70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 9 novembre 2023

Touché !


Sur son excellent blog, Beyond The Coda, Jean-Jacques Palix publie l’intégrale du manifeste de Radio NOVA de 1983.
La publication de ce Manifeste est un grand soulagement pour moi. Il s'appuie sur des dizaines de samples issus de la pièce "Crimes parfaits" d'Un Drame Musical Instantané publié sur le disque "A travail égal salaire égal" deux ans plus tôt. Je pratiquais ce type de montage radiophonique depuis mon film "La nuit du phoque" réalisé en 1974, film dans lequel jouait d'ailleurs Jean-Pierre Lentin. La boucle de Radio Nova qui passait préalablement la nuit intégrait déjà "M'enfin" de l'album "Rideau !", le précédent disque du Drame publié en 1980. Fadia Dimerdji est morte en 2015, juste avant de raconter comment avait été forgé le style de Radio Nova. Le Drame utilisait en outre des extraits de dialogues de film depuis 1977, dès son premier disque "Trop d'adrénaline nuit".
Quarante ans plus tard, cela fait chaud au cœur d'entendre ce document qui révèle comment les choses sont nées, témoignage extraordinaire de l'influence que j'ai pu avoir sur le style de Radio Nova que j'ai longtemps adoré, y reconnaissant souvent d'étonnantes concommittances.

vendredi 27 octobre 2023

À la mémoire de Philippe Carles


S'il y avait eu plus de journalistes comme Philippe Carles je n'aurais peut-être pas entrepris ce blog il y a dix-huit ans. Rédacteur en chef de Jazz Magazine et producteur à France Musique pendant près de quarante ans, il n'était pas seulement curieux et bienveillant, il était ce que dans le métier on appelle une plume. Au début des années 70 la découverte du livre Free Jazz Black Power, écrit avec Jean-Louis Comolli, avait été pour moi une bible. J'aimais beaucoup discuter avec lui de tel ou tel artiste, des motivations profondes que nous avions les uns et les autres.
À l'âge de la retraite, il avait été extrêmement affecté d'être viré de France Musique, et peut-être encore pire, d'être écarté de la rédaction de Jazz Mag par Frédéric Goaty qui en représentait l'antithèse. Soutenant les jeunes musiciens, il valorisait l'avant-garde en accord avec les évènements politiques contemporains. À la cérémonie du Père Lachaise, rapportée par Franck Bergerot, j'avouai à Michèle Carles, son épouse, que je vais le moins possible aux enterrements, surtout au columbarium, mais qu'il était très important pour moi que j'accompagne Philippe ce jour-là. Son intervention, comme celles de Jean Narboni, François-René Simon, Alexandre Pierrepont, Jean-Michel Proust, Mathilde Azzopardi furent entrecoupées de Momentum de Jimmy Giuffre et André Jaume, Blue Moon par Ella Fitzgerald, I See Your Face Before Me par Miles Davis, Sometimes I Feel Like a Motherless Child par Jeanne Lee, A Love Supreme de John Coltrane. J'étais ému de revoir quelques amis fidèles qui l'avaient toujours soutenu.
En 2005, alors que je partageais la rédaction-en-chef du Journal des Allumés avec Jean Rochard, pour le numéro 12 nous interrogeâmes une quinzaine de musiciens sur les occasions manquées. L'une d'elles m'est revenue à l'esprit, d'autant qu'elle est relativement récente. Elle ressemble à une autre, l'étonnante rencontre de Fadia Dimerdji à Tunis en 2015 ; pilier historique de Radio Nova, elle mourut quelques mois plus tard sans avoir eu le temps de raconter l'origine de l'habillage de la station que j'avais inspiré avec Un Drame Musical instantané, depuis la boucle qui tournait toute la nuit jusqu'aux extraits de films. Et donc, trois ans plus tard, comme j'avais envoyé amicalement à Philippe Carles l'album de mon Centenaire (!), il m'appela pour me demander d'en envoyer un exemplaire à Jean-Louis Comolli, car il désirait le chroniquer à quatre mains. Je connaissais Jean-Louis, qui était aussi son beau-frère, comme Narboni, depuis mes années à l'Idhec au début des années 70, chroniquant ensuite ses films. Ainsi j'étais excité comme une puce d'avoir un article signé Carles-Comolli, une chose impensable, me semblait-il, depuis Free Jazz Black Power. Hélas Philippe me rappela pour me dire que, d'une part, Jean-Louis avait des problèmes de santé, et, d'autre part, que, quasiment boycottés à Jazz Mag (de mon côté depuis quinze ans, pour avoir critiqué les couves), il ne voyait pas où publier. Jean-Louis est décédé le 19 mai 2022, Philippe le 14 octobre dernier. C'est une page qui se tourne. Les jeunes musiciens et musiciennes ne savent souvent pas ce qu'ils doivent à ces défricheurs fondamentalement bienveillants.

