Je suis allé me changer les idées chez Bernard. Il m'a montré la merlette qui couve à sa fenêtre. Avec la chaleur, toutes les bêtes étaient affalées sur le carrelage. C'était tranquille. Bernard lisait Alphonse Allais. Il n'avait rien à boire. J'ai pris une photo. Lorsqu'il parle, son appareil cliquète sur la gencive. La bouche instable, il n'a pu jouer de trompette depuis deux ans. Son dentiste est mort avant d'avoir fini le travail. Nous préparons les séances pour le clip européen. Bernard Vitet compose. Dans le cadre, je remarque surtout le paquet de Gitanes en amorce. Il a toujours fumé comme un pompier, infestant le studio de l'odeur du tabac brun. Le paquet de Bastos bleu électrique avec la signature en or était encore plus beau. Un jour que nous répétions avec Bohringer, Richard nous raconte que, jeune homme, il avait été le fan d'un trompettiste qui tenait sa cigarette de la même façon, la coinçant entre les phalanges pendant qu'il appuyait sur les pistons. Il se souvient qu'il s'appelait Babar. Nous nous esclaffons ensemble : "Bernard, c'était Babar !". Babar pour les jazzeux et la variète. Francis et moi l'avons débaptisé en fondant le Drame, aussi parce qu'il avait lui-même un peu fondu, un peu trop pourtant ces dernières années... Mais ça lui plaît, comme ça. Ce retour aux sources, avec promesses d'avenir tenues, fut possible sous couvert de l'anonymat, derrière le nom du groupe. Il avait été une légende pendant un quart de siècle, il constitua une œuvre pendant le suivant. Dans le partage. Maintenant les journées sont plus calmes. Les enjeux s'évanouissent. On ne croit plus au trésor, mais on continue de creuser. Pour le plaisir du jeu.