Si la fatalité ne s'acharnait pas sur nous, on ne l'appellerait pas la loi des séries. Dès qu'Antoine est rentré de chez le loueur de vélos où il a dû racheter un U, nous avons filé comme des dératés vers le Distillery District pour donner le feu vert à la marmaille lagomorphe. En tournant sur Parliament Avenue, je sens un truc bizarre. Mon pneu arrière est à plat. J'extrais un énorme clou provenant des chaînes du tramway dont les rails enchevêtrés sont autant de pièges mortels pour les cyclistes. Hélas les passants à qui je demande où trouver un réparateur me font tourner en rond dans la zone périphérique de Lake Shore, se contredisant les uns les autres. À qui faire confiance dans de telles circonstances ? Je pousse l'engin pendant une heure, sous la pluie et en sueur, pour échouer finalement à la Distillerie où je me fracasse le crâne sur une poutre basse en attachant ma bécane.
Miraculeusement je tombe sur Arsinée et Atom venus montrer nos lapins à leur fils Arshile, chute plus agréable que ma virée slapstick. Me voyant décomposé, Atom prend les choses en main, il enfile la bicyclette crevée dans son coffre, m'amène jusqu'à un taxi sikh dont il négocie la course qu'il va jusqu'à régler lui-même. Je sais déjà comment le remercier de toute sa gentillesse, mais ça c'est une surprise.
Le gros type mal embouché de la location me rend le vélo réparé une heure plus tard et je pédale à nouveau comme un fou pour arriver à temps à la représentation de Best Before, un spectacle interactif où chaque spectateur a une télécommande et un avatar sur le grand écran en fond de scène. L'expérience est intéressante et amusante, un peu longue et pas assez incisive à mon goût, mais elle laisse présager de spectacles futurs. Comme je n'avais ni le nom du théâtre ni son adresse, j'ai fait des pieds et des mains pour arriver juste comme le spectacle commence, déshydraté et à bout de force. Nous remontons ensuite jusqu'à Queens Park où une centaine de cuisiniers proposent des plats des quatre coins du monde. Il y a un nombre incroyable d'événements à Toronto ce week-end. Des rues sont bloquées, des essaims de policiers à deux roues sillonnent la ville, mais il fait beau, c'est déjà pas mal !


Le quartier de Kensington Market est apaisant. Nous faisons nos dernières emplettes avant le départ lundi. L'ambiance est très baba cool. Les vêtements, les maisons, les badauds rappellent un tout petit peu le Summer of Love, un air de West Coast américaine. Le son tonitruant des orchestres de rock envahissent les trottoirs. J'avoue préférer la trompette mexicaine d'un trio avec contrebasse et guitare. À Toronto, même les conducteurs, qui ne cessent de nous donner des leçons de morale assez pompantes sur notre manière de rouler, sont aimables. Malgré tout, les relations sont assez superficielles et nous restons hélas en dehors de la vie locale. Heureusement nous connaissions quelques amis qui nous ont accueillis bras ouverts.
Nous terminons la journée par encore un vernissage, cette fois au Museum of Contemporary Canadian Art, le Mocca sur West Queens West. Le thème d'Empire of Dreams est le rapport qu'entretiennent avec l'art les constructions urbaines. L'exposition est d'un meilleur niveau, mais plus classique que celle de la veille. Je me finis au jus de cerise noire.


Enfin, pas tout à fait. J'abandonne Antoine à la tournée des bars qui diffusent du punk rock à fond la caisse pour rentrer sans lumière à l'hôtel, exténué par une journée sans repos. Pensant repasser à l'hôtel me changer, je n'ai pas emporté mes petites lampes géniales qui se fixent au guidon avec un élastique. Quel soulagement ! Le marathon est terminé. Vite dit ! Apercevant les baigneurs vingt-six étages plus bas, je décide d'aller piquer une tête. Façon de parler, car les plongeons sont interdits. C'est exactement ce qu'il me fallait. Après quelques longueurs dans la piscine ouverte même par les plus grands froids de l'hiver canadien, je remonte taper cette journée bien laborieuse. Merci à celles et à ceux qui auront eu le courage de me lire jusqu'au bout. Moi, je n'en peux plus.