70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 21 décembre 2021

Flûtes de bois et de métal


Il y a treize ans, j'entendis pour la première fois Joce Mienniel, il jouait des flûtes et de la guimbarde en vidéo projetée sur un mur en présentation du futur ONJ rassemblé par Daniel Yvinec. La révélation était à la démesure de mon propre chemin, ces deux instruments ayant été les premiers mis à ma portée. Si les flûtistes jazzy ont proliféré depuis Eric Dolphy et Roland Kirk, particulièrement en France où les "bois" brament plus qu'ailleurs, surtout des filles telles Sylvaine Hilary ou Naïssam Jalal, les guimbardiers sont plus rares. Je partage cette passion, qui s'accompagne souvent de collectionnite, avec mon camarade Sacha Gattino, et Joce Mienniel en joue aussi merveilleusement qu'il flûte tous azimuts. En 2014 j'eus la chance d'enregistrer l'album Game Bling avec lui et Ève Risser...


Si, dans ses précédents albums, Joce Mienniel fut séduit avec succès par les mirages de la pop (Paris Short Stories, Tilt, The Dreamer), le petit dernier est un superbe duo/trio, avec le flûtiste Aram Lee et le chanteur chamane et percussionniste Minwang Hwang, qui échappe à tous les genres. Mienniel est aux traversières, alto et basse, tandis que Lee souffle dans des traditionnelles en bambou comme la daegum. Le premier a les clefs du système Boehm, le second un timbre en papier de riz qui fait bzinguer l'instrument. L'émulation était inévitable, comme les deux gosses du train, au début du film Zéro de conduite, qui se montrent leurs jouets. Mingwang Hwang arbitre, tempère, enrobe, accompagnant les deux souffleurs de son chant Pansori, de la peau du janggu, du métal du jing et de l'anche double du taepyongo. La matière est ici synonyme de couleurs. Si c'est un véritable triangle, Wood & Steel, le titre de l'album (et du spectacle) pointe néanmoins les deux capitaines de la rencontre France-Corée. Les trois mille ans qui séparent le daegum de la traversière sont pulvérisés par le pont que construit la musique, en solos, duos et trios, improvisations et compositions d'une très grande puissance poétique.

→ Joce Mienniel / Aram Lee, Wood & Steel, CD Buda Musique, dist. Socadisc

mardi 12 janvier 2021

Joce Mienniel rêve la pop


The Dreamer n'est pas un disque de flûtiste, mais celui d'un compositeur qui rêve de pop. Par pop, entendre que le rock est une musique plus populaire que le jazz ou la musique improvisée. Il n'empêche que la flûte de Joce Mienniel tinte le son de son nouveau groupe d'une couleur céleste qui s'intègre merveilleusement au métal de ses influences pinkfloydiennes seconde manière. La première était plus psychédélique, mais là il y a le muscle de ce qui fit le succès du groupe anglais dont Joce reprend d'ailleurs le tube Money. Et puis il chante, il chante feutré, mais il chante, en anglais, des mots de tristesse. Ils s'évaporeront lorsqu'une femme lui prendra la main dans une inattendue mise à nu ; les photographies de Cédric Roulliat laissent pantois, entre Orphée, fidèle insouciant, et la trivialité d'Œdipe. Planante et affirmée, la musique s'envole en volutes répétitives jusqu'à la reprise du thème de Michel Nyman pour le film Meurtres dans un jardin anglais. Pas de crime ici, mais un hommage assumé à la puissance électrique de la pop. En ajoutant son synthétiseur Korg MS20 (comme on peut aussi l'entendre sur notre collaboration Game Bling avec Eve Risser et mon récent album Pique-nique au labo), en s'associant au claviériste Vincent Lafont (qu'il a longtemps cotoyé au sein de l'ONJ période Yvinec), au guitariste Maxime Delpierre et au batteur Sébastien Brun (tous deux entendus, entre autres, avec Jeanne Added), Joce Mienniel produit ce son de groupe qui fait la particularité du rock face aux discours solistes des jazzmen. En 2012 ses Paris Short Stories lui permettaient de s'approprier les standards de notre époque avec une originalité de timbres inédite. En 2016 sur Tilt, déjà avec Lafont et Brun, il continuait à jongler avec le rock et les trouvailles à la Morricone. Il est logique que, quatre nouvelles années plus tard, son style s'affirme encore une fois, un truc addictif, suffisamment riche pour tourner en boucle sur la platine.
Comme Sylvaine Hélary, Joce Mienniel dresse un pont entre ce qui est assimilé au jazz et la pop. Sur d'autres projets, comme pour Naïssam Jalal, les musiques extra-européennes lui rappellent les origines ancestrales de son instrument. Comme leurs homologues qui ont choisi les bois (clarinettes, basson), les cordes (violons, violoncelles) ou la percussion, ces virtuoses de la flûte précisent une caractéristique hexagonale qui se démarque des Anglo-saxons plus branchés par les saxophones, les guitares électriques ou la batterie. Mais quel que soit l'instrument, les nouvelles générations de musiciens français affirment de plus en plus un courant novateur et inventif, indéfinissable parce qu'ils réfléchissent la variété et la richesse de nos paysages continentaux, un œcuménisme qu'il s'agit de défendre contre les coups de butoir d'une industrie multinationale phagocytée par les États Unis. Aucun nationalisme évidemment dans mon propos, mais le désir de marier ses propres racines aux grands mouvements planétaires. La musique classique et la pop anglaise sont facilement décelables chez ce rêveur, travailleur acharné qui nous fait partager ses trépidants fantasmes oniriques.

→ Joce Mienniel, The Dreamer, CD Drugstore Malone, dist. L'autre distribution, sortie le 5 février 2021

mardi 5 mai 2020

Les actualités [archive]


Article du 19 janvier 2006

Je republie cet article concernant un très bel album collectif dont il me reste quelques exemplaires à la cave et dont je ne fais rien, tout comme les exemplaires du stock des Allumés au Mans. C'est gratuit, j'en avais déposé quelques uns au Souffle Continu. Récemment, soit quatorze ans plus tard, les Allumés ont produit Aux Ronds-Points, un nouvel album collectif, cette fois en vinyle, tout aussi recommandable.

Album double CD en vente exclusivement aux Allumés du Jazz.
34 inédits de 30 labels pour seulement 18 euros,
avec un livret en couleurs de 40 pages 24x20cm.
ORIGINAL - LUXUEUX - PAS CHER
(P.S.: je pense qu'avec le temps il est passé gratuit !)

Commandez le double-album LES ACTUALITÉS, 34 inédits produits à l'occasion du Xe anniversaire des Allumés du Jazz ! Véritable objet qu'on adorera tenir entre ses doigts pour le faire tourner sur lui-même, les pages du livret abritent 2 CD de 130 minutes...

Marthe Vassallo et Lydia Domancich, Un Drame Musical Instantané avec Baco, Rude Aquaplaning, Stéphane Rives, Didier Petit, Murat Öztürk, Jean-Philippe Morel, Trio Jean Morières, Magic Malik Orchestra avec Sub-Z, Le Trio d'arrosage, Les Âmes Nées Zique, Sylvain Kassap, Jef Lee Johnson et Hamid El Kasri, Alima Hamel, Laurent Rochelle et Loïc Schild, Happy House, Groupe Emil, Grillo-Labarrière-Petit-Wodraska, Pierre-Alain Goualch et Franck Agulhon, Ensemble Text'Up, Guillaume de Chassy et Daniel Yvinec, Pablo Cueco et Mirtha Pozzi, Vincent Courtois, Collectif Terra Incognita, Étienne Brunet, Donald Brown, Briegel Bros Band, Hélène Breschand et Franck Vigroux, René Bottlang, Rémi Charmasson et Eric Longsworth, Raymond Boni et Claude Tchamitchian, Bertrand Auger et Francis Demange, Serge Adam...

Je reproduis ici l'édito du n°14 du Journal des Allumés qui était entièrement consacré aux Actualités :

French Touch ou le Grand Mix ?

Cette collection de 34 inédits suscite en moi une étonnante impression d?ensemble. Mon ami Bernard Vitet me souffle que tous les morceaux semblent appartenir au même projet artistique. Question de montage ? À moins qu'une French Touch ne se dégage des ACTUALITÉS, de façon imprévue ! Pourtant, les styles, les sonorités, les propos sont tous extrêmement variés, sans compter la présence de quelques musiciens étrangers. Étranger ? Qu'est-ce que cela signifie dans un pays carrefour de l'Europe et de tous les continents ? Les Français n'existent pas. Ils sont le croisement de toutes les immigrations successives depuis la Gaule jusqu'aux prochaines vagues. Finis Terrae, le bout de la terre, le point de convergence, la dernière escale avant l'embarquement, la première destination des jazzmen afro-américains, la terre d'asile des exilés politiques, le mythe des Lumières, les retombées de la colonisation qui a pris de nouveaux masques, ceux de la main d'œuvre à bon marché et des aides humanitaires ? Notre xénophobie légendaire a la mémoire courte. L'intégration se fait parfois douloureusement, mais elle est inéluctable. Le communautarisme est anticonstitutionnel, pour employer de grands mots.

Et si la French Touch n'était rien d'autre que le mélange des cultures, le grand mix ? Cocteau disait que le fascisme ne pouvait pas prendre dans ce pays, que les Français sont trop indisciplinés, il ajoutait que « c'est une cuve qui bout, qui bout, mais qui ne déborde pas. » Que cela ne nous empêche pas d'être vigilants ! La veille du siège de leur ville, les habitants de Sarajevo pensaient qu'ils étaient à l'abri de la barbarie. Les journaux titraient « Les intellectuels gouvernent à Sarajevo ». Ici, des nostalgiques de la schlag déclarent l'état d'urgence lorsque les cités dortoirs se réveillent et se rappellent à leur bon souvenir.

Dans le secteur musical, les nouvelles ne sont pas très bonnes. Les salaires ont baissé, les intermittents les plus fragiles disparaissent, les disques ne se vendent plus, la curiosité des consommateurs a été émoussée, les grandes surfaces de vente prétendument culturelles n'offrent plus que les gros trucs qui rentrent dans le moule ou qui bénéficient de conditions de promotion considérables, les distributeurs virent de leurs catalogues ce qui n'est pas immédiatement rentable ? La logique du profit à court terme envahit tous les secteurs d'activité, même ceux de la pensée.

En même temps, la résistance s'organise. Ça se réveille. Les lieux alternatifs se multiplient. Des soirées voient le jour chez des particuliers. Les orchestres investissent les bars branchés de la capitale qui ont repris de l'activité. Encore faut-il qu'il y ait des bars dans les quartiers ! Les banlieues sont aussi froides qu'une banquise, les plus démunis ne voient d'autre solution que de s'y brûler les ailes. Quelle flamme les anime ? Qui donc met le feu aux poudres ? Sarkozy ? Face à la médiatisation dominante, il est devenu nécessaire de provoquer des rencontres réelles, tactiles, des échanges de regards ou de points de vue, des embrassades? Il devient de plus en plus utile de transmettre, de donner des racines à la révolte pour qu'elle soit porteuse de perspectives. S'interroger, se souvenir. Dans le petit cercle des amateurs de jazz et de musiques assimilées, improvisateurs, contemporains, il est devenu comme partout impératif de rassembler ses forces. Penser par soi-même, échanger, transmettre, est-ce un droit ou un devoir ?

Une quarantaine de labels indépendants se sont ainsi regroupés pour défendre leur droit à la différence. Devrait-on écrire « pour défendre leur droit contre l'indifférence » ? Être, c'est déjà bien. L'imagination reste le meilleur garant contre l?apathie et les nouveaux fascismes. La solidarité est le mot clef des luttes qui veulent aboutir, pour une vie meilleure, pour les enfants de demain ?

Dans LES ACTUALITÉS, si certains propos des interviewés peuvent frôler la paranoïa, qu'on l'entende critique, alors ! Nous ne sommes pas les victimes du monde dans lequel nous vivons. Notre responsabilité est entière. Nous en sommes les acteurs, et même les auteurs. Plus que de réfléchir les actualités, notre devoir est de les créer.

C'est ce qu'ont tenté de réaliser tous les musiciens et musiciennes qui ont participé au double album produit par Les Allumés du Jazz, parfois par des chemins très détournés ! Ce n'est pas un hasard si l'ensemble de ces contributions fait œuvre. Le disque intitulé LES ALLUMÉS porte en lui une étonnante détermination, franche et active. Celui intitulé DU JAZZ est plus tendre, plus intime. Entre les deux, ça transpire, une sueur saine et bien portante. Une promesse d'avenir.

Le recul que j'essaie d'avoir avec ces deux disques m'y pousse la tête la première. Cherchant à embrasser l'ensemble d'un seul coup d'œil, je ne fais qu'en choisir l'angle. À chacun le sien. La lecture du livret qui tourne sur lui-même donne le vertige. 180° de la première à la dernière page. Une volte-face.


Extrait du livret :

Les Allumés du Jazz est le premier endroit où se retrouvent des labels de production de jazz indépendants de toutes obédiences et d'orientations fort diverses. Tout y est envisagé, depuis la plus profonde tradition jusqu'à la plus extrême modernité. Tous les courants y sont représentés. Au-delà, cette disposition prépare l'avenir pour un accueil sans peur d'autres formes connues et inconnues.

