Soirée exceptionnelle puisque nous avons dîné chez ma mère, chose qui n'était pas arrivée depuis près de vingt ans. Nous avons pourtant toujours eu de bons rapports, mais ils sont plus souvent téléphoniques que réels. Nous étions déjà dans le virtuel. On a parfois des enfants qui vous réjouissent. On n'a jamais de bons parents. Ce que nous leur reprochons, pire, ce pourquoi nous les aimons, ne sont que des handicaps qu'il faudra toute une vie pour surmonter, pour savoir qui on est, soi. C'est comme si le choix se réduisait à fuir ou dépasser, deux mouvements absolument inaccesibles ! Je me suis ainsi débarrassé de ma misanthropie il y a trois ans en comprenant qu'elle n'appartenait qu'à elle, ma gentille maman. Dix-huit ans après la mort de mon père, je commence seulement à savoir ce qui appartenait à chacun d'eux deux. La paire : la féminin, paire masculine. Maman, parfois je l'appelle Geneviève, un reste des années 80, est en pleine forme, regrettant de ne pas s'être forcée à nous inviter plus tôt. Je reconnais cette facheuse tendance à la paresse, secrète, insoupçonnable...
C'était jeudi dernier, en farfouillant dans la bibliothèque, je découvre les "Carnets d'écoute", quelques critiques publiées dans Satellite par mon père à propos de disques comme La Marque Jaune, On a marché sur la lune, Cadmus le robot de l'espace, Les Planètes de Gustav Holst, un disque d'ondes Martenot, Musique d'épouvante, Michel Magne, 20000 lieues sous les mers, juste le temps de quatre numéros de la fin des années 50. Très émouvant, je n'en savais rien. Ce sont évidemment des disques fondateurs de ma passion pour le récit d'aventures et la mise en ondes. Mon père me fit cadeau de ces hallucinants 33 tours.
Ma mère ne se souvient pas d'autres articles de mon père. Juste qu'il aimait écrire. Il avait été journaliste au Daily Mirror et à France Soir. J'ai retrouvé © Jean Birgé sur les romans de San Antonio et Michel Audiard, dont certains dédicacés, imprimés ou manuscrits. Agent littéraire, il avait lancé Frédéric Dard et Robert Hossein, il s'occupait du poète Francis Carco (je me souviens de son perroquet et de la fenêtre qui donnait sur la Seine depuis son appartement du quai de Béthune), mon père possédait les droits du Salaire de la peur qu'il avait vendu à Clouzot. Glissé au milieu des pages du Voyage du mauvais larron, le second roman de Georges Arnaud, un manuscrit autographe était plié en trois. Cinquante pages d'une écriture minuscule, et même microscopique par manque de papier sur le navire où il s'est embarqué. Ces cinquante pages tiennent sur un seul bout de papier, belle écriture à la plume, illisibles sans une énorme loupe... J'ai terminé ma recherche en feuilletant la collection du Club du Livre d'Anticipation illustrée par Druillet, Nicolas Devil et d'autres précurseurs de la BD française...
Dans le bar, il y a une magnifique collection de verres sur lesquels sont reproduites les affiches des pièces de théâtre que mon père a produite. Je n'ai vu que Nouvelle-Orléans avec Sidney Bechet. En 1994, j'avais écrit un portrait de Papa, pour la lettre P de la revue ABC comme... J'ai refait aujourd'hui un lien vers cette page oubliée de mon site...