70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 3 avril 2024

Numéro spécial de TK-21 consacré à l'acousmatique


Le numéro 152 de la revue en ligne TK-21 consacré à la musique concrète/acousmatique/électroacoustique (gratuite, mais on peut la soutenir en y adhérant) me rappelle la défunte revue Musique en Jeu fondée en 1970 par Dominique Jameux. À la même époque on pouvait lire les Cahiers Recherche/Musique publiés par l'INA/GRM, ou les revues VH101 et L'Art Vivant dont certains numéros étaient axés sur les musiques contemporaines. J'ignore s'il existe un équivalent aujourd'hui, mais je crains que non. La presse musicale est dramatiquement sinistrée. Or ce récent numéro de TK-21 dont le propos est, comme chaque fois, souvent au travers des images, de réfléchir notre temps est d'une fabuleuse richesse. Et, comme si cela ne suffisait pas, une suite sur le même sujet est sérieusement envisagée. Sollicité moi-même par Martial Verdier pour y pondre un petit sujet, je me suis forcément inscrit en faux par rapport au terme "acousmatique" avec ma Chanson de geste. J'y aborde mon rapport aux machines en évoquant chronologiquement mon périple, agrémenté de l'écoute de First Step, First Tape composé en 1968, Bolet meuble improvisé à l'ARP 2600 en 1975 avec Francis Gorgé, et Power Symphony que j'avais enregistré en 2012 pour le Prix Pictet du temps où j'occupais le poste de directeur musical ds Soirées des Rencontres d'Arles.
J'ai donc commencé la lecture de ce superbe recueil en écoutant Brunhild Ferrari évoquer avec justesse l'œuvre protéiforme de son mari Luc Ferrari, illustrée par un film étonnant de 1962, Spontané IV, quatre improvisations sur schéma orchestral avec l'Ensemble EIMCP dirigé par Konstantin Simonovic et le compositeur. Ce n'est pas un hasard si je me sens des affinités avec lui, car évidemment nul son électronique dans cette pièce réalisée dans le cadre des expériences instrumentales du GRM dont il avait alors la charge. Un petit pas de côté, comme d'hab ! Dans le disque Opération Blow Up (1992) d'Un Drame Musical Instantané figure la collaboration de notre trio intitulée Comedia dell'Amore 224 où Luc est crédité "reportage et voix" tandis que je jouais du synthétiseur et en assumais le mixage.
Le texte de Denis Dufour revient aussi sur son trajet historique, le film d'Esteban Zúñiga Domínguez l'interrogeant sur "l'écriture acousmatique". Suit un entretien vidéo de l'incontournable Michel Chion avec un extrait de son Requiem. Atomes est une création numérique de Simon Girard sur une musique d'Alexandre Yterse. En continuant avec les entretiens de Frédéric Acquaviva ou du duo Kristoff K.Roll entrecoupé des pièces World is the Blues et Corazón Road, je me rends compte que je ne suis pas le seul à considérer l'acousmatique comme un instrument parmi d'autres. C'est une sacrée bande d'iconoclastes qui sont mis là en images !
Deux extraits de son Hörspiel Chasseurs illustrent les propos de l'artiste sonore Amandine Casadamont avec qui j'ai eu le plaisir de commettre plusieurs albums et concerts sous le nom de Harpon. Suivent les témoignages de Bérangère Maximin, Jean-Baptiste Favory, le film Abraxas de Bruno Roche sur une musique de Lionel Marchetti et le live-vidéo de Philippe Boisnard sur celle de Jean Voguet, la visite du magasin de disques Souffle Continu présentée par Théo Jarrier (c'est sur leur label que figure mon duo de 1974 Avant Toute avec Francis Gorgé), les textes La spirale compositionnelle et spirituelle de Karheinz Stockhausen et Musique acousmatique contre impérialisme de l'image de Denis Schmite... C'est copieux, je n'ai pas encore tout lu, ni tout écouté. Survolé évidemment pour en livrer un compte-rendu plus flou que je ne le souhaiterais, mais chaque position réclamerait débat ! Toute la revue est donc merveilleusement illustrée iconographiquement, mais aussi en sons et vidéos, ce numéro donnant fortement envie de se (re)plonger dans tous ceux qui l'ont précédé, et évidemment de s'y abonner.

lundi 16 octobre 2023

Marc-Antoine Mathieu en 5 articles



3", BD AU ZOOM INFINI
(article du 12 septembre 2011)

La nouvelle bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu est un livre-objet qui deviendra vite culte tant sa réalisation colle à son concept original. Cet ovni (olibrius voyant non identifiable) est le cousin direct de Michelangelo Antonioni pour son film Blow-Up et surtout Michael Snow pour le film Wavelength et son récit photographique retors Cover To Cover. Du premier il s'approche par une enquête policière dont les fils tiennent à l'agrandissement d'une image, du second par un zoom interminable, unique plan séquence dont les effets de miroir produisent des effets de champ-contrechamp vertigineux où réside la clef de l'intrigue. Le tout sans paroles, par le seul talent du dessinateur-scénariste.


En acquérant la version papier parue aux Éditions Delcourt nous avons illico accès à un site Internet où nous est offerte une version numérique [comme cela n'est plus en ligne, vous trouverez ci-dessous le film en question]. Illico est le mot puisque l'action, ralentie au gré du lecteur, dure exactement trois secondes. Aucun gadget ici, mais deux manières de lire l'histoire et d'apprécier l'art de Marc-Antoine Mathieu. Sa bande dessinée peut être considérée comme le story-board du film dont la vitesse de lecture est réglable dans un sens comme dans l'autre, un effet snowien là aussi ! J'ai encore pensé à l'excellente série Le relief de l'invisible réalisée par Pierre Oscar Lévy où l'on zoome dans la matière jusqu'à l'infiniment petit pour repartir en arrière vers l'infiniment grand. Jean Cocteau, dans le chapitre Des distances de son Journal d'un inconnu précise bien qu'il n'existe rien de grand ni de petit, mais seulement des distances. Portée par tant d'anagrammes, de réflexions quasi palindromiques, d'indices à déchiffrer, la trajectoire du photon qui nous emmène jusqu'à la lune est, sur le site, l'objet d'un forum (spoiler) où débattent les lecteurs comme lors du lancement de Mulholland Drive.


J'avais découvert Mathieu en cherchant un auteur de la trempe de Francis Masse, un autre de mes héros [...].


PRISONNIER DES RÊVES
(article du 25 avril 2013)



Le décalage est le sixième volume de Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves, saga drôlement philosophique et sérieusement absurde du dessinateur Marc-Antoine Mathieu (Ed. Delcourt). Cette fois, le brochage a pris un coup dans l'aile : on commence par la page 7 qui fait zapper la couverture en page 60. Comme si les personnages avaient besoin de ça en plus, trois pages ont été déchirées en plein milieu, ce qui n'arrange pas leur histoire. Déjà L'origine abritait une non-case, La qu... prenait des couleurs, Le processus déployait un pop-up, Le début de la fin renvoyait à La fin du début et La 2,333e dimension passait par la vision en relief ! Hors cette collection, son 3" est l'un des chefs d'œuvre de ces dernières années, tous genres confondus. En page 55, puisqu'on est aujourd'hui dans Le décalage, l'auteur remercie ses muses, Windsor McKay, Fred, Moebius, Francis Masse, l'Oubapo... Ils peuvent être fiers de leur rejeton ! [...]


MARC-ANTOINE MATHIEU FAIT "SENS" EN MONTRANT LA VOIE
(article du 25 novembre 2016)



Je ne vais pas être long parce que je dois y retourner dare-dare. Coincé pour la seconde fois à la fin du chapitre deux du labyrinthe qui en compte trois, mon iPad commence à me sortir par les trous de nez. Marc-Antoine Mathieu a adapté sa dernière bande dessinée, un roman graphique sans paroles, pour en faire une application interactive sur tablettes iOS ou Android. Qui plus est, S.E.N.S. VR peut être jouée en 3D avec les casques de réalité virtuelle Samsung Gear VR et Oculus Rift, ainsi que sur les casques type Cardboard sur iOS et Android, mais impossible pour moi de tester le relief en l'absence de ces matériels ! Je me contente de tourner, tourner sur mon fauteuil de bureau pour jouir des 360° du vertigineux décor jusqu'à faire apparaître le petit rond qui m'indique la marche à suivre, en accord avec le personnage énigmatique de cette œuvre philosophique dont le sens titille surtout l'émotion : un personnage est à la recherche de la bonne page pour terminer l’histoire tandis que nous devons assumer les conséquences de la disparition du point de fuite...


Fan des bandes dessinées de Marc-Antoine Mathieu depuis le début, j'avais été scotché par 3". Sa version papier, S.E.N.S., qui ne portait qu'une flèche pour tout titre, m'avait malgré tout laissé sur ma faim. Son adaptation produite par Arte et réalisée par les game-designers Charles Ayats et Armand Lemarchand de RedCorner me met la tête à l'envers. Le son donne astucieusement de précieuses indications. Dans cet univers qui se plie et se déplie, nous glissons dans les fentes, tombons de haut ou nous accrochons au papier virtuel de l'écran. Le premier tableau est gratuit, histoire de harponner l'utilisateur. Les deux suivants sont accessibles moyennant la somme modeste de 2,99€. Avec ses lignes épurées noir et blanc et ses ombres portées, S.E.N.S VR marquera certainement l'histoire des œuvres interactives !

P.S.: bonne nouvelle, j'ai terminé, je peux passer à autre chose, mais mon ombre, qu'indique-t-elle ?


LE LIVRE DES LIVRES)
(article du 16 novembre 2017)


Comment avais-je pu rater Otto, l'homme réécrit l'an passé alors que j'acquiers systématiquement chaque opus de Marc-Antoine Mathieu ? Déjà que j'avais manqué ses expositions à Saint-Nazaire ou Angers... Je retrouve dans ses albums la trace du Philémon de Fred, et, plus encore, les interrogations philosophiques de Francis Masse, là où la science croise la route de la poésie, pas seulement dans les mots, mais aussi dans le dessin. Mes préférés sont 3" et S.E.N.S. VR, peut-être parce que ce sont des œuvres hybrides, le premier conçu de manière complémentaire pour le papier et le numérique, le second pour son application 3D sur tablette. Tous créent un vertige en interrogeant notre perception du monde et la place que nous y occupons. Otto plongeait dans les souvenirs oubliés de l'enfance, des sensations qu'en absence de mots la mémoire efface petit à petit, la quête impossible de notre identité. Le livre des livres rassemble les amorces des livres que l'auteur imagine, sachant qu'il ne dépassera jamais leur synopsis !


Si je lis romans et essais sur liseuse, il serait dommage de se passer de l'épais recueil de couvertures cartonnées que constitue Le livre des livres qui existe bizarrement aussi en ePub. Recto verso, chaque couverture nous laisse imaginer ce qui n'existera jamais que dans notre propre imagination, dans l'interprétation dont chacun est capable. Marc-Antoine Mathieu évoque l'incendie du Grand Entrepôt Des Albums Imaginaires qui obscurcit le ciel de Babel à Alexandrie, histoire de rassurer les amateurs de bandes dessinées de science-fiction. Jouant sur les mots autant que sur les mises en page, l'auteur invente des titres, des éditeurs, des situations. Les concepts primant sur les anecdotes, ses personnages avancent masqués, sans visage ou derrière de grosses lunettes de myope qui les rendent invisibles.


Il y a plus à lire dans chaque paire de pages que dans nombreux albums que je dévore en un quart d'heure et que j'oublie aussitôt refermés. Pour choisir une bande dessinée, je cherche à ce que le trait me plaise et qu'elle dure le plus longtemps possible, freinant ma lecture sans les ressorts de la logorrhée verbale, pour avoir envie d'y revenir. Le livre des livres me rassasie à chaque proposition. À tel point que je me surprends à imaginer des compositions musicales et sonores, contrechamp de cette iconographie, encyclopédique par les questions qu'elle soulève...


Feuilleter un album de Marc-Antoine Mathieu pousse à la lenteur de la découverte pour en apprécier tout le suc. Le vertige tient au détail autant qu'à la vue d'ensemble. Miroir nous renvoyant nos propres interrogations, son œuvre est une plongée métaphysique de l'Homme face à l'absurdité de l'univers. Grâce à cet illusionniste virtuose, nous ne sommes pas prêts d'en faire le tour.

→ Marc-Antoine Mathieu, Le livre des livres, Ed. Delcourt, 27,95€


DEEP ME de MARC-ANTOINE MATHIEU
(article du 14 novembre 2022)



Deux solutions s'ouvrent à vous, lecteurs, lectrices. Soit vous foncez acheter la nouvelle bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu, un nouveau petit chef d'œuvre, sans me demander pourquoi, juste parce que vous avez pris l'habitude de me faire confiance, soit vous regardez la vidéo ci-dessous. Le mieux serait évidemment de la découvrir après, tant la narration réserve de surprises vertigineuses. J'avoue être un fan de cet auteur qui, pour moi, a pris le relais de Francis Masse qui n'écrit plus beaucoup, se consacrant à la sculpture. Lui se revendique plutôt de Windsor McKay, Fred et Kafka, avec raison. Dans cette colonne je me suis fendu d'articles sur quelques unes de ses œuvres précédentes, en particulier 3", Le décalage, Sens, Le livre des livres... J'aurais aussi bien pu évoquer l'inventeur de la non-case, arpenteur du grand rien, ses sept volumes de Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves, le coffret 3 rêveries. Marc-Antoine Mathieu joue avec la physique et la métaphysique en interrogeant le medium et sa forme, poussant la bande dessinée dans ses retranchements. Cette fois, avec le thriller Deep Me on avance les yeux fermés, du moins ceux de son héros, qui se découvre s'appeler Adam. Mais je préfère vous laisser tourner les pages pour cette plongée dans l'inconnu plutôt que divulgâcher l'objet, car tous les livres de Mathieu sont aussi des objets, incopiables, impossibles à dématérialiser, des œuvres expérimentales qui tiennent du rêve, de la science-fiction, de l'anticipation, de l'interrogation pure. À mon avis la bande-annonce ci-dessous en dit trop. À vous de choisir !


→ Marc-Antoine Mathieu, Deep Me, Ed. Delcourt, 120 pages, 19,99€

lundi 2 octobre 2023

Amandine Casadamont avec Un D.M.I. le 13 octobre au Souffle Continu


Vendredi 13 octobre à 18h30 Un Drame Musical Instantané sera en trio au Souffle Continu, 22 rue Gerbier Paris 11e, soit Francis Gorgé, Amandine Casadamont et moi pour fêter la sortie de la réédition du vinyle In Fractured Silence, sorti en 1984 sur United Dairies. Ce sera court, ce sera magique et gratuit... Occasion à ne pas manquer, car si je joue avec Francis depuis plus de 50 ans (!!!), Amandine et lui ne se sont jamais rencontrés !

En 2015 je faisais partie du jury qui a attribué à Amandine Casadamont le Grand Prix Phonurgia Nova pour Zone de silence. Un jour où je cherchais des vêtements immettables (par qui que ce soit d'autre) dans une vente de jeunes créateurs, je l'ai reconnue, elle m'apprit qu'en plus de créer des documentaires et des fictions inventives pour Radio France, elle manipulait des platines tourne-disques. Depuis la collaboration du Drame avec DJ Nem je cherchais ce genre de spécimen (spéciwoman en l'occurrence). Nous avons ainsi enregistré trois albums, Harpon, Live au Silencio Club, Paradis, et commis quelques concerts. Elle a également participé au disque de mon Centenaire.

Artiste et réalisatrice sonore, Amandine n'a pas froid aux yeux. Chassée en pleine nuit du laboratoire mexicain où elle travaille sur Zone de silence par des narcotrafiquants armés de Kalachnikov, on la retrouve en Transylvanie parmi de vrais chasseurs ou en zone interdite à Fukushima. Au croisement de la pièce radiophonique, de la performance et de l’installation sonore, elle enregistre l'invisible, effaçant systématiquement la frontière qui sépare la fiction du documentaire, ou le passé du présent. Certaines de ses créations sont composées à partir d’archives, notamment pour la Fondation Van Gogh à Arles, La nuit de la radio (SCAM), France Culture et le MEG à Genève.

Aux platines elle superpose les plans comme les décors d'un théâtre où l'intrigue se devine en perspective.

lundi 20 février 2023

Novembre en février


Nous sommes en février et Novembre est à l'approche. Déjà le kraft, sur lequel est imprimé le pochette, note papier comme il y a neuf ans leur premier album Calques, tel son nom l'indiquait. Et puis dès que Encore commence, le son. L'enregistrement ne sonne pas tout à fait comme on en a l'habitude. Peut-être la position des micros ? On avance dans l'écoute et rien ne se passe comme prévu. Prévu ou entendu. Un disque de compositeurs qui plongent dans la musique, s'en barbouillent comme des enfants découvrant la barbe à papa. Ça joue, dans tous les sens du terme. N'est-ce pas le propre de l'art que de se fabriquer des contraintes, de s'exprimer librement, mais toujours dans le cadre fixé ? Détermination et indétermination. Pour l'instant j'en profite simplement, mais je sens bien qu'il y a des consignes, comme recommencer "le plus vite possible" ou bien glisser à force de répéter, s'arrêter, reprendre... Allez savoir ce que Romain Clerc-Renaud et Antonin-Tri Hoang ont derrière la tête ! Le pianiste et le saxophoniste(alto)/clarinettiste(basse) ont contaminé le contrebassiste Thibault Cellier et le batteur Sylvain Darrifourcq, tous de sacrés virtuoses, et pourtant on s'en fiche, les surprises sonores nous harponnant à chaque tournant. Encore foisonne d'idées, détournant et zappant avec amour l'histoire du jazz. Pour les contemporains on pense forcément à Ornette Coleman, mais aussi Braxton, Lacy, Mantler, Steve Nieve, Roscoe Mitchell, Muhal Richard Abrams, Zappa, et d'autres que ma mémoire laisse honteusement prendre la poussière sur les étagères. Ils ne sont pas si nombreux les visionnaires. Il y a donc bien un après. Si Novembre est une bande d'intellos, cela ne les empêche pas de nous faire vibrer, parce que ça swingue de maintenant. Ils respirent. S'époumonent. Ils (en)chantent. S'envolent. Ils sont fous. Savamment fous.


