En écoutant François Corneloup enregistrer les prises de sax baryton et de soprano pour notre carnaval polychrome, Bernard a reconnu son erreur quant aux avantages des machines sur les interprètes vivants. Il faudra que je lui rappelle de temps en temps ces séances... Ouf !
Les inventions de Corneloup ne sont pas innées. Son groove s'est précisé au contact des autres. Il sait l'histoire de la musique. L'apprivoisement de son désir prépare le terrain. Suit le plaisir de jouer. La première prise est toujours une découverte, les suivantes recèlent des merveilles d'intelligence et de sens de l'instant. Je fige tout cela sur le multipistes de l'ordinateur. J'ai écrit ici et tout le bien que je pensais d'Ursus Minor où il tient le rôle de la basse en plus de mélodifier au soprano. En 1996, il avait accompagné Elsa sur notre ¡ Vivan las utopias ! dans la compilation Buenaventura Durruti. Onze ans plus tard, nous refaisons appel à lui pour une nouveau morceau d'inspiration sud-américaine. Il doit imaginer qu'on sait faire que ça ! Comme Bernard le souhaitait, le carnaval sonne plus New Orleans que brésilien : "Pense à Sidney !" lui dit-il. L'accompagnement au baryton des deux chanteuses est aussi délicat que le final est punchy avec les pistes de soprano qui s'amoncellent en pâte feuilletée. Lundi nous recevrons le trombone et le lendemain nous passerons au mixage. C'est alors que tout prendra sa place, comme si cela avait toujours existé, comme si le choix ne se posait pas, comme si...
À mon tour, je pense à Sidney. En 1958, dans les loges du Théâtre de l'Étoile, Sidney me fait sauter sur ses genoux. Je souffle dans son soprano et il me laisse gagner à la boxe. Je me souviens de cette scène comme si c'était hier. C'est mon plus vieux souvenir de musique. Sidney Bechet mène toute la troupe au milieu du public de l'orchestre sur l'air des Oignons. Je ne pleure pas, mais j'en ai des frissons. L'opérette a causé la faillite de mon père qui dut changer de métier pour nous nourrir.