mercredi 20 juin 2018

À travail égal salaire égal, par je et on


La chronique de Franpi Sunship m'avait échappé. Moi qui lui disais n'avoir rien vu à Hiroshima, c'est d'la bombe !
Franpi dit que sa photo du port du Havre n'a rien à voir. Bien au contraire. Son chantier naval rime avec On tourne, le premier morceau du disque À travail égal salaire égal, de la noise industrielle avant la lettre, et avec le travail à la chaîne que raconte Bernard Vitet dans Crimes parfaits en renversant sa voix retournée pour la remettre à l'endroit.
En réponse à ce que Franpi évoque de montage radiophonique, je lui confierais bien que ce montage a inspiré une partie du style de Radio Nova comme me l'avait expliqué Fadia Dimerdji pendant notre séjour à Tunis. D'ailleurs une autre pièce du Drame faisait partie de la boucle qui tournait la nuit pour occuper leur fréquence. Pas de ciseaux, pas de collage, juste le bouton de pause d'un radiocassette pour cette radiophonie en direct que certains appelleront plus tard plunderphonics. Trois mois à tenter d'attraper des bouts de son au vol, on m'entend raconter cela pendant la pièce-même ! Quand cela ne me plaisait pas je n'avais plus qu'à revenir en arrière... J'ai des histoires en pagaille à raconter à propos de ces montages cut commencés dès 1973... Celui-ci date de 1981. C'est donc la réédition du vinyle que l'Autrichien Klang Galerie vient de publier que chronique Franpi...

Un Drame Musical Instantané - A Travail égal salaire égal (Sun Ship, 11 juin 2018)

Le disque qui passe actuellement sur ma platine est un petit moment d'histoire. Pas seulement parce que c'est un disque qui comme d'autres de l'orchestre que Jean-Jacques Birgé continue de faire exister au delà du collectif d'origine, Un Drame Musical Instantané, est réédité (d'autres le seront prochainement). A travail égal salaire égal est aussi, outre un mot d'ordre indispensable et moderne qui était déjà ainsi en 1981 lorsqu'il fut enregistré, une pièce de musée.
Pas de celle qui prennent la poussière, plutôt de celles qui s'admirent et inspirent.
Prenons le "je". C'est rare quand je prends le je dans une chronique parce que "je" déteste ça, mais il faut s'y résoudre : ce disque, s'adresse à moi sans le savoir. Et avant de le découvrir, assez ébahi de fait, il y a quelques semaines, je n'en avais absolument pas conscience...
Comme j'aime bien les wagons qui se raccrochent inconsciemment, c'est peu de dire que la découverte fut grande et importante. J'écoute, depuis une semaine, "Crimes Parfaits" en boucle, à chercher tous les chevauchements, toutes les références, tout le travail de découpages, les heures passées sur la bande et le travail de timbre des cordes... Avec, ne vous en déplaise, Kent Carter et Didier Petit au violoncelle, Geneviève Cabanes à la contrebasse et bien sûr Francis Gorgé à la guitare qui offre au fantastique travail collectif quelques échappées zappaïennes, période Lumpy Gravy, celle qui compte peut-être le plus pour Birgé ; notamment avec Jouk Minor au sax baryton qui zèbre et déchire la masse orchestrale, bien plus soudée que ne pourrait laisser penser la sensation première d'un musique qui saute d'un univers à l'autre, comme on se balladait jadis sur la bande FM (ou encore mieux AM) à la recherche d'horizons inconnus et qu'on en trouvait, loin de la collusion miaoumix qui jonchent les ondes actuelles.
Et c'est là que vient le je, encore plus fort que les lignes précédentes. Un jour qu'on causait ensemble, Jean-Jacques Birgé m'avait dit que les meilleures chroniques venaient des moments que l'on avait vécu. Certes, j'étais à peine à l'orée de mon CE1 quand le disque est paru et je devais davantage écouter le générique de La Panthère Rose, mais j'étais déjà fasciné par la radio et aimait me ballader à la recherche des sons. Sur un vieux radiocassette Marantz, chez ma grand-mère, je m'amusais à coller des sons, des voix, des bruits d'usage quotidien... Plus tard, à la radio, je me souviens d'heures passées à tenter des montages, à jouer avec les nagras et à tâter de la souris...
En creux, et en moins bien, tout découlait de ce disque -et de nombreuses esthétiques de la musique concrète- sans que nous ne le sachions vraiment. Il y a dans ce disque, une force, une modernité et une intelligence qui force l'admiration. "La preuve par le grand huit", dernier morceau où l'ensemble de l'orchestre intervient est le bouquet final d'un disque indispensable.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir (Port-du-Havre).