Et comme si ce magnifique album enregistré en studio par Erwan Boulay ne suffisait pas, ils nous gratifient d'un second CD réalisé par Marc Baron qui les a captés sous tous les angles pour en faire une pièce électroacoustique en deux parties, sorte de "making of" grungissime. Baron les a transformés en se servant de ses instruments de compositeur d'encore un autre genre : magnétophone, hydrophone, perche, ressort, boucles... Ainsi parasites, réinjections, nouveaux silences, tunnel de sub-basses, bribes de dialogue, répétitions, field recording nous font pénétrer dans les entrailles de Novembre. Je range ce deuxième disque dans la pochette kraft qu'a designée Galilée Al Rifaï, la sœur d'Antonin, et je reprends le premier pour l'écouter Encore, same same but different...



→ Novembre, Encore, 2CD Umlaut Records, 12€ (8€ en numérique)

→ Podcast sur France Musique de l'émission À l'improviste d'Anne Montaron consacrée à Apparitions, re-création du quartet Novembre avec sept musiciens invités (le Trio Bribes soit la chanteuse Linda Olah, le saxophoniste Geoffroy Geysser, le batteur Yann Joussein ; les violoncellistes Gulrim Choi, Elena Andreyev, Myrtille Hetzel ; en coulisse la pianiste Eve Risser), précédée du duo Grand Bazar (Hoang & Risser) et la participation de la metteuse en scène Hatice Özer. Enregistrée le 31 janvier 2023 à l’Espace Jean Vilar d’Accueil dans le cadre du festival Sons d'Hiver.

lundi 10 mai 2021

La Cabane Perchée de Csaba Palotaï et Steve Argüelles


J'ai ouï-dire que l'album Cabane perchée abrite une musique à trémas, trémas déjà sur voyelles, sur le i du guitariste hongrois Csaba Palotaï, sur le u du percussionniste anglo-catalan Steve Argüelles, deux émigrés à Paris depuis pas mal d'années. Mais ici le tréma fédère au lieu de séparer ce qui est à entendre. De manière contiguë, les deux virtuoses ont croisé deux aïeuls qu'ils ont fait coïncider, le Hongrois Béla Bartók dont Palotaï a transcrit pour guitare acoustique les Mikrokosmos, et le New Yorkais Moondog dont Argüelles a imité les timbres archaïques. Naïvement le maërl a pris sans ambiguïté, le canoë glissant sur la moëre pour rejoindre la cabane perchée. Palotaï harponne au foëne et sculpte héroïquement à la boësse et à la bisaiguë la faïence pianistique de Bartók tandis que Argüelles, stoïque, pique à la baïonnette les rythmes du Viking de la 6e avenue. Chassant Azraël du temple, il frappe des guitares préparées de pointes aiguës. J'ai même cru entendre des claquettes de danseur irlandais au détour d'une piécette. Rien de voltaïque, tout est acoustique. L'un et l'autre évitent pagaïe et capharnaüm avec l'évidence des laïcs païens. Si votre écoute est trop exiguë, il vous reste la ciguë, car il y a vraiment de quoi s'amuïr devant cet astéroïde enregistré à Budapest en août dernier.


→ Csaba Palotaï et Steve Argüelles, Cabane Perchée, CD Label BMC Records, distribution Socadisc

jeudi 3 décembre 2020

Des angles sans leurs ailes


Article du 3 septembre 2007

Il n'existe aucune position confortable. Le réel et le virtuel se valent dans leur déséquilibre dynamique. L'un et l'autre se renvoient la balle, forçant le spectateur à emprunter une gesticulation interactive pour ne pas se retrouver coincer dans un no man's land où seuls les rêves sont palpables. L'angle qu'ils forment produit une distance temporelle gigantesque, faille béante qui laisse les hommes en coulisses. L'illusion figeant l'instant mieux que les modèles vivants, le miroir transforme la photographie en toile peinte. La magie vient du changement d'angle, recul nécessaire à produire le désir.

De temps en temps, je mets de côté des images qui me harponnent en vue d'écrire de futurs billets, aujourd'hui Brassaï.

mercredi 14 octobre 2020

Pique-nique au labo, la fête !


Élise Dabrowski, Amandine Casadamont, Elsa Birgé, Linda Edsjö, Eve Risser, Marie-Christine Gayffier, Vincent Segal, Karsten Hochapfel, Mathias Lévy, Jean-François Vrod, Antonin-Tri Hoang, Nicolas Chedmail, Hasse Poulsen, Jean-Brice Godet, Ravi Shardja, Médéric Collignon, Jonathan Pontier... C'était vraiment génial de vous avoir tous ensemble ! Nous avons mis les coudes pour ce cluster du diable. J'ai pensé aux absents, Alexandra Grimal, Birgitte Lyregaard, Sophie Bernado, Fanny Lasfargues, Christelle Séry, Samuel Ber, Nicholas Christenson, Pascal Contet, Julien Desprez, Wassim Halal, Edward Perraud, Sylvain Lemêtre, Sylvain Rifflet, Joce Mienniel... Et à toutes celles et tous ceux qui nous rejoindront lors de ces rencontres conviviales. Ce que nous avons enregistré ensemble montre simplement que l'improvisation n'est pas un style, mais une manière de vivre, soit réduire le temps entre composition et interprétation, penser longtemps pour agir vite. Il faut qu'il y ait d'autres dimanches où nous puissions discuter à bâtons rompus, confronter nos expériences, partager cette tendresse qui fait tant défaut aux professionnels que l'on veut faire de nous, il faut sans cesse retrouver la passion des amateurs, étymologiquement celles et ceux qui aiment. Pique-nique au labo ne se voulait pas un manifeste, mais la musique qui s'en dégage m'y fait penser !
En 2013 j'avais d'ailleurs rédigé un texte sur celles et ceux que j'appelais Les Affranchis. Vous en reconnaîtrez quelques un/e/s parmi mes invités. Leur rassemblement sur ces deux disques fait sens, musicalement, mais aussi politiquement. Parce que l'une ne va pas sans l'autre. Comme disait Jean Cocteau, une œuvre est une morale, même s'il déplorait que certains s'amusent sans arrière-pensée. J'avais développé mon point de vue dans un long article intitulé Cent soleils, commandé par la revue en ligne Citizen Jazz. J'y reviendrai, mais je suis aujourd'hui extrêmement heureux et fier que le travail de tous mes camarades de jeu dresse une sorte de portrait chinois de nos aspirations communes. Les plus jeunes avaient 20 ans lors des enregistrements, le plus âgé en a 60. Je ne parle pas du mien, je suis simplement jeune depuis plus longtemps que tous les autres, comme disait Françoise. Selon les générations et les différents secteurs où ils évoluent, leurs méthodes varient, mais ils cherchent tous et toutes la même chose, la liberté de créer comme ça leur chante, quand l'art et la vie se fondent dans le même mouvement.


La "release party", ce pique-nique festif qui m'avait cantonné deux jours en cuisine pour le préparer, m'a remonté le moral après (et avant) les incohérences à répétition du presseur Optimal Media qui traita notre commande par dessous la jambe, malgré l'insistance de Squeezer, notre intermédiaire parisien. Ces derniers jours tournèrent plutôt en "Panique au labo" ! C'est la seconde fois que le presseur allemand patauge dans la livraison. Pour le précédent album fabriqué chez eux pour le label GRRR ils avaient perdu le camion, avaient failli tout represser pour finalement retrouver le chargement au nord de la Suède. Ce n'est pas une blague ! Cela eut des conséquences dramatiques sur ma vie privée. Cette fois, alors qu'ils avaient tous les documents depuis trois semaines, ils se sont aperçus le jour prévu du départ du camion qu'il manquait de la matière graphique pour la coupe à un endroit non précisé dans le gabarit qu'ils nous avaient envoyé. Ce qui signifie évidemment qu'ils avaient pris du retard sans nous prévenir et qu'ils n'avaient pas ouvert les documents auparavant. Comme si cela ne suffisait pas, deux jours plus tard, ils ont découvert un nouvel endroit où il manquait de la matière, toujours pas précisé dans leur gabarit. Ils étaient pourtant prévenus qu'un retard de leur part impliquerait des frais supplémentaires en cascade. En me battant, j'ai fini par recevoir 100 exemplaires pour la fête de sortie, que j'avais dû décaler au dernier moment et où étaient conviés tous les musiciens. J'avais stipulé qu'ils m'en fallait 200 minimum ce jour-là. Allez m'expliquer pourquoi le deuxième carton de 72 disques n'en contenait que 28 ! Pour faire un compte rond ? Et pourquoi repousser la livraison de l'ensemble encore à la semaine suivante ? J'aimerais bien apprendre quelles sont les difficultés de conditionnement qui empêchent de livrer une commande complète lorsqu'on a accumulé les ratés sans jamais s'excuser. Et le jour absolument promis de la livraison, sans cesse repoussée, j'ai attendu en vain Dachser, leur maudit transporteur qui nous avait déjà plantés en 2018. Si c'était exceptionnel encore, mais non, la rigueur allemande en prend un coup. Heureusement l'objet est tel qu'attendu, magnifique (merci mcgayffier !), et les galettes sont nickel argentées (masterisées par bibi).

→ Jean-Jacques Birgé + 28 invités, Pique-nique au labo, double CD 3 volets avec livret 12 pages, GRRR 2031-2032, dist. Orkhêstra, 15€ (le prix d'un simple CD, mais celui-ci dure 120 minutes !), sortie officielle 21 Octobre 2020, ou déjà commander sur Bandcamp !

mercredi 5 août 2020

Belle complicité !


Travaillant d'arrache-pied tout en essayant de jouir de mon statut de retraité, j'écris moins de billets au jour le jour au profit d'archives réactualisées. En ce qui concerne le régime qui a succédé il y a déjà cinq ans à celui d'intermittent qui en avait duré quarante-deux, je n'arrive pas du tout à faire la transition, n'ayant en rien changé mes occupations. Par contre, je me sens plus serein. Le fait de toucher des sous à date fixe sans avoir besoin de faire des grimaces est absolument merveilleux. Raison de plus pour se battre pour que les générations suivantes puissent jouir de cette situation, et ce le plus longtemps possible. J'écris ces mots probablement par culpabilité de ne pas me pencher suffisamment sur l'actualité pour la commenter. Mais entre la pause estivale où je suis "confiné" chez moi pour des raisons n'ayant rien à voir avec la crise sanitaire ou ma santé, la gestion absurde de cette crise qui me fait osciller entre la colère et l'incompréhension, et l'incomparable et délicieux calme aoûtien, je suis plus enclin à méditer sur le passé et le futur qu'à m'accrocher à un quotidien déserté...
Si je n'avais qu'à m'occuper à relancer les journalistes au sujet de mon nouvel album, Perspectives du XXIIe siècle, ce serait un passage post-partum plutôt tranquille. Or cette aventure n'est pas terminée, puisque avec Sonia Cruchon nous finalisons le film collectif qui s'en inspire. La douzaine de courts métrages réalisés par Nicolas Clauss, Valéry Faidherbe, John Sanborn, Eric Vernhes et nous-mêmes seront réunis en un docu-fiction d'une cinquantaine de minutes dont j'écris les intertitres à la manière d'un film muet. Nous en voyons le bout, mais il reste encore pas mal de travail de post-production. Madeleine Leclair prévoit une journée particulière au Musée d'Ethnographie de Genève à l'automne, nous y reviendrons.
Alors que je suis en stand-by sur le livre-disque entamé l'année dernière en Transylvanie et qui devrait voir le jour en 2021, j'ai embrayé illico sur un nouveau projet, Pique-nique au labo (titre probable, aux références appropriées et sa phonogénie). Il s'agit d'un double CD réfléchissant le laboratoire de rencontres que j'ai initié depuis 2010 avec de "jeunes" musiciens et musiciennes parmi les plus inventifs. J'ai sélectionné une pièce de chaque album virtuel publié sur drame.org quelques jours après leur enregistrement. De ces 22 compositions instantanées, la plupart ont été enregistrées dans mon studio, seulement quatre d'entre elles provenant de concerts. Le plus souvent les thèmes de chaque pièce fut tiré au hasard juste avant de jouer. Ce sont donc 28 invité/e/s qui m'ont fait l'honneur de me rejoindre pour passer ensemble une journée de plaisir. Comme jadis avec Un Drame Musical Instantané pour Urgent Meeting (1991) et Opération Blow Up (1992), mon propos est de jouer pour nous rencontrer, alors qu'il est d'usage dans le métier de se rencontrer pour jouer. L'aspect "l'humain d'abord" ne vous échappera pas !
Participèrent ainsi à l'expérience (dans l'ordre alphabétique) : Samuel Ber – batterie, percussion / Sophie Bernado – voix, basson / Amandine Casadamont – vinyles / Nicholas Christenson – contrebasse / Médéric Collignon – voix / Pascal Contet – accordéon / Élise Dabrowski – contrebasse, voix / Julien Desprez – guitare électrique / Linda Edsjö – marimba, vibraphone, percussion / Jean-Brice Godet – cassettes, clarinette / Alexandra Grimal – sax ténor / Wassim Halal – percussion / Antonin-Tri Hoang – sax alto, clarinette basse, piano / Karsten Hochapfel – violoncelle / Fanny Lasfargues – basse électroacoustique / Mathias Lévy – violon / Sylvain Lemêtre – percussion / Birgitte Lyregaard – voix / Jocelyn Mienniel – flûtes, MS20 / Edward Perraud – batterie, électrronique / Jonathan Pontier – claviers / Hasse Poulsen – guitare / Sylvain Rifflet – sax ténor / Eve Risser – voix, mélodica / Vincent Segal – violoncelle / Christelle Séry – guitare électrique / Ravi Shardja – mandoline électrique / Jean-François Vrod – violon... De mon côté, je m'attaque essentiellement aux claviers, épisodiquement à des instruments électroniques et acoustiques comme l'harmonica, les flûtes, les guimbardes, ou diffusant des montages radiophoniques et des reportages qui resituent l'action dans des espaces imaginaires. J'ai confié la conception graphique de l'objet à mon amie mc gayffier qui se trouve être la maman d'un des protagonistes cités plus haut et dont j'apprécie le travail depuis bientôt quarante ans. Une histoire de famille, si comme mon père le revendiquait : "la famille n'est pas celle dont on hérite, mais celle que l'on crée".
Ainsi, pour illustrer cette petite annonce, j'ai choisi de faire une capture-écran des frimousses des camarades avec qui j'espère bien me (re)produire, tout en rêvant à de nouvelles rencontres, puisque l'occasion fait si souvent le larron et que déjà se profilent de nouvelles aventures ! D'ailleurs si certains ou certaines sont à Paris au mois d'août avec du temps de libre suite à la gestion pitoyable de la crise, appelez-moi, on a encore le droit de jouer ensemble...
Pour patienter, je commande les ISRC sur le site de la SCPP (c'est simple lorsqu'on est déjà inscrit), je déclare les 22 pièces sur celui de la SACEM (c'est très long) et, surtout, je me lance dans les finitions techniques avec une application qui fabrique des masters DDP. J'espère ne pas faire de bêtises, le HOFA CD-Burn.DDP.Master me semblant assez pratique.

lundi 1 juin 2020

Fantazio et les Turbulents


Par son absurde brutalité, criminel et suicidaire, le monde des humains m'a toujours paru étranger. Comment y vivre sans rentrer dans le rang dessina les limites de mon espace vital. Je m'y organisai plutôt bien si je compare mon parcours à celui d'autres souffrants. Il fallut tout de même retourner cet univers comme une chaussette pour le moins possible respirer sa puanteur. Ainsi mes propres activités, souvent composées d'apnée, jouèrent leur rôle de soupape de sécurité et l'art me harponna, sans que je l'identifie de prime abord. Je compris assez vite qu'il était l'expression d'un refus du système, d'une inéquation entre ce qu'on aurait voulu faire de moi et ce dont j'étais capable.
Jean-Luc Godard disait que la culture est la règle, mais l'art est l'exception. Si elle n'a rien d'exceptionnel, la création n'est donc pour moi qu'un phénomène culturel. C'est dire que l'art qu'on appelle brut représente à mes yeux et mes oreilles ce qui s'en rapproche le plus. J'étends le concept à l'authenticité des démarches, de celles qui ne peuvent s'éviter, l'urgence dessinant le système de repères de chacun ou chacune. J'aimais la définition de Bernard Vitet qui se considérait comme un dilettante, la notion d'amateurisme venant étymologiquement du verbe aimer. Rien n'est plus dangereux que ceux que Godard, encore lui, nommait "les professionnels de la profession".
La folie est l'espace qui sépare la norme de son impossibilité, sans les petits arrangements que nous nous imposons pour ne pas franchir la ligne. Quel que soit le rivage qu'il aborde, Fantazio surfe toujours sur cette ligne de crêtes où l'inconscient tient lieu de terreau, la distance critique jouant le rôle de balancier ou de cordes vocales en rappel. La musique et le langage tissent le filet où l'acrobate se laisse tomber pour toujours mieux rebondir et se relever entre chaque numéro. Le public aime ces trébuchements qui garantissent l'authenticité de la démarche, loin des fausses perfections de tout académisme. La véritable improvisation est l'art de rattraper les balles perdues. En partageant pendant vingt ans les joies du jonglage avec les comédiens, musiciens et chanteurs de l’ESAT Turbulences à Paris dans le 17e arrondissement (Turbulences Cie), Fantazio a su créer une complicité indispensable pour que ça fonctionne, comme sur des roulettes, avec l'ombrelle en prime(sautier) ! L'ESAT / SAS (Établissement et Service d’Aide par le Travail / Section d’Adaptation Spécialisée) a pour objectif de proposer un travail et / ou une formation professionnelle adaptée à des personnes en situation de handicap, ici souvent l'autisme. En repensant à tous les étonnants spectacles de Fantazio, je n'aperçois aucune frontière avec ce Cosmic Brain qui aura demandé sept ans à son/leurs auteur/s pour que ce jeu de cubes trouve son équilibre. L'artiste se moque des risques lorsqu'il se lance sur le fil avec ses comparses dont la poésie authentique est pure folie. Qu'ils bluesent, rappent, zoukent ou scandent, ils deviennent les modèles de ce qui les a inspirés. Ce disque noir est une arc-en-ciel où volent les camions bleus et où les rêves prennent forme...

