Vienne est zébrée de pistes cyclables. J'avais pédalé toute la matinée sur la bicyclette dorée prêtée par l'hôtel. Lors d'une pause au bord d'un étang du Prater, j'ai immédiatement reconnu l'inspiration de Klimt pour ses jardins. Ailleurs, Claude Monet ou Jacques Perconte ont fait la même expérience. L'eau frémissait à peine. Une corneille mantelée, très élégante, est venue me tenir le crachoir pendant que j'appelais Paris. Pas croâ, mais un son de percussion guttural proche d'un vibraslap ou d'une mâchoire d'âne.


Cherchant le Danube bleu, j'ai atterri sur une île aux couleurs de l'automne. Pour enjamber les ponts, là non plus les cyclistes n'ont pas été oubliés, même si j'ai eu du mal à trouver comment y grimper. Les rayons du plus proche dessinaient une gloire. Je trouvais l'avoir bien méritée après les émotions de ces derniers jours. Le long de la berge flottaient des embarcations en planches faites de bric et de broc. J'ai rebroussé chemin pour aller manger un boudin noir croustillant sur lit de choucroute. Les spécialités locales n'étant pas si nombreuses, j'en ai pratiquement fait le tour.


J'avais envie de voir comment les Actionnistes étaient présentés à Vienne. Grosse déception au Mumok, carrément l'arnaque, pas une œuvre annoncée n'était visible. Les collections permanentes du musée d'art moderne fermées et les temporaires sans grand intérêt, je suis resté sur ma faim. Je suis donc allé déguster un gâteau chez Demel et j'ai envoyé de là-bas un selfie à Claire en souvenir de nos rigolades viennoises d'il y a vingt ans. Le soir je suis rentré fourbu. Durant mon séjour, j'avais marché, pris le métro, mais la bicyclette m'a conquis une fois de plus dans une ville repensée pour elle. Copenhague m'avait déjà donné cette impression.


Avant de quitter Vienne j'ai fait un saut au Musée d'Histoire de l'Art pour la magnifique exposition Caravaggio et Bernini. Avec le Louvre et l'Ermitage, c'est un des plus beaux musées du monde, de plus, construit pour sa fonction. Au delà de l'émotion suscitée par les tableaux du Caravage, dans tout le musée je suis épaté par la qualité de présentation des œuvres, tant dans la manière de les éclairer que par leur place dans l'espace. Les décors des collections égyptiennes vous plongent des siècles en arrière. Je suis surtout abasourdi par le nombre de Brueghel, par les Rubens, les Velasquez, des Arcimboldo que je ne connaissais pas, L'art de la peinture de Vermeer, Suzanne et les vieillards du Tintoret dont la blancheur explose au milieu des autres, et tant d'autres. Si l'entrée est majestueuse, comparé au Louvre le palais construit par les Habsbourg a taille humaine. Rassasié, je rejoins le Ring pour prendre mon avion.


Dans Stadtpark je croise la statue en bronze doré de Johann Strauss au violon, mais Vienne est sur son 31, trop guindée pour la valse comme je l'entends. J'ai toujours préféré les arrangements qu'en ont fait Berg, Schönberg et Webern. La pièce musicale qui correspond le mieux à l'idée que je me fais de cette ville est une œuvre méconnue d'Arnold Schönberg, Die eiserne Brigade, stupidement considérée comme mineure. La brigade d'acier est une marche pour piano et quatuor à cordes d'un humour grinçant qui m'enthousiasme. Dans des pays comme l'Autriche ou le Japon, la rigueur suscite forcément la révolte.