Trois millions et demi de Libanais, peut-être seulement trois aujourd'hui avec la désertion des Chrétiens Maronites qui fuient leur pays depuis vingt ans, en goutte à goutte, la mort dans l'âme. Ils se sont disséminés partout sur la planète, marchands phéniciens, restaurateurs (ah, le mezzé !), hommes d'affaires... Où que l'on tourne son regard, le jardin idyllique est devenu un champ de ruines ou un immense chantier en construction. Comment est-il possible que le pays des cèdres ait de tous temps été l'enjeu de tant de convoitises ? Voyons les choses en face : une immaturité politique totale de la classe possédante, les Maronites précités (les quelques communistes ont disparu, Maroun se serait tué en tombant dans son escalier il y a près de quinze ans), un système tribal, mafieux (secret bancaire ; lupanar des Saoudiens ; tout y a un prix), moralement arriéré (prépondérance de la religion, dix-sept confessions officielles différentes ! Je rentrerai un de ces jours dans les détails, comme la chape de plomb qui pèse sur les filles, là-bas aussi)... Lorsque les Maronites se plaignaient du Hezbollah (en anglais Hizballah), parce que l'Iran finançait les villages et donnaient de quoi manger aux plus démunis, je demandais qui donc avait le pouvoir et l'argent avant la guerre. Et pourquoi n'avaient-ils pas alors un peu partager avec les pauvres, ceux qui, comme par hasard, sont de confession musulmane ? À leurs yeux, j'avais presque l'air d'un prophète en posant ces questions. Bon sens ne saurait mentir ! Au pays de Gibran Khalil Gibran, il n'y a plus qu'une poignée de cèdres millénaires dans la montagne, presque un square. La verdure a cédé la place à la poussière.
Qui se préoccupe de cette minorité entourée d'Arabes et, au sud, Israël, admirée et crainte à la fois. Ils sont pris en étau et aucune communauté internationale ne se soucie de leur sort. Il n'y a pas plus d'enjeu à Beyrouth qu'à Sarajevo. Tout se joue au niveau du symbolique. Pas totalement : il y a l'accès à la mer, mais surtout les pays arabes, Israël, les USA, l'ONU, tous cherchent un parc pour les Palestiniens, et le Liban est tout indiqué. Les Maronites seront-ils sacrifiés à leur tour, diaspora dispersée sur le globe ? Une injustice en chasserait une autre. Alors ? Doivent-ils collaborer avec l'agresseur (Sabra et Chatilah sont encore dans toutes les mémoires) ou défendre leur terre avec le Hezbollah (personne n'oublie non plus l'occupation syrienne). Serait-il temps, aux uns comme aux autres, de rappeler le jugement de Salomon ? Car ici la terre porte ses traces...

P.S.: quatre jours après ce billet, devant l'agression disproportionnée de l'état d'Israël, préparée en réalité depuis des mois avec le soutien des États Unis et quelques complicités locales, il semble que les Libanais commencent à comprendre que l'agresseur est bien Israël et qu'il ne s'agirait pas de refaire les erreurs de 1982 en se divisant. Nombreuses réactions de solidarité se sont exercées entre les anciens ennemis. Des Chrétiens recueillent et apportent leur soutien aux populations déplacées du Sud-Liban. Les bombardements sur des sites chrétiens comme Achrafieh finissent par leur mettre la puce à l'oreille. Le but d'Israël est, cette fois encore, de détruire systématiquement le Liban pour y installer un nouveau gouvernement fantoche. Rappelons encore que la Ligue Arabe n'a jamais sérieusement soutenu les Palestiniens, c'est l'Iran qui finance le Hezbollah. On a les alliés qu'on peut, en fonction des intérêts des uns et des autres ! La communauté juive internationale se fait honteusement complice d'un état impérialiste, inique et paranoïaque. Il est absolument indispensable que dans le monde entier des voix juives s'élèvent pour condamner la politique criminelle et suicidaire d'Israël et refusent d'être complices de ce délire. Voir le billet du 14 juillet intitulé Autodestruction.

P.P.S.: Pétitions pour le Liban et lettre de Berger, Chomsky, Pinter, Saramago