P.S.: Dans le passé j'ai chroniqué d'autres œuvres réalisées avec des handicapés ou des pensionnaires d'instituts spécialisés. Toutes méritent que l'on y revienne et s'en inspire, ainsi les CD Les lèvres nues de Pascale Labbé (2005) et Bokân de Benjamin Bouffioux (2011), et récemment le film Dans la terrible jungle de Caroline Capelle et Ombline Ley (2019) où la musique tient un rôle prépondérant. Quant à l'art brut on pourra se référer au Museum of Everything ou à certaines expositions de la Maison Rouge et de la Halle Saint Pierre qui devraient absolument vendre ces fabuleux enregistrements dans leurs boutiques !

→ Fantazio et les Turbulents, Cosmic Brain, LP La Belle Brute, 15€ (disponible aussi sur Bandcamp, 7€ en numérique)
Tout ceci n'aurait pas été possible sans Philippe Duban qui dirige la structure, Benjamin Colin, le trompettiste Aymeric Avice et les Turbulents qui interprètent leurs propres textes.

vendredi 24 janvier 2020

Château Perché 2020


C'est une nouvelle très attendue chez les fêtards férus de musique électro. Certains piétinent un an, dès la fin de l'édition précédente ! La billetterie vient d'ouvrir pour le Festival Château Perché 2020 qui se tiendra au Château d'Avrilly du 13 au 16 août. Le site du festival est choupinet, écoresponsable, à l'image de ces trois jours endiablés où une atmosphère psychédélique flotte sur la forêt qui entoure le château. Un petit quiz obligé donne la couleur pour accéder aux billets. En général 80% partent dès la première semaine. Cela vaudra le coup d'œil de lire leurs recommandations aux festivaliers lorsqu'ils seront mis en ligne. Si le festival change de château chaque année, il revient sur celui d'Avrilly dans l'Allier pour cette nouvelle édition. J'y avais fait un concert de trois heures en 2018, en duo avec la platiniste Amandine Casadamont.


Cette fois nous serons quatre sur la grande scène, chargés de réveiller en douceur les 10 000 festivaliers le matin du 16 août de 10h à 12h40. Pour ce troisième jour de musique festive, nous passerons de l'expérimentale ambient à la transe tribale ! Le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang s'amuse de devoir refaire Hendrix à Woodstock. Avec lui se joint à nous une rythmique féminine particulièrement inventive qui groove à mort, soit la bassiste Fanny Lasfargues et la batteuse Blanche Lafuente. Pendant que nous jouerons, le dirlo, Samy El Zobo, a prévu une cérémonie dans le public avec procession et un serpent de trente mètres de long. Ce n'est que le début. Lorsque je cherche à décrire l'ambiance de Château Perché, je parle d'un croisement entre Alice au Pays des Merveilles et Blade Runner. Selon un thème qui change chaque jour, le public se maquille et se déguise avec une fantaisie débridée. Je devais y rejouer l'an passé avec le percussionniste Sylvain Lemêtre, mais la Préfecture avait interdit la plupart des représentations pour cause de dangereuse tempête. Cette année il y aura douze scènes réparties dans le parc et la forêt avec 450 artistes. Mais à l'heure de notre intervention paradisiaque seule la grande scène sera ouverte. J'ai commencé à travailler sur l'immersion évolutive qui nous amènera à l'extase.
Le festival a une page FaceBook donnant quantité de renseignements.

vendredi 15 novembre 2019

Ailleurs


Il arrive que je ne sache plus où aller parce que l'horizon est bouché. Je lorgne les grands espaces alors que mes arbres cachent la forêt. La flèche indique la terre, mais je ne rêve que de prendre le large. Les voyages professionnels sont plus nourrissants que le tourisme, fut-il le plus sauvage. S'il s'agit d'un film, il faut comprendre le pays à vitesse V, question de survie parfois. Ce fut mon K. Généralement un fixeur vous y aide. Pour les concerts il suffit de prendre autant de jours off que de soirs de spectacle en tournée. Question de discipline. Rencontrer des populations dont je ne comprends pas la langue est dépaysant. Ce besoin vital de nourriture exotique pimente le quotidien qui se copie lui-même. C'est probablement la raison qui me fait détester me laver les dents et me raser chaque matin, tâches incontournables laissant des auréoles. Alors, qu'elles soient boréales ! La Terre vue de la Lune est mon modèle. Lorsque j'ai tapé ces maux elle était pleine. Coupe. Battre les cartes, pointer du doigt les yeux fermés la mappemonde. On peut tomber près de chez soi, se relever aux antipodes. Les films que je regarde le soir sont des portes vers cet ailleurs momentanément inaccessible. J'envoie des bouteilles à la mer. Parfois le téléphone sonne. Un mail annonce la grande nouvelle. Sortir. Les embouteillages gâchent les week-ends. Minimum trois semaines. Mais il faut bien un moi pour revenir autre. De quoi se faire appeler Arthur. Le terme actuel est zone d'inconfort. Chaque mot a double sens. Il ne faut pas non plus se faire siffler. Les escrocs ont toujours l'air sympathique. Sinon cela ne marcherait pas. J'ai couru. Comment s'en vouloir d'avoir accordé sa confiance ? Ils se reconnaîtront. Pas jojo cette affaire ! Prendre la poudre d'escampette. Direction nulle part. Du moment que l'air est pur...


J'avais l'air, mais il me manquait les paroles. Ce matin je me suis réveillé avec celles de mon prochain album. Cette fois je ne pouvais pas emprunter les mots que Ramuz scande dans Présence de la mort. Son titre fait stupidement fuir. Mon histoire se passe bien au bord du lac Léman. La chaleur y est insupportable. Mes acteurs fouillent les ruines. Ils y trouvent ce qui leur permettra de se reconstruire. Je compte y faire un saut pour enregistrer les sons de ce qui aura été. Et chaque fois qu'un étranger passera par ici je lui demanderai de jouer dans sa langue. Allo Babylone 21 29 ? Puisqu'il n'y a pas de Brigitte ici, les archives de la planète feront leur cha-cha-cha. J'ai rarement pensé faire danser. L'an passé, les spectateurs du festival Château Perché où nous jouions avec Amandine Casadamont se trémoussaient devant la scène. Ce n'était pas intentionnel de notre part. Disons que cela nous a échappé. J'hallucinais. J'ai souvent recherché cet état pour camoufler mon ébriété naturelle. Lorsque j'improvise, je plane littéralement. Jouer pour faire paravent au jeu. L'arbre et la forêt réapparaissent soudain. Et l'orée se dessine.

vendredi 1 mars 2019

Chasseurs


Je me souviens de mon embarras il y a 16 ans lorsque Françoise m'avait raconté que son père était chasseur. En 1983, sur le disque Les bons contes font les bons amis d'Un Drame Musical Instantané, nous avions enregistré Ne pas être admiré, être cru qui était une pièce contre la chasse et Bernard Vitet en avait remis une couche avec Bonne Nouvelle en 1987. J'avais accompagné des chasseurs en Sologne pour en capter l'ambiance dans la forêt. Après avoir longtemps discuté avec mon ex-beau-père, qui est aussi pêcheur et cueilleur, ainsi que lu son livre Passion Chasse, ma critique était plus nuancée, même si la fréquentation des chasseurs ne m'est pas particulièrement agréable. Jean-Claude cachait d'ailleurs à ses camarades du Parti Communiste qu'il était chasseur et il évitait de parler du PCF à ses amis de la Fédération de Chasse. Je n'avais jamais rencontré personne qui connaissait aussi bien la nature. Comme j'apprécie toujours le gibier, la viande et le foie gras, il m'est difficile de rejeter les chasseurs, les éleveurs et les bouchers dont je paie les basses œuvres ! Contrairement aux végétariens et végans je n'ignore pas le cri de la carotte. Je pense sérieusement que les plantes communiquent entre elles et que nous ne connaissons rien de leur vie et de leur mort. J'avoue avoir même des doutes sur le fauteuil sur lequel je suis assis en train de taper ces lignes. Aucun mysticisme là-dedans, mais une interrogation fondamentale sur les atomes et leurs combinaisons, puisque rien ne se perd ni ne se crée.


En écoutant Chasseurs, l'œuvre radiophonique qu'Amandine Casadamont présentait mercredi soir au Musée de la Chasse et de la Nature en son spatialisé pour 20 haut-parleurs, j'étais rassuré d'entendre un autre son de cloche à la fin de la pièce après avoir été immergé pendant une heure dans une battue magnifiquement rendue. J'ai fondamentalement besoin de dialectique pour comprendre la moindre chose. Dans le cadre de la Saison France-Roumanie 2019 avec l'Institut français et l'Institut culturel roumain, elle a réalisé ce documentaire pour l’Atelier de Création Radiophonique et la nouvelle émission de France Culture, L’Expérience, enregistrant avec deux systèmes de prise de son, le premier, immersif, tenu par Bruno Mourlan, et un couple stéréo ou deux micros mono dont un canon qu'elle tenait au bout d'une perche pour avoir des sons de proximité. Elle a ensuite monté trois battues pour rendre cette impression étonnante d'y participer, du moins en auditeur libre ! Comme l'a souligné la sociologue Dana Diminescu à l'issue de l'avant première au Musée de la Chasse, Amandine a relevé les traces des chasseurs comme eux-mêmes le font avec les sangliers, les lynx ou les chacals. On suit ainsi les "respirations, marches à travers la neige et les feuilles, cris lancés dans l’écho des montagnes, coups de feu et feux de joie" dans cette Transylvanie, restée pays fantasmé dans l'obscurité de l'auditorium. En choisissant la voix enfantine d'India Hair pour traduire et accompagner les voix roumaines, Amandine indique le jeu puéril de cette ambiance virile. Parallèlement à ce que nous improvisons ensemble avec Harpon, les évocations radiophoniques d'Amandine Casadamont, que ce soit au Costa Rica avec les courriers de la drogue, à Fukushima en zone interdite, au Mexique sur le silence ou en Birmanie, abordent toujours des zones d'inconfort qui l'interrogent en nous entraînant avec elle.

Photos : Mirela Popa - Amandine Casadamont

Chasseurs, diffusion stéréophonique sur France Culture dimanche 3 mars 2019 à 23h
Le site de l'émission avec le podcast et plein de photos !

lundi 21 janvier 2019

Le son sur l'image (24) - L'image du son 3.4


L'image du son

En 1988, Mireille Larroche accepte de produire 20 000 lieues sous les mers à la Péniche-Opéra. Elle en assure la mise en scène, accompagnée des magiciens James et Liliane Hodges, de la chorégraphe Lulla Card (devenue depuis Lulla Chourlin) et du décorateur Marc Boisseau. L’idée du sous-marin s’impose à nous dès notre première visite à la Péniche. Déjà sosies des Pieds Nickelés, nous nous reconnaissons dans les trois rôles principaux du roman de Jules Verne : le capitaine Némo, le harponneur Ned Land et le professeur Arronax. Il ne nous en faut pas plus pour décider d’adapter cette parabole de l’Human Dream : croissez et multipliez, exploitez l’homme par l’homme, le monde nous appartient, après moi le déluge. Une première péniche est transformée en musée imaginaire, dédale de vitrines animées et sonores qui tient autant du Palais de la Découverte que du train fantôme. Des magnétophones sonorisent les vitrines-aquariums, Bernard Vitet joue du cor multiphonique à trois pavillons qu’il a inventé, Francis Gorgé fait sonner une cloche de verre au-dessus de la tête des spectateurs qui s’y succèdent tour à tour, je programme en direct mon synthétiseur ARP 2600 comme si j’étais aux commandes du vaisseau… Dans une deuxième péniche, les spectateurs, allongés parmi les rochers reconstitués, sont entraînés dans une aventure musicale d’objets et de corps en mouvement. Les deux marionnettistes cachés sous les sièges sont secondés par deux danseuses qui évoluent dans le couloir central comme pour un défilé de mode. Nous avions livré une bande témoin pour que les danseuses, les marionnettistes et les régisseurs de plateau puissent répéter. Cette suite orchestrale devait également figurer sur un disque , mais nous avions bien prévenu que nous improviserions chaque soir une version différente. Hélas, en notre absence, la metteuse en scène cale chaque geste et chaque effet à la seconde près sur la bande. Nous sommes désespérés lorsque nous réalisons qu’il nous faudra rejouer exactement ce qui a été enregistré : trompette, trio de flûtes, guitare électrique, violoncelle piccolo, voix traitées en temps réel et instruments de synthèse ! J’achète un chronomètre avec un grand écran extrêmement lisible et une télécommande, pour suivre l’action à la seconde près, voire la précéder. Annoncé au Journal de 20 heures, le spectacle joue à guichet fermé pendant trois semaines. Le décor fut ensuite détruit sans que nous ayons le temps d’en récupérer un seul souvenir, si ce n’est une jolie vitrine construite par Marc pour la Fnac, du temps où la logique de l’enseigne n’était pas uniquement et mécaniquement mercantile.


Zappeurs-Pompiers est notre nouveau spectacle multimédia. La chorégraphe Lulla Card se balance devant l’écran, suspendue à un fil, tandis que je zappe les chaînes reçues par satellite pour composer une petite narration en direct. Dans une autre scène, Lulla filme à la paluche sa robe sur laquelle est construite la maquette d’une ville miniature, à la manière de Murnau survolant les paysages dans Faust. Le clown des Macloma, Guy Pannequin, lui donnait la réplique, tandis que nous jouions en avant-scène. Nous avons souvent été transformés en musiciens de fosse, comme pour l’adaptation de J’accuse d’Émile Zola, avec un décor de cinq étages de haut et un orchestre d’harmonie de soixante-dix musiciens. Une vraie fosse, plutôt une tranchée, creusée dans la terre, entourée de barbelés… Le scénographe Raymond Sarti avait collé un chapiteau gonflable sur une tour de Mantes-la-Jolie, repeignant tout l’immeuble en bleu, les balcons, la terre battue devant l’immeuble… La mise en scène était d’Ahmed Madani. Dans nos premières créations, nous étions moins riches et nous nous mettions nous-mêmes en scène, un peu potaches. Bernard se cachait dans le piano à queue pour apparaître comme un zombie sortant du tombeau, après avoir frotté les cordes de tout son corps allongé. Nous avons fait un concert entier couchés par terre. Pas facile de jouer du sax sur le dos ! J’ai joué de la flûte la tête en bas sur un trapèze, Bernard s’est aveuglé avec du liquide fluo, nous inventions mille facéties pour produire une image, et pas seulement un son. Nous avons finalement abandonné, la concentration du musicien et celle du comédien étant trop contradictoires. Le comédien, schizophrène professionnel, doit jouer un rôle, tandis que le musicien recherche à être le plus lui-même que possible, paranoïaque potentiel. Dans le théâtre musical le plus réussi, je pense aux plus belles pièces de Mauricio Kagel ou Georges Aperghis, il y a un frottement irrésolvable entre ces deux mouvements. Le musicien est très mauvais acteur, pour ne pas parler de la réciproque. Cela condamna définitivement à nos yeux le théâtre musical.


