Quelques personnes amicales se sont émues du texte que j'ai publié sur les difficultés de communication que je rencontre de temps en temps avec ma maman. D'autre part, il aura parfois pu paraître indécent d'étaler en public sa vie de famille ou l'intimité de ses proches. Je m'en suis déjà un peu expliqué dans le billet du 23 janvier, mais il me semble important d'apporter quelques précisions sur ce difficile exercice.
Tout d'abord, je suis évidemment moins touché par la tristesse de ma mère qu'elle ne l'est elle-même. Je suis affecté par son handicap parce que je l'aime. C'est elle qui souffre de l'isolement dans lequel elle s'est enfermée. Par flemme elle s'est souvent empêchée de faire ce qui lui plaisait. Pour avoir refuser le moindre effort physique, elle s'est coincée dans une attitude arthritique aujourd'hui irréversible. Il lui est devenu de plus en plus douloureux de marcher, alors qu'elle aimait sortir au théâtre ou au cinéma. Ma grand-mère ne l'encouragea pas. Ainsi, par exemple, le jour du baccalauréat, elle ne la força pas à se lever si elle était trop fatiguée pour s'y présenter ! Ou encore, mon père la déposait devant le restaurant pour aller ensuite se garer. Et ainsi de suite.
Vendeuse en librairie quand elle le rencontra, lui-même était alors agent littéraire, elle est restée entourée de milliers de bouquins. Mais si les livres aujourd'hui la fatiguent, elle passe ses journées à feuilleter des magazines. La télévision reste allumée comme chez beaucoup de personnes âgées qui accompagnent leur solitude par une présence fictive, un médium. Elle a pourtant la visite de sa femme de ménage cinq matins par semaine et reçoit ses deux sœurs le week-end. La mienne est également très présente, puisqu'elles se voient toute la journée au bureau et font même les courses ensemble. Maman craint de s'ennuyer si elle s'arrêtait de travailler. Comme chacun d'entre nous, elle est d'abord sa propre victime. Elle veut avoir le dernier mot, se braquant dans une attitude qui rejette les apports extérieurs. On apprend pourtant autant de ses aînés que de la jeunesse qui vous suit. La perte de communication vous fige dans une attitude étouffante. Pénible pour soi, et par conséquence pour tous ceux et toutes celles qui tiennent à vous.
Françoise se moque de moi parce que ces lignes lui rappellent certains traits de mon caractère. En mettant le doigt là où cela fait mal, elle comprend pourquoi j'écris. Certains penseront que ces histoires devraient rester du linge sale qu'on lave en famille. Hélas, les cadavres ressortent toujours des placards, un jour ou l'autre. Lorsqu'ils n'affectent pas directement les protagonistes, ils influencent catégoriquement leur progéniture voire leur lointaine descendance. La névrose se transmet avec le reste des acquis. Si je m'exprime publiquement, c'est que je n'ai d'autre choix. Mon mutisme serait beaucoup plus dévastateur. J'ai souvent raconté que j'étais devenu artiste pour ne pas devenir fou ou délinquant. Transformer mes souffrances sociales en texte, en film ou en musique m'a permis de sublimer l'insupportable et de retourner la contrariété en acte positif. Elle m'en a aussi donné la force. Les valeurs qu'elle m'inculqua et dont elle ne sut pas toujours profiter elle-même m'aident à taper ces lignes, me permettant d'évacuer mes désaccords et de savoir pourquoi j'aime ma mère.

Sur la photo j'ai trois ans, c'est le jour du premier anniversaire de ma petite sœur.