À 77 ans, Abbey Lincoln sort un disque intemporel dont la couleur est presque plus pop que jazz, incroyablement émouvant, simple comme bonjour, évident.
Peut-être est-ce le choix de l'accordéon, Gil Goldstein, et du violoncelle, Dave Eggar, qui se joignent au trio guitare, basse, batterie formé par Larry Campbell, Scott Colley et Shawn Elton, ou justement la personnalité du polyinstrumentiste Campbell, compagnon de Bob Dylan, qui donnent, à l'album cette tonalité folk à la grande voix noire d'Abbey Lincoln ? Abbey, de son vrai nom Anna Maria Woolridge, doit probablement son pseudonyme au seizième président des États Unis. La dame porte d'ailleurs des chapeaux qui rappellent souvent le haut de forme de l'abolitionniste assassiné en 1865. Je l'avais découverte dans la discothèque de Jean-André sur l'incontournable brûlot historique We insist ! (Freedom Now Suite) de Max Roach, son compagnon d'alors, paroles d'Oscar Brown Jr, aux côtés de Coleman Hawkins et Booker Little, et sur le tout aussi sublime Straight Ahead enregistré sous son nom l'année suivante, en 1961, avec les mêmes plus Mal Waldron et Eric Dolphy...
Les chansons sèment le frisson et réchauffent le cœur, toujours porteuses du même engagement, de la ferveur des revendications partagées avec ses frères et sœurs de misère, solidarité avec les femmes battues, affirmation de soi en tant que femme. Abbey sings Abbey est le premier disque qu'elle signe en tant que compositrice et auteur en plus de l'interpréter. Bluesy, ses chansons épurées, servies par un accompagnement discret et élégant, ont des accents country, cajun ou sud-américains, car les sentiments et les émotions sont les mêmes pour toutes les femmes, et pour les hommes qui les écoutent, où que nos latitudes et nos longitudes se croisent, dans l'abandon de la musique toujours plus nécessaire à supporter le poids de la vie et du combat qu'elle réclame. Il y a de la revendication dans l'air.
Sortie officielle le 21 mai chez Verve (Universal).