Dès 1985, nous entamons notre cycle « Littérature et musique en direct » avec deux nouvelles de Dino Buzzati, Le K et Jeune fille qui tombe…tombe interprétées par Michael Lonsdale. Plus tard, avec la rencontre de Raymond Sarti, nous immergeâmes l’ensemble dans des scénographies complexes, lorsque Richard Bohringer ou Daniel Laloux reprirent le rôle du récitant. Nous réalisâmes d’autres créations sur des textes de Michel Tournier et Jules Verne, en particulier avec l’exceptionnel chanteur qu’était Frank Royon Le Mée, plus de trois octaves de tessiture du baryton au haute contre, une maîtrise absolue de l’organe, voix diphonique, et une imagination débordante. Nous n’avons jamais trouvé d’équivalent depuis sa disparition. Le sida l’a emporté, comme Marc Boisseau, le décorateur de 20 000 lieues sous les mers et de Zappeurs-Pompiers 2.
Un feu d’artifice clôturait Le Château des Carpates, interprété en plein air sur le parvis d’une église. Pendant ces années, nous avons beaucoup joué avec le feu. Pour 45 secondes départ arrêté, l’artificier envoie tout en même temps et le ciel est transformé en voûte enflammée. Nous avons tout juste le temps de nous aplatir le long d’un mur ! Heureusement, cette fois la musique est préenregistrée. Ce n’est pas le cas de Féeries Jacobines, où Francis et moi sommes suspendus aux fenêtres de la Mairie de Montreuil, tandis que Bernard, perché sur des cothurnes, traverse les vingt-cinq mille personnes qui assistent au spectacle. Seulement sept blessés. Il paraît que c’est peu. Nous faisons aussi quelques concerts avec le pyrophone, un orgue à feu construit par Bernard. La différence de température produit une montée d’air chaud dans le tuyau et fait entendre des voix célestes. Le son est magnifique mais l’instrument est très encombrant. Je dois avouer que je ne suis pas non plus rassuré à la vue des détendeurs et des bouteilles de gaz que mon camarade mélange allègrement. Quelques années plus tôt, j’avais eu les deux mains brûlées au second degré suite à un mauvais dosage de poudres en fabriquant des fumigènes. Nous jouions dans une cage de tulle fabriquée par Bernard. J’ai pensé à une couverture pour étouffer le feu qui embrasait la toile de notre chapiteau mais il n’y avait que nous trois et nos instruments. J’ai éteint avec mes mains mais le plastique a collé sur mes paumes. Je suis sorti les bras en l’air en criant au public « on a eu chaud ». Tout le monde a cru que c’était dans le spectacle. Je me suis fait soigner par un infirmier qui me racontait des histoires de grands brûlés et par les pompiers appelés par les alarmes anti-fumée. Au loin, j’avais l’impression que le Titanic sombrait pendant que l’orchestre continuait toujours à jouer.


Ces quelques exemples pour montrer à quel point nous étions sensibles aux images autant qu’au son, si friands que nous étions des idées les plus folles, but the show must go on.

Précédents chapitres :
Fruits de saison : La liberté de l’autodidacte / Déjà un siècle / Transmettre
I. Une histoire de l’audiovisuel : Hémiplégie / Avant le cinématographe / Invention du muet / Régression du parlant / La partition sonore
II. Design sonore : La technique pour pouvoir l’oublier / Discours de la méthode / La charte sonore / Expositions-spectacles / Au cirque avec Seurat / Casting / Musique originale ou préexistante / Bruitages et un peu de technique 1 / 2 / Le synchronisme accidentel / La musique interactive
III. Un drame musical instantané : Un drame musical instantané / Un collectif / Des films pour les aveugles 1 / 2

mardi 4 décembre 2018

Zappa pour mémoire


Frank Zappa est décédé il y a exactement un quart de siècle aujourd'hui. Cela ne rajeunit personne. Je suis resté le gamin admiratif de la première heure. Je lis le gros dossier que Citizen Jazz lui consacre cette semaine. En 2004 Jazz Magazine m'avait demandé de raconter ma rencontre avec l'idole de mes 15 ans. Je reproduis ici ce témoignage, en pensant à tout ce que je lui dois... Pour l'illustrer j'ai choisi l'affiche originale que j'avais accrochée dans ma chambre et j'ai ajouté quelques liens...

LES M.O.I., L’ÉMOI ET MOI

Juillet 1968, Cincinnati, Ohio. Au retour d’une Battle of the Bands, Jeff me fait écouter We’re only in it for the money. Foudroyé par l’humour et l’invention des Mothers, ma réaction est immédiate : c’est ça que j’aimerais faire si j’étais musicien. San Francisco, un mois plus tard. Au retour d’un concert du Grateful Dead au Fillmore West, où nous étions allés en faisant voler la voiture comme dans Bullit, Peter m’offre Freak Out! et Absolutely Free qu’il trouve trop farfelus. Il joint quelques graines à l’inestimable présent. Je ne possédais alors que le 33 tours de Claude François à l’Olympia et quelques 45 tours des Beatles et des Rolling Stones, je n’avais aucune pratique musicale. Quelques mois plus tard je monte le premier concert de rock au Lycée Claude Bernard à Paris, j’y chante, joue du saxophone et des percussions et diffuse des bandes électroniques que j’ai réalisées à partir d’ondes courtes. Francis Gorgé y joue de la guitare sur le Marshall de Patrick Vian, du groupe Red Noise, le même ampli sur lequel Frank Zappa s’est branché au Festival de Biot-Valbonne. La musique n’a pas grand-chose à voir avec celle de mon idole, mais ce fut l’étincelle de ma vocation musicale. Revenons en arrière. De retour des USA, je passe à Pan, le magasin d’Adrien Nataf, et je lui demande s’il n’a rien dans ce genre-là. Il me vend Stricly Personal de Captain Beefheart. Nouveau choc. En octobre, les Mothers of Invention passent à l’Olympia, public clairsemé, spectacle sarcastique où Jimmy Carl Black joue un vampire assoiffé de sexe. Les disques se suivent, Lumpy Gravy, Ruben & the Jets, Uncle Meat, Hot Rats, pas un album ne ressemble au précédent, c’est ce qui me fascine alors.

Octobre 1969. La France interdit au premier festival pop de se tenir sur son territoire et nous nous retrouvons tous en Belgique, au Festival d’Amougies. Je découvre le seul robinet accessible de la commune pour pouvoir nous débarbouiller chaque matin, pendant les quelques heures sans musique. Enfoui dans mon sac de couchage, avec un petit magnétophone, j’enregistre Frank Zappa, venu seul, faire le bœuf avec Pink Floyd, Caravan, Blossom Toes, Sam Apple Pie, Ainsley Dunbar Retaliation et Archie Shepp ! L’Art Ensemble de Chicago m’ouvre le champ extraordinaire du free jazz. Joseph Jarman, nu, pastiche les guitaristes de rock, mieux que tous les guitar heroes. Zappa arrose de whisky l’harmonica de Beefheart pendant qu’il joue. À leur sortie de scène, j’enjambe la barrière et harponne Zappa, je l’abreuve de questions pendant trois quarts d’heure. Moment fabuleux que je vais reproduire à chacune de ses visites jusqu’au concert du Gaumont Palace. Je tente la pareille avec le Capitaine qui me traverse comme un ectoplasme, mystère.

Août 1970, festival maudit de Biot-Valbonne. Je suis le premier, et peut-être un des seuls à payer mon billet. Je donne un coup de main à l’Open Light qui assure les projections psychédéliques. Personne ne reconnaît Zappa, je lui demande s’il a sa guitare et sa pédale wah-wah. Il lui manque un ampli et un orchestre. Je cherche l’un et les autres. Le concert se fera en quartet avec Jean-Luc Ponty, Albi Cullaz et Aldo Romano! Le festival écourté et annulé, je me retrouve à faire le bœuf avec Eric Clapton dans la villa de Giorgio Gomelsky, l’impressario des Stones, où je rencontre Frank Wright et me retrouve embarqué dans la villa de Pink Floyd ! J’arrivais alors de la Fondation Maeght où venaient de jouer Cecil Taylor, Sun Ra et Albert Ayler. A cette époque, l’invention règne dans tous les arts, pas seulement chez les Mamans !

Décembre 1970. Ma dernière rencontre avec Zappa remonte au Gaumont Palace où il improvise de petits gestes virtuoses de l’index et du majeur pour diriger Ponty. Pendant les années 80 je m’éloigne un peu d’une musique devenue trop typiquement rock à mon goût, mais les pièces pour orchestre me fascinent à nouveau, même si l’interprétation de Boulez est catastrophique. Zappa est tellement furieux qu’il se fait vraiment prier pour venir saluer. On raconte qu’il a réussi à se faire jouer en envisageant l’achat d’une 4X, l’ordinateur développé par l’IRCAM. Il optera pour un synthétiseur Synclavier et, malgré d’intéressants enregistrements dirigés par Kent Nagano, trouvera l’orchestre idéal en l’Ensemble Modern (The Yellow Shark).

Printemps 1993. Je dois réaliser un film de la série Vis à Vis pour France 3 sur deux musiciens qui se parlent par satellite pendant trois jours. Contacté, Robert Charlebois, me suggère de le faire avec un guitariste américain qui joue sur son premier album, un chum qui s’appelle Frank Zappa. Je sais déjà que Zappa est très malade. La chaîne répond que ce n’est pas assez médiatique. Le film se fera entre Idir et Johnny Clegg !

Décembre 1993. Je tourne Chaque jour à Sarajevo pendant le siège. Mille obus par vingt quatre heures ! Je m’endors en comptant les explosions et me laisse bercer par cette partition digne de Ionisation d’Edgard Varèse. Un soir, en rentrant à l’Holiday Inn, j’allume CNN. Sur le générique de fin du Journal, Zappa, barbu, fatigué, dirige l’Ensemble Modern. Je comprends qu’il vient de mourir. Le monde s’écroule autour de moi. Là c’est trop, je parle tout seul, je m’effondre.

J’ai toujours considéré Zappa comme le père de mon récit, du moins pour la musique. Chaque fois que je « découvrais » un nouveau compositeur, je courrais voir s’il appartenait à la liste d’influences que Zappa donne dans son premier album. Ainsi, depuis 1968, j’ai vérifié les noms de Schoenberg, Kirk, Kagel, Mingus, Boulez, Webern, Dolphy, Stockhausen, Cecil Taylor, et mon favori, Charles Ives… Je suis surpris aujourd’hui de ne pas y lire les noms de Conlon Nancarrow, Harry Partch ou Sun Ra. Ma mémoire me fait défaut.

vendredi 7 septembre 2018

Exclusivement sur Internet !


La presse papier en retard de plusieurs métros, déconnectée des nouveaux usages, refuse de chroniquer les albums exclusivement en ligne. Cette ineptie coûte cher aux musiciens et aux labels indépendants qui sont obligés de faire imprimer des CD au minimum sous enveloppes en carton, au maximum sous packaging plus seyant. Lorsque le CD fait partie d'un objet particulièrement soigné, luxueux livret illustré, travail graphique et textes conséquents, il n'y a pas de regret, mais le plus souvent les auditeurs se passent très bien de la formule physique la plus rébarbative. Issue de la vieille école du vinyle, il est certain que je préfère néanmoins avoir entre les mains un bel objet plutôt qu'un fichier dématérialisé. J'écoute les CD sur ma chaîne hi-fi alors que la virtualité se contente le plus souvent des haut-parleurs de mon ordinateur. La plupart des disques ne se vendant plus qu'à la fin des concerts, il est pourtant absurde de presser quelques centaines d'exemplaires pour une presse qui n'a même plus d'espace dans ses colonnes pour en parler !
Internet permet en outre de publier des formats qui feraient exploser la durée d'un CD ou d'un vinyle. Ainsi Poisons d'Un Drame Musical Instantané dure 24 heures ! C'est l'équivalent des séries TV de qualité par rapport aux films qui sortent en salles. Il aura fallu du temps pour que les cinéphiles en apprécient le suc. J'adore également enregistrer un album le vendredi et publier le résultat avec pochette et crédits le lundi suivant ! Je pourrais prétendre que la musique n'a absolument rien à voir avec le support ; c'est vrai et faux à la fois. Dans cette polémique, on parle trop souvent du contenant en faisant abstraction du contenu, comme les audiophiles qui font écouter leur matériel en se fichant totalement des œuvres qui les traversent. D'une part la musique existe quel que soit le support, mais d'autre part à chaque support correspond un projet et chaque projet suggère tel ou tel support. Les conditions sociales et matérielles dans lesquelles s'inscrit la production musicale influent forcément sur la nature des œuvres. Combien d'artistes se plient ainsi à la mode au lieu de profiter de leur liberté de créer !
C'est donc avec une joie non dissimulée que je lis les chroniques que Citizen Jazz publie de mes albums exclusivement en ligne, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org et depuis peu sur BandCamp. Cette plateforme les diffuse gratuitement dans une formule limitée dans le temps, et payante moyennant un pourcentage de 10% ou selon le degré de solidarité des amateurs de nos créations sonores. Ainsi dans son dernier numéro qui me consacre un imposant dossier avec entretien et la mention ÉLU pour mon récent Centenaire qui sort officiellement aujourd'hui, on trouvera sous la plume de Nicolas Dourlhès un compte-rendu de 8 albums virtuels les plus récents parus chez GRRR, soit deux volumes de Un coup de dés jamais n'abolira le hasard (2015) avec d'une part le trompettiste Médéric Collignon et le guitariste Julien Desprez, et d'autre part l'accordéoniste Pascal Contet et le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang, L'isthme des ismes (2017) avec Hoang et le batteur Samuel Ber, Arlequin (2015) et Défis de prononciation (2017) avec la chanteuse-bassoniste Sophie Bernado et la chanteuse-vibraphoniste Linda Edsjö, Harpon (2016) et Paradis (2017) avec la platiniste Amandine Casadamont, Carambolages (2016) pour l'exposition de Jean-Hubert Martin au Grand Palais...

lundi 3 septembre 2018

Citizen Jazz me gâte


En plus d'être en couverture de l'édition de Citizen Jazz, le magazine en ligne (depuis 2001 !) m'offre un long entretien avec Franpi Barriaux chroniquant l'album de mon Centenaire qui sort ces jours-ci tandis que Nicolas Dourlhès revient sur une dizaine de mes enregistrements les plus récents. Au travers de ces trois approches se dessine un joli portrait où je crois me reconnaître... Sans oublier 3 titres sur 15 dans la Playlist des Zélés Élus !

Le magazine a spatialement ses limites que je comprends aisément, mais les coupes astucieusement réalisées par Matthieu Jouan ont fait disparaître Étienne Mineur à qui je dois l'admirable travail graphique de mon Centenaire. Merci Etienne pour ces 52 pages hautes en couleurs ! Comme je ne me souviens plus de ce que j'ai raconté, l'ensemble me paraît tout à fait cohérent, à part mon allusion à mes exploits cinématographiques de 1993 en Algérie, en Afrique du Sud et à Sarajevo pendant le siège. J'y étais comme réalisateur, petit détail qui n'était déjà pas très clair dans la version intégrale ! Hors ces deux points, je jubile avec le reste de l'équipe, et je remercie Christian Taillemite pour ses photos qui complètent la belle orange de Sonia Cruchon et mon autoportrait devant miroir que j'appellerai L'homme de Shangaï en hommage à Orson Welles qui est l'une des inspirations de mon album borgésien. J'avoue qu'après l'article de mercredi dernier dans Télérama écrit par Louis-Julien Nicolaou, voilà qui commence bien la semaine !

C'est bien agréable de répondre à des questions intelligentes (d'autres m'en ont posées cette semaine, mais leur publication est pour un peu plus tard et c'est chouette de savoir que cela va suivre !) comme celles de Franpi Barriaux sous la rubrique "Entretiens" ou de lire des chroniques d'albums exclusivement en ligne sur Internet que la presse papier néglige depuis bientôt dix ans en ne s'intéressant qu'aux disques physiquement palpables. Ainsi, sous la rubrique "Tribunes", Nicolas Dourlhès évoque-t-il les plus récents, soit deux volumes de Un coup de dés jamais n'abolira le hasard (2015) avec d'une part Médéric Collignon et Julien Desprez, et d'autre part Pascal Contet et Antonin-Tri Hoang, L'isthme des ismes (2017) avec Hoang et Samuel Ber, Arlequin (2015) et Défis de prononciation (2017) avec Sophie Bernado et Linda Edsjö, Harpon (2016) et Paradis (2017) avec Amandine Casadamont, Carambolages (2016) pour l'exposition de Jean-Hubert Martin au Grand Palais... Pour terminer, commençons avec l'album de mon Centenaire qui sort donc cette semaine et que raconte Franpi Barriaux sous la rubrique "Chroniques".

Centenaire de Jean-Jacques Birgé / The 100th Anniversary, cd GRRR, distribution Orkhêstra ainsi que Les Allumés du Jazz et BandCamp).

lundi 13 août 2018

La folie de Château Perché


D'abord le lieu : un parc de cent hectares où s'élève le château d'Avrilly avec ses restes du XVe et XVIIe siècle et ses rénovations du XIXe, plans d'eau merveilleux, sous-bois secrets sous un ciel immaculé. Y sont disséminées douze scènes où la musique résonne non-stop pendant deux jours et deux nuits. Boum-boum-boum-boum, il faut aimer la techno sous toutes ses déclinaisons, même si on a la surprise de découvrir un groupe de salsa, des rappeurs ou une fanfare en parcourant la forêt. C'est suffisamment ouvert pour que Harpon y fasse un set nocturne de trois heures à l'Orée de la Clairière dans une programmation ambient/expérimentale !


