Achevons Mai 68 est le titre du dernier texte publié par Michel Onfray sur son blog datant du 3 mai, passionnante plaidoirie qui remet chacune et chacun à sa place. Les idéaux de l’époque et la réaction qu’ils engendrèrent et qui se perpétue dans les propos de nos présidentiables et de leurs apôtres devraient intéresser les jeunes générations si elles souhaitent vivre autrement que dans la peur, l’ennui ou un cynisme démobilisateur. Les vieux disaient alors : « si tu n’es pas anarchiste à vingt ans, tu ne le seras jamais », sous-entendu il est normal et sain que la jeunesse se rebelle, elle se tassera à l’épreuve de la vie. Nombreux fils et filles de bourgeois qui furent les artisans de cette révolution de mœurs se résignèrent en effet à leurs intérêts de classe lorsqu’ils furent en âge d’hériter, d’un métier d’abord, de la famille ensuite. Je me souviendrai toujours du choc que me fit Pier Paolo Pasolini lorsqu’il clama que les étudiants étaient tout de même des fils de bourgeois qui se battaient contre des fils de prolos, les flics. Cette phrase me permit d’appréhender l’avenir en me préparant aux multiples trahisons dont nombreux acteurs de Mai 68 allaient faire leur fonds de commerce. J’avais quinze ans et les années qui suivirent se vêtirent du costume du rêve. L’imagination au pouvoir, lisait-on tagué sur les murs de l’école. Comme un devoir imposé. Faites l’amour, pas la guerre, chantait-on tandis que les jeunes Américains allaient se faire tuer en brûlant le Vietnam au napalm. On préférait incendier le drapeau. Mai 68 ne fut pas une affaire française ou parisienne, sur tous les continents la révolte grondait, le poing levé ou avec le V du majeur et de l’index pointés vers le ciel, qu’importe. Il y avait des fleurs, le sexe des plantes. Une solidarité de chaque instant s’exprimait parmi nous. Nous partagions. Nos cheveux longs étaient un signe de reconnaissance, laissant faire la nature… Frank Zappa fit un peu tomber l’ambiance lorsque, sur Weasels ripped my flesh, on l’entend répondre à un excité : « Chacun dans cette salle porte un uniforme, ne vous racontez pas d’histoire, don’t kid yourself ! » Des kids, nous étions des gosses qui pensions changer le monde. Certes, nous l’avons dévoré à pleines dents et nous avons continué à rêver tandis que le capital agissait dans le réel. La mort s’empara de tous, les uns après les autres, la mort sociale, le renoncement, la mort programmée du cycle de la vie, la mort contre laquelle nous avions grandi, la mort des utopies. Faute de combattants, la solitude gagne du terrain, c’est le blues. C’est d'abord aux plus jeunes d’être anarchistes, il en restera peut-être quelque chose. Tout cela n’est qu’une affaire de cycle, une révolution. Car tous, autant que nous sommes, si nous désertons les rêves en croyant que ci ou ça ne se fait pas ou que c’est irréaliste, nous sommes morts avant même d’être venus à la vie, la vraie, celle qui est ailleurs. La libido s'éteint lorsque le désir s'exprime sans solidarité. Si nous sommes incapables d’imaginer un monde meilleur ou que la tâche semble trop lourde, je ne donne pas chère de cette planète. L'avenir est entre nos mains, sous l'entière responsabilité de chacune et de chacun.