70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Résultats de votre recherche de labute.

mercredi 10 juin 2020

Neil LaBute, un réalisateur américain méconnu [archives]


Articles du 8 septembre, 15 août, 15 décembre 2006, 11 juin 2007

NURSE BETTY

L'excellent scénario de Nurse Betty (Prix à Cannes en 2000) est servi par des acteurs remarquables. Il faut cela pour nous faire avaler cette histoire de fous devenue tellement vraisemblable et banale qu'après la projection nous étions tous devenus un peu schizos. Nurse Betty est une comédie hilarante, dont la brutalité éphémère peut être difficile à regarder tant les ressorts dramatiques qui la soutiennent doivent être solides pour que l'intrigue soit crédible. L'énigme réside surtout dans la confidentialité en France d'une telle réussite. Le dvd est vendu une bouchée de pain (entre 1 et 10 euros !). Renée Zellweger y est beaucoup plus intéressante que dans les Bridget Jones qui ont fait sa renommée, Morgan Freeman et Chris Rock ont un jeu étonnamment sobre, Gregg Kinnear a un rôle tout en finesse, pas plus facile à interpréter que tous les personnages du film. Un étrange site mormon auquel semble rattaché le réalisateur Neil LaBute (En compagnie des hommes, Entre amis et voisins, Possession, Fausses apparences...) divulgue sa biographie.

ENTRE VOISINS ET AMIS / FAUSSES APPARENCES


J'ai depuis reçu des États Unis les DVD de deux autres films, Your Friends and Neighbours (Entre voisins et amis, 1998) et The Shape of Things (Fausses apparences, 2003). Nous sommes en présence d'un véritable auteur, auteur de théâtre d'abord, car Neil Labute adapte souvent ses propres pièces à l'écran, comme Bash: Latter-Day Plays transposé pour la télévision. En recherchant des informations sur le Net, je découvre que le réalisateur est très imprégné de son appartenance à l'Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, un culte américain qui échappe certainement aux lecteurs français comme moi. En essayant de comprendre en quoi consiste les croyances des Mormons, on s'aperçoit que Neil Labute est un sacré rebelle qui fait exploser les fondements mêmes de son église comme la loi de chasteté, l'homosexualité et surtout "l'abstinence de rapports sexuels sauf entre un homme et une femme légalement mariés" ! Il semble en effet peu probable que ses films soient des dénonciations de la liberté sexuelle ; ils montreraient plutôt, et de façon extrêmement critique, la différence entre les hommes et les femmes. Je les vois comme des blasphèmes, provocateurs aussi bien pour sa congrégation que pour qui que ce soit, même les spectateurs les plus athées. Cela vaudra évidemment au réalisateur d'être mis à l'écart par ses Mormons. Aux USA, ses films ont toujours été controversés, certains voyant par exemple dans In the Company of Men une apologie de la misogynie, d'autres du féminisme. Ses œuvres suivantes ne laissent aucun doute de ce côté là, mais interroge la cruauté de son regard sur la faiblesse des hommes et la puissance des femmes. Les hommes restent des petits garçons, assez lâches, tandis que les femmes gardent la tête froide, manipulatrices libérées de leur désir. Le sado-masochisme semble sous-jacent. Les jeux de l'amour mis en scène par Labute sont sans hasard. Les parties carrées n'y sont pas rares. Ses personnages ont du mal à trouver leur équilibre dans une société hypocrite qui a faussé la donne.
Si Your Friends and Neighbours est dépourvue de musique et que tout se joue dans une espèce de silence morbide, chaque nouvelle séquence de The Shape of Things est ponctuée par les chansons d'Elvis Costello. Ici, pas de sirop à l'américaine. Ni dans la bande-son, ni dans les propos. Si Nurse Betty reste mon préféré (le seul dont il n'a pas écrit le scénario et le plus drôle), je suis resté abasourdi par The Shape of Things. Les scénarios sont toujours riches en rebondissements (j'évite toujours ici de les déflorer), les acteurs formidables.

COMME ELLE DÉRANGE LA COMPAGNIE DES HOMMES


Les critiques étaient partagées entre le clan de ceux qui y voient un film misogyne et celui de ceux qui prennent In The Company of Men pour un brûlot féministe. Ce n'est ni l'un ni l'autre, LaBute s'en fiche, il dessine seulement un portrait lucide des hommes et de leur façon vicieuse de penser et d'agir, et comme tous ses films, il dérange. Les suivants mettront tous en scène le rapport de forces qui régit les deux sexes. Le remarquable The Shape of Things (Fausses apparences, 2003) est d'ailleurs le renversement exact de celui-ci (1997), une femme y manipulant un homme jusqu'à en faire sa chose, avec une structure du récit assez semblable. Cette fois, les têtes de chapitre sont ponctuées de percussions rituelles avec un sax free érectile. Les films de LaBute ne sont pas roses, ils sont même très noirs. La cruauté des rapports, le sadomasochisme qui les sous-tend, l'impuissance et le pouvoir sont des thèmes qui mettent forcément mal à l'aise le spectateur comme un Pasolini savait le faire. Je n'aime pas raconter un film ni le dévoiler, espérant que mes lecteurs iront le voir les yeux fermés et qu'il les leur ouvrira avec sa lame acérée de chien andalou. Il est probable que ce sont des films qui devraient plaire aux filles qui doivent chaque jour se fader la compagnie des hommes, mais il serait salutaire que les garçons apprennent aussi à se regarder dans le miroir du cinématographe. Et les rôles peuvent s'inverser !

THE WICKER MAN


Je n'ai jamais autant lu de critiques assassines sur le site américain Amazon qu'à propos du dernier film de Neil LaBute avec Nicolas Cage, The Wicker Man (L'homme d'osier), mais je m'en suis méfié tant les films de ce réalisateur sont controversés, générant chaque fois des interprétations contradictoires. Remake d'un film anglais de série B signé Robin Hardy en 1973, LaBute en a féminisé le scénario, mettant en scène la revanche des femmes sur les hommes, une constante de son œuvre. Il est compréhensible que les ligues morales américaines voient d'un mauvais œil les provocations du cinéaste mormon. Si la cruauté des femmes s'exerce ici symétriquement par rapport à ce qu'elles ont subi depuis le procès des sorcières de Salem, n'est-ce pas une manière de souligner celle des hommes, celle-ci bien réelle et pérenne ?
Ce film, du genre fantastique, n'est pas le meilleur de son auteur, mais il éclaire la démarche extrêmement originale de ce cinéaste et homme de théâtre quasi méconnu en France. Il y sortira d'ailleurs le 15 août prochain, jour de l'Assomption, amusante coïncidence puisque la communauté de Summersisle Island célèbre la mort et la renaissance (les Protestants ne peuvent souscrire à cette fête qui glorifie Marie, et je me demande bien dans quel état laïque nous vivons) ! Comme le savent probablement mes lecteurs, la religion n'est pas ma tasse de thé. Cet opium du peuple ne me fascine pas plus que les manipulations du nouveau dieu qu'incarne la télévision. Les fantasmes du personnage joué par Nicolas Cage permettent d'évoquer notre monde, machiste et brutal, englué dans de prétendus bons sentiments.
Le dvd (zone 1) propose deux versions. La version de la face A du disque est augmentée d'une scène violente exclue des salles américaines. Mais, chose étonnante, cette version expurgée de la scène censurée propose une coda supplémentaire offrant un intéressant rebondissement. En assistant au racolage d'un nouveau jeune policier dans un bar, on comprend l'identité de la prochaine victime, à sacrifier dans quelques années, lorsqu'il sera mûr !