Huit mille festivaliers ont rejoint cette cinquième édition du Festival Château Perché. La plupart sont maquillés, déguisés, allumés dans ce qui ressemble à un Blade Runner bon enfant. Le dress code (Tribute to Charles Freger‘s Photography, puis La Belle Époque) est interprété très librement. Dans ce pays des merveilles où chaque scène est décorée différemment, c'est peace & love ressuscités ! Au petit matin on voit évidemment errer ceux qui ont abusé des boissons alcoolisées ou des substances psychédéliques, et qui n'ont pas été embarqués par les ambulances. Je n'en connais pas la composition chimique, mais leurs adeptes gardent le sourire même si la Terre vacille sous leurs pieds. La plupart des festivaliers sont simplement des amateurs de musique de danse et de transe. L'expérience est hallucinante.
Chaque année le festival se tient dans un château différent et nécessite une organisation incroyable doublée d'une grande fantaisie. Je ne connaissais presqu'aucun des deux cents musiciens et DJ, si ce n'est Coldcut et Ben Osborne, responsable de la scène UK. La musique était devenue accessoire, seule l'expérience me fascinait. Le travail raffiné des timbres de Harpon et notre choix narratif des 1001 nuits furent terriblement perturbés par la rythmique binaire d'une autre scène pourtant assez éloignée. Notre duo avec Amandine Casadamont s'en sortit tant bien que mal en remontant le volume et en glissant progressivement vers des séquences rythmiques couvrant la pollution sonore de cette proximité, mais nous avons dû hélas abandonner les méandres raffinés du conte arabe...

mardi 7 août 2018

Les 1001 nuits de Harpon au Château Perché


Dans la nuit du 11 au 12 août de 1h à 4h du matin Amandine Casadamont et moi jouerons trois heures d'affilée sur l'une des huit scènes du Festival Château Perché qui se tiendra cette année au Château d'Avrilly près de Moulins dans l'Allier. Ce lieu, c'est l'orée de la clairière, l'île du Ketoshima, dédiée à la paix, où ne seront présentées que des musiques downtempo et ambient. Je ne connais aucun des artistes qui nous y précéderont ou suivront (Adc-303 - Andrea Belfi - Asmar - Benjamin König - Dialogue/s - Gagarin Project - (Live) Harpon c'est nous ! - Kawrites - Lakker - Lopal - Loup des Steppes (Théâtre - production In Carne) - Månljus - Paul Mørk - Samy El Moudni - Shaded Explorer - Sub Accent - (Live) Vito Lucente), pas plus que les 200 en tout qui se succéderont pendant les deux jours de ce festival hors normes. C'est dire si nous sommes curieux et avides de découvertes.
Comme notre prestation se déroulera aux rares heures où je dors habituellement je crains la nuit blanche avec trajets aller et retour depuis et vers Paris. Amandine me racontera certainement des histoires comme Shéhérazade pour que je ne m'endorme pas au volant. Tapis volant, s'entend. Cent ans justement. Puisque la nuit porte conseil nous avons choisi d'interpréter, très librement, dix contes des 1001 Nuits, cahier des charges que nous nous imposons pour donner un cadre à nos imaginations débridées. Ma camarade sera aux commandes de trois platines tourne-disques, 100% vinyle, tandis que je jouerai sur mes claviers ou sur instruments acoustiques. J'ai donc choisi aussi le Tenori-on qui produit de la lumière, le H3000 qui démultiplie les voix, le Lyra-8 fraîchement débarqué de Russie, certains programmes délicats développés pour iPad par Les inéditeurs, quelques instruments à vent, mes guimbardes... Deux energy chimes serviront à marquer le passage d'un conte à un autre.
Les dix contes sont Aladin ou La lampe merveilleuse, Sinbad le marin, Le cheval enchanté, L’Épopée de Umar an-Nu'mân, Ali-Baba et les quarante voleurs, Les trois Calenders, Le chien du Tsar, Le Conte du pêcheur et du démon, Les sept Vizirs, Le Conte d’Ayyûb le marchand, de son fils Ghânim et de sa fille Fitna. Je fais cette annonce alléchante, mais je crains que vous ne puissiez assister à cette performance si vous n'avez déjà acquis l'un des 5000 tickets, car c'est hyper booké. Je vous raconterai, puisque c'est le mérite du conte arabe de vous tenir en haleine jour après jour, nuit après nuit...

mercredi 1 août 2018

Absence


La maison semble abandonnée, sur le mur décrépit est accrochée l'image d'un rêve, le ciel bleu, le soleil et la mer, les portes sont autant de possibles que d'impossibles, les fenêtres ouvertes sur un lendemain dont on ignore tout encore. Un asile, une île, déserte. Depuis un mois je fais juste semblant en ne publiant rien, mais à quoi rime de tenir un journal si l'on tait ce à quoi l'on tient le plus ? Le pire est que je ne sais rien ni pourquoi. Vacances annulées, tant en juillet qu'en août. J'avais souhaité une remise du compteur à zéro, je suis servi. N'en jetez plus!
Comme je suis volontariste, j'en profite pour "faire la vaisselle". Je passe le Kärcher dans la cour, j'aspire les feuilles mortes du jardin, je fais les carreaux, je resserre des vis qui ont pris du jeu, et puis j'expérimente mon nouveau synthétiseur russe, un Lyra-8 très "noise". J'ai beaucoup de mal à écrire. J'arrive à peine à lire et regarder des films. La vie réserve de drôles de surprises, parfois des plus absurdes. L'argent pervertit trop souvent les meilleures intentions. Une cruelle incertitude me prive de tout. Qui vivra verra... Heureusement Oulala et Django me tiennent compagnie à grand renfort de miaulements intempestifs et les premiers retours de mon Centenaire sont excellents. Les amis m'invitent à dîner, mais je n'arrive pas à sortir "en ville". La foule en rajouterait à ma solitude. Il y a néanmoins et heureusement le concert, dans la nuit du 11 au 12 août au Festival Château Perché, de Harpon, duo avec Amandine Casadamont pour lequel j'ai créé une page web. J'en ai aussi profité pour mettre une douzaine d'albums sur Bandcamp, cela prend du temps, ou plutôt cela occupe. Tôt le matin je passe nourrir la tortue des voisins, une endive, quelques feuilles de chou chinois et une fraise en dessert. J'enchaîne avec un footing à jeun avant de suer un petit coup au sauna. Le bon côté des choses est que je maigris. Je mange essentiellement les légumes de l'AMAP que je vais chercher chaque lundi, une véritable orgie légumière. Je dors peu d'habitude, mais là mon sommeil s'est réduit au strict minimum. Je passe par de longues phases d'abattement, de profonde tristesse, que je gère pourtant mieux que lorsque j'étais plus jeune. Tout cela ne rime à rien. Comme j'ai une soif de vivre inextinguible, tous les espoirs sont permis. On ne se refait pas. Un paradoxe.

mercredi 27 juin 2018

Huitième indice


Voilà. C'est arrivé demain. On a passé la ligne. J'ai demandé à Amandine Casadamont de faire le voyage avec moi. D'habitude elle écrit des fictions et des documentaires qu'elle produit à Radio France. Pour notre duo Harpon, elle est platiniste. Entendre qu'elle mixe des vinyles sur trois platines tandis que j'improvise le plus souvent au clavier, bien qu'ici j'utilise exclusivement la Mascarade Machine que j'ai conçue avec Antoine Schmitt et qu'il a construite à base de code. Cet objet virtuel commandé comme un marionnettiste devant la webcam de mon ordinateur permet de transformer le flux radiophonique en mélodies, nappes, rythmes, timbres électroacoustiques... Après trois albums sur drame.org et quelques live, Harpon jouera un set de trois heures dans la nuit du 11 au 12 août au Festival Château Perché qui se tiendra cette année au Château d'Avrilly. 200 artistes sont attendus lors de cet évènement totalement délirant dans un lieu qui me fait penser à Peau d'Âne... J'allais oublier : la photo retravaillée par Étienne Mineur est d'Olivier Degorce qui m'avait photographié lors d'un concert à Londres. C'est beaucoup trop d'informations pour si peu de lignes !

vendredi 11 mai 2018

Le système binaural


En juin dernier j'avais adoré écouter au casque l'album Modo Avião de Lucas Santtana paru sur le label Nø Førmat, d'autant qu'il avait été enregistré en mode binaural. En gros il s'agit de spatialiser les sons dans un univers 3D, soit de repérer leur position, pas seulement en stéréo gauche-droite, mais aussi derrière, au dessus, en dessous, etc. Pour cela on utilise des filtres et plusieurs micros. L'effet n'est évidemment perceptible qu'à l'écoute au casque.
L'ingénieur du son Bernard Lagnel s'en est fait une spécialité et son site Internet, Le son binaural, est particulièrement documenté sur le sujet. Il utilise en général le système Plug & Rec composé de deux DPA 4060 logés dans ses oreilles et d'un couple XY Schoeps.
Longtemps j'ai accroché deux petits micros au dessus de mes oreilles comme le fait toujours Amandine Casadamont avec qui je joue par ailleurs au sein de notre duo, Harpon. L'effet est magique, mais pas aussi bluffant que le système binaural utilisé par exemple par Lagnel.
Récemment il a enregistré Spat'sonore dont la configuration des sources instrumentales dans l'espace avec sa forêt de pavillons est particulièrement adaptée à la restitution binaurale. Ainsi j'ai le plaisir de découvrir I pirati a Palermu chanté par Elsa Birgé qu'accompagne Spat'sonore lors du concert du 4 mai dernier à l'Église Saint Merri. Lagnel a également enregistré la veille une répétition du karaoké bruitiste avec une quarantaine d'amateurs et les musiciens de Spat' pour la création de Les jardins à la française (ne supportent pas l'orage) d'Elsa Biston et Nicolas Chedmail, pièce en «partition défilante» à laquelle j'ai participé. On m'y entend d'ailleurs aider à régler les vidéoprojecteurs et donner des conseils aux amateurs !
En février j'avais aussi évoqué le film en 360° avec Spat'sonore et Elsa tourné par l'audioprothésiste Nicolas Sadoc, preuve que les représentations acoustiques en 3D de cet ensemble titillent les acousticiens autant que le public.

lundi 1 janvier 2018

Harpon inaugure 2018


Nous n'avions rien publié ensemble depuis le concert au Silencio Club en juin 2016. Paradis est le troisième album du duo Harpon, enregistré et mixé jeudi dernier avec Amandine Casadamont. Il est déjà en ligne, en écoute et téléchargement gratuits comme 73 autres sur le site drame.org ! Une façon d'accompagner nos vœux pour 2018...
Contrairement au premier, en studio, et au deuxième, live, qui étaient plus dramatiques et légers, axés sur la fiction, Paradis dévoile des ambiances sombres, plus instrumentales. Peut-être avons-nous été influencés par la projection de Blade Runner 2049, projeté la veille au soir. Si le scénario du film de Denis Villeneuve inspiré de Philip K. Dick est raté, bourré de longueurs et d'invraisemblances, sa recherche plastique et une utilisation intelligente du son intégré à la musique sans surcharge d'effets redondants comme le cinéma le pratique hélas de nos jours nous ont marqués. Nous avons pris la photo de la pochette juste avant le film. Les quatre improvisations préparées durent environ quinze minutes chacune : 97 Round, Geno Taping, Terroirs, Drugstar. Amandine Casadamont est aux commandes de trois platines tandis que je me sers essentiellement d'un clavier branché sur mon ordinateur auquel j'ai ajouté trompette avec anche ou embouchure, flûte, erhu, guimbardes, percussion. De temps en temps je transforme certains de mes sons ou ceux d'Amandine avec l'Eventide H3000. Terroirs est exclusivement composé de field recordings.
En fin de séance nous avons enregistré une cinquième pièce destinée à mon prochain album physique ; CD ou LP, je ne sais pas encore. Je me suis servi cette fois exclusivement de la Mascarade Machine, système conçu avec Antoine Schmitt et permettant de transformer le flux radiophonique en timbre, mélodie, nappes, etc.


Amandine Casadamont explique qu'elle réalise un travail construit à partir du monde du vinyle, des pièces fabriquées de ready-made sonores issus exclusivement de vinyles. Les sources sont déconstruites et reconfigurées sous une forme hybride entre l’ancien et le nouveau. Elle compose ses mix à partir de trois platines vinyles sans aucun effet synthétique. Elle joue parfois sur le pitch, donne des à-coups, scratche, découpe comme dans ses fameuses productions radiophoniques. Au delà de ce jeu de déconstruction/reconstruction, elle s’interroge sur de nouvelles formes possibles et impossibles, et sur la matière sonore, abstraite ou concrète. Ses outils sont ceux du DJ, mais l’objet se rapproche davantage du travail du réalisateur sonore ou de l’artiste. Ses compositions live relèvent plus du cinéma sonore ou de l’ambiant expérimental que du DJing et de la culture clubbing. Pas de calage de bpm destiné à faire bouger les corps, ici on s’installe dans le son, l’esprit voyage dans un univers original déconstruit et reconstruit en fonction du moment. Son travail 99% vinyle, appelé aussi « Hörspiel Mix » a été primé au New York Festival en 2016 dans la catégorie Radio Art. La création à laquelle j'avais assisté avait été réalisée en public et diffusée sur France Culture.
Le terme allemand Hörspiel n'a pas d'équivalent en français, éventuellement "évocation radiophonique". En nommant jadis mon groupe Un Drame Musical Instantané, c'est la même idée qui me guidait, composer des œuvres suffisamment suggestives pour que l'auditeur ou le spectateur puisse se faire son propre cinéma !

mardi 6 juin 2017

Le diable est dans les détails


Les douze coups de minuit étaient bien derrière nous. Il n'en avait probablement sonné qu'un petit. Pour la route ! J'ai glissé la clef dans la serrure. Elle tournait, tournait, tournait sur elle-même. Comment aurions-nous fait sans la porte du garage ? J'éclairai mes tentatives vouées à l'échec en tenant l'une de mes lampes torche à LED entre les dents. Dehors j'ai entouré de gaffeur noir la clef que je n'avais pas réussi à extraire du canon, pour lui éviter de briller sous le réverbère. J'ai attendu lundi pour contacter un voisin bricoleur possédant une disqueuse et un poste à souder.
Parti dans une des grandes surfaces spécialisées situées en banlieue-est avec le vieux modèle cassé, je me suis fait refiler une fermeture par cylindre inadaptée. Nietzsche prétendrait que le diable est dans les détails ! La taille était la bonne, le canon était bien centré, mais la gâche et le verrou étaient inversés ! J'ai donc emprunté quatre fois l'autoroute, harponné le vendeur du rayon quincaillerie, négocié la reprise du blister déchiré, pour que ça colle... C'est dingue, on ne pouvait pas voir que l'on s'était trompé sans lacérer le plastique, mais j'ai surtout l'impression qu'il y a toujours un détail devant lequel je passe à côté et qui me fait recommencer je ne sais combien de fois ce qui devrait être évident dès la première.
Le voisin s'en est superbement sorti. Même pas besoin de repasser une couche de peinture bleu marine. Voilà dix-sept ans que le penne n'était pas en face du trou ! Maintenant qu'il y est au bord, j'espère que les froussards vont arrêter de nous emmerder en tentant de nous faire voter Macron encore une fois. Pendant qu'on œuvrait, leurs militants sont d'ailleurs passés dans la rue avec leurs tracts bleu ciel. Ils ont hésité à me le tendre, sachant qu'il finirait à la poubelle, pas seulement celle de l'Histoire.
Dommage que mon interphone se soit remis à déconner. Il y a des portes destinées à être fermées, mais les nôtres sont branchées ouverture. Sauf qu'il faut de nouveau nous déplacer au lieu de faire cela à distance. Alors on crie "qui est-ce ?" par la fenêtre. Pour les Témoins de Jéhovah j'avoue qu'on ajoute autre chose sans avoir besoin de descendre ni traverser la cour. J'ai installé une sonnerie sans fil qui hurle cocorico à faire sursauter la marmaille féline. C'est trente fois moins cher que l'Urmet pourri qui fonctionne une fois sur dix. C'est seulement ennuyeux quand il pleut, mais on a commandé du soleil. En tout cas, à la maison, ça brille toute l'année et la température est diaboliquement idéale. Je le disais, tout est dans les détails...

Note à celles et ceux qui ont un double de la porte du jardin : réclamez la nouvelle clef en imitant le cri du coq !

mercredi 1 février 2017

Pas ma tasse de thé, et pourtant...


Comment évoquer des disques qui m'ont fait passer un bon moment, mais sur lesquels je suis incapable d'écrire ? Mon incompétence me retient d'allonger des superlatifs ou de résumer ma sensibilité sans argumenter. Ce sont souvent des musiques plus classiques que les inventions que je traque inlassablement. Mes goûts me feraient passer à côté d'eux si le postier ne les glissait dans ma boîte aux lettres. Je les appelle les disques de l'après-midi, pas assez bizarres pour l'aube, pas assez intrigants pour que je m'y plonge pendant mon passage au sauna, pas assez dingues pour m'électriser toute la matinée, trop jazz pour les partager avec Françoise pendant la préparation du dîner, mais ils m'accompagnent très agréablement tandis que je regarde mésanges, rouge-gorge, geais, merles s'ébattre dans le jardin lorsque je lève le nez de mon clavier où je tape ces lignes.
Ainsi j'ai savouré Laniakea du pianiste Pierre Bœspflug et du trompettiste René Dagognet, Fines lames du vibraphoniste Renaud Détruit et de l'accordéoniste Florent Sepchat, Be Jazz For Jazz des Madness Tenors qui réunit Lionel Martin, George Garzone avec le pianiste Mario Stantchev, le bassiste Benoit Keller et le batteur Ramón López, et même What if ? du ténor Hugues Mayot avec Jozef Dumoulin aux claviers, Joachim Florent à la basse et Franck Vaillant à la batterie. Les jazz de Bœspflug sautent d'une décennie à une autre sans a priori de style et le son du bugle de Dagognet m'enchante. Mon petit faible pour l'accordéon et le marimba rejoint celui pour les Mikrokosmos de Bartók. C'est la même chose avec les ténors, même si j'apprécie les grands altistes j'ai toujours préféré les instruments en si bémol, du soprano au basse, alors lorsque les ténors se mettent à danser (le nom des Madness Tenors se réfère à un album de Sonny Rollins avec John Coltrane !) je remue seul sur ma chaise, surtout si les envolées lyriques tirent sur le free. L'album de Mayot se rapproche de mes préoccupations familiales, mais il tire trop souvent vers le jazz rock pour me convaincre. Dans les disques que j'écoute je cherche des timbres inédits et des constructions qui m'épatent plutôt que de belles mélodies ou des variations acrobatiques. Il n'empêche que tous ces albums sont d'excellente qualité et raviront les amateurs.
Je suis plus attiré par les ensembles orchestraux que vers les solos, duos ou trios. Sachant que les "critiques" parlent d'eux-mêmes plus que des sujets qu'ils traitent, je reconnais ma sympathie pour la symphonie, les bruits bizarres et les récits évocateurs. Dès que la musique s'échappe d'un genre identifiable elle me harponne, et je m'intéresse à tous, de la chanson française aux variétés internationales, des plus classiques aux plus contemporains, du rock aux musiques du monde, et le jazz en fait partie comme le tango, le blues ou le flamenco. Je n'ai jamais compris pourquoi Cab Calloway me donnait irrésistiblement envie de danser alors que j'aurais plutôt tendance à me cacher quand les autres s'y mettent. Quant à la musique de chambre, il est plus rare que j'y cède. Mes diverses enceintes ne connaissent pourtant pas la taille des salles qu'elles reproduisent...