Au début de cette année 2006 qui marque leur 10e Anniversaire, Les Allumés du Jazz ont décidé de sortir un double-album, LES ACTUALITÉS, composé de contributions inédites de 30 parmi 40 labels adhérents à cette date.

Chaque label a produit un maximum de 4 minutes de son en choisissant l'un des deux CD qui portent respectivement les titres LES ALLUMÉS et DU JAZZ. Libre à chaque label de publier ses 4 minutes sur l'un ou l'autre de ces CD, ou réparties sur les deux. De petits préambules ont été montés avant chaque morceau de façon à jouer le rôle de remise à zéro, mettant ainsi l?auditeur dans les meilleures dispositions pour découvrir chacune des œuvres. Ces intermèdes ont été enregistrés par les labels ou lors de rencontres et de conversations téléphoniques avec Jean-Jacques Birgé.

Chaque label a créé librement la pochette virtuelle de sa contribution comme s'il s'agissait d'un CD single. La maquette générale a été confiée à Daphné Postacioglu qui a conçu la nouvelle charte graphique du Journal. S'inspirant du Cover to Cover de Michael Snow, Birgé a imaginé un livret dont les couvertures sont tête-bêche. On peut le lire aussi bien dans un sens que dans l'autre, quitte à faire tourner le petit cahier de 24 sur 20 cm sur lui-même. Un effort particulier a été effectué sur la présentation de l'album dans l'espoir de figurer un objet suscitant la convoitise, façon élégante d'afficher notre attachement à la pérennité du disque, de lutter intelligemment contre le piratage en créant du désir plutôt qu'en criminalisant les consommateurs.

L'album est (était) vendu au profit de l'association Les Allumés du Jazz, exclusivement par le biais de la vente par correspondance, du site Internet et sur le stand itinérant pendant les festivals.

Réalisation, montage et interviews - Jean-Jacques Birgé
Packaging et maquette - Daphné Postacioglu
Coordination - Valérie Crinière

En prime, un survol de Cover To Cover façon flip-book, découvert hier !

lundi 15 avril 2019

Aux Ronds-Points des Allumés, la revue


Les Allumés du Jazz ont publié simultanément un vinyle 30 cm et une revue de 124 pages à partir des Rencontres d'Avignon dont le thème était « Enregistrer la musique, pour quoi faire ? ». Les deux objets portent le titre « Aux Ronds-Points des Allumés du Jazz ». Cette association rassemble une soixantaine de labels de jazz, musiques improvisées ou tout simplement inventives. Or je suis sidéré par le travail fourni par tous les contributeurs de l'un comme de l'autre, des musiciens évidemment pour le disque, tandis que pour la revue ils ont été rejoints par des producteurs, des journalistes, des historiens, des disquaires, des ingénieurs du son, des organisateurs de spectacles, des bibliothécaires, des cinéastes, des photographes, des illustrateurs, etc. Les témoignages, analyses et réflexions débordent largement le cadre du jazz et dressent un portrait salé de notre société. Rappelons qu'il y a déjà 15 ans Francis Marmande écrivait dans Le Monde Diplomatique : « Les Allumés du jazz sont le seul journal de jazz à maintenir un point de vue politique sur cette musique. » Rien n'a changé, ou plus justement le monde a continué sa descente aux enfers, ce qui n'empêche pas les activistes de se battre contre l'absurdité des marchands avec les gouvernants à leurs bottes comme bras armé. D'où l'importance d'une telle somme ! Il m'est impossible de résumer ma lecture assidue tant elle fut riche d'enseignement, sans compter l'humour qui la traverse, que ce soit grâce aux flèches décochées par mes camarades ou aux dessins des nombreux illustrateurs. Les Allumés, jouant avec des allumettes, mettent le feu aux poudres en révélant l'envers du décor par leurs passionnants témoignages.
Les textes sont de Valérie de St Do, Francis Marmande, Guillaume Pitron, Hervé Krief, Sofian Fanen, Jean-Louis Comolli, Thierry Jousse, Guillaume Kosmicki, Pablo Cueco, PL. Renou, Bruno Tocanne, Guillaume Grenard, Alexandre Pierrepont, Christian Rollet, Thomas Dunoyer de Segonzac, Morgane Carnet, Michel Dorbon, Cyril Darmedru, Patrick Guivarc’h, Noël Akchoté, Cécile Even, Jacques Denis, Luc Bouquet, Jean Rochard, Guy Girard, Stéphan Oliva, Olivier Gasnier, Théo Jarrier, Pascal Bussy, Mico Nissim, Eve Risser, L’1consolable, Alexandre Herrer, Serge Adam, Daniel Yvinec, Laetitia Zaepfel, Saturnin Le Canard, Jean-Marc Foussat, Jean-Paul Ricard, Simone Hédière, Les Martine’s, Nicolas Talbot, Léo Remke-Rochard... Page 70 on trouvera le mien, Voir pour le croire, que j'avais écrit à la demande de mes camarades. Quant aux illustrations, elles sont de Nathalie Ferlut, Hélène Balcer, Denis Bourdaud, Matthias Lehmann, Johan de Moor, Zou, Jeanne Puchol, Thomas Dunoyer de Segonzac, Emre Ohrun, Anna Hymas, Efix, Jop, Rocco, Andy Singer, Laurel, Mape 816, Gabriel Rebufello, Sylvie Fontaine, Cattaneo, Thierry Alba, Pic, et les photographies de Judith Prat, Francis Azevedo, Guy Le Querrec, Sasha Ivanovich, Judith Wintreberg, Xavier Popy, Gérard Rouy. Nathalie Ferlut a signé la couverture de la revue comme celle du disque. Marianne T. secondée par Christelle Raffaëlli et les Allumettes Anne-Marie Perrein et Cyrielle Belot ont rassemblé ce superbe travail rédactionnel et graphique.
Continuité avec les 37 numéros du Journal des Allumés, les rubriques de la revue sont L'aventure collective, Numérique l'envers du décor, La simplification des stickers contre le discours critique, Le miroir aux allumettes, Quand le son rentre en boîte, Les travailleurs du disque, Les petites séries, Le musicien face à l'autoproduction jusqu'où ?. Est-ce assez explicite ? Que tire-t-on de cette lecture indispensable à qui veut comprendre l'histoire du disque, ce que nous voulons ou pouvons en faire aujourd'hui, et ce que nous réserve l'avenir à moins que nous nous groupions pour enrayer ou minimiser la catastrophe ? D'abord la joie et le plaisir de créer. Ensuite de le réaliser ensemble. C'est en fédérant toutes les forces en présence que nous pouvons résister à la mort programmée par le capitalisme dont le profit à court terme est le seul but. Il faut étendre ce combat aux autres secteurs de la musique, de l'art, de la culture, et par extension à tous les enjeux de notre vie, car c'est de cela que traite la revue en filigranes. Ce formidable élan vital est donc difficile à résumer ici, si ce n'est par la complicité que ce blog entretien quotidiennement avec les idées qui y sont exprimées tout au long des 124 pages qui explosent en couleurs...

Aux Ronds-Points des Allumés du jazz, revue au tirage limité, 5€ seulement !

vendredi 12 avril 2019

Aux Ronds-Points des Allumés, le disque


Les Allumés du Jazz frappent fort pour le Disquaire Day. En plus d'une revue liée au colloque avignonnais qui avait pour thème "Enregistrer la musique, pour quoi faire ?" le collectif d'une soixantaine de labels français publie le vinyle 30 centimètres où s'expriment les musiciens séduits par la question. Ayant participé à la table ronde "Le miroir aux allumettes", j'ai moi-même enregistré pour l'occasion une petite fiction musicale avec Amandine Casadamont (field recording), Sacha Gattino (sifflement), Sylvain Rifflet (saxophone ténor) et Sylvain Lemêtre (percussion), Les travailleurs du disque dans le miroir des allumettes.


à écouter sur une bonne écoute avec des basses !

À ce magnifique disque-manifeste ont également participé (appréciez l'incroyable distribution !) L’1consolable avec Alfred Cat, Sylvain Kassap, Christiane Bopp, Géraldine Laurent, Tony Hymas, Etienne Gaillochet, Laurent Rochelle, Ève Risser, Antonin-Tri Hoang, Catherine Delaunay, Jean-Brice Godet, Nathan Hanson, François Corneloup, Pablo Cueco, Mirtha Pozzi, Das Kapital (Hasse Poulsen, Daniel Erdmann, Edward Perraud), Riverdog (Jean-François Pauvros, Léo Remke-Rochard, Jack Dzik), Benoît Delbecq, Pascal Van den Heuvel, Jacky Molard Quartet (Jacky Molard, Hélène Labarrière, Janick Martin, Yanick Jory), Serge Adam / le Jazz Composers Allumés Orchestra (JCAO) avec Géraldine Laurent, Morgane Carnet, Sylvain Kassap, Michel Edelin, Rémi Gaudillat, Serge Adam, Christiane Bopp, Loïc Bachevillier, Jean-Philippe Viret, Samuel Silvant et Bruno Tocanne / Xavier Garcia empruntant des samples à une quinzaine de labels des Allumés (avec La Marmite Infernale, imuZZic Grand(s)Ensemble, Les Voyageurs de l’Espace, Samuel Silvant Quartet, Marc Sarrazy et Laurent Rochelle, Anti Rubber Brain Factory, Christofer Bjurström, Ill Chemistry, Dominique Pifarély, Big Band Quoi de neuf docteur, Denis Fournier et Denman Maroney) / Les Martine’s (Anne Mars, Richard Maniere) et Tristan Macé / le Collectif Ishtar avec Benoît Cancoin, Cyril Darmedru, Eddy Kowalski, Xavier Saïki, Tony di Napoli, Olivier Toulemonde, Sylvain Nallet, Gérald Chagnard, Lætitia Pauget, Hélène Peronnet, Jules Toulemonde, Gérard Authelain / les Fondeurs de son avec Florent Dupuit, Nicolas Souchal, Niels Mestre, Stef Maurin, Yoram Rosilio / et puis aussi Léo Aubry, Jean-Marc Bouchez, Les damnés du skeud, Boris Darley, Simon Deborne, Nicolas Desmarchelier, Hervé Michard, Dominique Pauvros, etc.

Et la musique ? La Face A commence par Changez de disque, un rap de circonstance de L'1consolable et des Damnés du Skeud. Le rappeur a peaufiné un texte formidable sur l'état de la production discographique, sa distribution, la dématérialisation, les subventions, les GAFA, la piraterie, etc. Il ne manque que l'arnaque qu'est devenu le Disquaire Day, sensé soutenir les disquaires, profession en danger mortel, et qui s'est bizarrement focalisé sur le vinyle, mais est surtout devenu une foire du disque récupérée par les marchands de tout et n'importe quoi, y compris de la bière et une boisson énergisante ou un concours de soldes ! Le flow de L'1consolable est revendicatif en diable, malin, et ça swingue d'enfer avec l'accompagnement jazz des musiciens inventifs qui lui ont envoyé chacun un petit bout de musique... Suit 7 Janvier, une longue suite pour orchestre à géométrie variable réuni pour l'occasion par Bruno Tocanne, composée par Rémi Gaudillat et interprétée par le Jazz Composers Allumés Orchestra. L'acronyme JCAO n'est pas innocent, clin d'œil musical au JCOA de Michael Mantler et Carla Bley, et les couleurs du big band changent au gré des mouvements comme un kaléidoscope.
La Face J débute avec Sur la route des Allumés, un montage pétillant et entraînant de Xavier Garcia "à partir d'emprunts joyeux et amicaux" d'une quinzaine d'ensembles liés aux Allumés. Ce puzzle, comme presque toutes les contributions du disque, figure une fractale du projet global. La mise en abîme est ici particulièrement évidente. Puis Les Martine's, voix et guitare, avec le bandéoniste Tristan Macé, font respirer la dentelle de Par les temps qui courent, ciselé comme les créations de papier que le couple de graphistes a l'habitude de produire. Ils nous préparent au calme de notre petite évocation radiophonique qui marque une pause énigmatique. Le titre Les travailleurs du disque dans le miroir des allumettes a guidé nos pas dans la forêt transylvanienne. J'ai calé mes sons électroniques sur le field recording d'Amandine, j'ai demandé à Sacha de passer siffler, et j'ai laissé les deux Sylvain, ténor et percussion, improviser en leur assignant simplement leurs places. Suite à cela, avec Des airs cultes (en sabots) le Collectif Ishtar réintègre les mots dans la musique, miroir des Rencontres d'Avignon qui inspirèrent ce disque, et Le Fondeur de Son de se sentir libre de clôturer ce superbe album collectif avec son Fonderie Topophonographique, à la fois bruitiste et fondamentalement collectiviste. Franchement, je suis super fier d'avoir participé à cette aventure qui se tient de bout en bout grâce à Jean Rochard et Bruno Tocanne qui ont supervisé l'ensemble avec le concours des Allumettes, Anne-Marie Parein et Cyrielle Belot.