Et comme les bonnes nouvelles se succèdent, les deux font la paire avec un article de Grégoire Bressac dans Revue et Corrigée de ce mois-ci :

UN DRAME MUSICAL INSTANTANÉ - À TRAVAIL ÉGAL SALAIRE ÉGAL (KLANGGALERIE, CD, KG244 – 2018)

(...) On a moins d’envie de thé glacé à l’écoute du début d’A travail égal salaire égal, la courte piste « On Tourne », accueillis qu’on est dans le fracas des métaux enregistrés par les compères en usine, avec juste quelques gongs ajoutés pour arrondir un peu les angles. Rappelons vite fait que le trio Birgé/Vitet/Gourgé vient du free jazz, de la musique composée et du rock, et se pose déjà, dans les années 80, les questions des limites de l’improvisation non idiomatique, des possibilités d’un mélange composition/improvisation, et de la différence entre enregistrement figé et spectacle vivant*. Le disque original est fait de collages, avec un orchestre, mais aussi d’une longue pièce jouée en concert. Dans le premier gros bestiau du disque, créé en studio, « Crimes Parfaits », une cohabitation pas très pacifique se fait entre les orchestres de radio crachant de la variète et de l’intellectuel, la bande de Jean-Jacques Birgé et les musiciens : on y croise même le Tour de France, et ce dans un flux constant, ce qui est à la fois stimulant et parfois dur à suivre. La Cinquième de Beethoven est invoquée subrepticement par l’orchestre, et l’Habanera du Carmen de Bizet massacrée comme il faut, le tout dans une science du sbeul, un métier du merdier – et on termine sur un enregistrement de rue, où Bernard Vitet et sa compagne réagissent à un coup de feu dans une poursuite de voitures. « Pourquoi la Nuit », interlude court, montre le trio échanger leurs instruments respectifs (synthé/trompette/guitare), dans un collage particulièrement fluide. La quatrième piste, « La Preuve par le grand huit », est aussi remarquable par l’homogénéité du son de l’ensemble, l’accord dans le refus du décor, notamment le synthé de Birgé qui fait des trous comme il faut mais ne fait pas s’écrouler le gruyère, mention spéciale aux ingé-son qui ont dû s’arracher quelques cheveux sur le mixage. Les cavalcades de glissandi d’orchestres, stridentes et grotesques, mènent à un climax qui gueule, avant un duo trompette/piano (Vitet et Birgé) qui s’étend, avant que l’orchestre ne chante une conclusion presque grandiloquente. La piste bonus de cette réédition est une autre version de cette pièce, jouée aussi en concert mais un an plus tard, avec quelques changements de musiciens déjà présents : quelques instruments s’invitent, avec les cloches tubulaires, l’harmonica et les guimbardes de Birgé, et une conclusion plus orchestrale, après un duo piano/trompette plus aérien et jazz. L’écoute successive des deux, si dure soit-elle, permet tout de même de se rendre compte du travail de brutes du Drame musical instantané sur la composition et les arrangements pour la scène. * L’ARFI ira dans cette direction au même moment à Lyon, et je ne vous parle pas de l’AACM à Chicago…