P.S.: j'ai ailleurs évoqué le thriller Lakeview Terrace, l'hilarant remake Death at a Funeral (ce n'est pas tous les jours que l'on rit à ce point !) ou les toujours aussi incisifs Some Velvet Morning et Dirty Weekend...

mardi 8 octobre 2019

Vu et entendu


Je regarde tout. Tous les genres de films possibles et imaginables. Des expérimentaux aux blockbusters, des muets aux plus récents, des francophones aux cinq continents, des trucs qui font réfléchir et d'autres qui me détendent. Si je lis des livres et des magazines, si j'écoute de la musique et la radio, si j'assiste à des spectacles et si je me promène, le cinéma est le seul médium qui me permet d'oublier totalement le quotidien. Il exerce une coupure radicale, me prenant en charge dans un mouvement régressif que je ne trouve ailleurs que dans la bouffe et la sexualité. Je fais abstraction des rêveries qui sont souvent rattachées à la création artistique ou simplement à l'art de vivre, tout comme l'immersion sociale ou naturelle. Ne pratiquant pas la méditation, je fais rarement le vide, même si cela m'arrive de temps en temps sans que je le décide. Quant à mes nuits, elles sont tout aussi peuplées, du moins autant que je m'en souvienne. Il n'y a que les rêves que je puisse comparer à la projection de films sur grand écran.
Ainsi, la semaine dernière, j'ai revu (on dit revoir ou regarder, comme si le son comptait pour du beurre !) Terreur sur le Britannic (Juggernaut) - digipack BluRay+DVDd Wild Side - thriller de 1974 réalisé par Richard Lester, à la fois film-catastrophe et étude de caractères intimiste, dont le suspense tient en haleine. La manière de filmer de Lester mélange les plans d'ensemble spectaculaires et ceux où les personnages semblent sortis d'un documentaire.
Sur les conseils de Martina, j'ai commencé à regarder la trilogie de Deepa Mehta, Fire (1996), Earth (1998) et Water (2005). Menacée de mort dans son pays pour aborder régulièrement des sujets qui fâchent, la cinéaste indienne vit au Canada. Water traite du statut des veuves en Inde en 1938, condamnées à suivre leur défunt mari sur le bûcher, à vivre recluses sans pouvoir se remarier ou à se prostituer. Les autres films se réfèrent à la violence conjugale, aux viols collectifs, à la ségrégation raciale, religieuse et sociale qui gangrènent le pays. Les images sont très belles et la musique à l'image du style bollywoodien attendu. J'avais totalement oublié que j'avais regardé et même chroniqué Jodhaa Akbar (2008), fresque historique somptueuse d'Ashutosh Gowariker dont je préfère Lagaan (2001) et Swades (2004).
Lorsque j'ai eu besoin de rire un bon coup, j'ai choisi de revoir Hellzapoppin de H.C. Potter, The Long Kiss Goodnight (1996) de Renny Harlin, Nurse Betty (2000) et Death at a Funeral (2010) de Neil La Bute dont The Shape of Things (2003) m'a encore une fois bouleversé par tant de cruauté intellectuelle ! Pour diverses raisons, dans ma cinémathèque j'ai pioché Adieu Philippine, La règle du jeu, The Fountainhead (Le rebelle), The Shop Around The Corner, I Know Where I'm going, L'amour d'une femme, Les demoiselles de Rochefort, Muriel qui sont pour moi des films fétiches comme le festival Jacques Becker dont je ne me lasse jamais... Je ne me souvenais pas de la qualité des dialogues de Clouzot pour L'assassin habite au 21... Je ne suis pas arrivé au bout d'Un balcon en forêt (1979) de Michel Mitrani que ressort en DVD LunaParks Films d'après le livre de Julien Gracq, peut-être pour m'être un peu ennuyé à ses cours lorsque l'écrivain était mon professeur d'histoire et géographie au Lycée Claude Bernard deux ans durant ? C'est pourtant un film très intéressant, j'y reviendrai. Comme sur les trois films de Jean-Claude Brisseau parus récemment en Blu-Ray chez Carlotta.
Parmi les films récents dont je n'ai pas déjà parlé dans cette colonne, j'ai apprécié le ton très personnel de Lazzaro felice (Heureux comme Lazzaro) de l'Italienne Alice Rohrwacher que m'avait indiqué Anna. Gloria y Dolor (Douleur et gloire) ne m'a pas fait changer d'avis sur Almodovar, des mélodrames tels qu'en produisait le cinéma franquiste sauf que la drogue remplace l'alcool, et des homos les hétéros ! Intéressé par l'évolution des effets spéciaux, je me suis coltiné le dernier Spiderman et Captain Marvel. A Simple Favor (L'ombre d'Emily) de Paul Feig est un bon thriller doublé d'une comédie noire. Le remake Gloria Bell du Chilien Sebastián Lelio est bien interprété par Julianne Moore et John Turturro, mais je l'ai trouvé un peu trop formaté pour le public américain par rapport à l'original Gloria (2013) du même réalisateur. Parasite de Bong Joon-ho m'a déçu en comparaison du chef d'œuvre The Host, c'est bien réalisé, mais tout est télécommandé, et il n'a pas la profondeur de ses premiers films, à moins que j'ignore les secrètes références à la vie coréenne. Pas facile de trouver des films récents qui aient grâce à mes yeux et mes oreilles ! Tellement déçu par La chute de l'Empire américain du Québécois Denys Arcand dont j'avais tant aimé les films des années 80. Sibyl de Justine Triet, malgré l'idée du transfert psy renversé, n'est pas à la hauteur de La bataille de Solférino et Bird Box est indigne de Susanne Bier, passionnante cinéaste danoise hélas méconnue. Je me suis vite lassé de Leto du Russe Kirill Serebrennikov... Rien n'arrive à la cheville du Livre d'image de Godard, même si j'ai beaucoup aimé Woman At War de l'Islandaise Benedikt Erlingsson et le dessin animé Ruben Brandt, collector du Yougoslave Milorad Krstić. Ces dernières semaines je n'ai pas trouvé non plus de nouvelles séries qui m'accrochent, ce qui me laisse un peu de temps pour autre chose que m'abrutir allongé sur le divan de ma salle de cinéma !

lundi 11 janvier 2016

La langouste sauve la mise


Ayant déjà évoqué Carol, The Diary of a Teenage Girl, Chi-raq, Youth, Love & Mercy dans cette colonne, je fais un rapide petit tour d'horizon de films récents projetés en grand sur mon mur blanc.
Les blockbusters sentent le rance. Le western Les huit salopards, dont le titre anglais The Hateful Eight insinue que le huitième film de Quentin Tarantino est plein de haine, est un interminable huis clos machiste rappelant Reservoir Dogs. Seul sur Mars de Ridley Scott, variation cosmique moins ennuyeuse qu'Interstellar ou Gravity, comme Spectre, énième James Bond signé Sam Mendes, se regardent sans arrière-pensée, grave défaut du cinéma de masse américain. Dans le genre cinéma forain, les films de poursuite Mad Max: Fury Road de George Miller ou Fast & Furious 7 de James Wan sont totalement ridicules, mais leurs attractions de montagnes russes vous en mettent plein la vue. Je me demande si je n'ai pas préféré les effets spéciaux du super-héros Ant Man de Peyton Reed ? Idem avec Mission: Impossible - Rogue Nation de Christopher McQuarrie que j'ai déjà oublié ou Le pont des espions de Steven Spielberg dont l'exposition des faits ne laisse aucune place à la moindre réflexion sur la guerre froide.


L'homme irrationnel de Woody Allen est une nouvelle version tourmentée des amours entre un vieux et une jeune, pitoyable. Mistress America est une nouvelle variation insipide de Noah Baumbach autour de sa compagne Greta Gerwig, minauderie boboïsante new-yorkaise aux prétentions arty. Préférer la nouvelle comédie dramatique de Neil LaBute, Dirty Weekend avec Matthew Broderick et Alice Eve, autopsie des rapports homme-femme toujours aussi cruelle et méticuleuse. Côté porno arty on évitera soigneusement Love de Gaspar Noé dont le scénario indigent n'est que prétexte à des scènes de cul sans intérêt.