→ Madness Tenors, Be Jazz For Jazz, CD Cristal Records (en vinyle chez Ouch! Records), sortie le 27 janvier 2017
→ Hugues Mayot, What if ?, CD ONJ Records, dist. L'autre distribution, sortie le 3 février 2017
→ Pierre Bœspflug & René Dagognet, Laniakea, CD Cristal Records, sortie le 3 mars 2017
→ Renaud Détruit & Florent Sepchat, Fines lames, CD Cristal Records, sortie le 10 mars 2017

vendredi 25 novembre 2016

Marc-Antoine Mathieu fait Sens en montrant la voie


Je ne vais pas être long parce que je dois y retourner dare-dare. Coincé pour la seconde fois à la fin du chapitre deux du labyrinthe qui en compte trois, mon iPad commence à me sortir par les trous de nez. Marc-Antoine Mathieu a adapté sa dernière bande dessinée, un roman graphique sans paroles, pour en faire une application interactive sur tablettes iOS ou Android. Qui plus est, S.E.N.S. VR peut être jouée en 3D avec les casques de réalité virtuelle Samsung Gear VR et Oculus Rift, ainsi que sur les casques type Cardboard sur iOS et Android, mais impossible pour moi de tester le relief en l'absence de ces matériels ! Je me contente de tourner, tourner sur mon fauteuil de bureau pour jouir des 360° du vertigineux décor jusqu'à faire apparaître le petit rond qui m'indique la marche à suivre, en accord avec le personnage énigmatique de cette œuvre philosophique dont le sens titille surtout l'émotion : un personnage est à la recherche de la bonne page pour terminer l’histoire tandis que nous devons assumer les conséquences de la disparition du point de fuite...


Fan des bandes dessinées de Marc-Antoine Mathieu depuis le début, j'avais été scotché par 3". Sa version papier, S.E.N.S., qui ne portait qu'une flèche pour tout titre, m'avait malgré tout laissé sur ma faim. Son adaptation produite par Arte et réalisée par les game-designers Charles Ayats et Armand Lemarchand de RedCorner me met la tête à l'envers. Le son donne astucieusement de précieuses indications. Dans cet univers qui se plie et se déplie, nous glissons dans les fentes, tombons de haut ou nous accrochons au papier virtuel de l'écran. Le premier tableau est gratuit, histoire de harponner l'utilisateur. Les deux suivants sont accessibles moyennant la somme modeste de 2,99€. Avec ses lignes épurées noir et blanc et ses ombres portées, S.E.N.S VR marquera certainement l'histoire des œuvres interactives !

P.S.: bonne nouvelle, j'ai terminé, je peux passer à autre chose, mais mon ombre, qu'indique-t-elle ?

mercredi 2 novembre 2016

Portraits sans fin de Nicolas Clauss au CentQuatre



Comment faut-il entendre le "sans fin" des Endless Portraits de Nicolas Clauss ? Si les boucles vidéographiques de quelques secondes glissent sans cesse selon une programmation générative produisant le même effet que n'importe quel tableau, à savoir qu'elles n'ont ni début ni fin, elles ne répondent non plus à aucune attente, que ce soit de la part de l'artiste ou de celle des visiteurs. Ils et elles sont pourtant là. Face à nous. Ils ou elles nous regardent. Sans ciller. Contrairement à nous. Ce ne sont pas des photos puisque ça bouge. Ce ne sont pas non plus des films, le temps semblant figé. Les 16 élus sont condamnés à revivre éternellement le court instant de pose malgré de légers glissements spatio-temporels qui paradoxalement ne se répètent jamais. La faille entre eux et nous serait-elle un avatar de L'invention de Morel ?


Comme pour tout portrait le décor tient sa place dans le cadre. Dans le fond, d'autres personnages entrent et sortent du champ. Des évènements se produisent derrière le modèle sans qu'il s'en aperçoive. Ils vont et viennent, avancent et reculent, selon un tendre bégaiement qui interroge l'univers social où évolue le "héros". Les portraits rejouant à l'infini la comédie de l'existence deviennent des miroirs dans lesquels nous nous projetons. C'est dans l'étude des petits riens que se dévoile l'univers.


Nicolas Clauss y est allé au flan, harponnant un badaud, fouinant pour trouver le contact d'un artiste qui fait sens pour lui. Il a commencé par Wayne à New York, Eva en Sicile, un mannequin ou une mère et son fils à Pékin, un astrologue à Bangalore, une fille à Hanoï, un enfant à Aix, et puis d'autres, moins anonymes, comme Philippe Katerine, Maguy Marin ou Denis Lavant... Ils et elles se sont tous prêtés au jeu. Avec ses portraits de jeunes des cités dans Terres arbitraires Clauss avait réussi à déjouer les idées reçues en faisant craquer le vernis pour montrer la tendresse de ces garçons. Pour Agora(s) il s'était intéressé au mouvement des foules en arpentant la planète. Avec Endless Portraits, il poursuit son objectif en rendant une fois de plus complices ceux qu'il filme image par image avec sa petite caméra en quête de qui nous sommes. Être ou ne pas être ? n'est pas une tarte à la crème. À l'époque où menace la sixième extinction, la question n'a jamais été aussi cruciale. Les réponses se lisent les yeux dans les yeux.

→ Nicolas Clauss, Endless Portraits, 2014-2016, Vidéographies aléatoires, 16 portraits en mouvement exposés sur écrans dans la Galerie Éphémère et la Nef du CentQuatre-Paris, du 3 novembre 2016 au 26 mars 2017, en accès libre

jeudi 15 septembre 2016

"Changement de programme" sur WebSYNradio


Je suis perdu. Dominique Balaÿ me demande un programme pour WebSYNradio, sorte de carte blanche sous forme de playliste. Je suis submergé par les 138 heures d’inédits que Radio Drame diffuse aléatoirement sur mon site drame.org. Comment choisir ? Sur quels critères ? Je commence par sélectionner le premier morceau de chacun des 70 albums virtuels, libres en écoute et téléchargement. Trop long, beaucoup trop long, et totalement arbitraire. J’opte ensuite pour un autoportrait composé des pièces les plus intimes. À quoi bon si tout cela est déjà accessible sur drame.org ? Le cahier des charges est trop libre pour me fixer un cadre où la fiction rejoindrait le réel.
La solution à mes interrogations draconiennes apparaît soudain dans l’énoncé de mon incapacité. S’il me semble absurde d’extraire une liste courte des 900 pièces déjà offertes sur mon site, il me suffit de proposer une sélection d’œuvres qui n’y figurent pas ! Ma proposition consistera donc en une suite chronologique de plages de certains de mes disques dans l’ordre de leurs parutions, toutes inédites sur Internet. Comme ces albums sont presque tous en vente dans le commerce je n’en livre en général qu’un extrait pour appâter l’amateur de beaux objets, vinyles aux généreuses pochettes ou CD aux petits livrets illustrés.
Le corpus ainsi rassemblé dessine une histoire qui s’étale de 1975 à 1997, date à laquelle j’ai abandonné la production physique pour le virtuel. Elle commence avec Défense de, disque de Birgé Gorgé Shiroc devenu culte pour avoir figuré dans la Nurse With Wound List, et se termine avec Machiavel d’Un Drame Musical Instantané, collectif auquel je me consacrai pendant 32 ans.
Pour marquer la continuité avec l’époque actuelle j’ajoute néanmoins en prologue mon enregistrement le plus récent, soit la dernière pièce jouée en public au Silencio Club le 30 juin 2016, improvisée en duo avec la platiniste Amandine Casadamont sous le nom de groupe Harpon. Il manque cruellement mes collaborations avec tous ceux et celles qui participèrent à mes derniers albums, soit Vincent Segal, Antonin-Tri Hoang, Pascal Contet, Sophie Bernado, Linda Edsjö, Médéric Collignon, Julien Desprez, Birgitte Lyregaard, Bass Clef, Pierre Senges, Ève Risser, Joce Mienniel, Edward Perraud, Fanny Lasfargues, Sylvain Kassap, Nicolas Clauss, Alexandra Grimal, Ravi Shardja, Sacha Gattino, Yuko Oshima, Pascale Labbé Didier Petit, Étienne Brunet, Éric Échampard, Bumcello et bien d’autres antérieurement. Francis Gorgé qui quitta le Drame en 1992 et Bernard Vitet qui fut mon partenaire de 1976 à 2008 sont évidemment très présents dans la playliste composée pour WebSYNradio.
Changement de programme est à la fois un autoportrait en creux et un montage de scènes où les origines de ma musique sont explicites. Les évocations radiophoniques de mon enfance et mes études cinématographiques m’ont certainement plus influencé que l’Histoire de la musique, même si j’y ai plongé corps et âme, sans omettre aucune époque ni aucun continent. Musique à propos, cinéma pour aveugles, compositions interactives, mon travail appartient désormais aux auditeurs dont l’interprétation est la clef. Je souhaite surtout qu’ils se fassent leur propre cinéma !

→ Jean-Jacques Birgé, Changement de programme, 19 pièces de 1975 à 2016, en écoute sur WebSYNradio qui offre quantité d'autres contributions sonores...
À partir du jeudi 15 septembre à 20h jusqu’au 29 septembre 2016 même horaire.
Podcast direct, mais il vous manquera le détail de chaque pièce et les photos !

mercredi 3 août 2016

Dernier concert avant l'autoroute


Aux anciens Ateliers de la SNCF d'Arles, Amandine Casadamont a l'idée de faire un photomaton de notre duo Harpon. Nous commençons avec lunettes, les retirons, Amandine s'échappe, mais le plus drôle est le moment où je dois sortir de la cabine exigüe pendant qu'elle y entre. Nous avons tous les deux l'air parfaitement illuminé. Flash.
Parmi les expositions des Rencontres de la photographie que nous avons vues, la seule qui nous ait vraiment emballés est celle de Christian Marclay. Dans une sorte de tunnel rappelant une rue, nous passons devant deux rangées de six écrans où des vidéos montrent des bouteilles, verres et canettes abandonnées sur lesquelles il frappe pour composer une musique minimaliste, cristalline et aérée. Comme les images sont à ras du sol les ombres des jambes des visiteurs qui viennent se superposer nous propulsent dans l'East London où Marclay a filmé. La spatialisation sonore rend la courte promenade très rafraîchissante. A l'envers d'un des deux murs de ce Pub Crawl (2014), six petits films d'animation silencieux constitués de plusieurs milliers de photographies font jouer un mégot, un coton-tige, un chewing-gum écrasé, une cigarette qui se consume, des capsules de bière dans des scènes toujours aussi astucieuses. Intéressante, Mauvais genre, la collection de transsexuels de Sébastien Lipschitz, 450 photographies amateur de travestis de 1880 à 1980. Amusante, les saucisses de Beni Bischof. Trop d'expositions anecdotiques à notre goût, mais nous en avons ratées pas mal.


Lundi soir, c'est notre tour puisque nous participons avec Amandine à La Nuit de l'Année organisée par Phonurgia Nova pour son trentième anniversaire. Antoine Chao ouvre la soirée avec un montage sonore émouvant de son travail journalistique autour de Radio Debout et des évènements politiques récents au Mexique. Nous enchaînons avec trois improvisations, Hypnotik, Insomnie et Rewind. Je ne peux m'empêcher de faire le lien avec Marclay. Précurseur des DJ scratcheurs, il fut le premier platiniste que je rencontrai dans les années 80 tandis qu'Amandine est la première à produire des fictions qui me rappellent terriblement Un Drame Musical Instantané. Dans ses mix elle allie avec la plus grande élégance le sens et la plasticité, jonglant calmement avec trois platines. Elle sait également marier la gravité et l'humour, jouant des contrastes comme j'aime le faire avec mes instruments. Bien que nos sources et nos pratiques soient radicalement différentes nous semons la confusion sur qui fait quoi, y compris parfois à nos propres oreilles. Que ce soit en arpentant les expos d'Arles ou sur scène nous sommes sur la même longueur d'ondes, impatients de rejouer ensemble dès la rentrée.
En attendant je quitte la Toile pour un mois en montagne où nous ne recevrons ni Internet ni téléphone, saine coupure de la perfusion avec laquelle nous vivons le reste de l'année. Bonnes vacances à celles et ceux qui en prennent, pensées solidaires envers les autres...

Photo du concert © Olivia Ekelund

lundi 1 août 2016

Un platane, des platines


Après deux nuits dans la chambre à me faire dévorer et peinturlurer à pois rouges, j'ai passé les suivantes dehors sous la moustiquaire. L'an passé Jean-Claude et Anny avaient installé un cadre en bois sur lequel accrocher le voilage parallélépipédique au-dessus du divan de la terrasse. Après l'avoir accroché on hisse le tout avec une corde grâce à une simili poulie suspendue à une poutre du toit. Les premiers jours nous avions l'impression de vivre dans le grill-pain tant les rayons du soleil étaient secs et cuisants. La nuit arrangeait à peine les choses. Vers deux heures du matin le petit vent frais me fait agréablement frissonner. Dommage que le matelas ressemble à une carte en relief comme on en trouve dans les salles de géographie. J'ai le dos en compote. C'est tout de même mieux que de se faire piquer non-stop. Les démangeaisons ne durent qu'un quart d'heure, mais il y en a tant qu'elles se tuilent au point de me transformer en insomniaque.
Insomnie sera le second morceau que nous jouerons ce soir à Arles avec la platiniste Amandine Casadamont à l'occasion de La Nuit de l'Année organisée par Phonurgia Nova. Le duo Harpon, au sein duquel nous renouvelons chaque fois notre inspiration, improvisera trois autres pièces intitulées Hypnotik, Rewind et une dernière dont je ne sais rien à l'heure qu'il est. Pour ses trente ans, le festival s'est baptisé Rewind Phonurgia. Tout s'explique, mais c'est aux spectateurs de se faire leur propre cinéma.
À l'aube j'admire les feuilles du platane à travers la résille. Je me laisse aller à la rêverie. Un platane, trois platines.

mercredi 6 juillet 2016

L'album live de Harpon au Silencio est en ligne


J'avais les mots ; les sons sont là ! Il nous reste à soigner l'image. Le meuble haut du Silencio Club cachait les mains d'Amandine Casadamont œuvrant sur ses trois platines. Ce rempart a-t-il été conçu pour empêcher les fêtards d'y toucher ? Dommage ! Nous jouions face à face, de profil. Serions-nous plus spectaculaires côte à côte, face au public ? Mes instruments acoustiques produisent certes un meilleur effet visuel que lorsque je suis penché sur mon clavier, bossu sur mon ordi. Multiplier les apparitions inattendues. À la fin du set ma camarade perche les peluches qui se tordent de rire par terre. Préparer d'autres interventions théâtrales qui font sens pour échapper au spectacle radiophonique. Aucun concertiste ne devrait jamais négliger lumière, costumes, présence, regards... Heureusement la musique occupe tout l'espace, quatre histoires extravagantes qui vous emportent comme lorsque l'on va au cinéma... T'emmener voir le panorama... Weird Wild West... Les temps modernes... Skyline... Chaque spectateur, chaque auditeur, peut laisser voguer son imagination. Évocations.

→ Harpon, Live au Silencio Club, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org / avec Amandine Casadamont (100% vinyle) et moi-même (clavier, Tenori-on, iPad, etc.)

vendredi 1 juillet 2016

Harpon au Silencio


Avec mon costume napolitain de harponneur parisien on peut dire que j'avais mis le paquet. Ayant prévenu Amandine pour ne pas la prendre en traître, elle s'était sentie obligée de sortir sa veste. De toute manière on les tomberait dès le second morceau, celui qui sent le large et les embruns. White Light, White Heat. Les chambres noires du Silencio gardent la température. Avons-nous la fièvre ? Personne ne pouvait décemment avoir compris quoi que ce soit au premier, même si l'heure du grand sommeil n'avait pas encore sonné. Les énigmes ont souvent le charme du noir et blanc, mais l'ouest est en couleurs. Whisky ambré pour un kidnapping lynchien en bonne et due forme. La femme blanche est pieds et poings liés. Faut-il avoir une case en moins pour jouer les héros ? Le morceau suivant n'est que mouvements. La scène de poursuite s'évanouit dans la fumée. La fiction emporte l'auditoire, mais l'image du réel nous échappe. Seule une vision du futur offrirait une porte de sortie, or l'épilogue laisse planer un doute sur le sérieux de l'opération. Amandine perche mon singe et son cochon qui se dandinent par terre tandis que les lumières s'éteignent.