vendredi 7 octobre 2016

"Accident grave" dans le métro parisien


La journée avait mal commencé. J'avais appris le décès de Fadia Dimerji le 9 août dernier. L'an passé, nous avions sympathisé lors du festival La Voix est Libre à Tunis où elle avait été mon guide et nous avions évoqué les débuts de Radio Nova avec en ligne de mire des projets futurs. J'ai du mal à imaginer qu'elle nous ait quittés alors qu'elle était encore pleine de vie la dernière fois que nous nous sommes vus...
Comme je rentrais à la maison en métro un haut-parleur annonce sur le quai qu'un incident empêche la circulation des trains pour l'heure qui suit. Le préposé au guichet me confirme que quelqu'un s'est jeté sur la voie. Il m'explique que les suicides sont courants à la fin des vacances ou au moment des fêtes, mais que la tendance n'est pas prête de faiblir dans le climat social actuel. Selon la SNCF, 450 tentatives de suicide ont lieu chaque année sur le réseau ferroviaire (trains de banlieue et grandes lignes confondus). À elle seule, l’Île-de-France en comptabilise la moitié. La RATP, elle, ne communique pas sur le sujet, de peur d’inciter les gens à passer à l’acte. En cas de freinage d’urgence, un métro de plusieurs tonnes arrivant à 40 km/h parcourt encore une quarantaine de mètres avant son arrêt total. Généralement, le corps est retrouvé en milieu, voire en fin de rame. Pour le RER, la vitesse double. Du coup, « les chances de survie sont quasiment inexistantes ». Après chaque accident grave, les conducteurs peuvent bénéficier d’un suivi psychologique : par téléphone, via un numéro vert, ou en face à face (Neon Mag). Le terme de suicide n'est jamais cité, mais remplacé par "accident grave". Les causes sont variables, mais le choix du métro est fortement lié à la société et ses insupportables pressions.
L'année dernière j'avais chroniqué Le grand incendie du photographe Samuel Bollendorff qui m'avait appris qu'entre 2011 et 2013 une personne s'immolait en moyenne tous les quinze jours en France. Chaque année il y a plus de 10 000 décès pour 250 000 tentatives, presque trois fois plus que les victimes de la route dont 30% sont des piétons. "Époque de merde", fais-je au guichetier qui reprend mes mots en donnant un coup de tampon sur mon ticket pour que je puisse prendre le bus avec, et il ajoute "accident grave" à la main.

mardi 19 mai 2015

Malouf à la Rachidia


Pour aller où que ce soit, même en parlant arabe, il faut redemander sa route à chaque coin de rue en sachant que la réponse sera probablement fausse. Si c'est épique en ville, imaginez le labyrinthe de la Medina ! Nous avons donc exécuté une spirale pour arriver à destination, arrivant juste à temps pour assister au 80ème anniversaire de La Rachidia, première institution musicale créée en Tunisie en 1934 pour sauvegarder le patrimoine musical tunisien dont le malouf et ses variantes. D'entrée, son président, Hedi Mouhli, nous avertit que la définition du malouf sur Wikipédia mérite de sérieuses corrections et que leur site Internet nécessite d'être complété ! Le projet est de remettre aux jeunes le soin de développer cette musique arabo-andalouse dont les racines sont d'ailleurs aussi juives qu'arabes. Dans sa grande majorité la jeunesse tunisienne ignore ses racines culturelles qu'elle pourrait développer au lieu de sombrer dans un désespoir autodestructeur qui l'entraîne vers l'Occident Coca Cola ou vers Daesh. La véritable révolution est un processus long engageant toutes les énergies. Ainsi les vieux professeurs de La Rachidia souhaitent que les jeunes s'emparent du malouf, qu'ils interprètent cette musique classique, la remixent et se l'approprient chacun à sa manière. Jusqu'au 31 mai le programme des concerts offre un éventail incroyable dont un karaoké où les enfants pourront chanter accompagnés par un orchestre en direct. Mais ce soir ce sont deux violonistes, Anis Kelibi et Abdelkarim Shabou, qui se succèdent pour interpréter des chants que nombreux convives murmurent discrètement tandis que les musiciens improvisent comme en jazz, brodant autour du thème. Je suis aux anges.


Le surlendemain, Raya Ben Guiza Verniers, attachée de presse de l'événement, nous arrange une visite inédite de la Medina avec le blogueur Jamal Ben Saidane dit Wild Tunis, justement responsable de la mise à jour du site de La Rachidia et auteur de quantité de photographies sur Instagram. Passionné par ce musée à ciel ouvert où il est né, Jamal occupe ses temps de loisirs à découvrir sans cesse des coins et recoins qu'il ne connaît pas encore, et à les faire partager à ses amis...


Tandis que nous faisons le tour des artisans qui continuent à travailler intra-muros, nous admirons le travail de la navette sur les métiers à tisser où chaîne et trame me font penser aux ruelles incroyables que nous empruntons, sauf qu'ici la soie interdit les impasses.


