Nous avons perdu l'habitude des jours de la semaine, mais chacun est marqué par un évènement déterminant. Le premier, nous évitons les bouchons sauf à la sortie de Paris ; l'autoroute qui descend vers Limoges est suffisamment agréable pour que nous ne sentions pas les heures qui défilent ; à la sortie de Toulouse une automobile en flammes nous oblige à quelques détours pour rejoindre Luchon ; l'arrivée à l'ancienne grange est épique, sous une pluie intense et un brouillard à couper au couteau je glisse sur une bouse de vache et fais un vol plané dans l'herbe trempée. Nous sommes encerclés par trois cent cinquante bovins dont une centaine de veaux et sept taureaux très impressionnants que l'on dirait préhistoriques.


Nous entamons nos vacances avec Anny, Adriana et la petite Alicia qui s'en vont le lendemain tandis que débarquent Marie-Laure et Sun Sun, accueillis par une météo à peine plus clémente. Le matin suivant, j'attrape un coup de soleil sur la nuque comme nous grimpons dans la montagne. Une dizaine de vautours tournent au-dessus de nos têtes, Françoise cueille quelques fleurs pour poser un bouquet devant la cheminée autour de laquelle nous nous réchauffons quand vient le soir.
Le samedi se rappelle à notre bon souvenir si nous ne voulons pas rater le marché. Comme le prochain est le mercredi nous faisons des provisions pour ne pas avoir besoin de redescendre dans la vallée. Dans les allées d'Étigny je trouve un hotspot pour récupérer mes mails en me tenant sur un pied tel un échassier des temps modernes, un peu ridicule. Nous garons les voitures au bout du chemin et Françoise fait la navette avec la Lada pour ne pas esquinter le bas de caisse.


Le quatrième jour est celui du déjeuner annuel de l'association des résidents de Lespone. C'est l'occasion de rencontrer nos voisins et de confronter des vécus on ne peut plus différents. Nous sommes vingt cinq à dévorer pâté, côtelettes, patates, bien arrosés, en particulier par un vieil Armagnac à qui nous jetons un sort.
La température oscille sans arrêt entre 8° et 25°. Un jour sur deux est ensoleillé tandis que l'autre ne nous permet même pas de voir à dix mètres. Comme en Bretagne devant l'océan le panorama change toutes les cinq minutes. Il suffit d'un petit coup de vent, d'un courant ascendant pour que les nuages changent de formes, disparaissent ou recouvrent le paysage d'un coton épais transformant la pente en île inaccessible.
Le matin du cinquième jour, Nicolas appelle pour prévenir que la nouvelle chaudière est en rade et qu'une forte odeur de fioul envahit l'escalier. Malgré les difficultés acrobatiques pour obtenir du réseau j'arrive à joindre le chauffagiste qui n'est pas encore parti en vacances. Je me détends en tapant ces lignes avec la musique du long métrage que nous avons enregistrée avec Vincent et Antonin et que je découvre finalement quinze jours plus tard comme si elle avait été composée par quelqu'un d'autre. J'en choisirai quelques prises à la rentrée pour mettre en ligne un nouvel album virtuel sur le site drame.org, mais le temps est à la rêverie et à la lecture. Je suis plongé dans le dernier roman d'Umberto Eco qui pour l'instant ressemble plutôt à un ouvrage encyclopédique où apprendre mille et un faits historiques...


Le lendemain, l'énigme du Cimetière de Prague commence à prendre corps. Le thermomètre descend à 4°C pendant la nuit. Nous assassinons des centaines de mouches venues avec les vaches, à coups de journaux lorsque les rouleaux de glu sont saturés. Je deviens copain avec les deux juments en liberté dans le pré. Alain nous explique que le Conseil Général rembourse les 400 euros de l'antenne Internet si nous nous abonnons. Cela nous permettrait aussi d'avoir un téléphone qui fonctionne plutôt que le système hertzien dont les parasites couvrent les conversations.
Le septième jour, la brume rétrécit l'espace à une bulle aveuglante qui flotte au-dessus de la vallée. Les cloches à vache s'arrêtent de tinter. On entend le silence.