Quant à la revue, y ont contribué pour les textes Valérie de St Do, Francis Marmande, Guillaume Pitron, Hervé Krief, Sofian Fanen, Jean-Louis Comolli, Thierry Jousse, Guillaume Kosmicki, Pablo Cueco, PL. Renou, Bruno Tocanne, Guillaume Grenard, Alexandre Pierrepont, Christian Rollet, Thomas Dunoyer de Segonzac, Morgane Carnet, Michel Dorbon, Cyril Darmedru, Patrick Guivarc’h, Noël Akchoté, Cécile Even, Jacques Denis, Luc Bouquet, Jean Rochard, Guy Girard, Stéphan Oliva, Olivier Gasnier, Théo Jarrier, Pascal Bussy, Mico Nissim, Eve Risser, L’1consolable, Alexandre Herrer, Serge Adam, Daniel Yvinec, Laetitia Zaepfel, Saturnin Le Canard, Jean-Marc Foussat, Jean-Paul Ricard, Simone Hédière, Les Martine’s, Nicolas Talbot, Léo Remke-Rochard et votre serviteur !
Les illustrations sont de Nathalie Ferlut, Hélène Balcer, Denis Bourdaud, Matthias Lehmann, Johan de Moor, Zou, Jeanne Puchol, Thomas Dunoyer de Segonzac, Emre Ohrun, Anna Hymas, Efix, Jop, Rocco, Andy Singer, Laurel, Mape 816, Gabriel Rebufello, Sylvie Fontaine, Cattaneo, Thierry Alba, Pic, et les photographies de Judith Prat, Francis Azevedo, Guy Le Querrec, Sasha Ivanovich, Judith Wintreberg, Xavier Popy, Gérard Rouy. Nathalie Ferlut a signé la pochette du disque et de la revue.

Le disque n'est disponible que demain samedi et exclusivement demain, à moins qu'il en reste quelques exemplaires après-demain, mais c'est rare. En général les vinyles conçus pour le Disquaire Day partent comme des petits pains, que ce soit dans le réseau des 42 boutiques associées à l'opération ou à l'étranger. J’ignore si c’est du 180 grammes, mais c’est du lourd qui les dépasse allègrement ! N'oubliez pas non plus les 124 pages de la revue sur laquelle je reviendrai...

Aux Ronds-Points des Allumés du Jazz : le disque vinyle 18€... La revue 5€ (gratuite avec le disque samedi uniquement, chez les disquaires qui l'auront reçue à temps, merci la Poste !)

mardi 10 juin 2014

Double CD du nouvel ONJ


Après la cure de jouvence du précédent Orchestre National de Jazz effectuée par Daniel Yvinec et la levée de boucliers des habituels intégristes la présentation des dix musiciens passés au crible par le guitariste Olivier Benoit, son nouveau directeur, avait aiguisé notre curiosité. Pour souligner qu'il n'y a cette fois pas que des jeunes on dira que l'ensemble est intergénérationnel. La rythmique d'enfer est assurée par deux anciens, le bassiste Bruno Chevillon qui double aussi à la direction artistique et le batteur Éric Échampard. La jeunesse est toute relative, mais on considérera qu'elle sied au clarinettiste Jean Dousteyssier et au saxophoniste Hugues Mayot, au trompettiste Fabrice Martinez et au trombone Fidel Fourneyron, au claviériste Paul Brousseau et au violoniste Théo Ceccaldi. La pianiste Sophie Agnel et la saxophoniste Alexandra Grimal sont les seules filles, une de plus que la fois passée ; à ce rythme on aura un orchestre intégralement féminin en 2054 !
D'emblée le son d'ensemble est excitant, pêchu et varié. Les ayatollahs en mal de swing à la papa vérifieront évidemment leurs craintes. Olivier Benoit et ses dix camarades font partie de ces affranchis qui se sont débarrassés des étiquettes cloisonnantes pour s'intéresser à toutes les musiques, du moment qu'elles leur excitent les méninges et les agitent physiquement. Le nouvel Orchestre National de Jazz réfléchit l'éventail des musiques contemporaines, du jazz (il y en a aussi) au rock, du minimalisme répétitif aux ircameries les plus digestes, de l'écriture instantanée aux formes préalablement fixées. L'improvisation et la liberté individuelle qui manquaient un peu dans sa précédente mouture refont surface, mais on n'évite pas les mouvements du rock progressif où tous et toutes marchent comme un seul homme et s'arrêtent pile sur la ligne d'arrivée.


À vouloir tout marier, la musique finit néanmoins par faire bouillir une cocotte où les formes les plus diverses fusionnent au détriment des ingrédients séparés. Des choix plus tranchés permettraient de mieux identifier les intentions et les enjeux. Cette cuisine trop riche convient évidemment parfaitement à nos plats nationaux. Autre question, le sujet "capitale", ici Paris et ses merveilleuses architectures est peu identifiable. Les futurs voyages annoncés vers d'autres capitales européennes permettront certainement de préciser les lignes en assumant plus franchement les idées dramatiques et musicales, interrogeant les différentes cultures dont nous sommes pétris. La profusion de timbres ne nous transforme pas pour autant en autistes philatélistes, car l'énergie communicative de cette formidable machine humaine nous transporte. Ce très beau double album (ONJAZZ Records, dist. L'autre distribution) laisse présager des concerts excitants dont les premières auront lieu les 26 et 27 juin au Carreau du Temple à Paris.

mardi 24 décembre 2013

Fin de Party pour l'ONJ d'Yvinec


Samedi dernier l'Orchestre National de Jazz réuni par Daniel Yvinec donnait le dernier concert de son quinquennat à la Ferme du Buisson à Noisiel. Un nouvel ONJ dirigé par Olivier Benoit prendra bientôt le relais. Précédé par trois pièces composées par John Hollenbeck pour Shut Up and Dance, le programme fut particulièrement festif avec des musiciens enjoués sur le thème de The Party, leur nouvel album conçu par Yvinec en collaboration avec le multi-instrumentiste, producteur et arrangeur new-yorkais Michael Leonhart.


Le nouveau répertoire (mais très éphémère au regard du planning) est résolument pop et funky, clin d'œil nostalgique aux années 70 et 80, les synthétiseurs grignotant doucement le terrain pour se fondre à l'orchestre. Le flûtiste Joce Mienniel se partage avec son MS80 analogique, le saxophoniste Matthieu Metzger souffle dans sa vocodeuse SysTalk Box, le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang pianote sur son Roland SH101, la pianiste (bien préparée) Ève Risser s'est offert un clavecin électrique Baldwin et Vincent Lafont perpétue naturellement ses virtuosités claviéristes. Ajoutez un power trio formé de Pierre Perchaud à la guitare, Sylvain Daniel à la basse et Yoann Serra à la batterie, plus le ténor véloce de Rémi Dumoulin et la trompette avec ou sans coulisse de Sylvain Bardiau qui se fendra même d'un chorus humoristique à la seule embouchure, et l'orchestre est au complet ! Sur l'album, Leonhart joue, entre autres, de la trompette, et Yvinec y participe physiquement plus que de coutume, complice de son alter ego américain.


On ne coupera heureusement pas à la musique éponyme de Mancini pour le film The Party, et hormis nombre de pièces originales "à la manière de", on a droit à des versions punchy de Requiem pour un con de Gainsbourg et Colombier, Everybody's Got To Learn Sometime de James Warren, Je m'appelle Géraldine de Jean-Claude Vannier, Once In A Lifetime des Talking Heads, Rainy Day / Strawberry Letter de Shuggie Otis. Samedi, rappel de circonstance en clôture, le solo sur un fil de Hoang au sax alto pour la valse des 400 coups composée par Jean Constantin fut particulièrement émouvant. Et Rémy Kolpa Kopoul de sonoriser l'after comme ça lui chante à son tour, alors que les musiciens de l'orchestre se séparent, en route pour de nouvelles aventures... Daniel Yvinec et son orchestre improbable de jeunes virtuoses aux talents protéiformes auront apporté leur pierre à l'édifice en ouvrant le jazz à l'influence de toutes les autres musiques actuelles, pop, rock, électro, tango, contemporain, et même jazz. Alors peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse !

lundi 30 septembre 2013

Fantasia de l'ONJ à l'IMA

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Caravan(e), rencontre de l'Orchestre National de Jazz et de musiciens traditionnels marocains, me rappelle par son titre à la fois le thème de Juan Tizol et Duke Ellington, un de mes standards favoris, et l'exquis opéra-comique de Henri Rabaud, Mârouf, savetier du Caire ! Le magicien qui a permis de faire apparaître cette caravane sur la scène de l'Institut du Monde Arabe samedi soir doit être aux anges. Après une tournée triomphale à Fès, Rabat, Agadir, Marrakech et Tanger que dix mille spectateurs applaudirent elle atteignit Paris pour une dernière étape. Par petits groupes les musiciens de l'ONJ avaient été envoyés en résidence aux quatre coins du Maroc, libre à eux de s'inspirer comme ils le souhaitaient des rencontres tant avec des musiciens locaux qu'avec le pays, ses paysages ou l'air que l'on y respire. Et tous de se retrouver pour une véritable fantasia où les cuivres remplacent les moukhalas, longs fusils à poudre noire, et où les autres musiciens chevauchent cordes et percussions, entraînant l'audience dans une euphorie communicative qui se terminera dans la salle en joyeuse improvisation.

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Si la proposition de Hoang, Laffont et Perchaud me laissa perplexe, trop jazz et retenue à mon goût, la fusion de l'ONJ avec les musiciens marocains qui suivit m'emporta définitivement, transe des rythmes et chants maghrébins amplifiée par un orchestre puissant et coloré. De la confrérie soufie des Hamadcha de Fès inspirant Daniel et Metzger aux Gnaouas Zouhair Affaifal, Abderrahman El Khammal, Taoufik Chuikh qui galvanisèrent tout l'orchestre à la suite de Bardiau, Dumoulin et Serra, la salle fut emportée à son tour. Avec Risser au piano qui finira en dansant comme un cabri, Mienniel se distingua à la flûte et au ney, le seul des Français à avoir revêtu un costume traditionnel, tunique et sarouel, se livrant corps et âme à la magie d'une musique raffinée tandis que Abdelhakim Gagou dessinait des arabesques sur son oud et que le timide Abdellah Haddou s'amusait comme un fou en soufflant dans sa double trompe. Les images du vidéaste Jérôme Witz projetées derrière les musiciens renvoyaient à l'aventure qui avait réuni tout ce beau monde et distillaient des parfums d'épices que ma mémoire n'a jamais effacés.
Cette fête exubérante anticipait The Party, ultime représentation de l'Orchestre National de Jazz de Daniel Yvinec qui aura lieu le 21 décembre à La Ferme du Buisson à Noisiel puisqu'après six ans il laisse la place au nouvel ONJ dirigé par Olivier Benoit dont la distribution prestigieuse est cette fois encore du meilleur augure.

vendredi 26 octobre 2012

Piazzolla! par l'ONJ : Piazzolla ?


Le nouveau programme de l'ONJ est une réussite. Les arrangements de Gil Goldstein donnent à l'Orchestre National de Jazz une cohésion timbrale envoûtante. Pour cerner cet homogénéité il a privilégié les vents, laissant aux claviers et à la guitare le rôle de soutien, fonction dévolue aux instruments virtuels dans les orchestrations actuelles. Mi refugio met en lumière le quintet formé par le multi-flûtiste Joce Mienniel particulièrement mis en valeur tout au long de la soirée, l'altiste Antonin-Tri Hoang dont les nuances nous ont fait chavirer à la Gaîté Lyrique, le baryton Matthieu Metzger avec un solo de systalk box très fusion, le ténor Rémi Dumoulin et le trompettiste Sylvain Bardiau, tous marchant comme un seul homme bien que le tango se danse à deux. Les uns et les autres doublent sur d'autres instruments, clarinette, clarinette basse, soprano, flûte alto, trombone à pistons, etc. La rythmique du bassiste Sylvain Daniel et du batteur Yoann Serra emportent les harmonies riches et subtiles écrites par Goldstein qui aurait souhaité transposer le son du bandonéon à l'orchestre.
C'est là que le bât blesse. Si nous avons le texte, manque à mon goût le prétexte. Car concert et album s'intitulent Piazzolla!, Astor de son petit nom ayant signé presque toutes les pièces. On assiste au magnifique concert d'un big band de jazz qui a perfectionné sa sonorité d'ensemble depuis quatre ans sous la houlette de Daniel Yvinec, Ma qué c'est (pas) la loumière Tan-go pour citer Bobby Lapointe, car l'on ne retrouve absolument pas l'Argentin, l'un des compositeurs contemporains les plus originaux du XXe siècle. La sexualité du tango et la cravache cinglante font tout autant défaut. Astor Piazzolla joue les lanceurs de couteaux quand l'ONJ joue sur du velours. Goldstein n'aurait-il pu utiliser la puissance du piano d'Ève Risser, le Fender trafiqué de Vincent Lafont et la guitare électrique de Pierre Perchaud pour faire bouger les jambes des danseurs et nous donner le frisson ? Il manque fondamentalement à sa vision l'irrévérence avant-gardiste que la personnalité de Piazzolla sut imposer au monde entier.
L'ensemble nous en fait heureusement entendre de toutes les couleurs, mais la coupe ressemble à celle qu'un Nord-Américain inflige à la culture du Sud, l'édulcorant dans l'espoir de la rendre universelle en négligeant ce qu'elle a de sanguine. Si l'on oublie la référence à Piazzolla dont il ne reste que les notes, c'est un travail somptueux. Après tout, c'est ce qui compte. La soirée fut exquise, avec un orchestre mieux servi par la balance que sur le CD au demeurant très agréable (Jazz Village, dist. Harmonia Mundi).

