Soulagement. Mes déductions étaient correctes, une des jeunes Coréennes qui s'occupent de l'exposition a retrouvé le passeport de Nicolas sur le sol du musée. Les murs de la salle qui nous est consacrée ont été entièrement repeints en noir. Nicolas fait ses provisions de dentifrice au bambou dans le grand magasin Lotte près de la gare ferroviaire, tandis que je goûte des tas de trucs bizarres aux quatre coins du rayon alimentation, panchan de calamars ou d'huîtres, feuilles pimentées, gelée de glands, etc. Vertige. Les Coréens s'alimentant toute la journée, nous nous sommes mis à leur rythme. Le choix se fait souvent à partir des reproductions en plastique qui sont exposées en devanture (photo). Il fait très chaud. Nous mangeons dehors, assis sur des tabourets, dans des restaurants improvisés. À midi, mul naengmyeon, des nouilles froides dans de l'eau vinaigrée, un délice. À cinq heures, plat d'anguilles relevé, les mêmes qui s'agitent frénétiquement dans des bassines en plastique posées à même la rue. Ce soir, nous hésitons entre une soupe d'intestins ou le samgyopsal, barbecue accompagné de panchan, hors d'œuvres variés parfois extravagants. Nous sommes tous les deux accrochés à ces saveurs impossibles et pimentées. Un feu d'artifice gastronomique incessant.


Tant que l'on ne s'est pas adressé à eux personnellement, les Coréens sont distants. J'ai souvent l'impression que la haute stature de Nicolas leur fait peur. Les Coréennes semblent timides, honteuses d'être incapables de parler anglais. Mon camarade est parfois impatient devant la rudesse de certaines manières inhérentes à leur culture, comme se faire bousculer par de grosses voitures noires lustrées ou face à l'impolitesse pressée de certains commerçants. Les bus démarrent avant que les usagers ont terminé de monter. D'autres sont affables, voire adorables, comme on en rencontre peu sous nos propres latitudes. Nicolas baragouine suffisamment le coréen pour les flatter, mais pas assez bien pour les mettre en danger.
La Corée est un mélange d'Asie ancienne et de mondialisation accélérée. Sa capitale n'a aucun cachet, à moins qu'à terme il ne reste plus que ces magnifiques immeubles en verre commandés aux stars internationales de l'architecture. À la Grande Porte du Sud, Sungnyemun, où des petits singes sculptés courent sur le toit, je photographie encore un de ces écrans géants qui envahissent tous les quartiers. Il reste quelques îlots de maisons vétustes avec leurs vieilles tuiles au milieu des buildings hyper modernes. Mais celles qui rappellent le passé ressemblent souvent à un bidonville et les rez-de-chaussée des quartiers modernes ont encore le parfum du tiers-monde. Les magasins sont regroupés par spécialité. Il y a des rues à opticiens, des rues à caméras, des rues à chausseurs, des rues à ginseng... Impossible de traverser les avenues autrement que par les passages souterrains abritant des dizaines d'échoppes, mais leurs escaliers profonds n'épargnent pas nos mollets. Certains de ces sous-sols sont d'immenses centres commerciaux.


Marchant le soir dans Myeong-dong, juste derrière notre hôtel, nous ne pouvons imaginer que nous sommes dimanche. Les rues sont remplies d'une foule compacte de jeunes dont l'âge ne dépasse pas 25 ans. Le style des boutiques, toutes ouvertes, est très fashion, entendez par là implantation de compagnies américaines ou mondialisées sur des territoires envahis, voire annexés. Des jeunes filles hurlent leurs baratins promotionnels dans leurs micros, devant les boutiques dont elles sont chargées de vendre les avantages. Ce ne sont pas les seules à se servir d'une petite sono. Des garçons se livrent au karaoké sur la place publique devant un auditoire enthousiaste. Nombreux pasteurs prêchent la bonne parole, en criant et en chantant. Des croix au néon rouge se dressent devant les églises. Le quart de la population est chrétienne, les bouddhistes occupent le second quart, le reste est athée. Comme hier soir, ici aussi c'est très éclairé. Tous les magasins sont ouverts jusque très tard, mais notre engagement consumériste est arrivé à sa fin, du moins nous le croyons.
Pour ne pas se perdre d'autres se fieraient aux étoiles, mais à Séoul, de jour comme de nuit, nous retrouvons notre chemin grâce aux gratte-ciel.