Les occasions de se marrer ne sont pas courantes, aussi Les Minions de Kyle Balda et Pierre Coffin remporte la palme cette année, et au moins celui-là on peut le voir en famille puisque c'est un film d'animation pour les enfants. À noter qu'il a été réalisé essentiellement par une équipe technique française et que l'absurde de la langue cosmopolite des gélules jaunes sur pattes est à l'image du comique du film (ci-dessus quelques clips inédits, les Minions ont généré plus de variations marketing que le film lui-même). Dans la catégorie thriller on pourra voir Sicario du canadien Denis Villeneuve, mais dans le genre, franchement, le grand film de 2015 est la saison 2 de la série télévisée Fargo produite par les frères Coen. Scénario rebondissant et inattendu, acteurs fantastiques dont l'épatante Kirsten Dunst, musique d'accompagnement fabuleusement choisie, l'histoire est indépendante du film et de la saison 1 déjà formidable. Des personnages banals y sont confrontés accidentellement à une situation exceptionnelle qui les fait déjanter. Oubliez vos a priori sur la télé, c'est le cinéma adulte américain, le reste est conçu pour des adolescents de 15 ans.


Heureusement il y a The Lobster de Yórgos Lánthimos avec Colin Farrell, Rachel Weisz, Léa Seydoux, seule œuvre radicalement différente parmi tous les films récents que j'ai pu voir ces derniers temps. On lui devait déjà Canine et Alps qui sortaient résolument de l'ordinaire. Le changement de repères sociaux qu'affectionne le cinéaste grec est cette fois encore plus explicite. À travers une histoire à dormir debout il interroge la cellule du couple et de la famille, la sexualité et ses tabous, le pouvoir et ses déviances abusives, l'organisation et l'anarchie, le sacrifice et la désobéissance, la vie et la mort. Ce n'est certainement pas un hasard si c'est en Grèce que l'impossible est mis à l'épreuve de la réalité. Lánthimos pulvérise le réel en lui conférant le statut d'un scénario parmi tant d'autres.


Le documentaire The Wolfpack de la jeune Crystal Moselle rappelle diablement la fiction Canine de Lánthimos, puisqu'il s'agit d'une fratrie de six garçons et une fille enfermés pendant quinze ans au seizième étage d'un immeuble du Lower East Side de New York par un père pensant épargner à sa progéniture les mauvaises influences de notre société. Les gamins rejouent intégralement les blockbusters de Tarantino en se confectionnant costumes et accessoires, et lorsqu'ils s'échappent enfin dans la rue ils portent l'uniforme des acteurs de Pulp Fiction ! Le glissement de repères est évidemment passionnant et l'interprétation psychanalytique terriblement concluante. Les documentaires étant presque exclusivement phagocytés par les drames, Amy de Asif Kapadia sur la chanteuse Amy Winehouse est une réussite, bouleversant et terriblement triste. J'en profite donc pour signaler la comédie documentaire de Françoise Romand, Baiser d'encre, dont j'ai composé la musique et qui cache un stimulant conte moral sur la famille autour des artistes Ella & Pitr.

jeudi 29 mai 2014

Le couple en bataille


Some Velvet Morning, le dernier film de Neil LaBute est un huis-clos où s'affrontent un homme et une femme dans un rapport de perversité largement plus retors que La Vénus à fourrure de Roman Polansky. Neil LaBute filme la méchanceté des hommes comme personne, dressant toujours un parallèle avec la mise en scène, sorte de mise en abîme des manipulations dont ils sont les auteurs ou les pantins. En compagnie des hommes (In the Company of Men), Entre amis et voisins (Your Friends and Neighbors), Nurse Betty, Fausses Apparences (The Shape of Things), Harcelés (Lakeview Terrace), Panique aux funérailles (Death at a Funeral) sont des portraits grinçants de notre société moderne où les apparences sont le nerf du sujet. Le réalisateur affectionne les coups de théâtre qui font tomber les masques de ces pervers narcissiques dont les victimes sont la matière première de leurs œuvres diaboliques. Également homme de théâtre, il dirige remarquablement ses acteurs aux dialogues toujours acérés (DVD Zone 1, New Video Group).
Filmé entre autres le soir-même de la dernière élection présidentielle, La bataille de Solférino est un tour de force virevoltant où le jeu des comédiens et la caméra portée rappellent les films de Cassavetes sans perdre le style des comédies dramatiques françaises. Justine Triet, dont c'est le premier long métrage, tire un portrait de famille éclaté(e) où le couple en prend pour son grade, la folie de l'époque déstabilisant ces parents immatures avec, comme chez LaBute, un net penchant pour les femmes tout de même moins azimutées que la gente masculine. La réalisatrice manie un humour corrosif dans les situations qui pourraient tourner au vilain, mais sa tendresse évite les jugements manichéens, produisant une distance qui nous laisse libre de penser malgré la vitesse des répliques et une tension longtemps entretenue. L'immersion de la fiction dans des circonstances documentaires rappelle Lelouch sans le côté fleur bleu de l'anecdote. De plus le film bénéficie du recul historique après quelques mois passés, mettant en scène le réel dans des séquences qu'aucune équipe de reportage télé n'a jamais su capter. Habituellement seuls des documentaristes comme Depardon ou Wiseman savent filmer l'envers du décor. Avec le temps qu'exige l'analyse, Justine Triet dévoile les fantasmes des militants qui déchanteront aussi rapidement que le couple dont l'inconscient se devine derrière les corps et les cris (DVD Shellac Sud).

jeudi 2 février 2012

Carton de films


Ce n'est pas le carton envoyé par les César aux professionnels pour qu'ils votent, mais une sélection en vrac de films vus depuis trois mois (précédente sélection), souvent dispensables, avec un commentaire sommaire, comme un carnet de notes pour se souvenir de ce que l'on vient de voir et que l'on risque d'oublier aussi vite... Et ce en marge des chroniques plus consistantes déjà publiées durant cette période de visionnage. J'ai mis en gras ceux qui auraient pu justifier un article plus conséquent. Les autres sont dans la rubrique Cinéma & DVD.

Comme d'habitude, les filles réclament des comédies et elles ont souvent raison, cela fait du bien de rire un bon coup en ces temps de crise à laquelle s'ajoutent les mauvaises nouvelles s'empilant comme des cubes pour s'écrouler tragiquement. Je pense à cette jeune fille violée chez elle par un salopard cagoulé, à cette copine cambriolée dont la porte explose au marteau, à sa chaudière qui rend l'âme le lendemain matin, à cette autre qui se fait voler son scooter, à la voiture de Françoise qu'elle retrouve sur le bitume avec une roue en moins, et d'autres histoires bien plus terribles qui font s'interroger sur l'avenir de l'homme.
Pour elles j'ai rassemblé :
R.E.D. (2010) de Robert Schwentke, un film d'action qui ne se prend pas au sérieux, style The Long Kiss Goodbye. Des retraités de la CIA (Bruce Willis, Morgan Freeman, John Malkovich, Helen Mirren) aux prises avec leur ancien employeur. Jubilatoire.
Rio Sex Comedy (2010) de Jonathan Nossiter, comédie originale et surprenante de la part de l'auteur de Mondovino. Hirsute et critique.
Le chat du rabbin (2011) de Joan Sfar. Film d'animation sympa, humour juif, sans plus.
Les émotifs anonymes (2010) de Jean-Pierre Améris, comédie sentimentale très bien jouée par Isabelle Carré et Benoît Benoît Poelvoorde. Tendre.
The Anniversary Party (2000) de Jennifer Leigh et Alan Cumming, comédie grinçante par deux comédiens, dans les principaux rôles, passés à la réalisation. Satire people.
Me and You and Everyone We Know (Moi, toi et tous les autres (2005) de Miranda July, comédie impertinente au ton personnel, mais le suivant, The Future (2011), jette un doute sur la réalisatrice imbuvable, qui tient chaque fois le rôle principal.
Turn Me On de la norvégienne Jannicke Systad Jacobsen est une jolie évocation de l'émoi sexuel des adolescents, sous l'angle des filles pour changer. Léger et gentiment provocateur.
Compilation de courts métrages d'Albert Brooks, réalisateur méconnu en France, dix fois plus intéressant que Woody Allen.
Je devrais rajouter quelques films de réalisatrices pour leur faire plaisir et parce que ce serait plus juste, mais la discrimination a la peau dure. Il y a trop peu de femmes, comme dans les catégories suivantes. Ce n'est pas une règle, cela dépend aussi des époques.