jeudi 19 avril 2012

Les Allumés, politique et numérique


« Les Allumés du jazz sont le seul journal de jazz à maintenir un point de vue politique sur cette musique », écrivait Francis Marmande dans Le Monde Diplomatique de décembre 2004. Avec l'arrivée du printemps et le regain d'intérêt des Français pour la politique, bien que les grands médias nous serinent douteusement le contraire, faisant scandaleusement l'impasse sur le mouvement de résistance qui grossit de jour en jour, il est agréable de constater que le journal de l'association de 58 labels indépendants de jazz et (le plus souvent) assimilés consacre presque tout son numéro 29 à des musiciens engagés et à des réflexions replaçant la musique dans son contexte social et politique. Passé les témoignages des musiciens grecs Thamos Lost, Dimitra Kontu et Kostas Tzekos, ainsi que du professeur Nicolas Spathis, sur les arnaques dont leur pays fut la cible et qui préfigure ce qui nous attend, on souhaiterait un dossier plus complet sur leur paysage musical, mais le canard de 28 pages est déjà bien rempli. L'éthique titille les producteurs Jean-Louis Wiart et Jacques Oger, le saxophoniste François Corneloup et le disquaire Olivier Gasnier ; l'équipe du journal titille Daniel Yvinec, directeur artistique de l'Orchestre National de Jazz ; la Garde Civile espagnole titille Larry Ochs sur ce qui est jazz ou pas, question que se posent aussi les précédents contributeurs cités ! Suit un gros dossier sur le scandale de la création du Centre National de la Musique (CNM) par un ministre de la culture sur le départ sans concertation avec les intéressés, et pour cause, l'institution servant essentiellement les intérêts des grands groupes industriels. Témoignent encore les musiciens Hélène Labarrière, Sylvain Kassap, Benoît Delbecq, ainsi que Sud Culture Solidaires, Fabien Barontini (directeur du festival Sons d'Hiver) et Jacques Pornon, sans oublier ceux qui préfèrent lutter de l'intérieur au risque de se faire berner méchamment, Philippe Couderc (président de la Fédération des Labels Indépendants) et Françoise Dupas (présidente de la Fédération des Scènes de Jazz). Petite pause de quatre pages avec Le Cours du Temps que j'initiai à l'époque où je partageais la rédaction en chef du journal avec le producteur Jean Rochard aux multiples et amusants pseudonymes, cette fois avec le violoniste Dominique Pifarely qui repasse en détails son parcours musical et ses engagements politiques. Eh oui, ça continue, encore et toujours, puisque le batteur Bruno Tocanne évoque ses rêves et résistances. Même la photo de Guy Le Querrec qui s'étale sur une demi-page en quatrième de couverture est commentée par le batteur Edward Perraud, membre fondateur de Das Kapital, entre autres. Ajoutons les nouveautés discographiques commentés par Jean-Paul Ricard, qui font hélas l'impasse sur les albums numériques gratuits uniquement accessibles sur Internet, et les petits mickeys originaux d'une ribambelle de dessinateurs chevronnés (Ouin, Nathalie Ferlut, Johann de Moor, Jeanne Puchol, Rocco, Percelay, Pic, Efix, Andy Singer, Zou, Sylvie Fontaine, Jazzi, Cattaneo) plus de belles photos noir et blanc, et vous n'aurez pas perdu votre temps (ni votre argent puisque c'est gratuit).
Et tout cela lu sur iPad, allongé sur un divan moelleux, puisqu'on peut le télécharger sur leur site comme tous les précédents numéros, et que j'ai ouvert le fichier PDF directement dans iBooks. Pas d'encre sur les doigts, une définition graphique exceptionnelle, et si les ADJ voulaient faire des économies d'impression et de postage, un moyen de rayonner bien au delà des 18 000 exemplaires régulièrement distribués dans les boîtes aux lettres. Seul inconvénient, on ne peut pas le lire dans le bain sans risquer de bousiller sa tablette numérique.

jeudi 27 octobre 2011

Ève Risser et Antonin-Tri Hoang sur l'escalator vers la colline


Lorsque les lumières se sont éteintes l'harmonium jouait déjà, seul, sans personne sur la scène. Juste un drone grave. Ève Risser et Antonin-Tri Hoang sont entrés très vite pour attaquer lentement le thème du chef d'œuvre de Carla Bley, Escalator Over The Hill. À genoux sur un coussin et assis sur un minuscule tabouret, les deux musiciens affirment de but en blanc le rôle de l'enfance chez les futurs adultes, a fortiori des créateurs. Plus loin, le mange-disques, le piano-jouet ou le pop-corn se mêleront aux instruments de la pianiste et du souffleur. Le carillon de cloches multicolores, qui tourne sur la platine d'un électrophone en plastique, fut le premier instrument offert à Antonin bébé ! Les petites madeleines parsèmeront ainsi tout le set, à commencer par le programme, J.-S. Bach, Györgi Ligeti, Aphex Twin et Carla Bley, quatre compositeurs hétéroclites choisis pour ce duo par Daniel Yvinec, le directeur artistique de l'ONJ dont font partie tous les musiciens de cette seconde soirée DixCover(s) à la Dynamo. Les deux garnements s'en donnent à cœur joie, insufflant humour et émotion à leurs interprétations originales. Le piano préparé de Ève et les slaps d'Antonin décapent les vieilles cires, le clavecin électrique et l'orgue transposent le passé de quelques octaves, le duo à quatre flageolets remet le choral de Noël à sa place, la flûte traversière de l'une et la clarinette basse de l'autre participant à cette kermesse surréaliste où la déconstruction tient lieu d'édifice, où les rôles s'inversent comme on se prête ses déguisements, où le plaisir du jeu gagne les spectateurs qui retombent en enfance tandis que le final explose en un tintamarre d'automates livrés à eux-mêmes, la musique d'aujourd'hui croissant sur les ruines insensées et encensées de l'Histoire de les musiques.
La seconde partie confiée au saxophoniste Matthieu Metzger et au bassiste-claviériste Sylvain Daniel paraîtra quelque peu potache après ce feu d'artifice. Comme leurs camarades avaient proposé leurs propres versions d'Anatomy of a Murder de Duke Ellington ou Dark Side of the Moon de Pink Floyd lors de la première session de DixCover(s), ils transformeront le Sign 'O' the Times de Prince en musique de baloche sans assumer pleinement le potentiel sexuel du héros de Minneapolis. Comme c'est souvent le cas chez nos musiciens, un travail sur la mise en scène des concerts apporterait la classe internationale qui manque la plupart du temps aux artistes français en renforçant la part du rêve, jouissance régressive du public venu la partager.

P.S. : extraits vidéo présentés par Daniel Yvinec sur le site de l'ONJ.

jeudi 2 septembre 2010

Shut Up and Dance


Après avoir embrassé les amis, j'ai pédalé comme un dératé pour grimper la côte de Belleville aux Lilas. À l'avant de mon Brompton reposait le nouvel album de l'Orchestre National de Jazz, double galette composée par le batteur John Hollenbeck, que j'étais trop impatient de glisser dans la platine du salon. Françoise dormait déjà. J'ai ouvert les volets, décellophané l'objet et la bile noire s'est envolée comme un nuage remonte du fond de la vallée pour aller s'évanouir de l'autre côté des cîmes. Chaque pièce est écrite en hommage à l'un des dix musiciens de l'orchestre, dix petits concertos inventifs et variés plus un morceau où tous frappent le sol de tubes en plastique accordés. Shut Up and Dance est le deuxième album de l'ONJ après celui autour de Robert Wyatt. Shut Up, ça vous en bouche un coin, and Dance, parce que l'ambiance est joyeuse, une sacrée marmaille réunie par Daniel Yvinec qui rejoint doucement mais sûrement son projet initial après un an et demi d'activité.


N'ayant pas l'intention de chroniquer le disque si tôt, je pensais faire un billet court pour évoquer la soirée de lancement du catalogue Bee Jazz de la rentrée en me servant du duo d'Ève Risser et Antonin-Tri Hoang comme alibi. J'aurais raconté qu'ils avaient joué King Korn, un morceau écrit en 1962 par Carla Bley pour son mari Paul, avec une fougue juvénile à redonner des couleurs à la meute des journalistes dont il était évident que peu avaient pris de vacances. Antonin soufflait dans son alto en oscillant de gauche à droite et de droite à gauche comme lorsqu'il était bébé et faisait des incantations exotiques avec le même mouvement de balancier vaudou. Ève pense jouer mâle quand elle frappe les touches du piano alors que sa fantaisie féminine est aiguisée comme un couteau de cuisine. Leur duo sentait fort le grand singe courant au milieu des épis, mais ce n'était que le fantasme d'une autre jeune femme avec une frange blonde lui cachant les yeux et qui cette année en avait déjà 72.
Quelques heures plus tard, alors que j'aurais dû aller me coucher vu l'horaire de mon avion ce matin aux aurores, j'écoutais le second disque en comprenant qu'il me faudrait plus d'une écoute pour en faire le tour. Le tremblé Shaking Peace dédié à Ève ou le "videogameplayed" Praya Dance dédié à Joce Mienniel sont probablement mes préférés. Dès que le style est innommable, je retrouve mes petits. La fraîcheur des compositions fonctionne parfaitement avec l'entrain des jeunes musiciens. Composer pour des individus plutôt que pour des pupitres est gratifiant pour tout le monde. L'ensemble me fait penser à une boule à facettes fixé à un nuage un jour où la brise est légère. J'y repenserai en m'endormant.

mercredi 7 octobre 2009

Quand le butinage mène à l'insurrection


Ce que je peux être naïf ! J'ai cru. Ne vous méprenez pas, l'image est trompeuse. Je n'ai pas été victime d'une crise de foi. Mais je suis cuit et archi cuit. Pensant m'endormir sur mes lauriers pour respirer ne serait-ce qu'une journée, j'ai été rattrapé par ma réputation. Le téléphone a sonné alors que je trônais au dessus de mes affaires courantes. Un nouveau pari impossible à relever et me voilà déjà sur les rails. Valéry a seulement dit : "Est-ce qu'on peut passer te voir ?" J'ai répondu que je serai là toute la semaine. Il a alors précisé : "Tout de suite, disons vers 16h ?" Cela me donnait tout juste le temps de me reculotter et de me raser. Et j'ai plongé. Vernissage début novembre, vingt-huit séquences d'une minute maximum, "ambient music" pour un paravent de verre en installation permanente dans une galerie très réverbérante, du cousu main à l'arrache parce que je n'aurai le montage lumière que cinq jours avant la première. Si ce n'était Valéry et Sonia, j'aurais les foies, mais je sais que je serai épaulé. Stop. Je me donne une journée pour butiner deux trois trucs qui s'accumulent sur ma pile. Stop. Cette fois, c'est un mail d'Antoine qui sonne le glas de mes illusions de vacances : trois événements lagomorphes à budgétiser pour un triptyque Paris-Londres-Berlin avant la fin de l'année. Comment résister ? Le film de Pierre-Oscar est repoussé à 2010 et je saurai parfaitement m'organiser avec Nicolas pour la websérie que je n'entamerai pas avant une dizaine de jours... Devant l'ampleur de la tâche, je suis déjà lessivé. C'est idiot. Il suffit que je ne fasse rien aujourd'hui et demain je serai propre comme un sous-homme neuf. Vite fait bien fait je résume la pile que j'ai devant les yeux. Si c'est ce que j'appelle me reposer...
Dieu en personne met définitivement Marc-Antoine Mathieu au rang d'un Francis Masse. Sa nouvelle bande dessinée est drôle, impertinente, critique. Dans un autre registre, l'entretien que Daniel Yvinec a accordé à Stéphane Ollivier dans Jazz Magazine remet les pendules à l'heure quant aux persiflages dont il fut l'objet depuis qu'il a pris la direction de l'Orchestre National de Jazz. C'est toujours agréable de lire des propos intelligents dans la bouche d'un musicien ! Ceux de Robert Wyatt dont il a adapté les chansons et qui lui font suite sont tout aussi enthousiasmants, d'autant qu'ils ne sont qu'un avant-goût du corpus plus consistant à paraître fin octobre sous la plume de Philippe Thieyre aux Éditions des Accords. Plonk & Replonk, les collages humoristiques du suisse provoquent alternativement l'atermoiement et le franc éclat de rire, ce qui me fait le plus grand bien. J'ai écouté enfin d'une oreille distraite le dernier album de M, toujours à la hauteur de nos espérances quant au mariage de la chanson française et du rock. Mister Mystère est doublé d'une mise en clips de la quinzaine de titres tournés et réalisés par l'auteur avec sa sœur Émilie. Auteur de plusieurs des textes de M, Brigitte Fontaine sort également Prohibition qui ravira les inconditionnels, mais frustrera un peu ceux qui la suivent depuis ses premiers pas. Très rock et homogène, l'album a une pêche d'enfer, mais les compositions d'Areski sentent le réchauffé. Les textes sont quant à eux puissants, à la hauteur de nos rêves d'anarchie, faisant parfois penser à Léo Ferré. La voix, un peu essoufflée, donne d'autant plus d'urgence à l'entreprise détonnante. Dans mon for intérieur, j'oscille entre la lecture de 4 groupes sanguins, 4 régimes et la tentation du chrono-régime en me demandant si je ne vais pas composer un mix pondéral des deux, histoire d'être à même de danser bientôt sur ces rythmes endiablés...
J'ai gardé le meilleur pour la fin. L'insurrection qui vient du Comité invisible, attribué un temps à Julien Coupat, est une œuvre fulgurante, un brûlot politique d'une force poétique à laquelle je ne m'attendais pas. Il y a du Rimbaud et du Noir Désir chez ces jeunes qui ont soupé de la société du spectacle. C'est bien écrit, précis, incontournable. Ces Communards des Temps Modernes ont écrit le Manifeste de notre époque. On comprend mieux pourquoi le pouvoir s'est acharné sur celles et ceux qu'il soupçonnait de l'avoir écrit. Ça vous met la tête à l'envers. Leur rage est communicative. S'il est coutume d'écouter souvent les chansons qui nous envoûtent, je n'ai pas fini de le relire.

dimanche 28 juin 2009

Si je t'aime, prends garde à toi !