Prochaine apparition de Harpon à Arles le 1er août avec Amandine Casadamont aux trois platines 100% vinyle et myself, me and I avec clavier, trompette à anche, harmonicas, guimbardes, percussion et machines électroniques...

mercredi 29 juin 2016

Pêché au Harpon


Amandine Casadamont et moi avons donné le nom de notre premier album à notre duo. Nous nous appelons donc désormais HARPON ! Occasion rêvée pour ma camarade, platiniste de circonstance, d'apporter un poulpe à déjeuner, avant que nous entrions en studio pour préparer le concert de demain soir jeudi.
Le poulpe était un rescapé d'un repas concocté par la scénographe culinaire Marie Chemorin dont les créations sont de véritables œuvres dramatiques qui se dégustent à plusieurs. Pour avoir joué les assistantes kali de la maître-queux, Amandine, qui ne fait jamais les choses à moitié, avait également apporté une charlotte au chocolat enrobée de biscuits de Reims. Je n'eus plus qu'à assaisonner la bête d'un délicat bouillon dashi au kombu et d'une pâte de yuzu goshô et nous nous mîmes à table, le riz gluant en feuille de bananier accompagnant l'ensemble. Au café, nous étions fin près pour embarquer.
Tandis que je lui fais écouter ma palette sonore en faisant courir mes doigts sur le grand clavier, Amandine choisit les vinyles qu'elle fera tourner sur ses trois platines selon les cinq thématiques cinématographiques que nous avons secrètement déterminées. J'oserai le terme de facéties tant l'humour habille nos sombres évocations sonores. Le poulpe incarne d'autre part merveilleusement l'énigme de la création ainsi que les acrobaties schizophréniques qu'elle exige de nous pour lui donner corps.

dimanche 17 avril 2016

Le podcast du duo avec Amandine Casadamont est déjà en ligne


"Un duo est né, rapidement, quasiment en l'espace d'une journée. D'un côté Amandine Casadamont, artiste, créatrice sonore, platiniste. De l'autre, Jean-Jacques Birgé, compositeur amoureux du son autant que des notes, co-fondateur du légendaire groupe Un Drame Musical Instantané. Birgé devant son clavier à synthèses, Casadamont jonglant sur trois platines vinyles. Il est sorti de leur dialogue sonore tout un album improvisé : Harpon. Jean-Jacques Birgé a proposé à Amandine Casadamont d'utiliser sa collection de disques de fictions sonores. Il en est sorti des morceaux sous-marins, qui nous font vivre des bulles de dialogues, et crée une histoire dont chacun choisit les images. L'esthétique vintage et clin d'œil par moments, mais le dialogue sonore est tout en cohérence. Harpon, c'est drôle, Harpon ça nous parle, Harpon ça fait des bonds. Le duo Birgé-Casadamont est là ce soir, et nous offre un live inédit, intitulé 47 mars."


Comme Harpon en ligne le jour de son enregistrement, le podcast de l'émission Supersonic de Thomas Baumgartner diffusé hier soir sur France Culture est déjà en ligne.
Contrairement à ce qui est dit plus haut je ne suis pas amoureux des notes ! Ce ne sont que les clous sur lesquels je tape avec mes instruments que je considère comme des outils, rien de plus. Les machines sont des entités qu'il faut dompter et pervertir pour se les approprier. J'aime seulement les rêves que la musique me procure et ceux qu'elle inspire aux auditeurs. Le reste tient d'une cuisine quasi alchimique que j'aime partager en discourant sur la méthode. L'autre aspect de la musique que j'adore est le fait de la pratiquer à plusieurs. L'improvisation est un sport d'équipe où l'on doit en même temps inventer, écouter et produire.
Le duo avec Amandine coule de source. Si nos références sont radicalement différentes nous avons la même approche de la fiction radiophonique, un cinéma pour les oreilles où la suggestion tient lieu de fil rouge. Lorsqu'il s'agit de mettre en musique nos sentiments ou nos points de vue documentés nous sommes étonnamment toujours sur la même longueur d'ondes.

vendredi 15 avril 2016

Birgé et Casadamont célèbrent le 47 mars sur France Culture, samedi 23h


Aussitôt l'album HARPON en ligne sur drame.org, Thomas Baumgartner nous propose de participer à son émission Supersonic. C'est donc à Radio France qu'a lieu notre premier live. Il choisit de diffuser La patience de la dame et nous invite à improviser une nouvelle pièce, tout à fait dans l'esprit de l'album, mais que nous intitulons 47 mars en référence à la datation de La Nuit Debout. Il est facile de s'en souvenir : on ajoute 31 au jour d'avril puisque ce mouvement a commencé Place de la République à Paris ce jour-là.
Amandine Casadamont mixe vinyles et disques souples, y puisant fiction et documentaire, tandis que je pianote ou que j'incline mon iPad avec des applications interactives que j'ai conçues pour d'autres propos. Tout va très vite depuis le 29 mars dernier. Dans nos têtes nous sommes déjà ailleurs, travaillant sur nos prochains concerts.
En attendant, ce nouvel épisode est à découvrir demain samedi à 23h sur France Culture.

vendredi 8 avril 2016

Coyotes, chiens, crapauds !


Hier était le jour des contrariétés administratives ciblées droits d'auteur. J'avais déjà eu maille à partir avec la Sacem qui choisit de tarifer l'une de mes prestations selon un barème absurde, mais qui a au moins l'avantage d'exister alors que mon cas de figure ne s'est encore jamais présenté. J'ai l'habitude d'innover et par conséquent d'essuyer les plâtres, donc par expérience je me méfie de faire les frais d'une entente compliquée entre un producteur puissant et ma société d'auteurs. Je reviendrai sur cette histoire lorsque je recevrai mon feuillet de répartition, mais en attendant j'espère que la Sacem prendra en considération mes arguments et protégera sérieusement ses ayant droits quel que soit leur portefeuille.
La suite de la journée fut du même acabit. J'avais choisi de déclarer par Internet les pièces composées pour Harpon avec Amandine Casadamont. Le site n'est pas très bien conçu lorsqu'il s'agit de déclarer plusieurs œuvres successivement. De plus au bout d'un certain nombre de déclarations, un bug bloque la machine et il faut se reconnecter. J'aurais exécuté ces opérations à l'ancienne, soit les envoyer par la poste avec les mp3 sur un CD, j'aurais probablement gagné du temps, sauf la signature d'Amandine qui a pu ainsi valider l'ensemble sans se déplacer. Ce n'est qu'un petit détail, mais il explique mon énervement lorsque j'apprends que SoundCloud bloque l'une des séquences sonores de l'exposition Carambolages...
La webmaster du site Internet du Grand Palais m'écrit que SoundCloud conteste les droits de la pièce numéro 24 où figure Mountain Ambience with Insects in Close Perspective and Coyotes, Dogs, Frogs and Crickets in Background issue de The Hollywood Edge Sound Effects Library, et que celle-ci est bloquée tant que nous ne contestons pas à notre tour la réclamation de cette succursale de Sound Ideas. Ne trouvant aucune trace d'un tel fichier dans ma bibliothèque, je recherche l'objet sonore parmi les centaines de milliers répertoriés sur mes différents supports. J'écoute, j'écoute. Le nom du producteur m'aide finalement à identifier Continuous Barks and Howls with Crickets and Frogs sur un CD du coffret Animal Trax AT9 Ambience I que j'ai acheté chez Univers-Sons il y a plus de quinze ans. Il ne porte pas le même nom, mais c'est l'index 25 de la rubrique Coyotes/Dogs. Sur le livret sommaire il est spécifié qu'en achetant ce produit j'ai le droit de l'utiliser dans toute composition audio ou programme audiovisuel. Ne sachant pas en quelle année je l'ai acquis, je prends la photo ci-dessus pour attester de ma bonne foi. Passablement énervé, d'autant que j'ai plusieurs fois été victime de réclamations indues qui avaient empêché la diffusion de mon travail le temps que je prouve mon bon droit, je fouille dans mes archives pour retrouver la facture, justificatif incontestable. Eurêka ! Par de menus détails transcrits en souvenirs délavés dans mon cerveau en ébullition je finis par mettre la main dessus. Je donne ainsi les informations nécessaires à la webmaster pour qu'elle fasse débloquer le fichier-son incriminé, mais j'ai perdu trois heures à ce sport stérile au lieu de faire de la musique.

mardi 5 avril 2016

Newsletter d'avril


Ma capture d'écran laisse de côté la majeure partie de mes activités, car la suite rappelle des nouvelles qui n'ont pas changé depuis la newsletter du mois dernier. Elle est par contre envoyée dans son intégralité à plus de 700 correspondants qui en ont fait la demande ou qui figurent dans mes tablettes depuis une quinzaine d'années. Comme j'utilise l'application flicarde MailChimp qui permet de joindre tout le monde d'un seul clic, je sais aussi que 37,4% seulement des courriels ont été consultés, ce qui paraît-il est un très bon résultat. Il faut savoir que ce logiciel permet de savoir qui, quand et comment le mail a été lu. J'avoue ne pas rentrer dans ces détails, mais je me souviens l'avoir utilisé il y a quelques années pour la sortie de mon second roman USA 1968 eux enfants et avoir constaté qu'absolument aucun journaliste n'avait ouvert le courrier personnalisé qui leur avait été adressé. Je m'abstiens donc de cette déconvenue en espérant que mon travail continue à intéresser du monde.
On notera donc l'association fructueuse avec la créatrice sonore Amandine Casadamont, projet que nous souhaitons jouer sur scène aussi souvent que possible, en particulier à l'étranger. L'album Harpon donne dores et déjà une bonne idée de nos possibilités improvisatrices ! L'autre évènement très attendu est la sortie du vinyle avant toute sur le label Le Souffle Continu, duo préhistorique signé Birgé-Gorgé puisqu'il se situe chronologiquement avant mon premier disque, l'album culte Défense de. Nous aurons bien entendu l'occasion d'y revenir... Sinon le blog fera une pause de trois semaines en mai, repos bien mérité, hors perfusion Internet.

mercredi 30 mars 2016

La mémoire en rappel


La mémoire est fragile, constamment reconstruite au fur et à mesure que les informations s'accumulent dans notre ciboulot, figée à force de se polariser sur un détail ou volatile jusqu'à l'oubli total. Produit du présent, elle forge l'avenir sans aucune certitude du passé. Demandez à plusieurs témoins de reconstituer le moindre évènement après quelques années et il perdra toute véracité au profit d'un puzzle complémentaire ou sujet à d'inexplicables contradictions.
Hier j'écrivais ne pas me souvenir quand et comment j'avais rencontré la créatrice sonore Amandine Casadamont avec qui je viens d'enregistrer un album inaugurant une collaboration des plus excitantes. Or Amandine m'avait rappelé le jour-même en quelle occasion nous nous étions croisés, mais je n'y avais pas fait attention. Hier Laure Milena, dont je me souvenais pourtant qu'elle en était l'initiatrice, me raconte qu'elle avait invité Amandine, avec qui elle travaillait à l'époque, à venir me voir jouer avec Antoine Schmitt, un projet de flux radio et image d'ordi en devenir, qui leur avait beaucoup plu à toutes les deux. Elle nous avait présentés après le spectacle, mais comme souvent en sortant de scène je n'en garde aucun souvenir. Je raconte cette petite histoire parce que Laure ne fut pas la seule à relever ma perte de mémoire... Le 17 avril 2010 Antoine et moi présentions en effet Mascarade à l'Espace Mercoeur à l'invitation des soirées IRL (In Real Life) en avant-première de la création qui ferait l'ouverture du FIMAV (Victoriaville, Québec) en première partie de notre opéra pour 100 lapins connectés, Nabaz'mob.


Les 3336 articles de mon blog, en marge de leur fonction quasi encyclopédique, représentent d'ailleurs un fantastique pense-bête que je consulte régulièrement puisqu'ils me tiennent lieu de journal quotidien depuis bientôt douze ans. De même les images qui les accompagnent dessinent une chronologie que le temps a tendance à dissiper dans sa subjective élasticité. Lundi Françoise, attirée par la musique qui se construisait dans le studio, fit quelques clichés de notre duo après avoir filmé l'enregistrement de deux de nos improvisations. Et chacun, chacune de sortir son appareil pour immortaliser la scène ! Amandine poste une photo sur FaceBook tandis que je cherche à capturer l'envers du décor où l'aiguille brille. Plus tard nous réaliserons ensemble la pochette de Harpon en étalant par terre les vinyles utilisés pendant la séance.
Dans le cas d'improvisations totales ce n'est que le lendemain que je découvre réellement ce que nous avons joué et mixé. J'aime ce faux magma rigoureusement agencé dans un état semi-comateux où nous contrôlons pourtant le moindre de nos gestes. Les scories y sont les garantes du vivant, complicité de l'imprévisible. Nous reconnaissons l'une et l'autre notre goût pour l'écriture cinématographique, dialectique des plans prenant tout leur sens au montage en direct, perspectives sonores jouant de la profondeur de champ, mais aussi profusion des détails offrant quantité d'interprétations selon les auditeurs, énigmes produites par les ellipses, abstractions que seule la musique suscite...

mardi 29 mars 2016

Harpon, nouvel album en duo avec Amandine Casadamont


Il est rare et précieux de rencontrer un musicien ou une musicienne avec qui l'on s'accorde naturellement. C'est comme se faire un nouvel ami. Cela n'arrive pas tous les jours, mais l'intuition des premiers échanges se confirme souvent rapidement dans la pratique. Je ne me souviens plus quand et comment j'ai rencontré Amandine Casadamont, mais elle faisait partie des quelques personnes que j'avais à l'œil, entendre surtout que je lui prête une oreille puisqu'elle est créatrice radiophonique. Le terme est bien vague pour une fille qui manie la fiction et le documentaire sonores avec autant d'audace qu'elle joue les DJ en jonglant avec ses trois platines vinyle. L'année dernière je faisais partie d'un jury qui lui accorda le Grand Prix Phonurgia Nova pour Zone de silence enregistré au Mexique. Lorsque Amandine ne s'y retrouve pas confrontée aux narcotrafiquants elle passe en zone interdite à Fukushima. À ma question si elle était courageuse, suicidaire ou inconsciente, elle me répondit que probablement un peu des trois. Mettre en ondes le silence à la radio c'est évidemment jouer avec le feu. Nous la vîmes plus protégée sur la scène du Silencio improvisant un mix à partir de disques de fiction, de bruitages et musiques variées. Je l'invitai donc à enregistrer ensemble un album au Studio GRRR...


Harpon marie mes premiers émois radiophoniques où je zappais les ondes courtes et ma recherche incessante de recréer ce rêve éveillé avec les instruments de mon époque. Les miens associent le plus souvent l'électronique et le geste instrumental, en l'occurrence trois claviers reliés à des banques de sons que j'ai toujours cherché à rendre le plus acoustique possible. Ceux d'Amandine sont ses trois platines vinyle où elles posent divers microsillons quitte à les maltraiter en faisant sauter l'aiguille ou intervenant sur la vitesse. Fondus du disque noir, les scratcheurs sont toujours à la recherche de galettes rares qu'ils remixent pour composer de nouveaux univers. Je lui ai donc prêté ma collection de 33 tours, essentiellement des fictions radiophoniques des années 50 qu'elle a mélangées avec ses drones et bruitages. Nous avons ainsi improvisé six pièces hier matin, mises en ligne le soir-même. J'aime cette urgence que le Net suscite et qui correspond bien à celle de l'improvisation, mouvement réduisant au minimum le temps entre conception et interprétation.


Vous pouvez donc écouter ou télécharger gratuitement Harpon comme les 68 autres albums inédits présents sur drame.org, 928 pièces, 137 heures de musique ininterrompue si vous vous branchez sur Radio Drame en page d'accueil ! De son côté Amandine Casadamont offre aussi ses créations sur son site (mis à jour jusqu'en 2010), puis sur SoundCloud.

jeudi 24 avril 2014

Nous faisions tous le même rêve


Deux constantes en sortant de scène : le concept de jouer les rêves des musiciens ou des spectateurs plaît énormément au public et nombreux me harponnent pour me dire que nous avons un nouvel orchestre. Edward Perraud le premier, qui joue de la batterie dans ce nouveau quintet, me confie sa surprise face à notre synchronicité. Tous les cinq sommes sur la même longueur d'ondes. Ce genre de sensation est flagrant au moment des codas lorsque nous terminons tous ensemble, sans hésiter, à la fin de chaque improvisation. Ensuite il y a l'écoute, travail du timbre, articulations, qui donnent à l'orchestre sa cohésion.
Depuis mes débuts j'ai toujours tendu à ce que nos instantanés sonnent comme des compositions préalables. Les egos s'effacent devant le propos. Suivre un programme, un thème dramatique structurant chaque pièce, canalise les énergies. J'ai l'habitude de revendiquer l'objet au détriment des sujets, l'entendre dans le cadre de la syntaxe d'une phrase indépendante où les musiciens (sujet) interprètent (verbe) une histoire (objet), qu'elle soit narrative, philosophique, abstraite ou purement sensible. Les digressions sont des subordonnées, mais toutes convergent vers la principale. Nous sommes dans la tradition du poème symphonique, genre qui a souvent déplu aux puristes, alors que l'opéra ou la musique de ballet ne les gènent pas. Berlioz, Richard Strauss, Charles Ives en sont de brillants exemples. Un drame musical instantané revendiquait la musique à programme, voire la musique à propos lorsque nous devenions plus conceptuels que narratifs.