Action :
En général c'est les garçons qui en redemandent, quitte à les regarder seul quand leur copine est couchée :
Drive (2011) de Nicolas Winding Refn se tient mieux que je ne l'imaginais, violent, et la fin est dictée par une morale inutile.
Shinjuku Incident (Guerre de gangs à Tokyo) (2009) de Derek Yee, un Jackie Chan qui n'a rien à voir avec ses autres films puisqu'il sous-joue avec gravité cette histoire d'immigrés chinois au Japon pour un film de yakuzas auquel nous sommes guère habitués... Rush Hour (1998) et le 2 (2001) et 3 de Brett Ratner sont des pochades machistes assez marrantes, mais ça n'a vraiment rien à voir.
On peut se passer de Abduction (2011) de John Singleton, énième film de fuite avec des méchants russes aux trousses du jeune Taylor Lautner. Je suis juste étonné à quel point la CIA est taxée de complot dans la majorité des films hollywoodiens. Si on en évoque le dixième dans le réel on se fait traiter de parano. Le message est pourtant clair. The Girl with the Dragon Tattoo (Millénium, les hommes qui n'aimaient pas les femmes) (2011), l'adaptation remarquablement charpentée du premier volet de Millenium par David Fincher enterre la version suédoise. C'est le premier film de ce réalisateur à succès qui me plaise.

Science-fiction et anticipation ; ça devrait réconcilier tout le monde :
Quartier lointain (2010) de Sam Garbarski, adaptation française du manga culte de Jirō Taniguchi, rythme lent, pas mal.
In Time (Time Out) (2011) d'Andrew Niccol, bonne idée de départ, mais ne tient pas la distance.
Quitte à voir un film dystopique, opter plutôt pour Children of Men (Les fils de l'homme) d'Alfonso Cuarón, scénario hélas parfaitement vraisemblable, mais totalement imprévisible. Références, entre autres (car c'est bourré de signes cachés comme dans The Host de Joon-ho Bong), à La bataille d'Alger, Slavoj Žižek et L'aurore de Murnau pour cette adaptation d'un roman de P.D.James. Formidable. Cela nous donne envie de voir d'autres films de Cuarón, comme Y tu mamá también (2001), excellente comédie dramatique sur l'adolescence avec une guerre de classes en filigranes, le documentaire politique The Possibility of Hope aux théories proches de Naomi Klein qui cosigne d'ailleurs son court métrage The Shock Doctrine réalisé par son fils Jonás Cuarón. Je vais regarder les autres dans la foulée...
Thor (2011) de Kenneth Branagh, effets spéciaux à tire-larigot, Branagh doit avoir des impôts ou des pensions à payer pour faire des trucs pareils...
Another Earth (2011) de Mike Cahill, très tendre, et la seconde planète est plus accueillante que celle qui se rapproche dans le kitsch Melancholia (2011) de Lars von Trier, énième film sur la fin du monde et réflexion sur la famille loin de la réussite de Festen.
La 3D de The Hole (2011) de Joe Dante n'a que peu d'intérêt, comme la plupart des tentatives gadgets de relief qui n'apportent rien à l'intrigue et affadissent les couleurs quand c'est une optique rouge et verte. Epouvante pour gamins. J'ai préféré Piranhas (1978), parodie incisive des Dents de la mer où l'on retrouve une charge politique digne du réalisateur ostracisé aux USA.
Une chronique du DVD dans les Cahiers du Cinéma m'a poussé vers Le 13e guerrier (1999) de John Mc Tiernan, mais je me demande quel genre de cinéphilie immature a gagné les jeunes rédacteurs de la revue historique. Leur sélection 2011 est si pitoyable, avec des choix bien lourdingues soutenus par des musiques hollywoodiennes au marqueur fluo, que je vais finir par résilier l'abonnement que j'entretiens depuis les années 70.
Cowboys and Aliens (2011) de John Favreau est un divertissement de leur âge, areuh areuh.
Contagion (2011) de Steven Soderbergh est une catastrophe de film catastrophe.
2012 (2009) de Roland Emmerich, encore une grosse daube avec au début trente minutes d'effets forains avant de sombrerdéfinitivement.
Rubber (2010) de Quentin Dupieux est astucieux, bien réalisé, mais tiré en longueur, ça sent le caoutchouc. On raconte que son prochain film tient la route.

Politiques :
The Ides of March (Les marches du pouvoir) (2011) de George Clooney n'a d'intérêt que si l'on s'intéresse aux élections américaines ou à leur pâle copie française depuis que nos partis réactionnaires se sont affublés de primaires.
Littoral (2004) de Wajdi Mouawad est un des meilleurs films réalisés sur le Liban, avec une véritable démarche d'auteur. J'ai enfin retrouvé les impressions de mes séjours là-bas. Donc déprimant. Mais j'ai vu pire : au moment de publier ce billet je regarde sur Canal + Incendies (2010) de Denis Villeneuve, d'après une autre pièce Mouawad, l'absurdité de la guerre et sa confusion accouchent d'une tragédie grecque de notre époque, moche et bouleversant.
Nous n'avons par contre pas tenu à Pater (2011) d'Alain Cavalier, dialogue superficiel entre un vieux gâteux et un acteur odieusement cabotin. Le propos est à l'image du débat politique national, c'est mou, ça plaît.
Radio Talk (1988), publié en DVD par Carlotta, est l'un des meilleurs films d'Oliver Stone avec Platoon et Wall Street, de la même époque. Thriller freudien. Très bavard, mais ici c'est un compliment.
Le temps des bouffons (1985) de Philippe Falardeau est une des charges les plus explosives de la résistance québécoise. Époustouflant premier court-métrage.

Drames :
Le sordide My Little Princess (2011) d'Eva Ionesco vaut par l'interprétation d'Isabelle Huppert et de la jeune Anamaria Vartolomei, Catherine Baba a dû s'éclater en créant les costumes.
Korkoro (Liberté) (2009) de Tony Gatlif est raté, on a l'impression de revoir trois fois la première demie heure.
Ennui mortel devant Meek's Cutoff (La dernière piste) (2011) de Kelly Reichardt qui a beaucoup plu à la critique.
Subway Stories: Tales from the Underground (1987) de Jonathan Demme, Ted Demme, Abel Ferrara, Craig McKay, Julie Dash et Bob Balaban est passé inaperçu, bien que l'initiative mérite d'être soulignée : un concours de scénarios a accouché de dix historiettes qui se passent dans le métro de New York, confiées à de bons réalisateurs...
Je l'aimais (2009) de Zabou Breitman est une cata, après le succès de ses précédents longs métrages. Quelle déception !
Biutiful (2010) d'Alejandro González Iñárritu est bien réalisé, mais je n'ai pas d'appétence pour les métaphores chrétiennes.
La piel que habito (2011) de Pedro Almodovar, avec un Banderas monolithique, film d'épouvante de série B, beaux décors, ne vaut pas Les yeux sans visage.
J'allais oublié le morbide Sleeping Beauty (2011) de Julia Leigh, dont la presse a fait tout un foin à cause de l'interdiction aux moins de 16 ans et qui m'est sorti de l'esprit aussi vite qu'il y était entré. Bof. Le genre "soufflé" qui retombe illico.
Le rythme de The Descendants (2011) d'Alexander Payne est d'une telle platitude rythmique que tout est plié dès les premières minutes, mélo hollywoodien dispensable sur le deuil. Pour les amateurs de Sur la route de Madison, L'Homme qui murmurait a l'oreille des chevaux et autres Danse avec les loups avec paysages de nature accompagnés à la guitare. Ouin !
The Flowers of War est un Zhang Yimou complaisant sur le massacre de Nankin.