L'Orchestre National de Jazz sous l'égide de Daniel Yvinec inaugurait vendredi soir sa troisième création à l'Opéra Comique en accompagnant en direct le film muet Carmen de Cecil B. DeMille. La composition, confiée aux dix jeunes musiciens de l'ONJ, charge à chacun d'en écrire un chapitre, est étonnamment homogène, riche en couleurs, pleine de contrastes et d'une fougue propice au drame de Mérimée. Pour une fois, le film projeté au-dessus de l'orchestre n'était pas à la hauteur des inventions musicales dont firent preuve les dix compositeurs-interprètes épaulés par les improvisations électroniques de leur invité Benoît Delbecq. Son intérêt historique, il fut tourné en 1915, ne comble pas les faiblesses des scènes qui ne sont pas d'action. De la même époque, Griffith, Christensen, Pastrone, Rye ou Galeen m'épatent beaucoup plus et j'avoue plus d'une fois avoir déserté le film pour savourer la musique en fermant les yeux. C'est à se demander si une version de concert ou sa publication en disque ne profiteraient pas mieux à cette remarquable partition d'une heure. D'autant que les deux arrêts (numériques) sur image ne mettent pas vraiment en valeur les interventions chantées du guitariste Bernardo Sandoval, second invité de la soirée. On comprend ce qui les a motivées chez Yvinec, besoin de pause dans le continuum orchestral et référence hispanique, mais les images figées, fussent-elles au moment d'un baiser, ne sont pas du meilleur effet scénique et le flamenquiste tombe un peu comme un cheveu sur le gaspacho. La musique mériterait donc une écoute plus focalisée, pour pouvoir apprécier l'apport compositionnel de chacun des membres de l'orchestre. Celui d'Antonin-Tri Hoang structure et articule, par exemple, la scène de bagarre, profitant grandement au film, la fin d'Ève Risser avec guitare Barbie lui redonne une modernité, tout comme les effets joués tout le long en direct par Benoît Delbecq. Les clins d'œil effleurés à Ennio Morricone, la qualité de la section rythmique composée du bassiste Sylvain Daniel et du batteur Yoann Serra nous font voyager parmi les mythes qu'engendre le cinématographe mieux que sur la trame dramatique qui inspira Bizet dont l'œuvre fut créée dans cette même salle Favart le 3 mars 1875.
Espérons maintenant que le champagne servi par le directeur du théâtre, Jérôme Deschamps, à l'issue du ciné-concert ne monte pas à la tête des jeunes musiciens zélés qui l'ont déjà bien grosse. Il est toujours étonnant de constater comment les mauvaises habitudes de certaines professions se perpétuent de génération en génération, et l'excellence des plus récentes ne fait rien pour arranger les choses. J'en veux pour témoignage la manière dont l'orchestre soudé reçut ses deux invités lors des répétitions. Dans toute aventure, il n'est pas que l'art qui permette de durer, mais la façon de le vivre, dans le groupe et face aux autres. Nous avons tout à apprendre de la jeunesse, mais tout autant de nos aînés, et les jeunes musiciens devraient bénéficier au Conservatoire de leçons de maintien qui leur fait souvent cruellement défaut. Il ne suffit pas d'aimer les notes, il faut aussi savoir apprécier ceux qui les émettent, avis de professionnel et d'amateur qui n'engage que moi évidemment, hélas trop souvent !

lundi 25 mai 2009

Chronique pop


Juste quelques mots écrits sous le soleil dominical après une belle soirée à la Maison des Cultures du Monde où l'Orchestre National de Jazz (photo recadrée d'après élément-s) créait son spectacle "Around Robert Wyatt" en deux représentations coup sur coup. Il semble que la première ait servi de tremplin à la seconde comme c'était à prévoir, aussi avais-je préféré tabler sur la séance de 21h30 plutôt que sur la précédente. Au troisième morceau, l'orchestre était sur ses rails, dès que Ève Risser eut décidé de martyriser le piano en lui infligeant de brillants clusters volontaires qui permit à l'ensemble des musiciens de se laisser un peu aller. Le projet qui donne à entendre les chanteurs en play-forward, c'est-à-dire préenregistrés tandis que l'accompagnement se fait en direct, n'est évidemment pas des plus sexys. Le clic du métronome dans une oreille, les arrangements précis de Vincent Artaud et la réduction des choruses au strict minimum ne permettent guère de folies ou de surprises de dernière minute. Heureusement les images d'Éric Vernhes palliaient à l'absence de mise en scène tant le vidéaste qui remplaçait un Carlier parti péter les plombs en Nouvelle Zélande à une semaine de la première sait improviser en triturant le réel par des effets à propos et adaptés à chaque chanson. La critique se vérifiait dès qu'un soliste pouvait tirer la couverture à lui que ce soit l'invité d'honneur Erik Truffaz à la trompette électrique ou Joce Mienniel à la flûte et éructations électroniques diverses. Daniel Yvinec, directeur artistique de l'orchestre, savait bien qu'il était d'abord question de cerner son timbre général, remettant à la prochaine création les excentricités que ses jeunes musiciens ne manqueront pas de développer, à savoir le 26 juin à l'Opéra Comique pour accompagner Carmen, film muet de Jacques Feyder ! Le magnifique duo improvisé entre l'Ève future au piano préparé et Truffaz toutes pédales d'effets activées montrait que le délire est apporté demain dès qu'on laisse le chant libre. Idem pour Sea Song, hélas absent du disque par la cruelle défection d'Alain Bashung, en somptueuse envolée lyrique. Pour le reste, les fantômes de Robert Wyatt, Rokia Traoré, Daniel Darc, Yael Naïm, Arno, Camille et Irene Jacob ne pouvaient nous décevoir si ce n'est dans l'espoir impossible de les voir un jour se matérialiser sur scène. Détail de la distribution, Julien Omé et Jean-Baptiste Réault, respectivement à la guitare et au banjo, et au sax, se tiraient parfaitement de leurs rôles de remplaçants en l'absence de Perchaud et Metzger. Coda : le public était heureux, il faisait chaud, on avait envie de connaître la suite, alors on reviendra.

jeudi 26 mars 2009

L'ONJ s'ébroue "around Robert Wyatt"


Le premier album du nouvel Orchestre National de Jazz, dirigé artistiquement par Daniel Yvinec, sortira le 23 avril chez Bee Jazz. Ce n'est pas un disque de jazz, même si ici ou là certains chorus s'y réfèrent. C'est un recueil de chansons de l'auteur-compositeur-interprète pop anglais Robert Wyatt, autour des morceaux qu'il interpréta comme Shipbuilding, Del Mondo ou Te Recuerdo Amanda, de ceux de ses amis Peter Blegvad et John Greaves, et des siens.
La musique est délicate, avec des accents parfois un peu "trad" et des couleurs inattendues que le polyinstrumentisme des dix musiciens génère avec simplicité. Pas d'éclat, mais une musique tendre, toute en demi-teintes, tons pastels, faisant ressortir la beauté des voix convoquées à cette fête. Les arrangements de Vincent Artaud ont l'immense mérite de ne pas essayer de copier les originaux. C'est certainement l'hommage le plus réussi avec l'album italien The Different You. Comme tous les autres invités, Robert Wyatt a enregistré son chant sur lequel l'orchestre a ensuite joué en direct. Dans un précédent article, j'appelai cette technique le playforward en opposition au playback ! Si Wyatt entonne toujours aussi merveilleusement The Song, Kew Rhone, Vandalusia et Te Recuerdo Amanda, Rokia Traoré, Yaël Naïm et Arno, Daniel Darc, Camille et, à ma grande surprise, la comédienne Irène Jacob, peut-être la plus proche vocalement de la fragilité du maître farfadet, s'approprient élégamment Alifib, Just As You Are, O Caroline, Shipbuilding, Alliance, Del Mondo. Un instrumental d'Ève Risser au piano préparé joue agréablement le rôle d'entr'acte.
Encore un peu retenu, l'orchestre recèle des possibilités énormes que l'on découvrira sur scène le 23 mai pour la première en public. On sait que la seconde création de l'ONJ, Broadway In Satin, a déçu à Banlieues Bleues, insuffisamment préparée. Il faut laisser un peu de temps à l'orchestre pour trouver ses marques, ce qu'il ne manquera pas de faire pour la troisième création de la saison, le film muet Carmen dont la musique d'accompagnement sera confiée aux musiciens de l'orchestre... C'est probablement à cet endroit que réside désormais l'enjeu. Dépassant le statut de pupitres inventifs, les dix jeunes musiciens sauront-ils se saisir de l'outil pour le faire exploser ? Vous le saurez dans le prochain épisode de cette série pleine de suspense...
En attendant, Around Robert Wyatt doit être un disque très secret, car, sans m'en rendre compte ou en oubliant tout le reste, je viens de relancer le disque sur la platine pour la septième fois de la journée... Très agréable !

dimanche 25 janvier 2009

L'ONJ et ses fantômes


Vendredi soir, le nouvel ONJ faisait sa première apparition sous la forme d'une répétition publique du projet Around Robert Wyatt à la Dynamo de Banlieues Bleues à Pantin. Son directeur artistique, Daniel Yvinec, avait pris soin de faire distribuer un petit texte en fixant les termes : "Si certains musiciens vous tournent le dos, ne vous formalisez pas, c'est pour mieux communiquer avec leurs semblables, indirectement vous devriez en bénéficier... Il est possible par ailleurs qu'il soit nécessaire de faire quelques mises au point au cours d'un morceau qui de fait ne sera pas donné dans son intégralité. (...) N'hésitez pas à déambuler dans ce lieu pour trouver un emplacement qui vous convient, à vous promener pour mieux voir ou mieux entendre. Vous pouvez même, si le cœur vous en dit, vous frayer un chemin, entrer dans la forêt des pupitres pour vivre quelques instants au cœur de l'orchestre..." L'enregistrement du disque qui sortira le 23 avril commence d'ailleurs aujourd'hui dimanche. Peu de spectateurs osèrent céder à l'invitation si ce n'est les photographes s'en donnant à cœur joie.
Jazz Magazine m'ayant commandé cinq épisodes sur les préparatifs de ce nouvel ONJ dont le dernier reste à paraître, je rappellerai néanmoins les enjeux de ce premier projet en citant encore Yvinec : "Bien souvent, on enregistre des disques en posant dans un premier temps les bases instrumentales. On y ajoute ensuite la voix. Il m'a toujours semblé étrange de faire entrer le personnage principal à la fin du film. Around Robert Wyatt inverse le processus en utilisant les voix a capella comme point de départ." Étrange impression onirique de voir les dix jeunes musiciens s'exécuter sous les limbes vocales de Wyatt, Daniel Darc, Yaël Naïm ou Rokia Traore. De tous ces bienveillants fantômes ne manquaient que Camille et Irène Jacob parmi les invités annoncés. On se plaît à rêver à ce qu'en ferait un Bashung... Les arrangements de Vincent Artaud (sur la photo à droite d'Yvinec, avec le guitariste Pierre Perchaud) offrent l'avantage d'ignorer les originaux en ne se référant qu'aux voix, proposant des chansons une interprétation qui évite soigneusement le clonage forcément décevant.


