gonflable de cinq étages de haut le long de l'une des tours destinée à être détruite. La façade de l'immeuble comme l'ancien parking ainsi recouverts étaient entièrement bleus avec de grosses croix blanches ici et là. Il avait fait creuser une tranchée pour notre trio, monter une colline pour l'orchestre et empiler des sacs de jute au milieu de la scène. Des croisillons plantés dans la terre donnaient au décor des allures de Verdun. Tout avait été repeint, un étrange mélange de Klein, Christo et Kubrick ! Richard arpentait les étages jusqu'aux balcons. Son rôle lui permettait les envolées lyriques qu'il affectionnait. Filmée à plusieurs caméras sans intelligence musicale, la "captation" n'a jamais été diffusée par la télévision. La même année, nous avons repris la partie de l'orchestre sous le titre de Contrefaçons à la Maison de la Radio. Après "J'accuse", nous avons monté Le K toujours avec Bohringer et Sarti. Raymond et moi avons continué à travailler ensemble, pour des expositions comme Il était une fois la fête foraine, pour des affiches, des disques, des théâtres de marionnettes... et nous sommes restés amis tout ce temps-là. En admirant son travail, je saisis chaque fois l'importance d'un décor laissé à la libre imagination d'un véritable scénographe.