Je me réfugie dans la projection domestique des deux saisons de la série Rome, réalisée sous la houlette de Michael Apted, qui m'avait échappé. Trop chères malgré la coproduction HBO-BBC2, les trois autres saisons prévues ne seront pas tournées.

Documentaires :
Petite déception devant la série Agnès de ci de là d'Agnès Varda qui rappelle l'émission Métropolis sur Arte, son brillant, mais ininterrompu commentaire ne laissant aucune place pour respirer ni réfléchir devant l'accumulation de souvenirs et les coups de chapeau aux copains. Dommage. C'est plus sympa à picorer en fonction des sujets que de s'avaler tout d'un coup. Vivement que la pétillante octogénaire renoue avec son culot créatif et ses inventions sur le fil !
Miesten vuoro (Steam of Life) (2010) de Joonas Berghällin et Mika Hotakaisen est un petit bijou finlandais, voyage de sauna en sauna dans lesquels des vieillards expriment leurs tristesses avec une sincérité désarmante.
Pina (2011) de Wim Wenders, plus intéressant que je ne m'y attendais, même en 2D. Bilan perso : Pina Bausch ne me touche pas.
When You're Strange (2010) de Tom DiCillo, bel hommage au groupe des Doors avec étonnants inserts du film réalisé par et avec Jim Morrison. Drôle d'effet.
900 Nights: Big Brother and the Holding Company (2001) de Michael Burlingame rassemble entretiens et archives, je l'ai regardé à la recherche de détails pour mon roman sur les USA qui se passe en 1968...
C'était un rendez-vous (1976), traversée de Paris au petit matin à fond la caisse revue avec le même étonnement, surtout après le making of où Claude Lelouch raconte les secrets du tournage.
La voix de son maître (1978) de Nicolas Philibert et Gérard Mordillat, idem, documentaire culte sur la manière de diriger une entreprise, passionnant avec le recul de plus de trente ans.
Dans la série d'Arte Les gars et les filles, Pleure ma fille, tu pisseras moins (2011) de Pauline Horovitz aborde la question frontalement et avec humour. La réalisatrice cerne son identité à travers le portrait de sa famille. Chouette ! Et c'est visible en ligne sur le site d'Arte...

Voilà, c'est dans le désordre, abrupt, partial, et cela donne beaucoup de boulot à noter les liens et à se souvenir de tout ce que l'on a oublié. Je risque de me faire engueuler, mais aimer ou détester un film n'a aucune d'importance (l'inconscient ignore les contraires !), c'est de l'ordre de l'intimité, cette appréciation se rapportant au système d'identification, à ce que nous avons déjà vécu nous-même... La question est de savoir si l'on a appris quelque chose, si l'on a été touché, si le sujet et son traitement méritent d'en discuter. Les qualités d'un film n'ont rien à voir avec notre goût, et il ne peut échapper ni à l'histoire du cinéma, ni à la représentation de la société qu'il nous renvoie...

Après cela je me plonge dans un cycle Joseph L. Mankiewicz sur les conseils d'Elisabeth, Marie-Pierre et Jonathan qui m'ont fourni une liste longue comme le bras où figurent aussi Miike, de Oliveira, McCarey, Landis, Rossellini, Portabella, Jack Arnold, Allan Moyle, Penelope Spheeris, Sean Durkin, Monte Hellman...

mercredi 12 octobre 2011

Revue de vues et entendus


Nous hésitons parfois entre un film de divertissement et une œuvre qui nous nourrisse. Tout dépend de l'heure et de l'humeur. En cas de fatigue nous aurons tendance à choisir une comédie, un polar ou un blockbuster qui vous prend en charge et vous déconnecte d'une journée trépidante, alors que d'autres soirs nous prenons notre courage à deux yeux pour regarder un documentaire, un drame, un muet, un film réputé difficile ou un a priori qui nous fait repousser la projection sans cesse à demain. Heureusement nous nous trompons souvent. Ainsi la série Borgia de Tom Fontana sur Canal + est aussi bavarde que la version avec Jeremy Irons et engluée dans un sirop musical qui nous empêche de réfléchir. J'en viens à me demander si la musique omniprésente au cinéma n'est pas une démarche politique pour nous abrutir en détruisant toute profondeur et ne laisser à l'écran qu'une surface bien lisse.
Dans Brève rencontre (1945) David Lean, dont Carlotta édite un coffret des premiers films, n'utilise la musique qu'en situation, comme Jean Renoir. La finesse de son analyse et sa maîtrise du montage révèlent son influence sur Michael Powell. Ses personnages, sortes de Monsieur ou Madame Tout Le Monde à qui rien n'est censé arriver, sont confrontés au désir de vivre autrement et à la nécessité de préserver celles ou ceux que nous aimons. Les femmes en particulier, écartelées entre une passion inattendue et les interdits sociaux, sont poussés à sacrifier la possibilité d'un rêve à la sécurité d'une vie stable. Sa comédie L'esprit s'amuse s'en affranchit mieux que ses mélodrames, de Heureux mortels (1944) à Madeleine (1950), peut-être parce qu'une fantaisie autorise à braver certains tabous. Excellent technicien, David Lean se banalisera avec la couleur en réalisant des films à grand spectacle tels Jivago ou Lawrence d'Arabie qui ne posséderont plus la finesse psychologique de ses débuts. Ce qui corrobore l'absurdité de nos choix le soir après dîner !
Au Cin'Hoche de Bagnolet, j'ai récemment vu trois films. Sean Penn en rock star décatie y est comme d'habitude formidable, mais There Must Be The Place n'est pas mon préféré de Paolo Sorrentino. Peut-être justement le travail sonore n'est-il pas à la hauteur des précédents ? Il se rapproche des Conséquences de l'amour dans sa torpeur patiente et son rapport à la vieillesse et à la mort. C'était de toute manière tellement mieux qu'avec L'Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello avec lequel j'ai enchaîné dans la petite salle. Les actrices sont bien, le climat est juste, mais la paresse du scénario et les clichés me feront l'oublier au bout de 24 heures, si ce n'est l'utilisation branchouillée de musique actuelle qui me fait évoquer un syndrome Marie-Antoinette qui risque hélas de perdurer. La guerre est déclarée me fait osciller entre la déception prévisible et l'admiration envers la légèreté du traitement d'un sujet aussi pénible, la maladie d'un enfant. Malheureusement les clichés s'accumulent jusqu'à la séquence ralentie finale sur la plage, artifice que je n'apprécie que dans Appelez-moi Madame tandis que le travesti en robe de mariée court vers nous. Le film de Valérie Donzelli me rappelle plutôt Claude Sautet et la Nouvelle Qualité Française, une de mes bêtes noires. Là encore les morceaux musicaux choisis pour leur opportunité de sens me hérissent le poil devant tant de banalité.
Quitte à voir une bluette, Tomboy de Céline Sciamma est un film fragile et tendre qui nous laisse à nos réflexions lorsque la réalité reprend ses droits, quand la lumière se rallume. Au cinéma le silence laisse la place à l'émotion intime du spectateur plutôt qu'à celle que le réalisateur veut lui imposer. C'est pourtant à la diversité des interprétations que se reconnaît un chef d'œuvre.
Meek's Cutoff nous endort, la rétrospective perso de Tom DiCillo nous laisse sur notre faim, celle de David Mamet nous fait passer le temps, mais deux films dits grand public retiennent notre attention. D'abord Death at A Funeral, le dernier Neil LaBute (remake d'un film britannique de 2007 !?), comédie burlesque et cinglante, qui a l'extrême mérite de dresser le portrait d'une famille bourgeoise afro-américaine sans insister sur ses origines raciales. Comme j'en parle à Jonathan Buchsbaum il me conseille Attack The Block, film anglais de Joe Cornish, une bande de voyous du sud de Londres aux prises avec une invasion d'aliens dans leur immeuble, drôle et punchy, qui donne pour une fois à de jeunes blacks le beau rôle. Intéressant de constater ici comment la musique générationnelle peut fonctionner avec tel film et figurer une insupportable manipulation dans d'autres... Ce film de science-fiction se rapproche plutôt des Gremlins et des autres œuvres de Joe Dante par ses sous-entendus socaux-politiques. Fortement recommandé aux quelques lecteurs qui pensent que j'ai souvent des goûts trop intellos ! Comme Les beaux gosses de Riad Sattouf dont nous craignions que ce ne soit qu'une grivoiserie potache avant que nos éclats de rire rincent la moquette... Il y a tout de même un temps pour tout.