Jazz, tout en restant fidèle à la couleur "classique" européenne de l'arrangeur et en lorgnant vers une pop où tel crescendo me fait irrésistiblement penser à la fin de A Day In The Life, l'École de Canterbury sachant parfaitement ce qu'elle doit aux quatre gars de Liverpool, la musique joue des effets d'ensemble plus que de chorus inutiles tant la voix est le soliste de ces évocations. À la pâte des cuivres s'ajoutent parfois les timbres étranges de Joce Mienniel transformant sa voix dans le logiciel Usine ou de la pianiste Ève Risser penchée sur les cordes de son instrument lorsque l'une et l'autre n'assurent pas leurs parties de flûtes. Sur la photo, on découvrira Sylvain Daniel au cor d'harmonie, Antonin Tri Hoang, Rémi Dumoulin et Matthieu Metzger aux anches, Guillaume Poncelet à la trompette. Le claviériste Vincent Lafont a finalement rejoint la petite bande en remplacement de Paul Brousseau tandis que la batteur Yoann Serra dirige ce passage rythmique.
Écouter ainsi les chansons de Robert Wyatt ou celles de ses amis John Greaves et Elvis Costello produit une impression de voyage, un déplacement étrange que les voix désincarnées mais extrêmement présentes renforcent en émotion. Connaître véritablement de quel bois se chauffera l'ONJ exige d'entendre l'ensemble des trois projets 2009. De quelle liberté jouiront sur scène les interprètes ici plus musiciens de pupitres que personnalités engagées ? Les arrangements très écrits d'Alban Darche pour le second programme en hommage à Billie Holiday, Broadway in Satin, créé le 7 mars à Saint-Ouen, leur laisseront-ils une plus grande d'initiative ? Faudra-t-il attendre le film muet Carmen à l'Opéra Comique dont les musiciens écriront eux-mêmes la partition sous les traitements électro-acoustiques du pianiste Benoît Delbecq pour découvrir toutes les ressources de ces jeunes gens pour la plupart encore inconnus du public ? Vous le saurez lors du énième épisode de cette excitante aventure !

mercredi 22 octobre 2008

Pré-ONJ


Hier soir à La Balance avait lieu la soirée de présentation du nouvel Orchestre National de Jazz dont la direction artistique a été confiée à Daniel Yvinec. J'y allais sans penser au troisième épisode que je dois rédiger pour Jazz Magazine d'ici la fin du mois, puisque Franck Bergerot, son rédacteur en chef, avait envoyé un jeune journaliste et un photographe pour couvrir l'évènement en marge de mes chroniques. Yvinec avait demandé à ses musiciens de présenter de courtes pièces, souvent improvisées, en petites formations, histoire d'apprendre à se connaître, puisque certains ne s'étaient encore jamais rencontrés. Ce n'était donc pas un ONJ, mais les prémisses de quelque chose dont personne n'a encore l'idée, pas même ses protagonistes. Dire que le spectacle fut prometteur serait insultant tant l'alliage fut somptueux et les alliances merveilleuses par la variété et la richesse des émotions prodiguées. Ce fut un des plus agréables moments de musique que j'ai passé depuis longtemps. En face de chaque séquence, j'ai griffonné un mot dans l'obscurité écarlate de la salle qui se prêtait parfaitement à la musique de chambre.
Ève Risser (relève la tête ou je n'arriverai jamais à te prendre en photo !) ouvre le bal au piano et au synthétiseur : invention.
Antonin Tri Hoang la rejoint au sax alto : frénésie.
Ça commence bien, puisque c'est grâce à ces deux-là que je me suis intéressé au projet d'Yvinec...
Guillaume Poncelet à la trompette et au piano joue avec le guitariste Pierre Perchaud : tendresse.
À peine remis d'un accident de scooter il y a trois jours, Paul Brousseau pose sa béquille pour rejoindre claviers et batterie face au saxophoniste Matthieu Metzger : liberté.
Absent, Joce Mienniel a enregistré une vidéo projetée sur le mur, passant de la flûte aux effets vocaux didgeridesques, à la guimbarde avec retour à la flûte basse tandis que Yoann Serra l'accompagne en différé sur ses fûts : démesure.
Le batteur est rejoint par le bassiste Sylvain Daniel et le guitariste Pierre Perchaud, puis par Rémi Dumoulin au soprano : j'allais écrire funky, j'opte pour puissance.
Surprise en forme de coda, la chanteuse Karen Lanaud est accompagnée par Sylvain Daniel et Antonin Tri Hoang : sensualité.
Si l'ONJ arrive à préserver ces états de grâce où souffle un vent de jeunesse salutaire, l'addition risque d'être joyeuse !

samedi 16 août 2008

L'ONJ en couleurs


Après l'introduction et la présentation des musiciens, voici la dernière partie de l'entretien avec Daniel Yvinec, nouveau directeur artistique de l'Orchestre National de Jazz.

JJB : Tu m’as dit qui, mais quoi ?

Daniel Yvinec : Je ne pensais pas que j’aurais le profil pour l’ONJ. Alors j’ai proposé quelque chose qui me ressemble. Le premier truc qui m’est venu à l’esprit, c’est AROUND ROBERT WYATT. Je t’avais déjà demandé ses coordonnées pour le disque où je chante et que j’ai fait à New York en duo avec Michael Leonhart. On a flashé l’un sur l’autre, Michael et moi. S’il vivait à côté, on n’arrêterait pas de bosser ensemble. Je lui ai proposé d’enregistrer sans rien préparer avant, de s’enfermer trois semaines dans un studio et de tout écrire ensemble, paroles, musique, en jouant de tous les instruments. On a fait une partie de batterie à deux, l’un avec grosse caisse, caisse claire et l’autre charleston et cymbales… Le processus créatif n’est pas différent d’un disque de jazz. Ce sont les mêmes muscles de la tronche qui fonctionnent. Ce sont des chansons et Donald Fagen chante sur trois titres. J’avais appelé Wyatt pour l’une d’entre elles. Il a été charmant, mais cela ne s’est pas fait, je ne me souviens plus vraiment pour quelle raison, ce n'était pas vital pour cet album, juste un plaisir de plus. Lorsque l’ONJ s’est pointé, je suis revenu vers ce mec que j’adore depuis que je suis môme. Il sait faire des choses extrêmement fines avec peu de matière. J’ai fini par l’appeler, comprenant que je ne pouvais pas lui en demander trop. Alors je lui ai demandé de choisir quelques chansons et de les chanter. Il y aura ses compositions, les reprises qu’il a fréquentées et les standards qu’il a chantés. Je vais enregistrer a capella (comme je l'ai fait pour Wyatt) les voix d’autres chanteurs que j'aime ou que je verrais bien dans cette aventure et, après, on écrira des arrangements autour avec Vincent Artaud. Les répétitions commencent début janvier 2009 pour un album enregistré à la fin du mois. Sur scène, les voix seront diffusées comme j’avais fait avec Wonderful World, et il y aura les images projetées d’Antoine Carlier. Ce sera une sorte d’opéra virtuel avec des voix fantômes.
Le second projet, BROADWAY IN SATIN, gravite autour des chansons de Billie Holiday et cette fois avec deux chanteurs sur scène, Karen Lanaud, dont je vais réaliser le premier disque à New York, et un chanteur de blues assez connu en Angleterre, Ian Siegal, mélange de Tom Waits et Joe Strummer, qui a chanté Moon River sur un disque que j’ai produit récemment. Les arrangements seront confiés à Alban Darche. Selon les situations, les lieux où nous jouerons, il y aura d’autres invités. J'aime que les choses restent ouvertes de ce point de vue, cela maintient l'intérêt de chacun… Et saine pression… De faire du nouveau.
Lorsque j’ai fait mon enquête, j’ai rencontré énormément de gens, des administrateurs de structures classiques, des entrepreneurs du privé, des agences de communication, des pédagogues, des directeurs de festivals et de salles et, entre autres, les gens de l'Opéra Comique qui m'ont commandé l’accompagnement de CARMEN, le film muet de Cecil B.DeMille (1915), avec une partition originale composée par un membre de l’orchestre avec le duo Ambitronix (Benoît Delbecq et Steve Argüelles) en invités libres, et le chanteur Bernardo Sandoval. Pour l’avenir il y a un projet avec Carolyn Carlson, un autre autour de Pink Floyd… Le pouvoir ne m’excite pas, ce n'est pas ce qui me fait courir, cette nouvelle fonction me l'a confirmé. Je suis heureux d’avoir des moyens. Il est peut-être possible d’intéresser les gens au jazz, tous ceux qui sont sur le pas de la porte… Sans les bousculer, mais en initiant le public au jazz… C’est bizarre qu’une musique qui sert à vendre des bagnoles et des parfums soit aussi moribonde. La vocation de l’ONJ, c’est peut-être aussi d’entrouvrir la porte de la cuisine. Maintenant il va falloir réfléchir aux bons interlocuteurs et avec qui s’associer…

vendredi 15 août 2008

L’ONJ, une pépinière explosive


Comme promis la semaine dernière, voici la première partie d'un long entretien avec le nouveau directeur artistique de l'Orchestre National de Jazz, Daniel Yvinec. La seconde partie abordera le répertoire de l'ensemble pour 2009.

Entretien avec DANIEL YVINEC

Jean-Jacques Birgé : J’ai choisi de te rencontrer, lorsque j’ai compris que tu n’avais pas essayé d’agrandir ton groupe, mais que tu proposais quelque chose de radicalement nouveau pour l’Orchestre National de Jazz.

Daniel Yvinec : J’en avais le potentiel, puisque je venais de monter un projet où l’on était sept, il suffisait d’ajouter trois musiciens. Je n’ai jamais eu de big band, je ne suis pas un arrangeur patenté. Là, j’ai une fonction de directeur artistique, chapeautant des projets, passant des commandes à d’autres compositeurs, écrivant moi-même de temps en temps, sans que cela soit mon activité principale… Alors pourquoi ne pas monter un truc de toutes pièces avec des gens que je ne connais pas ? J’ai mené une enquête sur plein de jeunes musiciens, en les repérant sur Internet, ensuite dans des clubs, je suis allé écouter tous les Prix du CNSM de cette année dont j’ai contacté tous les profs. Ils m’ont parlé parfois de manières très différentes de leurs élèves. J’ai pris contact aussi avec le réseau de la FNEJMA à qui j’ai tendu la perche pour qu’ils me suggèrent des musiciens. J'ai entendu chaque musicien dans un contexte de son choix, et j'ai fait, parmi les "accompagnateurs", d'autres rencontres.

JJB : Comme d’habitude tu as fait le curieux !

DY : Exactement, comme lorsque j’écris sur la musique ou que j’essaie de faire découvrir des trucs aux gens. J’ai souvent monté des projets, même discographiques, en mettant ensemble des musiciens qui ne se connaissaient pas. C’est souvent casse-gueule, mais c’est ça qui m’intéresse, avec aussi un certain sens du casting. Alors ensuite j’ai fait passer des auditions, de façon un peu non officielle sinon c’aurait été trop compliqué à gérer, entendant plus de 150 musiciens. J’y ai passé un bon mois et j’ai choisi des gens qui avaient des profils un peu singuliers. Essentiellement des polyinstrumentistes pour avoir à disposition une grande palette de couleurs. Ce sont rarement des gens de pupitre, même s’ils savent le faire et que je respecte ce genre de parcours.

JJB : Lorsque j’ai appris que tu avais engagé Antonin Tri Hoang, qui n’a que 19 ans et que je connais depuis qu’il est né, et Ève Risser qui est un remarquable mouton noir avec qui j’ai eu le plaisir de jouer cette année, je me suis demandé si tous tes musiciens étaient aussi atypiques et aussi jeunes. Comme c’est une façon de leur mettre le pied à l’étrier, j’ai eu envie de te demander qui ils étaient et pourquoi tu avais choisi chacune et chacun d’eux.

DY : On va commencer par les filles. Il n’y en a qu’une d’ailleurs. J’avais entendu parler d’ÈVE RISSER (piano préparé / flûtes en sol, alto et basse / électrophone / instruments jouets) par plusieurs personnes et de son fameux Prix où elle avait venir des chanteurs. Elle est venue le soir après l’avoir fêté, avec ses brosses, ses moteurs, ses aimants… Ève avait préféré venir seule plutôt qu’avec d’autres musiciens comme je lui avais proposé. Après quatre notes au piano préparé, Mohamed Gastli qui est le coordinateur artistique du projet et moi, on s’est regardés et on a su que c’était ce qu’il nous fallait. Elle a un Prix de flûte et un Prix de piano, ce qui peut être pratique pour jouer différents compositeurs. Je cherchais à la fois des gens compétents et des trublions. Je n’ai pas non plus besoin d’avoir dix musiciens qui aient une connaissance parfaite des standards de jazz. Toute son instrumentation m’intéresse et elle a un univers poétique hyper fort, un sens du son…
ANTONIN TRI HOANG (saxophone alto, clarinette, clarinette basse / piano) est le dernier que j’ai choisi. J’ai hésité très longtemps entre un dernier soufflant ou un mec qui jouait des synthés. Cela prouve que mon casting était plus sur les personnes que sur l’instrumentation. Par exemple, il n’y a pas de trombone. Ce n’était pas indispensable, sauf si j’avais trouvé un tromboniste qui joue d’autre chose… Et puis rien ne m'empêche de faire appel à d'autres instruments pour un projet qui en aurait besoin, ce noyau dur de dix musiciens est extensible. J’avais entendu Antonin plusieurs fois, il était venu faire une audition avec un très bon contrebassiste, Simon Tailleu. J’ai tout de suite été extrêmement touché par sa musicalité. Je l’avais entendu dans un Prix au CNSM où il a fait un solo très court, absolument somptueux de poésie… Pour son audition il a joué deux standards, complètement détaché des conditions, sans même me demander pourquoi c’était. Il est très jeune, il a encore beaucoup de chemin à faire pour s’épanouir, mais je me suis dit que c’était vraiment un grand mec. Chaque fois que je lui parlais de quelqu’un il connaissait, Robert Wyatt, Benoît Delbecq, Lee Konitz, il adore, il est très ouvert, il est fan de ce que fait Ève… Il a engrangé toute la culture jazz avec beaucoup de sérieux, et en même temps il commence à tirer dans les coins, très poétique et organique…
J’étais allé regarder les gars qui avaient joué dans Le sens de la marche, un projet super intéressant de Marc Ducret, où il y avait Paul Brousseau et MATTHIEU METZGER (saxophones alto, soprano, ténor / traitement électro-acoustique / programmation électronique). Plein de gens m’avaient parlé de lui aussi. Ils sont venus ensemble, Paul pour l’accompagner. PAUL BROUSSEAU (clavier / guitare / percussions / basse & basse électronique / batterie / effets électroniques) est le plus polyinstrumentiste de tous. Autodidacte, il s’était fait connaître avec Voices Project, un travail d’harmonisation de voix parlées, de répondeurs téléphoniques, de météo marine, comme l’avaient fait des gens de musique contemporaine ou Hermeto Pascoal, il a joué dans le Napoli de Sclavis. Il est le plus aguerri, mais finalement assez méconnu. Je ne lui avais pas proposé, pensant qu’il était trop pris, mais il m’a envoyé un mail et s'est spontanément manifesté… Quant à Matthieu, en plus de ses instruments, il crée des logiciels de traitement musicaux en temps réel depuis qu’il 12 ans ! Il est ingénieur du son, mais souvent avec des solutions rocambolesques. À l’audition, il a joué Summertime, simultanément à l’alto et au soprano. Je peux détester cela quand c’est plus de la pose que de la musique, mais il harmonisait à l’alto ce qu’il faisait au soprano et c’était magnifique. Après ils ont joué en duo et c’était époustouflant, j’aurais pu enregistrer un disque ! C’est bien qu’il y ait des musiciens qui aient déjà des points de repères comme ce binôme, des gens qui s’admirent les uns les autres…
J’avais entendu RÉMI DUMOULIN (saxophones soprano, alto et baryton / clarinette & clarinette basse) avec Ricardo Del Fra. Non seulement il joue magnifiquement du soprano, mais il a le sens du groupe. Je voulais des fortes personnalités, mais qui aient aussi envie de fabriquer de la musique en groupe. Je ne cherchais pas des saxophone heroes. Ils se seraient ennuyés.