Dans sa boutique de conte de fée Fathi Blaich explique à Fadia comment se fabrique une chéchia et les différents modèles, de Tunis ou Oran. Après avoir été bouilli et avant d'être formé le cylindre tissé est brossé pour qu'aune trace du tissage ne subsiste. Le tissu doit être souple et doux au touché. Tout est en nuances de rouge. En Lybie on la porte noire, comme celle des Juifs qui dans le passé n'avaient pas le droit d'en avoir de rouges. Aujourd'hui seule l'exportation vers le Mali, le Niger, etc. permet au vieux monsieur de tenir, mais partout le savoir disparaît comme ce ferronnier mort il y a deux ans sans avoir transmis son savoir...


Avant de quitter Tunis nous admirons de loin la mosquée où nous ne pouvons entrer. Le samedi la population tunisienne fait ses courses rue du Général de Gaulle plutôt que dans la Médina plus axée sur le tourisme. Comme partout les contrefaçons chinoises pullulent. J'achète quelques épices qui sentent bon la Tunisie pour une somme dérisoire, et pour quelques dinars de plus de jolies babouches aux couleurs vives...

jeudi 14 mai 2015

Tunis, de la Medina à l'avenue Bourguiba


Tandis que les musiciens, artistes, techniciens et organisateurs du Chantier tunisien avec La Voix est Libre s'accordent, j'arpente la Medina. Avant que je parte humer l'atmosphère de Tunis, Fadia Dimerdji de Radio Nova m'a raconté mille anecdotes qui me permettent de mieux cerner l'histoire musicale et politique du Maghreb, même si j'ai du mal à retenir les noms arabes. Les touristes se faisant rares pour la saison, les commerçants se sont assagis. Entendre que je n'ai bu que trois thés à la menthe pendant mes emplettes ! Un panaché est un mélange de thé vert et noir.


À midi, devant un délicieux couscous au poisson bien relevé, je fais la connaissance d'un vieux tunisien de Gafsa, une ville plus au sud. Nous faisons un bout de chemin ensemble. La Medina est magnifique, labyrinthe de ruelles et de galeries couvertes où s'entassent quantité d'artisans. Pas de voiture, ça repose. La topographie suit les mutations historiques depuis le VIIIe siècle, les corporations et les classes sociales.


De temps en temps j'entre dans une impasse sans me rendre compte que je viens de pénétrer dans un espace privé difficilement identifiable puisque que partout il envahit la rue. Admirant les portes bleues à gros clous noirs je reconnais la couleur de notre escalier bagnoletais, Stairway to Heaven. Seulement, ici, les diables ont des roulettes. Il faut rapidement se pousser s'ils dévalent une rue en pente pas plus large que leur chargement. Depuis la terrasse de la Maison d'Orient j'enregistre les muezzins qui semblent se répondre d'un minaret à l'autre.


Fort de ses vingt-trois étages qui surplombent la ville, notre hôtel s'appelle Africa (tout un poème auquel l'Occident n'est pas étranger). Barrières, plots, escadrons de police empêchent son accès par automobile. Un pâté de maisons plus loin, ce sont carrément blindés et barbelés. Blaise Merlin me conseille de grimper sur le toit de l'immeuble pour jouir de la vue panoramique à 360°, mais probablement depuis l'attentat du Bardo il est interdit pour cause de proximité avec un bâtiment gouvernemental. Le réceptionniste n'ose pas nommer le Ministère de l'Intérieur, il chuchote. Le chef de la sécurité est plus explicite. Je comprends mieux le portique anti-métaux et les gorilles à l'entrée de l'hôtel. Coupée en son milieu, l'avenue Bourguiba est forcément plus calme, les photos depuis ma chambre renforçant une symétrie qui n'est que de façade. Évoquant la révolution de jasmin je sens parfois des résistances chez mes interlocuteurs qui semblent craindre de dévoiler leurs sympathies. Du point de vue touristique, à part une baisse stupide de fréquentation dont nous profitons, il n'y a évidemment pas plus à craindre qu'à Paris ou New York. Nous vivons partout dans un état policier "perpétuel" conçu pour inquiéter plutôt que rassurer. Différence de taille, la Tunisie sortant d'une dictature, une partie de sa jeunesse entend jouir de la révolution...