dimanche 1 février 2009

Cinéphiles, passez votre chemin


Pour les fadas de l'achat en ligne petite revue de DVD et pour les adeptes des sorties en salles des notes très succinctes sur des films récents, essentiellement des blockbusters de l'industrie cinématographique américaine dont nombreux ne sont pas encore sortis en France. Cinéphiles, passez votre chemin, c'est l'industrie lourde pour les soirs où l'on a envie de faire le vide. Lot de consolation, deux coffrets DVD qui enchanteront les rats de cinémathèque :

  • Touch of Evil (La soif du mal), édition définitive comportant trois versions du film d'Orson Welles, d'abord tel que sorti en 1958, une version améliorée de 1976 et enfin celle restaurée en 1998, le tout agrémenté d'une réplique du mémo de 58 pages que Welles rédigea à l'intention d'Universal lorsqu'il découvrit la version tronquée de 1958, plus les précieux commentaires de Charlton Heston, Janet Leigh, Rick Schmidlin, F.X. Feeney, Jonathan Rosenbaum, James Naremore selon les versions (2 DVD Zone 1 pour ce 50e anniversaire)...
  • Coffret de cinq films mexicains de Luis Buñuel, pas encore vus, mais j'en garde un bon souvenir du temps de mes études à l'Idhec, mélodrames avec quelques clins d'œil du maître, très intéressants même si c'est sa période la moins excitante... Ce ne sont ni Los Olvidados, ni El ou L'ange exterminateur... Juste Le grand noceur, Don Quintin l'Amer, La montée au ciel, On a volé un tram, Le rio de la mort, je me réjouis néanmoins d'avoir rentré ces biscuits pour la fin de l'hiver !
  • Le reste en cliquant sur la rubrique "Cinéma & DVD" dans la colonne de droite, puisque j'ai déjà évoqué les meilleurs...

Voici donc des blockbusters plus ou moins récents, en vrac et sans ne jamais rien révéler des scénarios, des fois que vous soyez tout de même tentés, malgré mes notes expéditives à l'emporte-pièce (une fois n'est pas coutume) :

  • Slumdog Millionnaire, film anglais accumulant tout ce qu'il faut pour récolter une moisson de prix, mix de critique de mœurs, de trépidation moderne et de bouquet floral à la Bollywood, misère et épanouissement...
  • The Reader (Le liseur), belle histoire, très tendre malgré son interrogation essentielle sur la barbarie. J'ai pleuré... Le film du britannique Stephen Daldry me rappelle un amour de jeunesse qui ne s'est heureusement pas terminé ainsi. Kate Winslet y est nettement plus intéressante que dans le film paresseux de Sam Mendes, Revolutionary Road (Les noces rebelles) avec Di Caprio, un genre de "Desesperate Housewife" aux ressorts trop attendus... L'un et l'autre ont valu à l'actrice un Golden Globe.
  • Un autre joli film est The Secret Life of Bees (Le secret des abeilles) avec Queen Latifah, Alicia Keys et la jeune Dakota Falling. Dommage que, comme d'habitude, la musique mielleuse banalise les émotions qui n'en ont nullement besoin.
  • Milk est l'intéressante biographie d'Harvey Milk, premier homme politique ouvertement gay à se faire élire en 1978, hélas assassiné, mais la réalisation est bien plan-plan pour du Gus van Sant. L'interprétation de Sean Penn est époustouflante.
  • Gomorra, le film de l'italien Matteo Garrone est beaucoup mieux que je ne le craignais, à voir, oui oui, même si j'ai déjà tout oublié.
  • Cloverfield, grande mode des films à gros budget simulant un tournage amateur tels Rec, des bouts de Redacted, etc. Bon film d'action, mais le scénario est quasi inexistant, style course poursuite et voilà ! J'aime bien le monstre.
  • Gran Torino, le dernier film réalisé par Clint Eastwood, plein de bons sentiments sur le racisme, ça se laisse voir...
  • Lakeview Terrace, aussi sur le racisme, film complètement raté de Neil LaBute, dommage, ça fait deux fois, on regrette tous ses premiers. Mieux vaut attendre Towelhead, premier long métrage d'Alan Ball, au moins ça laisse des traces !
  • Doubt, poussif malgré de bons acteurs.
  • Defiance (Les insurgés), style héroïque, un pan d'histoire ignoré, la Résistance juive dans une forêt en Biélorussie, un beau rôle pour Daniel Craig. Moins énervant que Spielberg.
  • The Strange Case of Benjamin Button, le principe est intéressant, mais son application systèmatique accouche d'un bébé d'un conventionnel achevé. Si on aime Brad Pitt, il est nettement plus surprenant dans le dernier des frères Coen, la comédie Burn After Reading, très agréable divertissement qui raille avec humour et rebondissements les films d'espionnage.
  • Pineapple Express, ça plaît beaucoup à la branche potache des Cahiers du Cinéma, mais cela me fait penser à du Wes Anderson. Quitte à évoquer les fumeurs de pétards je préfère la série Weeds dont je me suis pourtant vite lassé.
  • Eagle Eye, film d'action dont le "plot" se résume à une phrase indépendante. La majorité de ces films sont du scenic railway (attachez vos ceintures).
  • Taken : dès qu'une jeune fille américaine arrive à Paris elle est enlevée par une bande de gangsters albanais spécialisée dans la traite des blanches, c'est bien connu ! Film d'action français qui fait tout pour ressembler à un film américain, préjugés inclus à pisser de rire, peut-être pour faire plus américain ! C'est produit par Besson, c'est tout dire, creux à toucher le fond ! Enfin, c'est tout de même le lot de presque tous ces films... Idem pour le scénario pas crédible, car tous ces films où l'on tue des dizaines de personnes en pleine rue le sont-ils plus ?
  • Au début de Mesrine, l'instinct de mort, j'ai pensé que ça allait être bien et puis j'ai déchanté. Ces films français qui copient les américains me font penser aux jazzmen de l'hexagone. Si c'est bien, c'est que ce n'est pas du jazz. Je préfère quand c'est "autre chose".
  • Quitte à voir une grosse machine autant regarder The Dark Knight, ça ne pisse pas loin, mais ça rebondit et c'est vrai que le méchant clown Heath Ledger est génial.
  • Miracle in Santa Anna, le dernier Spike Lee, est un film de guerre, ça peut se voir, mais comme d'habitude depuis longtemps trop démonstratif, on est si loin de Do The Right Thing...
  • Pour les miracles, j'ai préféré le documentaire satirique Religulous de Larry Charles avec Bill Maher, ça part dans tous les sens, mais au moins j'ai bien rigolé. Cela m'a rappelé mon récent billet sur la collusion de l'Église et de l'État, en particulier aux USA.
  • Je n'ai plus de souvenir de The Duchess, j'ai dû m'endormir. Je me suis réveillé pour Kurosawa, Demy, Rozier, Powell, Straub, Fuller, Varda, Sirk, Fleischer. Mais ce n'est pas le sujet.