JJB : Tu cherchais à monter un orchestre comme on constitue un quatuor à cordes. Un quatuor, ce n’est pas quatre musiciens, c’est un quatuor.

DY : Exactement ! Lorsque je fais des master classes, je leur dis : « quand vous allez écouter un quatuor ou Radiohead, vous ne sortez pas en disant que le bassiste joue monstrueux ou que le deuxième violon est incroyable ; si vous dites cela, c’est qu’il y a un problème et que le quatuor ne fonctionne pas. » Il y a aussi JOCELYN MIENNEL (flûtes en sol, alto et basse / saxophones soprano, alto, soprano, ténor et baryton / clavier / traitements électroniques) qui a été DJ, il a une culture rock et pop, c’est un ambianceur, il est capable de fabriquer de la matière pour mettre en valeur les autres. Ça a été oui tout de suite.
On m’avait aussi beaucoup parlé de GUILLAUME PONCELET (trompette / piano et Rhodes / synthétiseur, effets électroniques) qui a participé à Such, une boîte qui fait de l’electro-jazz, accompagnant Michel Jonasz au piano alors qu’il est trompettiste, il a joué dans NoJazz. À l’audition, il a joué You Don’t Know What Love Is seul à la trompette, sans esbroufe. Ensuite il a improvisé au piano un truc éthéré magnifique genre Debussy, alors qu’il est connu pour son groove. Un musicien incroyable. Comme Antonin, sans tenter de me séduire…

JJB : Tu as cette sensibilité peut-être parce que tu es bassiste…

DY : Si je suis producteur et réalisateur, c’est probablement aussi parce que je suis bassiste. Tu distribues les ballons, mais personne ne s’en rend vraiment compte. Tu sais que si tu joues telle note un peu moins fort, cela va générer autre chose, si tu économises ton discours, si tu t’arrêtes… Le rôle de pivot est super jouissif. C’est ce que j’ai envie de faire au sein de l’orchestre.
Je me suis rendu compte que l’on était dans un pays avec une pépinière de musiciens extraordinaire, de gens dont personne ne parle, pour le moment en tous cas, des gens déjà engagés dans des projets personnels hyperpointus, parce qu'ils ont mille idées mais aussi sans doute parce que le téléphone ne sonne pas. Quand j’avais leur âge, j’ai fait le « sideman » parce qu’on m’appelait. J’avais besoin de me prouver que je pouvais tout jouer, de la musique africaine, du funk, du bop. Lorsque je vivais à New York, je pouvais vivre ça sans que personne ne me regarde de travers.
J’avais joué deux fois avec le batteur YOANN SERRA qui joue tout extrêmement bien. La question de la couleur est peu abordée pour la batterie. Yoann a un très beau son et il sait driver un orchestre. J’ai vu un DVD qui a achevé de me convaincre, il y joue une réduction en nonette du Sacre du Printemps arrangé par le vibraphoniste Benoît Alziary. On y a l’impression que rien n’est écrit. Pour la basse, j’hésite encore entre trois…
J’avais aussi joué avec PIERRE PERCHAUD (guitares acoustique et électrique / banjo / dobro). Je cherchais un guitariste qui ne s’inspire pas seulement d’autres guitaristes, capable de s’évader de l’instrument. Pierre est assez jeune, c’est une éponge. Il vient du classique, il joue aussi bien de l’acoustique que de l’électrique. Il serait capable de relever un solo d’Ornette Coleman ou de retrouver le son dans dix disques de Tom Waits et Elvis Costello avec Marc Ribot, pas pour faire la même chose, mais pour voir quelles sont les options. Si je lui demande d’apporter une guitare pourrie, il ne va pas m’envoyer promener.
Voilà ça fait dix. Moi, j’ai besoin d’avoir une distance. Si je veux réussir cette mission de directeur artistique, il ne faut pas que j’ai en permanence une basse entre les mains, je jouerai lors de certains concerts, pour certains des projets, mais je ne veux pas y être obligé, j'aurai trop à faire... Et puis, cela permettra de continuer à aller jouer en France ou à l’étranger quand l’orchestre volera de ses propres ailes. Ce ne sera pas un orchestre polyvalent. En revanche, on pourrait intéresser des artistes et des compositeurs différents…

vendredi 8 août 2008

L'ONJ, une nouvelle jeunesse


L'engagement du jeune Antonin Tri Hoang, 19 ans, encore au CNSM, et de l'empêcheuse de tourner en rond Ève Risser, qui vient d'obtenir brillamment son prix, m'a mis la puce à l'oreille. Le contrebassiste-arrangeur Daniel Yvinec, qui prendra la direction artistique de l'Orchestre National de Jazz à partir de septembre, révolutionne-t-il l'institution en formant un orchestre de jeunes musiciens plutôt qu'en réunissant ses potes ou des pointures éprouvées du monde du jazz comme le firent ses prédécesseurs ? Ni une ni deux, je lui propose une rencontre avant mon départ de La Ciotat puisqu'il partage son temps entre Paris et Toulon.
Je connaissais Daniel pour la variété de ses œuvres et son intérêt pour toutes les musiques sans exception, un boulimique passionné, blogueur et chroniqueur dans les mêmes canards où j'opère moi-même de temps en temps, Jazz magazine et Muziq. Je ne suis pas déçu, la curiosité et la générosité de celui qui se fait aussi appeler Yvinek lorsqu'il s'électrifie guident ses choix, tant pour la constitution et l'organisation de l'ensemble de dix musiciens que pour le répertoire à créer. De mèche avec Mohamed Gastli qui assure la coordination artistique, Daniel fait passer cent cinquante auditions, plus ou moins informelles, il arpente les conservatoires, lance des sondes téléphoniques, apprend comment fonctionne la machine ONJ, et accouche d'une distribution étonnante, puisqu'elle réunit essentiellement de jeunes musiciens pour la plupart encore inconnus, des personnalités fortes, poly-instrumentistes de préférence, curieuses de toutes les musiques, aptes à travailler collectivement, des gentils comme j'aime les appeler. L'orchestre n'a rien d'un big band ou d'un ensemble équilibré dans les normes de la convention, pas de tromboniste (parce qu'aucun n'était assez poly-instrumentiste), pas de vibraphoniste, mais pas mal de jeunes gens doués pour les instruments électroniques et l'informatique.
En marge de l'entretien de deux heures que je dois encore décrypter, je vous livre donc d'abord la composition de ce tentet qui met l'eau à la bouche.

Ève Risser piano préparé / flûtes en sol, alto et basse / électrophone / instruments jouets
Paul Brousseau clavier / guitare / percussions / basse & basse électronique / batterie / effets électroniques
Pierre Perchaud guitares acoustique et électrique / banjo / dobro
Jocelyn Miennel flûtes en sol, alto et basse / saxophones soprano, alto, soprano, ténor et baryton / clavier / traitements électroniques
Rémi Dumoulin saxophones soprano, alto et baryton / clarinette & clarinette basse
Matthieu Metzger saxophones alto, soprano, ténor / traitement électro-acoustique / programmation éléctronique
Antonin Tri Hoang saxophone alto, clarinette, clarinette basse / piano
Guillaume Poncelet trompette / piano et Rhodes / synthétiseur, effets électroniques
Yoann Serra batterie
et un bassiste dont le nom n'est pas encore définitif au moment où je tape ces lignes, d'autant que Daniel ne jouera pas dans l'orchestre, préférant garder le recul sur la musique en jouant à fond son rôle de directeur artistique.

Dès les premières présentations publiques, les musiciens auront le loisir de présenter des petites formes pour apprendre à se connaître et à se faire connaître. La programmation 2009 sera constituée de trois projets :
Around Robert Wyatt, où l'icône pop (ou unpop, comme il préfère lui-même se présenter) aura enregistré sa voix au préalable, l'orchestre l'accompagnant en direct avec des vidéos réalisées par Antoine Carlier.
Broadway in Satin, autour des chansons de Billie Holiday et cette fois avec des chanteurs sur scène.
Carmen, le film muet de Cecil B.DeMille (1915), sera présenté à l'Opéra Comique avec une partition originale et le duo Ambitronix (Benoît Delbecq et Steve Argüelles) en invités libres.
Voilà, c'est un petit aperçu du prochain ONJ, mais je vous retrouve, ici ou ailleurs, dès que j'aurai retranscrit l'entretien avec son nouveau chef, un musicien épris d'aventures, qui ne craint pas de prendre des risques pour imaginer de nouvelles couleurs orchestrales, timbres inouïs qui devront coller chaque fois au projet rêvé. Ce défi de faire voler les enclumes me fait trépigner d'impatience !

samedi 3 mars 2007

Les desseins du n°18


Le n°18 est sorti des presses de Rotographie. Il sera bientôt dans votre boîte à lettres si vous avez pris soin de vous abonner (c'est gratuit !). J'en ai déposé 300 hier soir au Triton en revenant de l'imprimerie. L'encre était encore fraîche. Daniel Cacouault a dessiné la une en jouant avec la matière du journal. Le sommaire est alléchant. C'est la troisième fois que le Journal des Allumés est illustré essentiellement par des dessinateurs dont les ?uvres au trait se prêtent probablement mieux au support que la photographie. Cela n'empêche que les images de Guy Le Querrec ont un sacré impact. En quatrième de couverture, D' de Kabal commente sa photo de boxeurs à "Beyrouth, 1er régiment de hussards parachutistes, camp du Bois des Pins, novembre 1983". Celles de Daunik Lazro illustrent son Cours du Temps under control et Daniel Yvinec ressemble à Jeremy Irons. Johan de Moor évoque la pendaison de Saddam, Ouin caricature parfaitement les positions de Jacques Attali, la nouvelle tête de turc de Jean Rochard, sur le téléchargement et l'avenir du disque.
Excepté Bernard Coutaz, patron d'Harmonia Mundi, et hormis le passionnant témoignage de Lionel Guénais, disquaire de La Folie du Mélomane à Apt, seuls les journalistes Philippe Carles, Frédéric Goaty, Franck Mallet, Francis Marmande et Stéphane Ollivier ont répondu à la Question "quel est le meilleur support (le meilleur vecteur médiatique) pour diffuser ce que vous aimez ?" Philosophes, musiciens, cinéastes, institutionnels se sont défilés. Robert Wyatt m'appelle pour s'excuser de n'avoir pas le temps d'y répondre, il est en studio à Londres pour un nouvel album à sortir à l'automne. Comme je lui ai écrit il y a trois semaines, il s'excuse du délai et m'explique qu'il a toujours un métro de retard, comme lorsqu'il est entré au Parti Communiste alors que tout le monde en sortait ! Je suis toujours ému d'entendre sa voix ; cette fois la conversation aura lieu en anglais, mais il parle parfaitement français. C'est toujours troublant comme ce sont souvent les personnalités les plus célèbres qui sont les plus corrects. Les troisièmes couteaux ignorent nos courriers et nos appels. Robert me raconte ses journées, il rêve d'ajouter la contrebassiste Hélène Labarrière à son orchestre de rêve, son fantasy band. Avec Alfie, il est en train de reprendre son indépendance par raport à sa maison de production rachetée par une major. Il aurait bien répondu que la musique qu'il préfère est celle qui n'a pas été enregistrée et qu'il n'entendra jamais, comme Buddy Bolden, le père du jazz, qui aurait influencé Armstrong et dont le son se rapprocherait de celui de Miles Davis. Un autre rêve, une illusion !
Cattaneo dessine un Don Quichotte qui vole au milieu des grands ensembles, Sylvie Fontaine laisse Voltaire cultiver son jardin pour les articles de Cueco et Wiart : les Spéculations immobilières de l'un répondent à l'Héritage, modes d'emploi de l'autre. Valérie a grossi le corps des polices du catalogue pour le rendre plus lisible. Il double la version en ligne sur le site des Allumés. Efix avait livré une fausse pochette de disque des Damnettes qui tombe très bien avec le texte imprécateur du Grand Jauron remis par Rigolus, en exclusivité avant création scénique. La double page de Chantal Montellier et Jiair revient sur un thème du Liberation Music Orchestra emprunté maladroitement au criminel stalinien Enrique Lister par Charlie Haden. Au casting de la BD figurent le Che, Victor Jara, Brecht, Eisler, Staline, les musiciens sous leur banderole et un journaliste que certains reconnaîtront peut-être. La carte blanche au label D'autres Cordes respire, il y a un peu de blanc en haut de la page comme sur leurs pochettes en papier recyclé pliées à la main. Ma chronique DVD et celle de Pablo sur le polar sont illustrées des couvertures des ouvrages. Le désert rouge, Sur mes lèvres, L'iceberg, Tourneur, 7 chants de la Toundra ; Pars vite et reviens tard, Le sens de l'aranaque, Fausse piste, La 7e femme. "22 vl'là les CD !" chapeaute les nouveautés dans leur nouvelle présentation.
Lorque le prochain Journal paraîtra, la France aura un nouveau Président ou une. Dans le n°19 évoquera-t-on le rôle de la presse musicale ? Les majors auront peut-être conclu un accord avec la Fnac avant que Pinault ne la vende. Les producteurs des Allumés auront-ils compris l'importance d'échanger leurs points de vue sur le blog ? De nouveaux systèmes de distribution auront-ils été envisagés ? Qui sera encore vivant ? Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Journal des Allumés du Jazz...

