Lorsqu'à 3h55 une centaine de coqs entamèrent leurs vocalises enrouées, je compris l'expression "se coucher avec les poules". Le soir, à neuf heures, le village est éteint, livré aux cigales et aux grenouilles. Le silence de la nuit nous change des pétarades citadines. Du moins l'ai-je cru jusqu'à ce que les gallinacés s'animent. Quatre heures plus tard, ils n'avaient toujours pas terminé de sonner leur réveil infernal. La nuit suivante, le tintamarre débute à minuit ! Je rêve de Crazy Squirrel dans le film de Tex Avery où il tente de faire la peau d'un de ces emplumés. Je sais maintenant que je n'ai pas emporté de boules Quies pour des prunes. Conserve-t-il autant de coqs pour des combats ? Nous avons vu des ados parier plus loin à Luang Prabang. Les poules sont sans cesse assaillies par les mâles. C'est la viande la plus tendre, le porc est trop coriace et le canard est un animal mythique, présent sur tous les menus, mais jamais disponible. Ici, pas d'élevage en batterie...


Houeisai est un village frontière laotien sur le Mékong, une longue rue principale où s'alignent commerces, guesthouses, petits restaurants de fortune où l'on mange pour trois francs six sous, 15000 kips laotiens ou 30 baths thaïs. En échange de 300 euros, le changeur m'a remis une liasse de cinq centimètres d'épaisseur avec trois millions de kips. Pour acheter une voiture, il doit falloir une brouette.


Le soir, les enfants qui rentrent de l'école nous adressent de souriants "Sabaïdii". Nous leur rendons ce mignon bonjour. Les Laotiens sont particulièrement aimables. Personne ne nous alpague. De l'avion qui nous amenait à Changmai, nous sommes passés au VIP Bus à un car plus rudimentaire pour rejoindre la frontière, un tuk-tuk pour traverser Changkong et la pirogue enfin. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Les autochtones passent leur temps à cracher par la fenêtre du bus. Mieux vaut s'asseoir à l'avant, d'autant qu'ils sont souvent malades à cause des routes qui tournent et vomissent tant qu'ils peuvent. Chacun a une dizaine de petits sacs en plastique qu'il jette au fur et à mesure par la fenêtre... Si le confort hôtelier semble de plus en plus spartiate, ce n'est qu'en apparence. Notre chambre à Changrai avait l'allure d'un vaste panier de riz gluant tressé, celle de Houeisai donne sur le Mékong et les collines sauvages de la province de Bokeo.


Nous marchons jusqu'au marché du matin, le talatsao, situé plus loin à l'intérieur du village. Au coucher du soleil, nous grimpons jusqu'à la pagode où de jeunes bonzes jouent avec de l'eau. L'un d'eux fait le mur. Nous évitons soigneusement les touristes français qui se comportent comme des cuistres pour se faire photographier avec les moines. Nous essayons de nous conformer aux usages locaux pour ne pas choquer nos hôtes, ce qui embête un peu Françoise qui aurait préféré porter des shorts plutôt que des pantalons. S'il fait chaud dans la journée, les nuits sont très fraîches.


Nous avons réservé les dates de notre trek au Gibbons Experience depuis Paris. Ce projet d'écotourisme a été initié par des Français qui ont converti les braconniers en gardes forestiers pour protéger le saccage de la forêt primaire. Ils ont construit six maisons dans les arbres et tendu de longs câbles pour les atteindre ou traverser les vallées. Les places sont évidemment limitées. Ils ne font aucune publicité, mais le bouche à oreille risque de rendre les délais de réservation de plus en plus longs. Nous sommes impatients de rejoindre la jungle et de nous élancer dans les airs comme des Tarzan...