lundi 10 septembre 2007

Une œuvre est une morale


En critiquant l'adulé Kusturica, je savais que je risquais d'en froisser plus d'un. Ne désirant pas particulièrement m'étendre sur les qualités usurpées de ce faiseur brutal à l'onirisme saint-sulpicien, je citerai ce matin un de mes commentaires publiés en réponse à quelques réactions d'internautes.
Les œuvres obéissent toutes aux mêmes lois de l'identification, ce qui explique en partie nos goûts et nos dégoûts pour les unes ou les autres. Lorsque je cite Cocteau en disant qu'une œuvre est une morale, j'entends que certains s'amusent hélas sans arrières pensées et que la valeur d'une œuvre dépend des questions qu'elle soulève. Une manière de penser par soi-même, sans référence à la mode, au bon sens, au bon goût ou aux conventions sociales en vigueur. Je ne confonds pas non plus ce que j'aime et ce que j'estime.
J'apprécie donc plus les provocateurs que les démagogues. On peut flatter ses thuriféraires, mais il est plus courageux d'interroger nos certitudes. Je porte ainsi dans la plus haute estime Salo de Pasolini, A Movie de Bruce Conner, L'île aux fleurs de Furtado, La nuit du chasseur de Laughton, La route parallèle de Ferdinand Khittl, les films de Pelechian, Renoir, Visconti, Vigo, Bresson, Powell, Tati, Etaix, Dreyer, Welles, Murnau, Stroheim, Lang, Ray, Rosselini, Cassavetes, Lepage, Snow, Straub et Huillet, Franju, Grémillon, Becker, Rouquier, Brisseau, Kaurismaki, Lynch, Vecchiali, Iosseliani, Moullet, Takahata, Svankmajer, LaBute, Chytilova, Rappaport, Waters, Cronenberg, Cavalier, Buñuel, Marker et évidemment Jean-Luc Godard, qui ne font pas des films pour qu'on les aime, mais parce qu'ils feignent de croire encore pouvoir changer le monde ou qu'ils en expriment sans relâche leur incapacité déceptive. Ces quelques exemples sont loin de refléter mes goûts, mais ils dessinent le vecteur qui m'entraîne vers l'idée d'un homme meilleur.

lundi 11 juin 2007

The Wicker Man


Je n'ai jamais autant lu de critiques assassines sur le site américain Amazon qu'à propos du dernier film de Neil LaBute avec Nicolas Cage, The Wicker Man (L'homme d'osier), mais je m'en suis méfié tant les films de ce réalisateur sont controversés, générant chaque fois des interprétations contradictoires. Remake d'un film anglais de série B signé Robin Hardy en 1973, LaBute en a féminisé le scénario, mettant en scène la revanche des femmes sur les hommes, une constante de son œuvre. Il est compréhensible que les ligues morales américaines voient d'un mauvais œil les provocations du cinéaste mormon. Si la cruauté des femmes s'exerce ici symétriquement par rapport à ce qu'elles ont subi depuis le procès des sorcières de Salem, n'est-ce pas une manière de souligner celle des hommes, celle-ci bien réelle et pérenne ?
Ce film, du genre fantastique, n'est pas le meilleur de son auteur, mais il éclaire la démarche extrêmement originale de ce cinéaste et homme de théâtre quasi méconnu en France. Il y sortira d'ailleurs le 15 août prochain, jour de l'Assomption, amusante coïncidence puisque la communauté de Summersisle Island célèbre la mort et la renaissance (les Protestants ne peuvent souscrire à cette fête qui glorifie Marie, et je me demande bien dans quel état laïque nous vivons) ! Comme le savent probablement mes lecteurs, la religion n'est pas ma tasse de thé. Cet opium du peuple ne me fascine pas plus que les manipulations du nouveau dieu qu'incarne la télévision. Les fantasmes du personnage joué par Nicolas Cage permettent d'évoquer notre monde, machiste et brutal, englué dans de prétendus bons sentiments.
Le dvd (zone 1) propose deux versions. La version de la face A du disque est augmentée d'une scène violente exclue des salles américaines. Mais, chose étonnante, cette version expurgée de la scène censurée propose une coda supplémentaire offrant un intéressant rebondissement. En assistant au racolage d'un nouveau jeune policier dans un bar, on comprend l'identité de la prochaine victime, à sacrifier dans quelques années, lorsqu'il sera mûr !

vendredi 15 décembre 2006

Comme elle dérange, la compagnie des hommes


Depuis le 8 septembre, nous n'avions pas pris le temps de regarder le premier long métrage de Neil LaBute, En compagnie des hommes (à ne pas confondre avec le film d'Arnaud Desplechin, En jouant dans la compagnie des hommes). Les critiques étaient partagées entre le clan de ceux qui y voient un film misogyne et celui de ceux qui le prennent pour un brûlot féministe. Ce n'est ni l'un ni l'autre, LaBute s'en fiche, il dessine seulement un portrait lucide des hommes et de leur façon vicieuse de penser et d'agir, et comme tous ses films, il dérange. Les suivants mettront tous en scène le rapport de forces qui régit les deux sexes. Le remarquable The Shape of Things (Fausses apparences, 2003) est d'ailleurs le renversement exact de celui-ci (1997), une femme y manipulant un homme jusqu'à en faire sa chose, avec une structure du récit assez semblable. Cette fois, les têtes de chapitre sont ponctuées de percussions rituelles avec un sax free érectile. Les films de LaBute ne sont pas roses, ils sont même très noirs. La cruauté des rapports, le sadomasochisme qui les sous-tend, l'impuissance et le pouvoir sont des thèmes qui mettent forcément mal à l'aise le spectateur comme un Pasolini savait le faire. Je n'aime pas raconter un film ni le dévoiler, espérant que mes lecteurs iront le voir les yeux fermés et qu'il les leur ouvrira avec sa lame acérée de chien andalou. Il est probable que ce sont des films qui devraient plaire aux filles qui doivent chaque jour se fader la compagnie des hommes, mais il serait salutaire que les garçons apprennent aussi à se regarder dans le miroir du cinématographe. Et les rôles peuvent s'inverser !
Le film est vendu dans un coffret intitulé Le meilleur du cinéma indépendant américain du Festival de Deauville - Tome 1 (TF1 Vidéo) avec Maria pleine de grâce (plein de bonnes intentions, mais pouf pouf) et Les flambeurs (bof bof), deux films pourtant pas inintéressants, mais qui ne sont pas à la hauteur de l'œuvre d'un véritable auteur. Comme souvent avec des films qui n'ont pas su rencontrer leur public, l'affiche et surtout le slogan qui l'accompagne sont complètement idiots et ne réfléchissent pas du tout la réalité.