dimanche 25 février 2007

Le n°18 est bouclé


C'est dimanche, y pas école ! Après le massage chinois de vendredi soir et la journée de bouclage hier au Mans, je suis sur les genoux. Je recopie paresseusement le billet mis en ligne sur le blog des Allumés du Jazz. Au menu du n°18 du Journal :
Penser la musique aujourd'hui avec Daniel Yvinec, le Cours du Temps avec Daunik Lazro, des questions Flash à Edward Perraud et Les Rigolettes, un texte de Sylvain Torikian, une carte blanche au label D'autres Cordes, GLQ par D' de Kabal, et les habitués, Jean-Louis Wiart (Pierre qui roule), l'Inspecteur Paul (Au coin du polar), Pablo Cueco (Paris brûle-t-il), Jean Rochard (Le jour) et votre serviteur (Sur l'écran noir de vos nuits blanches, Sur le site et La question avec la participation de Bernard Coutaz, Frédéric Goaty, Franck Mallet, Francis Marmande et Stéphane Ollivier). Enfin une ribambelle de nouveautés qu'on retrouvera sur le site marchand des Allumés.
Je vous laisse saliver sur la liste des illustrateurs : Daniel Cacouault (la une avec James Brown), Stéphane Cattaneo, Efix, Sylvie Fontaine, Johan de Moor, Ouin, Zou, Chantal Montellier (la suite de BD sur un scénario de Jiair) et les éternelles photographies de Guy Le Querrec.
Christelle Raffaelli a la gentillesse de venir corriger le canard à chaque bouclage tandis que Valérie Crinière s'occupe de presque tout aux Allumés, et même plus, Cécile ayant déserté son poste de comptable pour aller voir l'expert en Avignon. Val, aux commandes du Mac pour réaliser la maquette du nouveau numéro, subit toutes les (dé)pressions de dernière minute... Je prends la photo rituelle à bout de bras comme pour chaque bouclage : bouton "recherche" sur le blog ;-)

jeudi 19 janvier 2006

Les actualités

Album double en vente exclusivement aux Allumés du Jazz.
34 inédits de 30 labels pour seulement 18 euros,
avec un livret en couleurs de 40 pages 24x20cm.
ORIGINAL - LUXUEUX - PAS CHER

Commandez le double-album LES ACTUALITÉS, 34 inédits produits à l'occasion du Xe anniversaire des Allumés du Jazz ! Véritable objet qu'on adorera tenir entre ses doigts pour le faire tourner sur lui-même, les pages du livret abritent 2 CD de 130 minutes...

Marthe Vassallo et Lydia Domancich, Un Drame Musical Instantané avec Baco, Rude Aquaplaning, Stéphane Rives, Didier Petit, Murat Öztürk, Jean-Philippe Morel, Trio Jean Morières, Magic Malik Orchestra avec Sub-Z, Le Trio d'arrosage, Les Âmes Nées Zique, Sylvain Kassap, Jef Lee Johnson et Hamid El Kasri, Alima Hamel, Laurent Rochelle et Loïc Schild, Happy House, Groupe Emil, Grillo-Labarrière-Petit-Wodraska, Pierre-Alain Goualch et Franck Agulhon, Ensemble Text'Up, Guillaume de Chassy et Daniel Yvinec, Pablo Cueco et Mirtha Pozzi, Vincent Courtois, Collectif Terra Incognita, Étienne Brunet, Donald Brown, Briegel Bros Band, Hélène Breschand et Franck Vigroux, René Bottlang, Rémi Charmasson et Eric Longsworth, Raymond Boni et Claude Tchamitchian, Bertrand Auger et Francis Demange, Serge Adam...

Je reproduis ici l'édito du n°14 du Journal des Allumés qui est entièrement consacré aux Actualités :

French Touch ou le Grand Mix ?

Cette collection de 34 inédits suscite en moi une étonnante impression d?ensemble. Mon ami Bernard Vitet me souffle que tous les morceaux semblent appartenir au même projet artistique. Question de montage ? À moins qu'une French Touch ne se dégage des ACTUALITÉS, de façon imprévue ! Pourtant, les styles, les sonorités, les propos sont tous extrêmement variés, sans compter la présence de quelques musiciens étrangers. Étranger ? Qu'est-ce que cela signifie dans un pays carrefour de l'Europe et de tous les continents ? Les Français n'existent pas. Ils sont le croisement de toutes les immigrations successives depuis la Gaule jusqu'aux prochaines vagues. Finis Terrae, le bout de la terre, le point de convergence, la dernière escale avant l'embarquement, la première destination des jazzmen afro-américains, la terre d'asile des exilés politiques, le mythe des Lumières, les retombées de la colonisation qui a pris de nouveaux masques, ceux de la main d'œuvre à bon marché et des aides humanitaires ? Notre xénophobie légendaire a la mémoire courte. L'intégration se fait parfois douloureusement, mais elle est inéluctable. Le communautarisme est anticonstitutionnel, pour employer de grands mots.

Et si la French Touch n'était rien d?autre que le mélange des cultures, le grand mix ? Cocteau disait que le fascisme ne pouvait pas prendre dans ce pays, que les Français sont trop indisciplinés, il ajoutait que « c'est une cuve qui bout, qui bout, mais qui ne déborde pas. » Que cela ne nous empêche pas d'être vigilants ! La veille du siège de leur ville, les habitants de Sarajevo pensaient qu'ils étaient à l'abri de la barbarie. Les journaux titraient « Les intellectuels gouvernent à Sarajevo ». Ici, des nostalgiques de la schlag déclarent l'état d'urgence lorsque les cités dortoirs se réveillent et se rappellent à leur bon souvenir.

Dans le secteur musical, les nouvelles ne sont pas très bonnes. Les salaires ont baissé, les intermittents les plus fragiles disparaissent, les disques ne se vendent plus, la curiosité des consommateurs a été émoussée, les grandes surfaces de vente prétendument culturelles n'offrent plus que les gros trucs qui rentrent dans le moule ou qui bénéficient de conditions de promotion considérables, les distributeurs virent de leurs catalogues ce qui n'est pas immédiatement rentable ? La logique du profit à court terme envahit tous les secteurs d'activité, même ceux de la pensée.

En même temps, la résistance s'organise. Ça se réveille. Les lieux alternatifs se multiplient. Des soirées voient le jour chez des particuliers. Les orchestres investissent les bars branchés de la capitale qui ont repris de l?activité. Encore faut-il qu'il y ait des bars dans les quartiers ! Les banlieues sont aussi froides qu'une banquise, les plus démunis ne voient d'autre solution que de s'y brûler les ailes. Quelle flamme les anime ? Qui donc met le feu aux poudres ? Sarkozy ? Face à la médiatisation dominante, il est devenu nécessaire de provoquer des rencontres réelles, tactiles, des échanges de regards ou de points de vue, des embrassades? Il devient de plus en plus utile de transmettre, de donner des racines à la révolte pour qu?elle soit porteuse de perspectives. S'interroger, se souvenir. Dans le petit cercle des amateurs de jazz et de musiques assimilées, improvisateurs, contemporains, il est devenu comme partout impératif de rassembler ses forces. Penser par soi-même, échanger, transmettre, est-ce un droit ou un devoir ?

Une quarantaine de labels indépendants se sont ainsi regroupés pour défendre leur droit à la différence. Devrait-on écrire « pour défendre leur droit contre l'indifférence » ? Être, c?est déjà bien. L'imagination reste le meilleur garant contre l?apathie et les nouveaux fascismes. La solidarité est le mot clef des luttes qui veulent aboutir, pour une vie meilleure, pour les enfants de demain ?

Dans LES ACTUALITÉS, si certains propos des interviewés peuvent frôler la paranoïa, qu'on l'entende critique, alors ! Nous ne sommes pas les victimes du monde dans lequel nous vivons. Notre responsabilité est entière. Nous en sommes les acteurs, et même les auteurs. Plus que de réfléchir les actualités, notre devoir est de les créer.

C'est ce qu'ont tenté de réaliser tous les musiciens et musiciennes qui ont participé au double album produit par Les Allumés du Jazz, parfois par des chemins très détournés ! Ce n'est pas un hasard si l?ensemble de ces contributions fait œuvre. Le disque intitulé LES ALLUMÉS porte en lui une étonnante détermination, franche et active. Celui intitulé DU JAZZ est plus tendre, plus intime. Entre les deux, ça transpire, une sueur saine et bien portante. Une promesse d?avenir.

Le recul que j'essaie d?avoir avec ces deux disques m'y pousse la tête la première. Cherchant à embrasser l'ensemble d'un seul coup d'œil, je ne fais qu'en choisir l'angle. À chacun le sien. La lecture du livret qui tourne sur lui-même donne le vertige. 180° de la première à la dernière page. Une volte-face.

                                      Jean-Jacques Birgé

Extrait du livret :

Les Allumés du Jazz est le premier endroit où se retrouvent des labels de production de jazz indépendants de toutes obédiences et d'orientations fort diverses. Tout y est envisagé, depuis la plus profonde tradition jusqu'à la plus extrême modernité. Tous les courants y sont représentés. Au-delà, cette disposition prépare l'avenir pour un accueil sans peur d'autres formes connues et inconnues.

Au début de cette année 2006 qui marque leur 10e Anniversaire, Les Allumés du Jazz ont décidé de sortir un double-album, LES ACTUALITÉS, composé de contributions inédites de 30 parmi 40 labels adhérents à cette date.

Chaque label a produit un maximum de 4 minutes de son en choisissant l'un des deux CD qui portent respectivement les titres LES ALLUMÉS et DU JAZZ. Libre à chaque label de publier ses 4 minutes sur l'un ou l'autre de ces CD, ou réparties sur les deux. De petits préambules ont été montés avant chaque morceau de façon à jouer le rôle de remise à zéro, mettant ainsi l?auditeur dans les meilleures dispositions pour découvrir chacune des œuvres. Ces intermèdes ont été enregistrés par les labels ou lors de rencontres et de conversations téléphoniques avec Jean-Jacques Birgé.

Chaque label a créé librement la pochette virtuelle de sa contribution comme s'il s'agissait d'un CD single. La maquette générale a été confiée à Daphné Postacioglu qui a conçu la nouvelle charte graphique du Journal. S'inspirant du Cover to Cover de Michael Snow, Birgé a imaginé un livret dont les couvertures sont tête-bêche. On peut le lire aussi bien dans un sens que dans l'autre, quitte à faire tourner le petit cahier de 24 sur 20 cm sur lui-même. Un effort particulier a été effectué sur la présentation de l'album dans l'espoir de figurer un objet suscitant la convoitise, façon élégante d'afficher notre attachement à la pérennité du disque, de lutter intelligemment contre le piratage en créant du désir plutôt qu'en criminalisant les consommateurs.

L'album est vendu au profit de l'association Les Allumés du Jazz, exclusivement par le biais de la vente par correspondance, du site Internet et sur le stand itinérant pendant les festivals.

Réalisation, montage et interviews - Jean-Jacques Birgé
Packaging et maquette - Daphné Postacioglu
Coordination - Valérie Crinière