Dans un premier temps les musiciens donnent l'exemple. Chacun/e raconte un rêve ou un cauchemar que l'orchestre joue ensuite, s'octroyant une liberté d'interprétation que le rêve suscite. Nous invitons les spectateurs à monter sur scène pour nous conter leurs propres expériences. Nous n'avons que quelques secondes avant de passer à l'action. Les auditeurs ont le loisir de chercher la concordance ou de se laisser bercer par ce que les rêves nous évoquent. La saxophoniste Alexandra Grimal s'est mise à chanter, jouant la comédie en brodant autour du cauchemar d'une spectatrice. Le rêve de la bassiste Fanny Lasfargues dévoile son intimité à la salle où siègent des proches, son réveil confirmant sa victoire dans la vraie vie. Dans la loge le saxophoniste Antonin-Tri Hoang interroge le sommeil profond où naissent les rêves et le moment de s'endormir. Ainsi je comptais les obus dans Sarajevo comme d'autres les moutons, guidant le troupeau dans la ville assiégée.
En nous éloignant de La Java nous faisions tous le même rêve : nous retrouver bientôt...

Photos © Françoise Dupas

mercredi 22 février 2012

23. Freak Out


(Musique 12 : Francis Gorgé, Éric Longuet, Jean-Jacques Birgé,
Marc Lichtig, Five Hundred Micrograms, 1971)

Pour descendre au Fillmore West, Peter conduit comme un fou. Il nous la joue Bullitt ! Le film ne sortira que dans trois mois, mais ce sont les mêmes tremplins : les rues très en pente croisent des rues planes, si bien qu'à chaque intersection les quatre roues de la voiture décollent et vont s'écraser plus loin sur la chaussée. Je n'en mène pas large et je suis soulagé d'arriver entier au concert du Grateful Dead, d'autant que je suis en compagnie de Bretta. Dans l'obscurité le théâtre me paraît immense, tapissé des projections du light-show Holy See.

Deux ans auparavant, je fus passionné par la conférence d'un journaliste de Rock 'n Folk, probablement Alain Dister, à la Maison des Jeunes et de la Culture du XVIe arrondissement sur les light-shows californiens et je me suis aussitôt attelé à brûler des diapositives sous-exposées, à les asperger de laque piquée à ma mère et à y mettre le feu, toujours plus de lumière, les grattant, les repeignant et tout ce que je pouvais inventer pour créer des tableaux projetables sur écran géant. Au retour des USA je monterai mon propre groupe de light-show, H Lights, avec Michel Polizzi, Antoine Guerreiro, Thierry Dehesdin, Jean-Pierre Laplanche, et plus tard Luc Barnier et Michaëla Watteaux... Nous inaugurerons nos spectacles psychédéliques sur Red Noise, le groupe de Patrick Vian, fils de Boris, Crouille-Marteaux avec Pierre Clémenti, Jean-Pierre Kalfon et Melmoth, aux multiples pseudos dont celui de Dashiell Hedayat pour Chrysler rose, et sur mon propre groupe, Epimanondas, avec Francis Gorgé, Edgard Vincensini et Pierre Bensard ! Nous accompagnerons ensuite régulièrement Daevid Allen Gong et quantité d'autres orchestres. L'imprimerie Union, spécialiste des livres d'art, publiera même notre Light-Book en 1973, tirage de 777 exemplaires numérotés, envoyés, entre autres, aux membres du Collège de Pataphysique et Picasso le recevra quelques jours avant sa mort !

Alors que nous pénétrons au Fillmore, le groupe Kaleidoscope est déjà sur scène, mêlant différentes influences pour accoucher de longs solos distordus. Mais le clou du spectacle est le Grateful Dead avec Jerry Garcia à la guitare. Le concert dure des heures. On plane. Les improvisations dessinent des arabesques sensées rappeler un trip de LSD. Combien de fois écouterons-nous bientôt leur Dark Star, Happy Trails du Quicksilver Messenger Service, et bien entendu les Doors, Hendrix, Janis Joplin ? Je ressors abasourdi de l'expérience. Comme je raconte à Peter mon émoi à l'écoute du disque des Mothers of Invention découvert à Cincinnati, il me fait cadeau de ses exemplaires des deux précédents, Freak Out et Absolutely Free, qu'il trouve trop farfelus. Ce tryptique aura sur moi des répercutions considérables. De son côté, Peter construira sa cabane au Canada du côté de Vancouver pour échapper au service militaire et à la guerre du Viêt Nam, Bretta étudiera les civilisations mayas et incas, Masa deviendra toubib comme ses parents.


La révélation des Mothers of Invention bouleversera ma vie. Tourneboulé par leurs trois premiers albums, galvanisé par leur humour et leur inventivité, rentré en France je déciderai de faire de la musique. Sans ne jamais tenter de les copier, j'en suis de toute façon incapable, je serai influencé par leur leader-compositeur Frank Zappa qui deviendra l'idole de ma jeunesse. À Saint-Germain-des Prés, Adrien Nataf qui dirige le magasin Pan, me vendra Stricly Personal de Captain Beefheart quand je lui demanderai s’il a d’autres trucs dans le même genre. Nouveau choc. En octobre, les Mothers seront à l’Olympia, public clairsemé, spectacle sarcastique où Jimmy Carl Black joue un vampire assoiffé de sexe. Les disques se suivent, mais ne se ressemblent pas, Lumpy Gravy, Ruben & the Jets, Uncle Meat, Hot Rats, tous aussi inattendus. Octobre 1969. La France interdira au premier festival pop de se tenir sur son territoire et nous nous retrouverons tous en Belgique, au Festival d’Amougies. Enfoui dans mon sac de couchage, avec un petit magnétophone, j’enregistrerai Frank Zappa, venu seul, faire le bœuf avec Pink Floyd, Caravan, Blossom Toes, Sam Apple Pie, Ainsley Dunbar Retaliation et Archie Shepp ! L’Art Ensemble de Chicago m’ouvrira le champ extraordinaire du free jazz, Joseph Jarman, nu, pastichant les guitaristes de rock, mieux que tous les guitar heroes. Zappa arrosera de whisky l’harmonica excité de Beefheart. À leur sortie de scène, j’enjamberai la barrière et harponnerai Zappa, l’abreuvant de questions pendant trois quarts d’heure. Moment fabuleux que je reproduirai à chacune de ses visites jusqu’au concert du Gaumont Palace. Je tenterai la pareille avec le Capitaine qui me traversera comme un ectoplasme, mystère.

Août 1970, festival maudit de Biot-Valbonne. Je serai le premier, et peut-être un des seuls à payer mon billet. Je donnerai un coup de main à l’Open Light qui assurera les projections. Personne ne reconnaîtra Zappa, je lui demanderai s’il a sa guitare et sa pédale wah-wah. Il lui manque un ampli et un orchestre. Je chercherai l’un et les autres. Le concert se fera en quartet avec Jean-Luc Ponty, Albi Cullaz et Aldo Romano ! Face à la vague des resquilleurs, le festival sera écourté, puis annulé. Passage par la Fondation Maeght où auront joué Cecil Taylor, Sun Ra et Albert Ayler, avant de me retrouver à faire le bœuf avec Eric Clapton dans la villa de Giorgio Gomelsky, l’impressario des Stones. Lorsqu’il piquera sa crise et virera tous les parasites, il épargnera le gamin qui balaie et m’embarquera pour la villa de Pink Floyd. À cette époque, l’invention règne dans tous les arts, pas seulement chez les Mamans ! Décembre 1970. Ma dernière rencontre avec Zappa se situera au Gaumont Palace où il improvise de petits gestes virtuoses de l’index et du majeur pour diriger Ponty. Sur la vidéo de l’INA on me reconnaîtra au premier rang.

Pendant les années 80 je m’éloignerai un peu d’une musique devenue trop typiquement rock à mon goût, mais les pièces pour orchestre me fascineront à nouveau, même si l’interprétation de Boulez sera catastrophique. Zappa sera si furieux qu’il devra se faire prier pour venir saluer. Il aurait réussi à se faire jouer en envisageant l’achat d’une 4X, l’ordinateur développé par l’IRCAM. Il optera pour un synthétiseur Synclavier et, malgré d’intéressants enregistrements dirigés par Kent Nagano, trouvera l’orchestre idéal en l’Ensemble Modern pour The Yellow Shark. Printemps 1993. Devant réaliser un film de la série Vis à Vis pour France 3 sur deux musiciens qui se parlent par satellite pendant trois jours, je contacterai Robert Charlebois qui me suggèrera un guitariste américain qui joue sur son premier album, un chum du nom de… Frank Zappa. Pourtant très malade, Zappa acceptera, mais la chaîne répondra qu'il n’est pas assez médiatique. No commercial potential. Le film se fera entre Idir et Johnny Clegg !

Décembre 1993. Je tournerai Chaque jour à Sarajevo pendant le siège. Mille obus par vingt quatre heures ! Je m’endormirai chaque soir en comptant les explosions, me laissant bercer par cette partition digne de Ionisation d’Edgard Varèse. Un soir, en rentrant à l’Holiday Inn, j’allumerai CNN. Sur le générique de fin du Journal, Zappa, barbu, fatigué, à la tête de l’Ensemble Modern. Je comprendrai qu’il vient de mourir. Le monde s’écroulera autour de moi. Je m’effondrerai à mon tour. Zappa restera le père de mon récit, du moins pour la musique. Chaque fois que je « découvrirai » un nouveau compositeur, je courrai voir s’il appartient à la liste d’influences que Zappa livre dans son premier album. Ainsi je vérifierai les noms de Schoenberg, Kirk, Kagel, Mingus, Boulez, Webern, Dolphy, Stockhausen, Cecil Taylor, et mon favori, Charles Ives… Je serai surpris de ne pas y lire les noms de Conlon Nancarrow, Harry Partch ou Sun Ra. Ma mémoire fait défaut. Écrire sa vie au présent est une gymnastique incongrue et déstabilisante. Je m'y applique avec allégresse. Tout a commencé à Cincinnati il y a quelques semaines. C'est ma seconde naissance.

vendredi 18 juin 2010

Régime de croisière


Avant d'aller déjeuner West Queen West dans un restaurant tibétain, nous avons visité le Ship O' Fools de Janet Cardiff et George Bures Miller, jonque échouée à l'entrée du Trinity Bellwoods Park, avec à son bord tout un capharnaüm de matériaux recyclés constituant un orchestre brintzingue qui s'anime automatiquement pour recréer une ambiance de tempête. L'installation ressemble à la fois au Mécanium de Pierre Bastien et au spectacle d'Un Drame Musical Instantané, 20 000 lieues sous les mers, créé à la Péniche Opéra en 1988. Sur un premier bateau amarré à Jaurès, nous avions réalisé un musée de vitrines animées par les prestidigitateurs James et Liliane Hodges tandis que nous jouions en direct, Bernard faisait passer la tête des spectateurs sous une énorme cloche de verre qu'il frappait, Francis jouait de la guitare, j'avais encore mon ARP 2600. La seconde partie se déroulait sur une autre péniche. Les spectateurs étaient assis sur de faux rochers de part et d'autre d'une scène ressemblant à un long podium étroit de défilé de mode sur lequel évoluaient les danseuses. Les marionnettistes et les régisseurs étaient obligés de ramper sous le public et de diriger les personnages avec des fils juste au-dessus d'eux. Nous jouions respectivement les rôles de Némo, du harponneur Ned et du journaliste Arronax pour cette adaptation du roman de Jules Verne où le Capitaine incarne l'impérialisme colonisateur. Il ne reste bizarrement aucune image, mais la musique fit l'objet d'un disque chez GRRR. Ship O' Fools est une plongée sonore amusante, surtout quand les éléments se déchaînent.


Plus tard nous avons recherché des galeries d'art, mais rien n'eut grâce à mes yeux. Je suis trop difficile. Ça me déprime. Je photographie le mur peint au-dessus du parking du Musée d'Art Contemporain qui en dit plus long sur les fantasmes de notre civilisation que pas mal d'?uvres exposées, par exemple, au 401. M'interrogeant sur l'urgence, la révolte ou l'inéluctabilité, je m'inquiète de savoir ce que deviendront tous ces artistes en herbe. Émotion ou questionnement sont les deux qualités que je recherche dans une ?uvre d'art.


Au Women's Art Ressource Centre (WARC) qui y est situé, le public peut improviser sur The Emotion Organ d'Amanda Stegell. Encore un projet sympathique, mais qui ne me nourrit pas assez. Le jeu au clavier d'un harmonium déclenche des couleurs projetées sur les pals d'un ventilateur en mouvement. Il est aussi censé produire des odeurs, mais nous n'avons rien senti. Il y a un nombre incalculable de structures gérées par les artistes eux-mêmes. L'autodiscipline permet au système d'autogestion et de cooptation de parfaitement fonctionner. Nous découvrons beaucoup d'autres ?uvres dont j'ai oublié les titres. Urgence et inéluctabilité ? Je me rabats sur la bouffe ! Après un dîner hongrois-thaï (!), nous terminons la soirée au 43ème étage et à la bière. Je descends taper mon article au radar.

samedi 2 janvier 2010

Vœux pieux


Exprimée par mes lèvres gourmandes, la bonne année résonne comme une bonne blague. Trois mois avant le 1er avril je vous souhaite donc une meilleure année, avant de frire ou de se noyer. À lire vos vœux envoyés, la précédente semble en avoir déprimé plus d'une et plus d'un. Apprenez à nager, de fond plutôt que rapidement. La vitesse est un fléau moderne. Plus conforme à une fosse abyssale, le sommet de Copenhague a harponné les plus coriaces. Ainsi, renversé, Chris Marker déclare forfait sur Poptronics où son chat Guillaume-en-Egypte annonce la fin de sa collaboration. Nombreux messages cherchent en vain une raison de se réjouir de ce que l'avenir nous réserve. C'est à se foutre à l'eau, sans bulles. Histoire de se couler dans un monde de silence où les colons sont encore minoritaires, même si les pollueurs s'en donnent à cœur joie. Je choisis des mots avec des œufs dans l'eau pour me donner l'illusion d'un bain revigorant où pourront éclore nos rêves les plus fous. On en a besoin. Donc, je reviens à un message plus souriant en vous souhaitant de ne pas baisser les bras, mais de vous battre, coûte que coûte, ce qui ne peut être plus cher que l'addition tendue par l'ultra-libéralisme, cynique et meurtrier. Je vous souhaite une année de résistance, une année debout, une année solidaire, utopique, imaginative. Je vous souhaite une année. C'est déjà ça. On fera le bilan dans 365 jours en espérant qu'il sera plus brillant. À condition que l'on s'y mette tous et toutes, ensemble... Parce qu'ici, ce ne sont encore que des mots !

lundi 3 septembre 2007

Des angles sans leurs ailes


Il n'existe aucune position confortable. Le réel et le virtuel se valent dans leur déséquilibre dynamique. L'un et l'autre se renvoient la balle, forçant le spectateur à emprunter une gesticulation interactive pour ne pas se retrouver coincer dans un no man's land où seuls les rêves sont palpables. L'angle qu'ils forment produit une distance temporelle gigantesque, faille béante qui laisse les hommes en coulisses. L'illusion figeant l'instant mieux que les modèles vivants, le miroir transforme la photographie en toile peinte. La magie vient du changement d'angle, recul nécessaire à produire le désir.

De temps en temps, je mets de côté des images qui me harponnent en vue d'écrire de futurs billets, aujourd'hui Brassaï.

lundi 9 octobre 2006

Sunday in Brooklyn


Nous nous reposons dans la nouvelle maison de Xana à Brooklyn, un petit manoir de 800 mètres carrés, tout en boiseries cirées, salles de bain en porcelaine ou en pierre, le tout meublé moderne avec beaucoup de goût. Peu de blancs habitent encore dans ces quartiers où les noirs craignent que leur arrivée fasse monter les prix, avec raison. C'est la même chose chez nous, en banlieue est. Les lofts qui se construisent en face de la maison atteignent des prix délirants. C'est déjà ce qui s'est passé dans quelques coins très pauvres de Brooklyn envahis par les blancs aisés et sans préjugés. C'est évidemment le cas de Manhattan qui est devenue un endroit très sûr, on n'y croise plus beaucoup de junkies et de moins en moins de homeless (sdf). Cela ne signifie pas qu'ils n'existent plus, ils ont simplement été déportés.


Promenade au Jardin botanique de Brooklyn. Immense comme tout ici, même les papillons... Autour du bassin japonais, nous sommes harponnés par des loubavitchs qui nous demandent de but en blanc si nous sommes juifs. Comme je leur explique que j'ai été élevé dans la laïcité et que ma morale me suffit, ils insistent pour "une petite bénédiction qui ne peut pas faire de mal" ! J'avais déjà été démarché par des Témoins de Jéhovah, par des dévôts de Krishna, pas encore par des barbus en chapeaux à larges bords. Françoise me raconte qu'une fille à qui sa sœur expliquait qu'elle ne croyait pas en Dieu s'exclama : "Mais alors qu'est-ce qui te retient de ne pas tuer père et mère ?" Nous croisons des dizaines et des dizaines de ces barbus qui remontent le long de Eastern Park Avenue, une drôle de fleur à la main, et qui répétent leurs propositions bénédictives. Ils marchent tous sur le même trottoir. De l'autre, on entend du rap qui s'échappent des fenêtres. Nous tournons à gauche vers Nostrand où les échoppes sont toutes jamaïcaines, ici c'est le reggae qui déborde sur l'asphalt. On y vend des racines à faire cuire, ignames, patates douces, yuccas, aloes, gingembre, et toutes sortes de potirons et de courges (squash). Les fastfoods locaux proposent du curry de chèvre, de la peau de porc croustillante ou des plats végétariens. Ne pas manger de viande est très à la mode outre-atlantique. On lit partout Vegan.