mardi 19 septembre 2006

The Stepford Wives


Le billet du 15 janvier intitulé Comédies signalait la version de Frank Oz de 2004 avec Nicole Kidman, Matthew Broderick, Bette Midler, Christopher Walken et Glenn Close, dont le titre a été traduit en français Et l'homme créa la femme. C'est une comédie de science-fiction avec des acteurs formidables et un scénario plein de rebondissements. Or il existe une première version tournée en 1975 par le britannique Bryan Forbes avec Katharine Ross et Paula Prentiss, plus inquiétante et tout aussi passionnante.
Double comparaison, entre l'original et son remake, et ce même original et un autre film tourné la même année, Anatomie d'un rapport, film de Luc Moullet et Antonietta Pizzorno chroniqué ici il y a deux jours. Leur film expose la revendication des femmes dans leur droit à la jouissance tandis que celui de Forbes, d'après Ira Levin, l'auteur de Rosemary's Baby, met en scène le fantasme masculin de posséder des femmes objets qui ne revendiquent surtout pas le féminisme à la mode en 1975. Les deux films ont valeur de pamphlet, l'un dans le registre comique (Moullet), l'autre dans celui du thriller d'épouvante (tout de même très soft).
Les deux versions cinématographiques de The Stepford Wives atténuent la noirceur du roman de Levin, mais à l'atmosphère pesante de la première version répond un scénario beaucoup plus complexe de son remake. Au fur et à mesure des nouvelles adaptations, l'angoisse s'atténue jusqu'à une happy end chez Oz, qui n'en néglige pas pour autant la critique sociale, plus fine que celle de Forbes (le monde de la télévision ; le rôle du gay tenu par Roger Bart, le pharmacien pervers de Desperate Housewives...). Stepford, petite ville du Connecticut, ressemble d'ailleurs à celle du feuilleton à la mode, la Wisteria Lane des femmes désespérées. Même ambiance de banlieue friquée et lobotomisée où les hommes s'activent et où les femmes s'ennuieraient sans l'aide d'un bon scénariste. Les maris de Stepford sont simplement nettement plus réacs lorsqu'ils défendent leurs prérogatives de mâles chauvinistes en adhérant à un étrange club... La fin de la version d'Oz a peut-être été soufflée par Revenge of the Stepford Wives de 1980 ou Stepford Children de 1987, deux précédents remakes TV réalisés avant le Stepford Husbands de 1996 !
Il faudrait que je commence à constituer un petit inventaire des films où les femmes ne sont pas traitées comme des sous-hommes. La révolte gronde aussi bien chez les réalisateurs que chez les réalisatrices. Ces films sont pourtant souvent sujets à méprise. Ainsi certain(e)s ont cru voir un film misogyne alors que celui de Forbes est fondamentalement féministe, avec une fin qui a le mérite de poser question freudienne. Même quiproquo avec les films de Neil Labute... Comment peut-on se tromper à ce point dans leur lecture si ce n'est parce que l'évidence reste intolérable ? Possession, le dernier Labute sorti en DVD (zone 2, donc commercialisé sous nos latitudes), n'échappe à la règle. Les hommes y sont montrés toujours plus lâches que les femmes qui doivent se battre pour leur échapper ou s'affranchir de leurs légitimes réserves.
Ces préoccupations sont plus souvent exprimées par les filles que par les garçons, mais il serait plus que temps de retourner au cinéma avec cette perspective sociale en tête. La place des femmes dans les films est le reflet d'une situation toujours aussi réactionnaire dans le réel. Pendant des siècles et dans tous les domaines, les hommes ont (ré)écrit l'histoire de l'humanité à leur avantage. Combien de temps faudra-t-il à toutes les femmes pour échapper à leur aliénation sans se croire obliger d'imiter les hommes ?

vendredi 8 septembre 2006

Neil Labute, un réalisateur américain méconnu


J'ai récemment parlé ici de Nurse Betty sorti en 2000, comédie pimpante au scénario surprenant. J'ai depuis reçu des États Unis les DVD de deux autres films, Your Friends and Neighbours (Entre voisins et amis, 1998) et The Shape of Things (Fausses apparences, 2003). Nous sommes en présence d'un véritable auteur, auteur de théâtre d'abord, car Neil Labute adapte souvent ses propres pièces à l'écran, comme Bash: Latter-Day Plays transposé pour la télévision. En recherchant des informations sur le Net, je découvre que le réalisateur est très imprégné de son appartenance à l'Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, un culte américain qui échappe certainement aux lecteurs français comme moi. En essayant de comprendre en quoi consiste les croyances des Mormons, on s'aperçoit que Neil Labute est un sacré rebelle qui fait exploser les fondements mêmes de son église comme la loi de chasteté, l'homosexualité et surtout "l'abstinence de rapports sexuels sauf entre un homme et une femme légalement mariés" ! Il semble en effet peu probable que ses films soient des dénonciations de la liberté sexuelle ; ils montreraient plutôt, et de façon extrêmement critique, la différence entre les hommes et les femmes. Je les vois comme des blasphèmes, provocateurs aussi bien pour sa congrégation que pour qui que ce soit, même les spectateurs les plus athées. Cela vaudra évidemment au réalisateur d'être mis à l'écart par ses Mormons. Aux USA, ses films ont toujours été controversés, certains voyant par exemple dans In the Company of Men une apologie de la misogynie, d'autres du féminisme. Ses œuvres suivantes ne laissent aucun doute de ce côté là, mais interroge la cruauté de son regard sur la faiblesse des hommes et la puissance des femmes. Les hommes restent des petits garçons, assez lâches, tandis que les femmes gardent la tête froide, manipulatrices libérées de leur désir. Le sado-masochisme semble sous-jacent. Les jeux de l'amour mis en scène par Labute sont sans hasard. Les parties carrées n'y sont pas rares. Ses personnages ont du mal à trouver leur équilibre dans une société hypocrite qui a faussé la donne.
Si Your Friends and Neighbours est dépourvue de musique et que tout se joue dans une espèce de silence morbide, chaque nouvelle séquence de The Shape of Things est ponctuée par les chansons d'Elvis Costello. Ici, pas de sirop à l'américaine. Ni dans la bande-son, ni dans les propos. Si Nurse Betty reste mon préféré (le seul dont il n'a pas écrit le scénario et le plus drôle), je suis resté abasourdi par The Shape of Things. Les scénarios sont toujours riches en rebondissements (j'évite toujours ici de les déflorer), les acteurs formidables. Il me reste maintenant à découvrir son premier long métrage, In the Company of Men (En compagnie des hommes, 1997, en coffret avec Maria pleine de grâce et Les flambeurs sur le site de la Fnac) et Possession (2002, disponible sur Amazon.fr), et courir au cinéma découvrir The Wicker, avec Nicolas Cage, si jamais il sort en France...

mardi 15 août 2006

Projection


L'excellent scénario (Prix à Cannes en 2000) est servi par des acteurs remarquables. Il faut cela pour nous faire avaler cette histoire de fous devenue tellement vraisemblable et banale qu'après la projection nous étions tous devenus un peu schizos. Nurse Betty est une comédie hilarante, dont la brutalité éphémère peut être difficile à regarder tant les ressorts dramatiques qui la soutiennent doivent être solides pour que l'intrigue soit crédible. L'énigme réside surtout dans la confidentialité en France d'une telle réussite. Le dvd est vendu une bouchée de pain (entre 1 et 10 euros !) sur 2xmoinscher, PriceMinister, DvdFolies, Cdiscount, etc. Renée Zellweger y est beaucoup plus intéressante que dans les Bridget Jones qui ont fait sa renommée, Morgan Freeman et Chris Rock ont un jeu étonnamment sobre, Gregg Kinnear a un rôle tout en finesse, pas plus facile à interpréter que tous les personnages du film. Un étrange site mormon auquel semble rattaché le réalisateur Neil LaBute (En compagnie des hommes, Entre amis et voisins, Possession, Fausses apparences...) divulgue sa biographie. Son prochain film, The Wicker Man, avec Nicolas Cage, sortira aux USA en octobre. À suivre.