Françoise était persuadée que j'avais déjà écrit un petit billet sur le Père-Lachaise, mais je suis incapable de le retrouver. Le système de recherche du logiciel DotClear n'est pas très au point. Par exemple, si on cherche les billets écrits sur le cinéma par rubrique, le blog affiche seulement les plus récents et ne propose pas les précédents. Pour y arriver, il faut d'abord choisir une rubrique, puis sélectionner chaque mois l'un après l'autre. Ou bien il faut chercher un mot rare, pas trop utilisé dans l'ensemble des billets. Grrr, je me casse la tête, mais ai-je jamais écrit de billet sur le plus beau jardin de Paris ?
J'ai tapé "cimetière" dans le champ idoine. Rien de morbide pourtant dans ce musée de sculptures où les gisants et les statues produisent de fortes émotions. Le journaliste Victor Noir, tué en duel, est le plus célèbre avec ses parties proéminentes, nez, braguette et bout des godillots, usées à force d'être astiquées par des jeunes femmes espérant devenir fécondes. Mais rien sur Noir ni Blanqui, gisant bien maigre, mais pas aussi décharné que les images des camps dont les évocations font face au Mur des Fédérés. Tant de communards ont été fusillés ici même. Dans une autre section du cimetière, en haut, juste en face de la grande entrée, Le Monument Tiers a été plastiqué plusieurs fois... Louis Adolphe Thiers, le fossoyeur de la Commune...
J'essaye le mot "jardin", magnifique en toutes saisons, comme aujourd'hui au printemps, ou feuillu et fleuri l'été, aux nuances automnales ou encore recouvert de neige... Mais rien, pas de "réserve" non plus. C'est pourtant la plus grande réserve d'arbres et d'oiseaux de Paris. "Promenade" ne donne pas plus de résultat, pourtant c'est magique, en plein de cœur de la ville, le silence, la nature. Des arbres s'enlacent et ouvrent les tombes, des souvenirs s'effacent, d'autres jaillissent de la terre. Des familles entières sont réunies, l'histoire de la France, toutes origines confondues, des anonymes aux plus célèbres, apparitions, disparitions...
Quelques derniers essais me rappellent ma fille "Elsa" que je promenais chaque jour en face, lorsque nous habitions devant la station de métro Père-Lachaise. Je l'y ai souvent filmée à l'époque des films de famille. Je ne les regarde jamais. C'est elle que cela branchera plus tard, si les cassettes sont encore lisibles. Trop de films étouffent l'intention. Mon père nous a laissé une soixantaine de minutes en 16mm, c'est bien assez. On reconstitue le reste. On le rêve. De toute manière, le passé n'a rien à voir avec son enregistrement. L'invention de Morel en montre bien les limites.
"Zouzou" était le roi des chats du Père-Lachaise, mais qui s'en souvient vingt ans après ? Toutes les vieilles sur les bancs autour de Casimir Périer, dont la tête abritait un essaim de guêpes qui tournait autour comme une couronne, le connaissaient. Elles l'ont probablement rejoint. Je me demande si certaines bestioles ne sont pas restées ici en clandestins. Le cimetière des animaux à Asnières est fait pour les bourgeois, les autres sont dans des jardins, ou dans le souvenir... Une chose m'inquiète, nous n'avons croisé aucun matou cet après-midi. Où sont donc passés les chats du Père-Lachaise ?
Reste "Françoise" (j'ai commencé par elle, il faut bien que j'essaye) qu'en éternel père-lachaisien je guide au travers des tombes, regrettant les plans de pommes de terre autour de Parmentier remplacés par de vivaces iris, découvrant celles et ceux enterrés depuis les dix dernières années puisque je m'en suis éloigné tout ce temps, mais dix ans, qu'est-ce que c'est ? Et vingt que mon père est au columbarium. Il fait si froid tout en bas que sa poussière doit être bien conservée. Son nom sur le marbre me fait une drôle d'impression. Jean Birgé, 1917-1988. Il aurait 90 ans. Il faudra donc que j'arrive à 87 ou 88 si je veux connaître ma fille à mon âge puisque je suis devenu père à peu près au même que lui. Vertige du microscopique. Poussière d'étoiles. Les siècles ont érodé la pierre, la mousse a envahi le creux des noms qui y sont gravés, on entretient de vieilles tombes qui ont l'air neuf, le souvenir fait revivre les disparus... C'est la vie éternelle, un temps du moins... Avant l'oubli... Mais ai-je jamais écrit ici quoi que ce soit sur le Père-Lachaise ?
La semaine dernière, Françoise était venue. Tout le monde attendait Pascale Dauman, parce qu'elle était en retard, retenue dans le XVIème pour des histoires de formulaires, même pour son dernier voyage...
En sortant, nous croisons Antoine qui vient de faire un tour lui aussi pour se changer les idées. Un jour que nous travaillions là en marchant, nous avions tous deux été filmés pour le Journal de 20 heures. Comme le bout où je réponds à l'intervieweuse est passé à l'antenne, Antoine rit encore de ma façon d'être partout, sans même faire exprès, même quand ça n'a aucun rapport avec mon travail. Mais voyons, ce blog est-il autre chose qu'une promenade au Père-Lachaise ?